ABC Billet 16

Billet n°16 :  Du commentaire à la Bêta-Lecture

La bêta-lecture est une étape incontournable pour beaucoup d’auteurices. C’est souvent la manière de finaliser un roman, en le soumettant à un œil aiguisé capable de repérer les derniers défauts. Vous en avez peut-être déjà demandé, ou vous comptez bien en demander une quand vous aurez mis le point final à votre fiction. Mais en général, c’est un échange de service. Ce qui fait que si vous voulez une bêta-lecture, il va falloir être bêta-lecteurice.

Or, une BL ce n’est pas tout à fait comme un gros commentaire. Commenter est certes une très bonne manière de se préparer à devenir bêta-lecteurice, mais la BL implique trois éléments importants qui la différencient du commentaire :

  • l’engagement,
  • le dialogue avec l’auteurice 
  • la multiplicité des angles de vue.

 

1. Le pacte

À la différence du commentaire qui est (et doit rester) de votre propre initiative, la BL implique un engagement. Que vous la proposiez vous-même ou que vous répondiez à une demande, une fois que l’accord est passé, c’est une sorte de contrat moral.

Avant de vous engager, prenez donc le temps de lire un extrait (voire plusieurs). Parce que si vous vous apercevez que le style ou le sujet vous pose un gros problème, vous risquez d’avoir du mal à lire et commenter de façon constructive la fiction entière. La BL risque de devenir une longue souffrance qui ne sera bénéfique ni pour vous, ni pour l’auteurice.

Ou bien, en prenant un aperçu du texte, vous vous apercevrez peut-être qu’il y a beaucoup de choses à signaler, et que même si vous relevez le défi, vous ne pourrez pas le faire dans le délai demandé.

Si vous vous engagez, c’est à la fois à aller jusqu’au bout, à respecter les délais sur lesquels vous et l’auteurice vous vous êtes entendu.e.s, et aussi à faire de votre mieux.

Et si quelque chose coince ? Par exemple, vous avez un empêchement dû à un cas de force majeure qui vous oblige à renoncer à effectuer la BL. Ou alors, un événement IRL vous a fait prendre du retard et vous ne pouvez pas respecter le délai convenu. Ou encore vous vous apercevez que pour une raison ou une autre, vous n’apporterez rien à l’auteurice parce que vos visions, vos styles, vos conceptions sont trop éloignés, vous ne comprenez pas, vous n’arrivez pas à mettre le doigt sur les problèmes. Bref, si ça ne se passe pas comme prévu, avertissez l’auteurice au plus vite pour qu’il ou elle puisse se retourner.

En général, il ou elle compte beaucoup sur votre BL, donc ne le/la laissez pas tomber, ne baclez pas vos retours, planifiez votre lecture pour être sûr.e de ne pas devoir tout lire et commenter en deux jours.

 

2. Le dialogue

Etant donné le “travail” de longue haleine que peut représenter une BL pour le ou la bêta-lecteurice et l’importance qu’elle revêt pour l’auteurice, autant se mettre d’accord sur l’attendu et autant lever tous les doutes et questionnements, jusqu’au bout.

On a suggéré plusieurs fois, pour les commentaires, de demander directement à l’auteurice quel type de commentaire l’intéressait ou à quel(s) point(s) particulier(s) il ou elle souhaite que vous soyez vigilant. Pour la BL, c’est obligatoire.

D’abord, pour répondre à ses attentes et questionnements particuliers. 

La plume pour qui vous allez faire la BL peut avoir des demandes bien précises ou une liste de questions. Par exemple, elle manque peut-être de confiance dans les motivations de tel ou tel personnage, dans un des arcs , dans la crédibilité d’un dénouement… Si vous êtes alerté·e, vous pourrez lui dire “pour moi, il n’y a aucun problème” ou lui confirmer qu’en effet, il y a moyen d’améliorer.

Ensuite l’échange avec l’auteurice sur ses attentes peut potentiellement vous épargner du boulot. Exemple : il ou elle aura peut-être prévu de faire appel à un correcteur/une correctrice, ce qui vous dispensera de toutes les remarques orthographe/grammaire/typographie.

J’en profite pour attirer votre attention sur le fait qu’une BL n’est pas une correction. En tant que bêta-lecteurice vous pouvez avoir la gentillesse de souligner les problèmes d’orthographe, de grammaire ou de typographie que vous voyez, mais ce n’est en aucun cas obligatoire. L’auteurice ne pourra exiger de vous une correction exhaustive (d’autant que la correction est une compétence très spécifique qui demande un œil particulièrement acéré et expert).

Discutez aussi des délais attendus, du format, de la méthode Faites-lui part de votre expérience en matière de BL, avertissez-le ou la si vous êtes débutant (ça ne veut pas dire que vous ne serez pas hyper doué pour l’exercice), expliquez comment vous procédez habituellement. 

Vous pouvez même aller jusqu’à faire un envoi après avoir bêta-lu les trois premiers chapitres pour valider que ce que vous faites convient. 

Une fois votre BL rendue, le dialogue peut continuer encore un peu si l’auteurice a besoin d’affiner quelques points, réflexions ou idées. Essayez de faire l’effort de lui répondre,  souvenez-vous que vous êtes une référence par rapport à son texte, un des regards extérieurs qui le connaît le mieux.

C’est souvent dans ces échanges qu’on met au jour un point bloquant que personne n’avait vu avant, ou qu’on déclenche une solution ! Et s’il faut plusieurs aller-retours, ça fait partie du job 

 

3. Changer de rôle et de focale 

C’est peut-être la principale difficulté de la BL : savoir se démultiplier, pour parcourir le texte en lecteurice, en relecteurice, voire en auteurice lorsqu’il s’agira de proposer des solutions. Je vous renvoie aux billets précédents si vous avez besoin de vous rafraîchir la mémoire sur ce que chacun de ces rôles implique.

Et avec chacune de ces casquettes, il faudra aussi essayer de changer de focale en rétrécissant ou en élargissant votre point de vue : niveau “détail du texte” , niveau “scène ou chapitre” , niveau “articulation et développement de l’intrigue”, niveau “ensemble de la fiction” .

Enfin, pour chaque rôle et chaque focale, pensez à signaler le positif comme les points d’amélioration.

Avec ça, vous devriez quadriller efficacement le terrain, et ne rien laisser passer !

 


4. Exemple de méthode 

Nous allons tenter de donner une méthodologie plus explicite (ce n’est qu’une suggestion).

  • 1. Vous tombez sur une demande de BL qui retient votre attention, et votre motivation se confirme après avoir parcouru un extrait du texte. Ou bien vous lisez un texte qui vous donne l’impression que vous pourriez apporter quelque chose de plus à l’auteurice par une BL que par des commentaires.
  • 2. Contactez l’auteurice, échangez sur ses attentes, vos méthodes respectives, votre expérience, les délais et autres modalités, etc… Éventuellement, faites-vous un planning.
  • 3. Vous attaquez le texte. Au fil de votre lecture, vous signalez tout ce qui vous interpelle (grâce à la fonction commentaire des traitements de textes, par exemple) :

- Vos questions, reformulations et doutes de lecteurice (ressentis) mais aussi de relecteurice (clarté, cohérence... )

- Ce que vous aimez

- Ce qui vous surprend

- Les problèmes de syntaxe/vocabulaire/grammaire/orthographe/répétitions (optionnel)

- ...

  • 4. A la fin de chaque chapitre, donnez votre ressenti sur ce qu’il contient et sur des questions plus techniques comme le déroulement et l’articulation des scènes, le rythme, la clarté etc…
  • 5. Au bout des trois ou quatre premiers chapitres, faites un envoi intermédiaire pour valider votre manière de faire (optionnel).
  • 6. A la fin des chapitres (sauf peut-être des deux ou trois premiers), élargissez votre focale et réfléchissez à la façon dont le chapitre s’inscrit dans l’avancement : est-ce qu’il fait bien avancer l’intrigue ? Est-ce qu’il donne les infos que vous espérez depuis un moment ? Est-ce qu’il s’articule bien avec les précédents ?… Bref, réfléchissez à l’architecture de l’histoire . Gardez à l’esprit que la suite modifiera peut-être votre impression.
  • 7. Vous arrivez à la fin de la fiction. Commentez le dernier chapitre, puis élaborez votre commentaire global. Comme pour toutes les autres focales, soyez lecteurice (ressentis) ET relecteurice (technique), soulevez les points positifs ET les points d’amélioration, et faites une synthèse de vos impressions sur l'œuvre dans son ensemble, en proposant éventuellement des solutions aux problèmes que vous soulevez. Pour éviter des redites avec les commentaires précédents et vous aider à organiser votre réflexion , vous pouvez découper votre commentaire d’une façon qui ne suive pas la chronologie de la fiction. Par exemple : 1) Le style, 2) l’univers, 3) les personnages, 4) les enjeux, 5) le déroulement de l’intrigue, 6) les grands thèmes abordés
  • 8. Envoyez à l’auteurice et attendez sa réponse.
  • 9. Répondez à ses questions, approfondissez si besoin, jusqu’à ce qu’il ou elle vous confirme que tout est clair.

Tout ça est évidemment à modérer selon les modalités ou sujets convenus entre bêta-lecteurice et auteurice. Tous les conseils des billets précédents sont valables dans le cadre des BL. Vous devez porter autant d’attention à la formulation, par exemple.

Il n’y a qu’une manière de maîtriser l’exercice de la BL : se lancer. Si vous doutez de vous, demandez des conseils ou des exemples.

Bien souvent, on finit par avoir un ou une partenaire de BL attitré.e (ou plusieurs), ce qui peut aussi rendre la démarche plus facile.

Quoi qu’il en soit, les retours et les remerciements sur l’aide que vous avez apportée sont toujours aussi gratifiants. Rien que pour ça, ça vaut le coup de s’y mettre !

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