Le lendemain, Noah avait super mal aux cuisses et aux mollets et aux pieds. Il s'en plaignit à sa mère, qui venait d'appeler, et qui lui répondit :
— C'est bon pour ta santé, chéri ! Le bon air, la marche, je suis sûre que tout va bien se passer. Tu es en de bonnes mains, je le sens.
À peine l'appel terminé, John prit un grand plaisir à lui fourrer des quarts de tartines dans la bouche, lui expliquant qu'il ferait ça à son gamin plus tard.
— C'est affreux ! Je veux retrouver mes mains.
— Attends, c'est trop bien ! contra John. Tu ne vas pouvoir faire aucune des corvées de la journée.
— Quelles corvées ? On ne m'a pas parlé de corvée, à moi !
De fait, Noah suivit John toute la matinée : dégager les poules du jardin, donner à manger aux oies, changer la litière des lapins, apprivoiser le caractère incroyablement coriace de l'âne pour lui faire porter du matériel jusqu'à un étang non loin, y dresser la table et voir combien chacun des ustensiles nécessitait des mains.
Avec l'air chaud de l'été, Noah avait retrouvé sa morosité. Le soleil le tabassait, ce qui était dû à la réduction de l'épaisseur de la couche d'ozone. Les guêpes le harcelaient toutes parce qu'elles savaient bien qu'il ne pouvait pas se défendre !
À travers ces pensées orageuses, un éclair de lucidité le traversa, si bien qu'il en fit profiter tout le monde :
— L'homme sans mains n'est plus qu'un spectateur de la vie.
— Joli ! commenta Alphonse qui semblait s'amuser de tout. Tu es étonnamment perspicace, Noah. Ce qu'il te manque, c'est juste d'ôter tes œillères.
— Mes quoi ?
— Ce sont les caches qu'on met aux chevaux pour qu'ils regardent juste devant et ne soient pas affolés par l'agitation autour d'eux. Enfin, qu'ils le soient moins. Bref, l'univers t'a mis en position de spectateur, alors regarde bien.
— Regarder quoi ?
— Tout ! La guêpe qui lorgne sur le pâté, les fourmis qui partent à l'assaut des pieds de la table, le soleil qui réchauffe ta peau, ces canetons qui suivent leur mère en pataugeant, l'âne qui est en train de bouffer ta veste…
Noah se retourna tout à coup et envoya un grand coup de pied vers la tête de l'âne qui mâchonnait la manche de sa veste, mais ce salopiot la retira si vite que Noah, déséquilibré, partit à la renverse et se retrouva le cul par terre.
Alphonse se leva, amena doucement sa main vers le museau de la bête tout en lui souriant. Juste après, l'âne s'écarta de quelques mètres tandis que Noah se remettait sur sa chaise pliable. Du coin de l'œil, Noah le vit lui tirer la langue.
— Regarde tout, lui dit Alphonse comme si rien ne s'était passé, et demande à tes yeux comme à ton cœur de voir ce qui se trouve vraiment autour de toi.
Noah ruminait intérieurement contre l'équidé et rétorqua la première chose qui lui vint à l'esprit :
— À quoi bon ? Les humains détruisent tout.
John coula un regard inquiet vers Alphonse, ce qui n'échappa pas à Noah. Ça, il regardait, hein !
— As-tu vu l'humain ici nuire à son environnement ?
— Ici non, mais à cent kilomètres, ça commence.
— Et peux-tu y faire quelque chose ?
— Je… C'est aux adultes de faire quelque chose !
— Et peux-tu y faire quelque chose ?
— Je peux leur mettre des coups de pied dans l'popotin ! Mais après ils vont me casser la gueule.
— Et peux-tu y faire quelque chose ?
— Mais t'es relou avec ta question !
Alphonse éclata de rire, tartina du pâté sur un quart de tartine et la fourra dans la bouche de Noah.
— Un mec célèbre a dit un jour : le gras, c'est la vie ! Tu pourras méditer ses propos avec Caroline cet après-midi.
Noah savait qu'on le nourrissait bien, mais c'était une chose terrible que de ne jamais savoir quand la prochaine bouchée allait lui tomber dans le gosier. Du coup, il savourait ce qu'on lui donnait et, de fait, ce pâté était excellentissime !
— Elle n'est pas encore morte ? s'étonna John.
Noah manqua s'étrangler.
— Non non, le rassura Alphonse. Elle pète la forme, la petiote.
"Juste après, l'âne s'écarta de quelques mètres tandis que Noah se remettait sur sa chaise pliable. Du coin de l'œil, Noah le vit lui tirer la langue." -> qui tire la langue ? L'âne ?
"Mais t'es relou avec tes questions !" -> TA question je dirais du coup xD
Bon, qui est Caroline ? La "petiote"... J'ai pas l'impression qu'on parle d'un être humain, je sais pas pourquoi.
Le chapitre est intéressant, je trouve que c'est un bon début de thérapie pour Noah. Il est très fermé d'esprit dans son idée de justice contre l'homme. Lui faire voir ce qu'il y a de beau est une bonne initiative. J'aime bien Alphonse aussi, il a un côté très détaché qui me plaît beaucoup.
À très vite !
En effet, c'est l'âne qui tire la langue :)
Ah oui, pas mal, le « ta question », je vais changer.
Je mets la suite et je rattrape mon retard, ce sera double dose :D