Prologue
Je ne me souviens de rien. Quelques jours auparavant, j'étais dans une forêt avec ma mère et mes frères et soeurs. La chose qui venait nous nourrir au loin avait cette fois-ci acheté une pâtée différente. Il y avait une sorte de poudre dessus. J'ai peur de m'être faite avoir, comme la fois où je n'y voyais plus rien suite à une chute. Endormie, je m'étais réveillée dans un endroit froid à l'odeur nauséabonde avec un seul oeil et un truc étrange vers mon bas-ventre. Elle va peut-être recommencer ? Je vois ses pattes qui se rapprochent de nous. Je mange un dernier morceau et me faufile vers ma famille, rampant dans la terre. Après, c'est le trou noir....
02 avril 2016
Je me réveille difficilement. Je suis allongée sur une table froide avec une chose portant des gants en latex. Je déteste cette matière. Elle me rase une partie des poils et me prélève du sang. Je me débats, je la griffe, je veux partir. De nouveau, le trou noir.
03 avril 2016
À mon réveil, on me place dans ce qu'ils appellent "une chatterie". Je découvre un endroit qui me fait peur : le sol est froid et blanc. Il y a des murs m'empêchant de sortir et des animaux étranges qui viennent me renifler. L'un me feule, je comprends que ça doit être un chat d'une autre tribu. Je cherche ma mère, mes frères, mes soeurs mais il n'y a personne pour me protéger. Je me réfugie dans une boîte étrange dans laquelle le sol est plus mou et agréable. C'est là qu'ils font leur besoin, tant mieux, je ne serai pas dérangée.
Vers midi, une chose arborant un symbole étrange sur son t-shirt veut me faire sortir de ma cachette. Elle se présente comme étant "ma soigneuse". Imitant le chat étranger matinal, je la feule et la griffe de toutes mes forces avant de retourner dans mon trou. Je pensais qu'elle allait me crier dessus, mais rien. Elle me laisse tranquille et m'invite à manger. Je n'ai pas faim. Elle veut me faire boire. Je n'ai pas soif. Je veux qu'on me laisse là. Elle tente de me caresser, je grogne.
— Betty, il faut que tu prennes tes médicaments, tu as un méchant coryza qui s'infecte.
Elle enfile des gants, réussit à me rattraper et m'enfourne un cachet dans la gueule. Je n'ai même pas le temps de le recracher. berk.
— C'est bien. Maintenant, il faudrait que je te prenne en photo pour le site.
Une autre chose débarque. ça provoque un tremblement de terre.
— Alice* la véto pense pas qu'elle doit être mise à l'adoption tout de suite. Trop peureuse et pas sociabilisée elle risque de revenir chez nous trop vite. Il faut l'habituer à l'humain.
L'humain ? C'est quoi ça ?
— Si elle le dit. En plus, sa couleur ne va pas aider. Tu vas voir qu'on va encore se taper des phrases comme "oh non pas noire ! surtout pas ! " "mais elle a du blanc un peu ou pas du tout ?". Pauvre Betty. Bon allez je reviens ce soir et vous autres, soyez gentils avec elle !
Elles repartent. Gentils ? Ils sont là en train de faire leur toilette, de me feuler dessus, de jouer avec des objets étranges qui font du bruit. Je veux retrouver le silence de la forêt, l'amour de ma famille... où sont-ils ?
Chapitre 1er
04 avril 2016
14h30
Un mur de ma chatterie s'ouvre. J'entends des dialogues avant que trois choses ou "humains" ne débarquent. Alice est là suivie par un humain grand duquel je ne distingue pas le visage -je suis cachée dans un endroit très sombre personne ne me voit-et une humaine plus petite.
— Alors là nous avons les chats presque adultes. Par rapport aux critères que vous m'avez dit, Lucien* est pas mal, pas très câlin mais adorable et une vie en appartement c'est super pour lui. Moïra* est plus speed donc je pense que vous ça n'irait pas.
— Non, on cherche un animal plutôt calme peu importe le sexe, répond l'humain qui a une voix douce.
— Oh ! Regarde Léo il y a une petite tête noire dans l'arbre à chat par terre !
Au secours. Quelqu'un m'a vue. Vite. Une autre cachette. Je suis coincée. Je me retourne.
— Oui, c'est Betty. Une perle noire mais je ne vous la conseille pas. Elle n'est pas sociabilisée, ni avec les humains ni avec les autres animaux. Elle vit dans la litière ou comme là dans des trous, elle est peureuse pas câline, elle s'alimente pas... Elle a un coryza qui nécessite un traitement.
— Ok mais elle a quel âge ?
— La vétérinaire lui a attribué 8 mois environ. Elle a eu un parcours de vie difficile. Elle ne vient pas d'ici mais de Saint-Etienne. Sa mère nourricière pour une raison inconnue nous l'a refilés dans un carton ce week-end nous adressant du courage pour cette chatte sauvage.
— Ok, pourtant, je la trouve calme et elle est trop belle, affirme cette inconnue en se penchant pour me voir.
— On va voir les autres si vous voulez ?
Ils hochent la tête et partent. Je suis sauvée...
05 avril 2016
14h00.
Ces choses étranges viennent encore me déranger durant ma sieste.
— Vous vouliez revoir Betty, donc ?
— Oui. On a pensé à elle toute la nuit.
— C'est une belle perle noire, renchérit l'humain qui l'accompagne.
— Vous pouvez la voir de plus près si vous le souhaitez.
Alice dit cela mais c'est sans compter sur ma rapidité. Oups. Je glisse sur le carrelage avant de repartir dans la litière.
— Comme je vous l'ai dit hier, c'est un cas difficile et on comprendrait votre rétractation.
— On a hésité oui. Elle a plein de défauts, tout sera à apprendre avec elle mais c'est un défi qu'avec Léo on a envie de franchir.
— Bien. Vous m'avez dit que vous habitiez à côté de Lyon ?
— Oui en banlieue dans un petit appartement.
— Pour elle, ça va être bien. Il lui faut un endroit cocooning. En revanche, vous êtes tous les deux au RSA, vous savez que...
— Oui on sait. On a prévu l'arrivée d'un chat depuis longtemps, on est informé des dépenses, j'ai déjà eu des animaux, mon compagnon aussi. Et le chat de sa mère n'est mort qu'à ses 23 ans. On fera tout pour elle.
Ils repartent. Alice leur dit qu'elle "s'occupe de tout". Elle remet ses gants étranges et m'emmène encore vers cet endroit froid qui pue la peur. L'angoisse a une odeur particulière. Je me débats jusqu'à sentir une aiguille et puis...mes muscles se détendent. On m'installe dans une boîte qui bouge. Le sol est doux, je n'ai pas envie de faire mes besoins dessus. On me soulève et on me met aux pieds de ces choses étranges...
— Coucou toi ! Nous sommes des humains très sympas tu vas voir.
Humain. C'est quoi un humain ? ça parle bizarrement, ça fait du bruit en marchant...et puis ça a seulement deux pattes !
Cinq minutes plus tard, je suis dans un endroit où il y a des boutons partout, une sorte de pommeau entre deux sièges.
— Bien. On va pouvoir appeler la véto pour qu'elle la checke demain !
— Oui, Léo. En attendant, on va te laisser découvrir ton nouvel environnement. Tu n'avais pas de nom à la naissance mais on t'en a trouvé un qui te correspond bien : Maki. Noire comme un maki je suis sûre que tu es attachante.
Maki. Je m'appelle donc Maki.
En arrivant dans ce qu'ils appellent "un appartement", ils me déposent doucement sur un carrelage, laissant ma boîte ouverte.
— Voilà Maki, ici c'est le salon-salle à manger-bureau. Tu peux sortir de ta caisse quand tu veux.
Non. Restez-là. Ramassée. J'observe les alentours, il y a des choses étranges comme à la chatterie, des structures sur lesquelles d'autres chats s'installaient. ça ne m'intéresse pas. Je veux me cacher, dans le noir, sous des arbres, comme dans la forêt. J'attends qu'il quitte le salon, refermant derrière eux une paroi qui ressemble à un mur.
C'est parti. Je me faufile jusqu'à un trou repéré, là derrière ce truc orange bizarre qui longe tout le mur. Parfait. Je vais jusqu'au bout, je gratte le sol mais celui-ci n'est pas comme la forêt. C'est dur. Tant pis, je me dissimule. Personne ne réussira à me trouver.
***
19h00
Les humains parlent. Leurs voix est différente. Ils me cherchent mais ne me trouveront pas.
— Tu es sûre d'avoir bien fermé la porte ?
— Oui ! Elle est sûrement cachée quelque part. La SPA nous a dit qu'il allait lui falloir un certain temps d'adaptation.
— Mais elle a pas mangé, elle a pas vu sa litière si ça se trouve elle va faire partout !
— On va lui sortir sa caisse à caca là en plein milieu. Mais je reste persuadée qu'elle s'est foutue sous le canapé, le vieux dont le sommier est cassé.
— Génial. Là où il y a de la poussière...
Minuit. Enfin, ils partent. Je peux sortir et oooo qu'est-ce que c'est ? il y a des ombres. J'ai trop peur. Je retourne me cacher seulement, j'ai faim. Je sens l'odeur des croquettes à quelques mètres. Je rampe jusqu'à trouver un récipient. Nourriture. Pas ma préférée mais ça se laisse manger. Qu'est-ce que ... ? il y a un récipient avec un liquide. Je renifle. Pas d'odeur. ça ne doit pas se boire. Oh ! Il y a la même chose qu'à la chatterie. Un rectangle avec des grains dedans. Je m'approche doucement, met une patte puis l'autre. Un rapide pipi avant de repartir me cacher...
Notes :
Les prénoms des vrais protagonistes ont été modifiés pour préserver leur anonymat :)
Cette histoire est basée sur des faits réels. Néanmoins, la mère nourricière dans la réalité a fourni moins de détails. Les bénévoles et notre vétérinaire ont tenté de recréer l'histoire de Maki.
Un chat sauvage n'est pas un chat errant. Un chat errant c'est un chat qui est habitué à l'être humain (qui le nourrit parfois ou juste parce qu'il le côtoie, qui va venir se frotter). Un chat sauvage(ou haret) est un animal qui n'a perdu aucun de ses réflexes et instincts naturels de félin miaou. Cela signifie qu'il n'aura pas le comportement d'un "chat normal". Vous le découvrirez au fil des chapitres...