L’étrange fumée blanche continuait à flottait autour des troncs tordus. La forêt n’avait pas repris son apparence normale, ce qui voulait dire que l’accès n’était pas clos. Shayn ne pouvait détourner son regard de cette manifestation. Talla, debout à ses côtés, la fixait d’un air dégouté.
— Quand est-ce qu’ils vont fermer cette foutue porte ?
— Celui qui a la clé est peut-être parmi ces corps, répondit-il en faisant un geste vers les quatre cadavres rassemblés une dizaine de mètres plus loin.
— Combien de temps avant que l’inhibiteur se mette en route ?
— Deux heures.
— Trop long, lâcha Talla.
— Je sais. Mais une opportunité.
La guerrière riva ses yeux étrécis sur lui. Il pouvait sentir sa désapprobation sans même la regarder.
— Pas question !
— Je n’ai même pas eu le temps de …
— Je sais ce que tu vas me dire, l’interrompit-elle. Trevor va me tuer s’il t’arrive quelque chose pendant son inconscience.
Shayn, partagé entre le sentiment de réconfort que cette remarque créait, et son inquiétude pour son ami, grimaça.
— Tu ne sais pas si tu peux respirer dans cette brume, continua-t-elle.
Des arguments très raisonnables, qui ne parvenaient pas à éteindre ce puissant désir de regarder ce qu’il y avait derrière la porte.
— Lieutenant ? fit une voix dans leur dos.
Talla se retourna pour répondre à l’un de ses hommes et tous deux s’éloignèrent à l’intérieur. Sans réfléchir, Shayn bondit et partit en courant en direction de la forêt. Juste avant de l’atteindre, il enfila le masque à oxygène qu’il avait emporté. Il entendit Talla crier après lui, mais il continua sa route, ne ralentissant que lorsqu’il pénétra dans le brouillard. Il espérait que la guerrière ne le suivrait pas sans équipement. Il sentait le poids rassurant de son pistolet contre sa cuisse.
Il sortit de sa poche son instrument de mesure et l’activa, enregistrant le plus d'informations possible. La visibilité était basse ; le décor paraissait difforme, comme s'il le voyait à travers de l'eau. Tout autour de lui se trouvaient des espèces d’arbres qu’il n’avait jamais vues sur cette planète ni ailleurs, mais leurs contours étaient déformés et vibraient légèrement.
En consultant l’écran de son appareil, il ne constata aucune donnée qui montrait la présence de végétation.
— Un reflet, souffla-t-il.
Il suivit les indications et se dirigea vers le centre de la manifestation. Il se figea lorsqu’il la vit : un demi-cercle aux frontières mouvantes, duquel partaient les filaments spectraux qui transformaient le décor. Derrière, un espace étrange qui s’étendait aussi loin que ses yeux lui permettaient de voir. Il y discerna une sorte de paysage, des chemins qui s’entrecroisaient, mais dans une topographie que son esprit avait du mal à concevoir. Un sentiment de malaise l’envahit ; sa respiration se fit plus hasardeuse et des élancements douloureux traversèrent son crâne. Le cœur au bord des lèvres, il recula, arrachant son regard du panorama dérangeant. Il rangea son matériel dans sa poche et s’apprêta à faire demi-tour, lorsqu’une ombre apparut sur le côté.
Il eut juste le temps de se retourner, avant qu’une main puissante n’agrippe son bras. Il grogna sous la douleur et chercha son arme. Le Scérépath braqua ses yeux rougeoyants sur lui et essaya de l’entrainer avec lui à travers la porte.
— Non ! cria-t-il.
Il planta ses talons dans la terre meuble et attrapa son pistolet. Il tira une rafale dans le casque de la créature, qui le lâcha. Il tomba brutalement sur le sol et se remit sur ses pieds, en tirant encore dans la poitrine. Le liquide noir s’écoulait de plusieurs éraflures dans le matériau. Le Scérépath cracha une série de sons haineux, que Shayn ne comprit pas et s’avança vers lui. Le scientifique bondit et partit en courant.
Il entendait la lourde course de la créature, qui ne semblait pas vouloir le lâcher. Les poumons en feu, Shayn serra les dents et accéléra. Un projectile tomba à côté de lui et fit jaillir des trombes de terre, qui le heurtèrent et le firent rouler sur le sol. Il perdit son arme et toussa, la vision brouillée par l'humus et la fumée.
Une main saisit sa cheville et il rua, terrifié, donnant des coups de son autre pied et s’agrippant aux racines. Un claquement retentit près de lui, puis une puissante rafale de balles percuta le Scérépath qui le lâcha et s’affala.
On l’attrapa par les épaules et on le mit sur ses pieds. Il croisa le regard courroucé de Talla, sous son masque à oxygène. Sans un mot, elle le tira avec elle et ils rebroussèrent chemin. Ce ne fut que lorsqu’il s’écroula à l’intérieur de la pyramide qu’il respira plus aisément. Le lieutenant déposa son arme et son matériel dans l’armurerie improvisée. Puis elle se planta devant Shayn.
— Merci, souffla-t-il.
— Tu es fier de toi ? siffla-t-elle.
— À postériori, pas vraiment, admit-il. Mais je crois pouvoir dire que nous ne devrions pas subir d’attaque avant la mise en route de l’inhibiteur.
Une quinte de toux lui coupa le souffle et il grimaça. L’expression de Talla s’adoucit et elle s’agenouilla devant lui.
— Tu es blessé ?
Shayn catalogua ses douleurs et jeta un œil à son poignet, qui le lançait légèrement : un bleu s’épanouissait sur la peau malmenée. Il gardait encore des traces du malaise qu’il avait ressenti face à la porte. Le paysage étrange qu’il y avait vu subsistait à la limite de sa conscience.
— Allez. Viens à l’infirmerie.
— Merci, Talla. Tu n’as pas besoin de m’accompagner. Tu as autre chose à faire qu’à me babysitter, je pense.
Un sourire narquois traversa son visage. Elle se leva et lui tendit la main. Il la prit avec plaisir, grimaçant légèrement, et se redressa.
— Je veux être là quand Trevor apprendra ce que tu as fait.
— Tu seras la première prévenue, répondit-il.