- 1 - Emily

J'essaie de réfléchir, mais des lames me percent le front. Une odeur de métal m'agresse les narines. Mes yeux refusent de s'ouvrir... Que s'est-il passé ?

Les larmes aux yeux, je peine à me rappeler ce qui m'a mis dans cet état. Puis un flash me déchire le cœur : lui. Encore et toujours lui. Je le hais. Je le hais si fort. Mais je ne peux nier l'amour que je lui porte. Sans lui, je ne serais rien. Mais avec lui, je suis un punching-ball. Je ne comprends pas pourquoi il fait ça. Comment peut-on frapper quelqu'un que l'on aime ?

Je force mes yeux à s'ouvrir, mais seul le gauche cède à mes ordres. Le droit reste définitivement fermé et douloureux. Sur le moment, je m'en fous. Je suis en vie et c'est le principal. Les souvenirs affluent à torrents. Ses yeux. Ses poings. La douleur. Je dois fuir. Et vite. Sinon, je vais y laisser ma peau. Il voulait me tuer hier. Je l'ai vu dans son regard. Après toutes ses années à accepter ses coups, serais-je capable de fuir ? Emily ! Oui ! Tu dois le faire. Allez, debout. J'essaie de me lever, mais mon corps refuse d'obéir. Il m'arrache un gémissement qui me brûle la gorge. J'ai besoin d'eau. C'est alors que j'entends une voix.

— Mademoiselle Sanchez, comment vous sentez-vous ? me questionne l'infirmière. Vous êtes à l'hôpital.

Je me réveille en hurlant, le front perlé de sueur. J'observe les alentours, mais il n'est pas là. Seuls les murs froids de ma chambre et les rayons lunaires m'entourent.

— Je suis dans mon appartement. Je suis seule. Il ne peut plus m'atteindre. Jamais. Jamais..., me rassuré-je en parlant à haute voix. Tout ceci est réel.

Je me rallonge doucement dans mon lit. Le calme revient peu à peu, mais la douleur reste là. Comme si j'y étais encore. Et s'il me retrouvait ? Non, c'est impossible. Je suis bien trop loin. Il ne sait pas où chercher. Je tourne la tête et regarde l'heure. 04:23. Il me reste moins de deux heures de sommeil avant ma première journée à la fac. Je vais arriver avec une tête de zombie, génial.

Je voulais entrer dans une bonne école, mais le destin en a décidé autrement. Mes maigres économies ne m'aideront pas longtemps. Les écoles coûtent bien trop chers ici. Je refuse de faire un prêt donc je n'ai pas le choix. Il me faut absolument un travail pour tenir. C'est un peu effrayant... La vie active, le déménagement… J'en rêvais tellement, mais maintenant que c'est la réalité, je suis effrayée comme si j'étais encore une gamine. Je fais vraiment pitié parfois.

Je me hisse hors de mon lit, ma motivation reléguée au fond du placard. À force de ruminer, j'ai perdu le fil de mon sommeil, fondu comme une glace sous le soleil. Autant se lever et trouver quelque chose d'utile à faire.

Mon cauchemar m'a laissé brûlante. J'en profite pour me glisse sous une douche glacée, éteignant au passage le réveil qui ne me sera plus d'aucune utilité. L'eau ruisselle sur ma peau, emportant avec elle toute tension. Les médecins devraient songer à recommander des douches froides à leurs patients : efficaces et économiques, elles sont la solution parfaite pour effacer les cauchemars.

J'enfile une jupe noire évasée et un crop top rouge avant de m'atteler à camoufler mes horribles cernes avec une couche de maquillage. Sous mes yeux fatigués, on pourrait aisément imaginer l'existence d’une centaine de valises tellement mes cernes sont énormes. Après un bref instant d'inspection devant le miroir, je suis satisfaite du résultat et sors de chez moi.

J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles et mets de la musique. Warhol de Palais Royal résonne à plein volume pendant que je me dirige vers l'arrêt de bus d'un pas léger, presque dansant. Installée au fond, je me laisse emporter par le rythme. La voix envoûtante de Remington Leith me berce tout au long de mon heure de trajet.

[ARRÊT numéro 17] affiche l'écran d'indication du bus. Mon sac sur l'épaule, je descends et marche jusqu'à ma fac. Il est encore tôt. La brise caresse mon visage à chacun de mes pas. Je ralentis en l'écoutant faire danser les feuilles du bois de Sagrood présent juste à côté de la fac. Absolument énorme, je suis certaine que la forêt doit regorger de légendes en tout genre. Je me réjouis déjà de pouvoir m'y balader lors de mes pauses. Je la longe et arrive enfin à la fac. Haute de plusieurs mètres, la bâtisse en briques rouges est imposante malgré son architecture simple. Seules ses grandes tours qui forment son cadre apportent une dimension travaillée au bâtiment.

Je range mes écouteurs et m'interdis de flipper. La boule qui m'obstrue la gorge me force à avaler difficilement. Si je commence une crise de panique ici, c'en sera fini de ma dignité. Je me force à avancer et une fois dans la cour centrale, cherche le secrétariat où mon horaire m'attend. Je me laisse distraire par la vue de la place où s'étend des bancs de pierre ombragés par les arbres. Certains étudiants profitent de ceux-ci pour se poser ou s'allonger. Cependant, la majorité marche à vive allure vers les bâtiments. Je pourrais peut-être en aborder un ou une pour savoir où se trouve le secrétariat…

Brusquement coupée dans ma réflexion par quelqu'un qui me bouscule, mon sac s'effondre au sol dans un grand fracas. Un grognement de frustration s'échappe de ma gorge alors que le malotru s'enfuit vers l'intérieur des bâtiments.

 — Tu ne sais pas faire attention ? lui crié-je, outrée.

Je déglutis de travers quand il se retourne. Un malotru sexy, voilà ce qu'il est. Il me dévisage intensément avec ses yeux noirs avant de continuer son chemin. Un connard aussi, on dirait. Il pourrait s'excuser.

Je ramasse mes affaires et vérifie que ma gourde en verre n'est pas cassée. Heureusement pour lui, elle ne l'est pas. Si tous mes cours avaient été noyé sous de l'eau citronnée, je l'aurais tué. Beau gosse ou pas.

—  Coucou ! Tu dois être Emily, m'interpelle une voix féminine derrière moi.

Je me retourne et manque de m'effondrer. Un véritable muffin se tient juste sous mon nez. La blonde qui le tient, me sourit et m'invite à la prendre. Je me lève et récupère le petit gâteau avec plaisir.

—  Toi, je t'adopte, me lâche-t-elle d'un coup.

—  Pourquoi ça ? rie-je en terminant de manger.

—  Je n'ai jamais vu quelqu'un manger un muffin aussi vite que moi, me siffle la jeune femme.

J'éclate de rire et profite pour mieux l'observer. Avec son débardeur qui moule ses seins et son rouge à lèvres carmin, la jeune femme rit avec moi de bon cœur. Elle semble avoir le même âge que moi.

Les larmes aux yeux, nous nous calmons peu à peu. Elle enchaîne directement sur l'importance de manger d'abord la tête des muffins et pas le corps car c'est inhumain de ne pas l'achever avant de le dévorer.

— Enfin bref, clôt-elle avec des grands gestes. Je suis Ally Fischer, mais tu peux m'appeler Boulette ou Muffin ! Comme ça, tu te souviendras de mes explications, me glisse-t-elle avec un clin d'œil taquin.

La cloche nous coupe dans notre discussion. Ally m'entraîne vers le bâtiment en face de nous et m'explique qu'elle a été assignée en tant que marraine. Elle veillera donc sur moi toute l'année. Bonne nouvelle. Je l'aime bien.

Nous traversons les énormes couloirs bondés d'étudiants qui m'empêchent d'observer les lieux. Une fois arrivées devant la porte des conseillers et du bureau du psy, nous entrons et je découvre un petit salon avec une table qui décore son centre et des bancs en bois. Deux grandes fenêtres laissent voir la cour intérieure illuminant la pièce. Les bureaux se faisant face, les portes en vieux bois sont décorées des pancartes "Conseiller" et "Psychologue". Le second ouvre sa porte pour laisser entrer un élève maigrichon avant de poser ses yeux placides sur moi. Il me fait un sourire poli et ferme derrière lui.

Je tourne ma tête vers les bribes de voix de ma nouvelle amie et découvre le bureau de la secrétaire, aussi vieillot que le reste de la déco. Elle demande mon horaire à la veille femme au visage méprisant qui hésite à le lui donner. Ally entre alors dans des explications farfelues qui ont le mérite de me perdre et d'agacer la vieille secrétaire qui, pour se débarrasser d'elle, finit par lui tendre une feuille qu'elle plie sous sa poigne. La blonde lui sourit à pleines dents, taquine, et fais demi-tour.

—  Go ! me lance-t-elle en sortant à vive allure des bureaux avant de se mettre à courir.

Comment fait-elle pour courir aussi vite avec des talons de quinze centimètres ? Si j'étais à sa place, je me serais déjà étalée honteusement. Elle doit entendre mes pensées, car elle me fait un petit sourire fier signé d'un clin d'œil.

J'adore cette fille, c'est définitif.

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Loutre
Posté le 23/05/2024
Hello !

J'avoue que la sorte de prologue m'a tellement chamboulée que j'ai tout de suite filé vers le premier chapitre. Je ne commente que maintenant, de fait. Sorry...
Dès les premières lignes, j'ai été plongée dans l'univers d'Emily, ressentant sa douleur et sa confusion comme si j'étais à ses côtés. Tu décris les émotions de manière intense et réaliste, ce qui rend Emily très attachante et crédible. Sa lutte intérieure entre amour et haine pour son partenaire violent est poignante et profondément humaine. Ton personnage principal, Emily, est vraiment bien construit. Elle est complexe, et on ressent sa vulnérabilité autant que sa force. Sa confusion et son désespoir sont décrits avec beaucoup de justesse ; on ne peut pas s'empêcher de compatir et de vouloir la voir s'en sortir. Sa peur d'être retrouvée par son partenaire et sa détermination à fuir... Je trouve tout cela très touchant, et évidemment, très triste. On sent qu'elle est sur un fil.

Ally, quant à elle, est une sorte de bouffée d'air (peut-être trop ? On peut la trouver un peu trop parfaite, moins nuancée qu'Emily). Dès sa première apparition, elle apporte une énergie positive qui contraste fortement avec le reste. Elle rayonne. Je suis curieuse de découvrir quel développement tu lui réserves.

Pour ce qui est de ta façon d'écrire, j'apprécie la simplicité efficace avec laquelle le récit commence. Tu comprendras que c'était un plaisir de te lire !

A bientôt, donc !
Trisanna
Posté le 26/05/2024
Coucou Loutre,
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Il me fait extrêmement plaisir !
J'espère que la suite te plaira tout autant.
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