1. L’AparThé

Par Romane
Notes de l’auteur : Bienvenue sur cette nouvelle histoire, qui s’éloigne un peu de ce que j’écris d’habitude ! Il s’agit d’une fantasy jeunesse ! Je précise que c’est une toute première version et vos retours et conseils me sont donc très utiles ! Je vous souhaite une bonne lecture ! :-)

Le regard de Déria ne cessait de s’égarer par la fenêtre. Il n’y avait rien au monde de plus ennuyant que les cours de mathématiques appliquées à la navigation. Elle aurait voulu apprendre à naviguer sur les Courants, des voies maritimes sécurisées nées de la magie,  ou découvrir la faune marine de la Grande Mer. Mais la première année à l’Académie des Navigateurs n’était dédiée qu’à l’étude théorique de l’histoire de la navigation, les mathématiques, et l’apprentissage des langues parlées sur les sept îles majeures.

Elle jeta un coup d’œil à l’horloge de la salle de classe. Elle réalisa que l’aiguille des minutes, connue pour sa malice, avait décidé de ralentir. La professeure ne s’en était pas rendue compte. Déria jeta à la capricieuse un regard mauvais. En réponse, celle-ci recula d’un quart d’heure. Vaincue par le désespoir, Déria posa son front contre sa table en bois.

— Déria ! Faut-il que je te prévienne ta grand-mère que tu n’écoutes pas en classe ? Ou bien peut-être que je te fasse rester après les cours ?

La jeune fille sursauta et se redressa aussitôt.

— Non, Madame. Excusez-moi.

Déria reprit placidement son stylo pendant que les autres élèves posaient sur elle des regards réprobateurs. C’étaient tous des gens de la noblesse de l’île des souffles, qui considéraient avec un certain mépris qu’une simple fille sans magie puisse devenir Navigatrice.

Déria les ignora de son mieux et se concentra sur la fin de la leçon.

A son grand soulagement, l’enseignante abandonna là ses menaces. Mamie Graine avait assez de travail à la jardinerie pour ne pas s’inquiéter en plus de comportement de sa petite-fille. Les Dévoreuses avaient presque toutes éclos hier et sa vieille botaniste de grand-mère devrait travailler d’arrache-pied pour contenir l’appétit vorace des plantes. Surtout, ce n’était pas un jour à écoper d’une retenue : aujourd’hui, elle avait rendez-vous avec le vieux Rêveur, et elle n’aurait manqué leur entrevue hebdomadaire pour rien au monde. Car si elle s’ennuyait ferme à l’académie, Rêveur, lui faisait d’elle une Navigatrice, une vraie. Pour se donner du courage, elle visualisa la tasse de thé qu’il ne manquerait pas de lui servir, ses brioches si légères qu’elles lévitaient au-dessus des assiettes et ses petits choux facétieux, qui s’amusaient à vous sauter des doigts.

Lorsque l’aiguille de l’horloge marqua enfin seize heures, Déria rangea ses affaires avec un soupir de soulagement. Elle fila sans demander son reste vers le salon de thé.

 

*

 

L’aparThé était un établissement minuscule, coincé entre la boutique d’un tailleur et une librairie. Rêveur se plaignait sans cesse du raffut provoqué par les livres de cette dernière. Les ouvrages avaient l’habitude de voler librement à l’intérieur de l’échoppe, et nombre d’entre eux achevaient leurs cabrioles dans le mur mitoyen. L’un d’entre eux percuta justement l’autre côté de la paroi au moment où Déria poussait la porte du salon de thé, faisant sursauter son tenancier. Le vieil homme aux cheveux blancs se retourna d’un bond, sa chouette sur l’épaule.

— Ah ! Déria ! Tu devrais rentrer chez toi faire tes devoirs, plutôt que de fouiner, non ?

Déria fronça les sourcils. Rêveur avait-il oublié que leur leçon hebdomadaire avait lieu aujourd’hui ? Puis elle avisa le garçon qui se tenait debout derrière lui. Il avait environ douze ans et semblait malade, avec son teint très pâle et ses yeux d’un bleu profond soulignés de cernes noires.

— Voilà pour toi, jeune homme, fit le commerçant en reportant son attention sur le garçon et en lui tendant un petit sachet de thé. Ne t’inquiète pas, tu ne me dois rien.

— Merci, Monsieur.

Déria leva un sourcil. Personne, dans les environs, ne donnait jamais du « Monsieur » au propriétaire du salon de thé. Mais ce qui interpella surtout la jeune fille, ce fut l’accent de l’inconnu. Il avait une étrange façon d’articuler, comme s’il s’appliquait, et ses « r » roulaient légèrement. Était-il originaire d’une autre île ? Celle du soleil, peut-être ?  Puis la petite clochette à l’entrée tinta alors que la porte se refermait sur le jeune client, et elle repoussa ses questions. Rêveur était aussitôt retourné à l’immense présentoir à thés qui occupait le mur au fond de la boutique, comme s’il avait oublié sa présence.

— Rêveur ? l’interpella Déria, étonnée qu’il ne lui ait pas déjà servi une tasse.

Le vieil homme se figea et se tourna vers elle, les poings sur les hanches.

— Encore là, Déria ? Sois gentille, prends un fondant arc-en-ciel et rentre chez toi.

— Mais ma leç…

— Ou une madeleine de souvenirs, si tu préfères.

Elle s’approcha de Rêveur, perplexe. Il se comportait de manière bien trop étrange.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Rien, très chère. Absolument rien. J’ai juste beaucoup de travail, fit-il avec un geste de la main en direction de sa boutique déserte. Oui, je suis absolument dé-bor-dé.

Il avait prononcé le dernier mot en insistant sur chaque syllabe.

Déria comprit qu’il était inutile d’insister. Elle quitta la boutique en lui jetant un « à la prochaine » auquel il répondit par un grognement.

Maussade, la jeune fille marcha dans les rues bordées de petites maisons en pierre aux toits pointus, le nez enfoui dans son écharpe pour se protéger des vents glacés qui battaient l’île à longueur de journée. Comme chaque jour, elle grimpa l’impressionnante pente qui menait à la jardinerie, sans cesser de ruminer. Jamais, en un an, Rêveur n’avait oublié ou décalé leur rendez-vous. Ancien Navigateur, il était le seul à avoir cerné la soif d’apprendre de la jeune fille. Il lui dispensait des cours avancés, lui apprenant déjà mille et une choses sur les Courants, ces multiples chemins tissés de magie qui parcouraient la Mer sans Fin, les seules voies que les Navigateurs pouvaient emprunter avec leurs embarcations sans que celles-ci ne soient détruites par la puissance des flots continuellement déchainés.

Elle traversa d’un pas lourd la serre, évita d’un petit saut la Rampante, une plante qui prenait un malin plaisir à s’enrouler autour des chevilles des passants et se tint sagement éloignée des Dévoreuses dont les mâchoires impatientes claquaient dans le vide, pour entrer dans la petite maison biscornue où elle vivait avec sa grand-mère.

Elle fit ses devoirs en vitesse et patienta jusqu’au dîner en lisant pour la troisième fois un traité de biologie marine que Rêveur lui avait offert le mois précédent, mais le coeur n’y était pas, et son attention sans cesse se portait vers les flots bouillonnants de la mer qui se découpaient à l’horizon, après la lande.

— Oh, toi, tu es bien triste aujourd’hui, fit Mamie Graine lorsqu’elles passèrent à table, en posant sur la table un gratin de patates volantes.

— Mmh ? fit Déria en rattrapant de justesse le morceau de tubercule qui venait de s’échapper du plat. Oui, un peu. Rêveur n’a pas voulu me donner ma leçon.

— Il était sans doute occupé ! Vous vous verrez la semaine prochaine, ce n’est pas si grave. De toute façon, tu ne pourras pas naviguer avant tes quinze ans !

Déria poussa un grognement. Elle détestait qu’on lui rappelle cela. Quatre ans d’attente, c’était une éternité !

— Raconte-moi encore ton Expédition.

Mamie Graine soupira. Elle avait fait partie des rares personnes non-navigatrices a avoir eu le droit de voguer sur la Mer, puisqu’elle était originaire de l’Île aux nuages. C’était sur le bateau qui l’amenait à l’Ile  mineure des Souffles qu’elle avait découvert Déria encore bébé, cachée dans la cale alors qu’ils voyageait déjà depuis trois heures. Il était impossible de faire demi-tour sur les Courants, et il semblait clair que les parents de l’enfant l’avait abandonnée. Mamie Graine s’était alors occupée d’elle comme de sa propre petite-fille. Elle avait toujours tu les raisons de son exil et comme d’habitude, elle ne les mentionna pas ce soir-là. Elle se contenta de narrer encore une fois la puissance terrible de la mer, ses vagues hautes comme trois hommes et sa houle qui réduisait les imposants navires à de fragiles et maladroits funambules sur les Courants.

— Je ne sais pourquoi tu tiens tant à devenir Navigatrice. La Mer est cruelle. Sans pitié.

Déria haussa les épaules. Sa grand-mère et elle avait déjà eu cette conversation cent fois. Elle avait soif d’aventures, et la mer l’appelait depuis son plus jeune âge ! Bien sûr, ce n’était pas la seule raison  :  les Navigateurs étaient infiniment respectés. Une fois qu’elle aurait rejoint leur rang, la méfiance des gens du village à l’égard de l’étrangère et de la sans-magie qu’elle était se dissiperait. Cela valait bien la peine de braver tous les dangers.

— J’en ai envie, c’est tout.

Le regard de Mamie Graine se fit doux.

— Déria… Je ne t’en ai jamais parlé avant, mais peut-être faudrait-il mieux que…

Sa grand-mère ne put achever sa phrase.

Une explosion terrible retentit à l’extérieur, si violente qu’elle fit trembler les vitres.

De sa maison qui dominait le village, Déria vit une traînée de feu se répandre dans une rue. Même si l’obscurité l’empêchait de bien voir, elle réalisa effarée que l’explosion avait eu lieu non loin de l’Académie ! Ses yeux s’écarquillèrent. De l’Académie ? Non ! C’était juste à côté de chez…

— Rêveur !

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Corneille
Posté le 07/07/2023
C'est un bon premier chapitre qui annonce l'ambiance et la couleur de l'histoire. La fin, qui nous plonge vite dans l'action est aussi réussie.
Déria est attachante, on a envie d'en savoir plus sur elle et son univers qui s'annonce passionnant.
Quelques petites coquilles :
"Elle détestait qu’on lui rappelle cela" -> plutôt " qu'on le lui rappelle."
"Les cours de mathématiques appliquées" -> appliqués
"Sa grand-mère et elle avait " -> avaient
Voilà, bonne continuation !
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