1. Léopold et Philibert

Par Dédé

— Ça y est, Léopold...

— Quoi ?

— Nous sommes le 1er janvier 2020. 2020... Tu te rends compte ?

— 2020, oui. Hier, nous étions en 2019. L’année s’est terminée. Aujourd’hui, c’est 2020. C’est logique.

— 2020…

— Pourquoi ça te met dans un état pareil ?

— 2020, tu te rends compte !

— Philibert, c'est au moins la dixième fois que tu me saoules avec la nouvelle année. C'était déjà relou la première fois. Alors la dixième, t’imagines bien...

— Il faudrait que je ronchonne ? Que je tire une gueule de dix mètres de long ? Que je sois désagréable comme toi ? Désolé, mon cher, mais ce sera sans moi.

— Je te connaissais pas aussi grande gueule, dis donc. D’habitude, tu acquiesces, tu te tais, tu rougis, tu te confonds en excuses. C'est nouveau ?

— Te fous pas de moi…

— C’est nouveau ? Tu l’as acheté où, ce franc-parler ?

— Chez ta mère !

— Ah. Ah. Ah. Et plus sérieusement ?

— Je dis tout simplement ce que je pense. C'est ma nouvelle résolution.

— Me dis pas que t'es à fond dans ces conneries de résolutions ?

— Bah... si. Pas toi ?

— Pas du tout.

— Tes ailes qui t’ont poussé dans le dos disent le contraire, pourtant...

— Mes... Mes quoi ? T'as fumé, ma parole ! Toi, tu n’as pas bu que du champagne hier soir.

— J'ai rien dit jusque là car j'attendais que tu m'en parles de toi-même… Mais oui... Tu as des ailes dans le dos.

— Oh... putain...

— C'est pas toi qui disais hier soir que tu voulais voler de tes propres ailes ?

— C'est vraiment le moment de déconner, à ton avis ? J'ai des putains d'ailes... dans le dos… Vraiment dans le dos. C’est rentré sous la peau, ce machin. Quelle horreur !

— Enlève-les, on sait bien que c’est un déguisement.

— Non, non, ce sont des vraies. Regarde ! Touche.

— Waouh…

— Tu vois.

— Je vois très bien… Comment t’as réussi ton compte ?

— Je sais pas…

— C’est curieux.

— Quelle horreur !

— Je sais.

— J'ai l'air d'un foutu pigeon de fontaine, Phili…

— D’un pigeon de La Fontaine, tu veux dire ? Hihi ! Maître Corbeau veut-il un fromage ?

— Te fous pas de moi, c’est pas le moment. Putain… J’ai des ailes dans le dos… Des ailes dans le dos.

— J'ai compris la première fois que tu l’as dit, tu sais. Le répéter mille fois ne ne fera rien disparaître. M'enfin... qui sait... On peut essayer.

— Bordel, comment c'est possible ?

— Tu crois que j'en sais quelque chose ?

— Va chier ! Tu peux pas m’aider au lieu de te foutre de moi et de rester planté là ? On va m'appeler Léopold l'homme-piaf…

— Elles se voient pas tant que ça, tes ailes…

— Vraiment ?

— Non. Je disais ça pour que tu te sentes mieux. Tu as l’air de péter les plombs…

— Ah bon ? Tu crois ?

— Je rappelle que c’est toi qui as demandé à voler de tes propres ailes. J’y suis pour rien. Tu peux t’en prendre qu’à toi et te garder ton petit air ironique agressif.

— Dis que c’est de ma faute aussi !

— C’est de ta faute.

— Quoi ? Mais… mais… comment je vais faire… ? Je vais devoir les cacher, ces ailes.

— Les cacher ? Ce serait dommage… Avec un peu d'entraînement, en montant sur le toit, par exemple... tu pourrais apprendre à voler.

— Apprendre à voler sur le toit ? T'en as d'autres, des idées à la con comme celle-là ?

— Bien plus que ce que tu crois.

— Quand j'ai dit que je voulais voler de mes propres ailes, j'avais bu au moins cinq shots de vodka.

— Maintenant, tu sais qu’il faut éviter la vodka.

— Puis, je pensais à un truc comme démissionner de mon boulot et passer en free-lance. Pas me transformer en piaf dégarni, putain… Je suis bon à picorer du pain sur les toits des cathédrales...

— Maintenant, tu sais que tu dois faire attention à ce que tu souhaites. Perso, je trouve ça cool, ce qui t’arrive. Et, tu auras une belle vue du haut de la cathédrale. Vois le bon côté, un peu.

— Tu veux qu'on échange ?

— Ça marchera jamais. Tu as toujours été grande gueule. J’ai toujours été autonome.

— Putain…

— Et, ces ailes, elles ne m’iraient pas… J’ai pas une tête à plumes d’ailes.

— C'est pas faux…

— Je trouve, qu’en comparaison, elles te vont mieux à toi.

— Tu trouves ?

— Non. J’essaie toujours de t’aider à te sentir mieux. J’ai peur que tu me fasses une syncope à force de les fixer et de les toucher autant.

— Il y a de quoi paniquer, non ?

— Si peu. Mais tu n’es pas prêt à voir le verre à moitié plein. Quand tu y mettras un peu de bonne volonté, on en reparlera.

— De la bonne volonté, tu te fous de moi ?

— Du tout. Tu sais combien de gens rêveraient d’être à ta place ?

— Mais je la laisse, ma place. Putain !

— Pour ça, il faudrait trouver quelqu’un avec qui faire un transfert de résolutions. Bon courage !

— Un… quoi ?

— Un transfert de résolutions. Tu risques de galérer à trouver quelqu’un qui veuille bien prendre tes ailes.

— Pourquoi ? Je croyais qu’on voulait prendre ma place ?

— Oui, oui… Mais rien ne dit que le transfert de résolutions fonctionne. Il te faudrait trouver quelqu’un qui rêve d’autonomie. Je crois aussi qu’il faut un transféreur pour faire l’échange. Je sais même pas où ça se trouve, un transféreur. Ce serait vraiment fou que ça marche…

— Pas autant que de se réveiller avec de foutues ailes dans le dos !

— T’as pas tort. Et, tu sais… Je pensais à un truc.

— Quoi ?

— On est loin d’être les seuls à avoir dit à voix haute nos résolutions pour la nouvelle année.

— Et ?

— Je serai bien curieux de savoir si les résolutions de tous les invités d’hier se sont réalisées, elles aussi.

 

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Cliene
Posté le 11/06/2020
Coucou Dédé,

Excellent ce premier chapitre !! J'aime beaucoup la dynamique que la présence unique de dialogues instaure dans ton histoire ! Ça se lit vite et pour autant c'est rythmé et prenant. Et l'idée lâchée en fin de chapitre donne envie de voir ce que tu vas en faire ;)

Deux petites choses relevées :

- Le répéter mille fois ne ne fera rien disparaître. > "ne" en trop

- J’ai pas une tête à plumes d’ailes. > je bloque un peu sur la formulation "tête à plumes d'ailes", peut-être faudrait-il supprimer "d'ailes" ou bien partir sur "j'ai pas une tête à plumes ni le physique pour avoir des ailes"... À toi de voir !
Dédé
Posté le 11/06/2020
Je prends en note tes deux remarques très judicieuses. Et j'aime beaucoup ta suggestion "j'ai pas une tête à plumes". J'ai peur que garder "ailes" alourdisse l'expression. Un grand merci pour l'idée !

L'idée lâchée à la fin, c'est venu tout seul et j'ai bien envie de voir comment je vais m'en sortir avec ça. Oui, parce que je suis pas mal à l'aveugle avec cette histoire. En totale liberté !

Je suis si fier et content de te voir par ici, Cli !! Merci !! :D
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