1- Quand ton lundi est aussi agréable qu’un ulcère

Notes de l’auteur : 8 Fructidor 1925, Rocam, fieffé de Rhénanie, Capitale de la République de Medelvie Magique (actuellement sur un toit, sous la pluie).

Attendre quelque chose d’un lundi, c’est comme laisser un morceau de saumon sans surveillance et espérer que le chat n’en fera pas son quatre heure. Le geste est magnifique de noblesse, la confiance touchante. Tous ces bons sentiments, en revanche, ne changeront pas la fin de cette histoire: une assiette vide, un changement de menu drastique, et des sentiments mitigés envers l’élément félin.

On me l’avait tellement rabâchée que je l’avais pendant très longtemps boudée, cette leçon. Bon, ‘très’ était peut-être un peu exagéré, et de toute manière peu important. J’avais fini par retenir la morale et développer une méfiance mesurée, concise et raisonnable envers les débuts de semaine.

Et heureusement d’ailleurs.

Rocam n’était pas une ville pour les têtes en l’air ni les crétins imprudents -tout du moins, elle ne le demeurait pas longtemps. Le temps s’y écoulait beaucoup trop rapidement, et ne laissait à personne l’opportunité de céder les priorités. Combinez à cela un lundi, et le boulevard de la ville basse se transformait en zone de non droit. Le tout qu’il pleuve, vente, ou Cassini ait pitié, qu’un reste de Maelström remonte du sud.

Enfin, en temps normal.

Voilà trois jours que la loi martiale avait vidé les rues de la capitale. Même l’Acropole, qui d’ordinaire bénéficiait d’un favoritisme scandaleux, était sous haute surveillance. Monsieur Baudouin, mon employeur pour l’été, avait eu toutes les peines du monde à envoyer ses livreurs dans le quartier. Moi encore, je comprenais que l’on m’ait envoyée promener. ‘Sidonie Drèke’ cela sonnait tant l’omeg que quelqu’un aurait pu en faire un hymne. Mais qu’Hector ait dû rebrousser chemin, c’était ridicule. Certes, ce n’était pas un mage alter, mais quand même, son nom  de famille était inscrit dans le Magistre depuis trois générations.

Si même la Colline avait trouvé le moyen d’être aussi réglementée, cela ne faisait que illustrer la gravité de la situation, et l’étendue de ma stupidité.

Certes, j’avais démontré une capacité mentale inférieure à celle d’une moule en sortant aujourd’hui, mais la vérité devait être rétablie: je n’avais pas activement cherché les ennuis.

Enfin, pas vraiment?

Bon, peut-être un tout petit peu.

Sortir aujourd’hui n’avait pas été très malin. Probablement stupide, voir complètement crétin. 

Certes, je l’admettais volontiers. 

Ce que je peinais à accepter en revanche, c’était la violence avec laquelle le kosmos tout entier cherchait à m’enterrer. Il m’avait tout de même fait transiter de simple demoiselle, volubile, écervelée, gentiment occupée à ses livraisons, son tout petit laisser-passer à la main, à mon état actuel beaucoup moins enviable et encore moins inscrit dans la durée.

Le moins qu’on pouvait dire, était qu’ils n’y étaient pas allés de main morte. 

Je me trouvais après tout clouée sur un toit, en pleine nuit, sous une pluie glacée et battante. Je tenais à souligner l’étendue de cette injustice. Voilà trois mois que les plaines de la capitale étaient écrasées par la canicule. Nous avions passé tout l’été à fuir les rayons du Meriel comme des taupes, et maintenant que je me retrouvais à courir sur les toits, le vent s’était levé, le ciel assombri, et la moisson avait enfin fait son entrée en grand pompe. 

Scandaleux.

Inutile de préciser qu’entre ce mur glacé qui s’évertuait de me noyer, les tuiles me cisaillant le dos, et mes côtes en miette, je ne passais pas ma meilleure nu-

Une lumière inouïe jaillit au bout de la ruelle.

Les ombres se mirent à filer le long des murs blancs, s’incrustant entre les lambris, creusasses et interstices en tout genre. Les pavés noirs se mirent à luire, et toute résistance devint futile. Ce front de lumière, rien ne pourrait l’arrêter, pas même ce rideau de pluie. La nuit dut s’avouer vaincue, et laissa place à ce jour aussi synthétique que froid. Je dus me retenir de fermer les yeux tant mes rétines hurlaient à la maltraitance. La peinture dorée des enseignes n'aidait en rien.

Ce fut alors au tour du silence d’être réduit en poussière. Un martèlement net se mit à résonner dans la ruelle. Des talons vernis sur des pavés humides, de plus en plus pressés, de plus en plus audible,  de plus en plus proche. Ce fut sans surprise qu’une silhouette se détacha de cet enfer blanc. Je le reconnus immédiatement.

Wilburt Balladier, constable de métier, petite merde par passion.

Grand, ses cheveux blonds et mouillés plaqués le long de sa nuque, à moitié protégé par un képis vernis, il portait l’uniforme ocre de la maréchaussée et le ciré assorti. La spectrolanterne rendait le spectacle pénible, mais je pus distinguer tout de même l’éclat rouge de son arme de service.

Je pris une inspiration, pour ménager mes P.P.N (pauvres petits nerfs), avant de pester intérieurement. Ce claquement contre les pavés, il ne faisait que se rapprocher, et ce n’était vraiment pas le moment d’entrer dans un concours d’inspiration. Jamais je n’avais autant désiré disparaître contre les stèles bleues, et mon corps s’immobilisa entièrement.

Il poursuivait sa marche, encore et encore, jusqu’à ce que le temps et mon existence ne se réduisent au son de ses bottines. Il finit par arriver à ma hauteur, et il lui aurait suffi de lever la tête pour me voir. J’étais si proche que je pouvais entendre l’ésiop de son arme siffler. Le potentiel n’était toujours pas redescendu, et chaque once de pluie osant l'effleurer s’évaporait dans un crissement désagréable.

La-Haut, quelqu’un réglait de toute évidence ses comptes avec moi, car l’idiot décida de s’arrêter à cet endroit précis. Lentement, il balaya chaque fenêtre de sa lanterne.

Au risque de me répéter, il lui suffisait de lever le menton pour que nous partagions le regard le plus gênant du siècle. Sans son képis, et sans cette pluie battante, cela aurait été même inutile.

Il allait forcément lever la tête.

Bien.

À en juger par ma situation actuelle, mon Esprit Familier était visiblement en grève ou en vacances et je devais m’attendre à ce qu’il me trouve. Je commençais bien gentiment à me préparer à l’inévitable. Il me suffirait de lui bondir dessus, le sonner un petit peu -voir beaucoup- et à courir aussi vite qu’il m’était encore possible. 

Je commençais vraiment à en avoir plein les bottes.

Mais ce n’était pas l’heure de ronchonner. L’heure était à la concentration et à la préparation. Il faudrait que je le frappe à la gorge, sans quoi il se remettrait trop vite et il me tirerait dans le dos. Je doutais malheureusement d’être en état de lui causer des dégâts notables. Entre mes côtes cassées, mon épaule en compote, et mon sentiment de débandade général, cela allait être compliqué de lui casser le nez.  Il fallait, de plus, lui tomber dessus sans se briser davantage les os. Et régler son compte à cette spectrolanterne par tous les Saints.

Splendide.

Je me fis couler sur le côté, pliant mes jambes, ravivant mes orteils. Profiter de l’effet de surprise, agir avant qu’il n’ait le temps de dégainer son arme de service-

Et une seconde paire de pieds  m’extirpa de mes préparations mentales. Ce fut à peine si j’eus le temps de me plaquer à nouveau contre les tuiles qu’une silhouette jaillit des ténèbres. Le crétin à mes pieds fit volte-face et braqua sa stupide lampe vers l’intrus.

« Ah! Mes yeux, mes yeux! » L’inconnu s’écria. « Baisse-ça, baisse-ça bon sang! »

Sa voix m’était familière, et je n’étais pas la seule. L’idiot à mes pieds s’exécuta. La lumière diminua une première puis une seconde fois.

« Je t’avais dit de rester au poste. » L’intéressé grommela tout en toisant son collègue. Un homme plus âgé, dans la trentaine probablement. Un natif de Rocam, il n’y avait qu’eux pour laisser leur favoris manger leurs joues de la sorte. 

Il se frotta les yeux de manière si appuyée qu’à moins qu’il ne souffre de brûlure au troisième type, il devait jouer la comédie.

Je ne pouvais que cautionner.

« Pour la troisième fois, Will, il ne faut jamais mettre la puissance au maximum! » Il fustigea « Non seulement cela use en autonomie, mais c’est dangereux. »

« Et pour la troisième fois, je me permets de te rappeler que je me trouve dans les conditions d’utilisation. » Will grommela « Tu étais supposé demeurer au poste et prévenir l’Inspecteur de la situation. »

« Je l’ai fait, il est rentré pas plus de cinq minutes après ton escarmouche. Il n’était pas content. »

« Pourquoi le serait-il?» Il répliqua vertement.

« Ce n’est pas de ma faute. »

« C’est entièrement de ta faute Blaise. » 

Aaaah je me disais bien qu’il était familier! Oui, Blaise, le constable qui m’avait laissée aller au petit coin.

Mais ce n’était ni le moment ni le lieu de se perdre dans la contemplation. Je devais réévaluer la situation. En théorie, une seconde personne était rarement un problème, il suffisait d’être un minimum préparé, mais Blaise était drôlement trapu, et je n’étais pas au meilleur de ma forme. 

Heureusement son collègue ne démontra pas un zèle à me chercher. Il se contenta de balayer la ruelle du bout du regard, et de pousser un soupir ennuyé.

« Elle n’est pas là. »

« Elle est forcément ici. Même toi, les tâches de sang n’ont pu t’échapper. » Le crétin se mit à ronchonner. La venue de son collègue l’avait mis particulièrement de mauvaise humeur, et ce fut avec rage qu’il tenta d’essuyer l’eau de son képi. Un geste futile -et c’était bien fait.

« Tout ce que je vois, c’est une allée vide. » Son compagnon ne tenta même pas de dissimuler le cynisme de sa voix, et se paya un regard noir bien senti. 

« Elle est ici. Avec tout ce sang perdu, elle n’a pas pu aller bien loin. »

Il n’avait pas tort, c’était d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais bravé mon vertige et péniblement escaladé cette gouttière. Mon épaule était désormais plus semblable à un steak tartare qu’à une articulation, alors faire la course avec un psychopathe de la gâchette, non merci.

« Visiblement, elle l’a quand même fait. » Blaise répliqua avec une apathie assez étonnante.

« Rentre chez toi, tu en as assez fait et je me passerai de tes observations. »

« C’est ça, et te laisser libre de jouer avec ton arme, encore? Très peu pour moi. »

Et ça mesdames et messieurs, c’était la raison pour laquelle ce Blaise était en train de devenir ma personne préférée. 

Ce fut avec un air tout à fait grognon que Will se détourna de son binôme et entreprit de fusiller la rue du regard. Rue déserte au passage, tout du moins dans cette direction. Le moindre petit mouvement de tête, le plus petit minuscule changement de perspective et ce serait fini.

Étrangement, dans la bonne minute qu’il dédia à son entreprise, cela me lui croisa pas l'esprit-

« Tu ne peux pas te cacher éternellement. N’empire pas ton cas. » Sa voix tonna contre le vent.

Une bourrasque manqua de balayer son couvre-chef, comme pour se moquer de moi et illustrer ses propos. Étrangement, ils manquèrent encore de lever la tête -peut-être Mon Esprit Familier  était revenu au boulot ? Je ne cherchais pas à tergiverser sur la question, et entrepris de me transformer en statut. Ou en tuile. En stèle, cela serait pas mal.

Actuellement, n’importe quelle nature apparaissait préférable à celle de Sidonie-sur-le-toit.

« Je ne plaisante pas. » Will renchérit.

Tant mieux, ce n’était vraiment pas drôle.

« Comme toujours, Will, ton charme naturel a encore frappé. » Blaise lui tapota l’épaule.

« Continues donc de faire le malin, cela ne changera rien à tes ennuis.» Will protesta, les joues si écarlates que je pouvais le remarquer de mon poste d’observation, à contre-jour. 

« Qui sont? »

« Tu l’as laissée filer. C’est entièrement de ta faute. »

« Je l’ai laissée aller aux toilettes. Ton père était d’accord au passage.»

« L’inspecteur Balladier- » Will lui coupa sèchement la parole, et braqua même sa lampe éso sur son partenaire «-T’a ordonné de ne pas la quitter d’une semelle. »

« Et c’est ce que j’ai fait! »

« Visiblement non! Tu es allé prendre une tisane au lieu de la garder à l’oeil!»

« Comment étais-je censée deviner qu’elle passerait par le conduit d’aération? Tu as vu la taille du conduit? Comment un être humain, même de petite taille, a bien pu passer par là? »

Je n’étais pas petite. Et je n’étais très certainement pas passée par-

« On s’en fiche! Tu l’as laissé s’échapper. Une criminelle, une meurtrière, une terroriste, et tu l’as laissé filer! Te rends tu comptes, à quel point c’est grave? ‘Attentat de la Magiversité: la maréchaussée laisse filer une coupable’, voilà ce que les journaux titreront demain si on ne la retrouve pas rapidement!»

« Ah oui, moi j’imaginais plutôt un simple ‘Erreur judiciaire: la maréchaussée prend la relève des teknokrates et tabasse une gamine’.” Blaise répliqua d’un ton cinglant.

“Ce n’est pas une gamine, elle a dix-neuf ans.”

“Elle n’est même pas encore en âge de voter. C’est une gamine, qui, de plus est seulement suspectée de complot fomenté, cela reste à prouver. » Son collègue renchérit, et c’était probablement l’adrénaline qui parlait -car le sang s’était mis à pulser hors de mon épaule et à vibrer dans mes tympans- mais j’aurais pu l’embrasser. 

A ma décharge, j’avais passé près d’une journée à me faire secouer par un inspecteur ventripotent, qui avait alterné entre me jeter des noms complètement inconnus à la figure et me montrer des portraits des victimes, en s’asseyant complètement sur le petit détail, que, je ne sais pas, je m’étais trouvée-

« Peu importe ce que tu en penses, Blaise, à moins de la retrouver rapidement, tu vas avoir des ennuis, de gros ennuis. »

« C’est ça. » Blaise ricana « Ton paternel a passé ses nerfs sur une gamine pour tenter de lui faire signer une confession pré-rédigée, et je vais avoir des ennuis pour avoir osé détourner le regard quand la demoiselle en question m’a demandé une minute d’intimité pour changer son linge menstruel? » 

Oui, Blaise était officiellement ma personne préférée- et c’était assez vrai, ce qu’il disait. J’avais un peu perdu le fil quand on m’avait fracassé l’arcade sourcilière, mais c’était quand même bizarre cette histoire de confessions pré-écrite. 

« Es-tu idiot? Tu as bien vu- Elle encaisse mieux que des trafiquants de melodeon, cela ne te fait pas un peu tiquer? »

« Peut-être, justement, parce que contrairement à tes trafiquants, elle est innocente? »

« Personne ne tient aussi longtemps face à la question, innocent ou non. »

« Alors quel était l’intérêt de faire ça? Qu’elle signe à tout prix? »

« Elle est coupable bon sang! Nous avons des preuves, des témoins- »

« Pourquoi alors s’embêter avec une confession, puisqu’il y a des preu-»

« Eh! C’est pas bientôt fini oui! Y’a des gens qui essaient de dormir!» Une voix aussi débonnaire que furieuse jaillit d’une fenêtre, très rapidement suivie par une figure, aussi ridée que grognon, couverte d’un bonnet de nuit orange.

Attendez une minute, Monsieur Ebenezer? Mais j’étais beaucoup plus proche que prévu! Oh Sainte Cassini, ayez pitié de moi, faites que je ne me ramasse pas aussi proche de ma destination!

Rien ne me laissa croire que ma prière avait été entendue. Cependant, à la décharge divine, l’heure ne semblait pas être aux révélations miraculeuses mais aux froncements de sourcils désapprobateurs. Le réveil avait très clairement rendu Monsieur Ebenezer ronchon, et la pluie n’aidait en rien. Il plissa des yeux, encore et encore-

« Et mais c’est le petit Blaise! Sainte Cassini ait pitié gamin, qu’est-ce que vous fichez là, sous un temps aussi merdique? »

« M’sieur Ebenezer. » Blaise le salua aimablement, ôtant même son képis, comme si un déluge n’était pas en train de s’abattre sur son scalp  « Désolé pour le dérangement-»

« Nous traquons une fugitive. » Son binôme s’empressa de couper court aux familiarités. 

Et c’était vraiment une erreur, surtout avec Monsieur Ebenezer. On pourrait tenter de l’excuser, blâmant la pluie, l’heure et la fatigue, mais je n’en avais pas envie. Qu’il fasse beau, qu’il pleuve, ou que la fin du monde s’abatte sur nous, ce Will était un petit con. Je disais cela en toute impartialité, cela n’avait aucun rapport avec les coups de matraque que son paternel m’avait infligés, ni les côtes fêlées qui avaient suivies.

Le vieil horloger se mit à froncer des sourcils.

« Un fugitif, ici, quartier des Orfèvres. » Il répéta « Et pourquoi pas des salamandres indigo pendant qu’on y est? »

« Nous ne faisons que suivre la piste-»

« Ce quartier est plus fortifié que la cave à vin de mon neveu Gracien, quel genre de crétin irait se planquer dans les parages? » Ebenezer le coupa net. «  Pourquoi ne pas se cacher en prison pendant qu’on y est? »

Cela eut l’effet de clouer le clapet à Will pendant une bonne minute. Il fallait préciser que ce quartier était un labyrinthe. Un ramassis de dédales, de cul-de-sac, le tout encerclé par des murailles aussi solides que magiques.  S’y réfugier pouvait donc apparaitre idiot, mais si mon QI était clairement inférieur à la température ambiante, je n’étais pas stupide à ce point là. 

J’avais un plan. 

À quelques rues de là se trouvait l’Auratoire de Sainte Cassini. Si je l’atteignais, si je parvenais à demander l’asile et si on me l’octroyait, je serais sauve.

Et oui, cela faisait beaucoup de si, tout cela. Cependant si je n'essayerais pas, la seule certitude à ma disposition serait le cimetière.

Que l’on ne me fasse pas croire que cela finirait bien pour mes fesses tout ça. Wilburt m’avait tout de même tiré dessus sans sommation. Si j’étais encore en vie, c’était parce qu’il ne savait pas viser.

« On vous dit comme on le voit M’sieur. » Blaise tenta de calmer le jeu « Je ne vais pas vous rappeler ce qu’il s’est passé la dernière fin de semaine. »

Il aurait pu jeter un sort de froid que le résultat aurait été le même. Les sourcils de Monsieur Ebenezer se haussèrent jusqu’à toucher les cieux.

« Vous avez retrouvé un de ces fumiers, et vous l’avez laissé filer en un seul morceau, après qu’il ait décidé de faire sauter des gamins sans défense-»

Une fenêtre du deuxième étage s’ouvrit à la volée, et une femme d’âge mur fit son apparition, ses cheveux roux flamboyant soigneusement maintenus dans une infinité de petits bigoudis.

« Cassini nous vienne en aide, vous cherchez à réveiller tout le quartier avec- et mais mon cher Blaise, et le petit Will! Ma parole, vous allez finir par attraper la mort par ce temps! »

« Madame Silverine, désolé pour le dérangement-»

« Nous sommes à la recherche d’une fugitive. » Will, à nouveau, déploya autant de charme qu’un asticot -et ce n’était pas flatteur pour les insectes en question.

L’exaspération dans sa voix, en revanche, n’était pas de très bonne augure.

« Pour les- là, tu sais, les p’tits mages, l’explosion. » monsieur Ebenezer ajouta, sa voix très vite étranglée par l’émotion.

Il fut loin d’être le seul d’ailleurs, Madame Silverine se dépêcha de se signer au front.

« Cassini nous protège, vous les avez enfin tous attrapés? » Elle déclara avec un ton vicieux. 

« En partie, et justement-»

« D’ou viennent-ils? De Dixm? De l’Impérium? Je suis prête à parier mon aiguille en silici que ce sont des Syndics. J’espère que ça leur coûtera leur mandat, à tous ces cinglés de la Vox Populi-”

« Je crains que cela soit pour le moment confidentiel. L’important est de retrouver la fugitive-»

« Minute papillon, la fugitive? » Madame Silverine eut un petit hoquet.

« Et bien, oui-»

« Vous êtes en train de me raconter, que les gros bras de l’Acropole, ont si mal protégé leur école, qu’une p’tite dame a pu faire sauter trois bâtiments de quatre étages? » Monsieur Ebenezer fronça des sourcils jusqu’à en faire disparaître ses yeux.

« Ebenezer! » Madame Silverine s’offusqua « N’as-tu pas honte? » 

« Ce n’est pas la question-» Blaise tenta de couper court, et c’était peine perdue. Stopper Monsieur Ebenezer dans ses idées, c’était comme tenter de stopper un bœuf par les cornes. On pouvait essayer, si on souhaitait finir en brochette.

« Mais elle ressemble à quoi, c’est une dockeuse d’un mètre quatre-vingt? Une montagnarde de Danoisie septentrionale? Une teknokrate dixmite? » Monsieur Ebenezer insista, et Madame Silverine se mit à épier les environs, le regard inquiet.

« Il s’agit de Sidonie Drèke, pour ne rien vous cacher. » Blaise dit, gagnant un regard noir de son collègue. 

Il y eut un petit blanc.

Petit blanc, animé de regards stupéfaits, devint grand.

« La petite Sid! C’est une plaisanterie? Enfin, elle faisait des livraisons, pas plus tard qu’hier, elle a, mon nouveau service à cannelle, elle-» Silverine hoqueta jusqu’à ce que Monsieur Ebenezer laisse éclater un rire sonore.

Je tenais à préciser que je n’étais pas petite. j’étais parfaitement dans la moyenne. Je passais l’éponge, car leur réaction était vraiment réconfortante.

« Vous êtes en train de me dire, là, que vous suspectez la gamine de Mathurin, dix-neuf ans, cinq pied quatre de haut, quarante cinq kilo, qui sursaute à chaque fois qu’elle voit une arachnide dépassant la taille d’une poussière, sans la moindre expertise magique,  incapable de différencier une vis d’un écrou, d’avoir posé une charge de quatre milles livres dans une école? Cette Sidonie-là? »

Pour ma défense, je ne voyais pas en quoi c’était rassurant d’avoir une petite arachnide en face de soi. Je veux dire, encore, une arachnéide, difficile de la rater, mais un petit octopode, elle pouvait se glisser dans mes cheveux, dans mes oreilles, sans que je le vois-

Et ce n’était clairement pas le sujet.

A nouveau, je m’étais prise un tir dans l’épaule. Si la violence du faisceau avait eu l’effet appréciable de cautériser le trou, ça demeurait une blessure.  L’immobilité n’arrangeait pas non plus, et mon bras gauche commençait dangereusement à s’engourdir. Je n’allais pas pouvoir demeurer éternellement sur ce toit sans bouger, ou j’allais piquer du nez.

« Elle n’était pas seule. » Will grommela.

« Elle n’était surtout, pas présente tout court. » Monsieur Ebenezer monta en température « J’étais chez les Drèkes il y a trois jours-»

« Ah oui? » Silverine fronça des sourcils.

« Oui, tu sais, mon rendez-vous de trois heures là, c’était leur horloge de salon. Leur p’tite gamine, Lizzie, sa nouvelle passion c’est de coincer des pièces de trois sous dans les rouages alors- »

« Pourquoi tu ne me l’as pas dit! Cela fait une éternité que je dois rendre à Catherine sa balance-»

« Ce n’est pas le sujet. » Blaise leva la tête, comme s’il venait de tomber sur du gibier « Vous dites que vous étiez chez les Drèkes au moment de l'attentat M’sieur? »

« Un peu mon neveu! Et à moins que vous puissiez expliquer comment la Sid là, elle serait parvenue à se matérialiser de la Couronne externe à la Colline sans se faire remarquer, et en moins de cinq minutes, je pense que vous vous êtes sacrément trompés les fistons. »

« Et… ils étaient tous présents? Vous en êtes certains? » Blaise insista. Le ton grave de sa voix m’était étonnamment réconfortant.

« J’ai encore les yeux en face des trous que j’sache, là! »

« Ce n’est pas possible. » Will répliqua sèchement « Nous avons confirmation qu’elle était sur les lieux au moment des faits. »

« Bah votre confirmation, elle a autant de valeur que le torchon de ce guignol d’Octavius. » Ebenezer monta le ton « Elle était chez elle, chez les Drèkes, je l’ai vu comme je vous vois, là.»

« Et quand bien même, Sidonie Drèke, c’est tout bonnement ridicule! » Madame Silverine semblait positivement outrée, au point que des plaques rouges apparaissaient le long de son cou. « Les Drèkes sont des gens charmants, et Sidonie- , cette pauvre petite, c’est scandaleux! Vous devriez avoir honte! »

« Elle a bien dû vous le dire, là, qu’elle était chez elle. » Monsieur Ebenezer répliqua. 

« Votre amitié pour les Drèkes est de notoriété publique. » Will siffla entre ses dents.

« Et alors? »

« Alors vous nous excuserez de prendre tout ce que vous dites avec des pincettes. »

« J’étais loin d’être le seul, c était une fête de quartier. Enguerrand est également passé prendre un café, et pourra en attester. Ça vous va la parole d’un judicard, ou son sang n’est pas assez bleu pour avoir de la valeur? » Ebenezer tonna à en faire trembler le quartier.

“Doucement, ce n’est pas ce que mon collègue à suggéré.” Blaise dit calmement mais fermement.

“J’espère pas, ça serait sacrément gonflé de ta part, fiston, de faire une pareille fine bouche.” Monsieur Ebenezer siffla à Will “Aux dernières nouvelles, tu es un omeg, comme ton père, comme ta mère, comme leurs parents avant eux, et comme tes rejetons après toi-”

“Bon, ça suffit, comme je l’ai dit, ce n’est pas ce qu’il souhaitait dire.” Blaise s’énerva, non sans jeter des petits regards contris à son collègue qui lui demeurait étrangement muet.

« Et pendant ce temps là, je suppose que personne n’est allé jeter un œil sur les docks, n’est-ce pas? »  Madame Silverine renchérit, le regard orageux « C’est sûr que faire affaire avec la racaille coriolisienne c’est une toute autre histoire que de malmener des jeunes filles sans histoire. »

« Moui, faudrait pas oublier de vérifier les placards de la Haute Ville. » Monsieur Ebenezer grommela.

« Ah tu ne vas pas recommencer avec cette idée absurde-»

« Dans tous les cas, c’est une enquête de la maréchaussée, aussi je vous prierais de ne pas vous impliquer davantage, ni de communiquer outre mesure au risque de-»

« Si vous voulez qu’on se mêle de nos affaires, essayez de faire votre boulot comme des chèvres là!»

« Doucement, doucement. » Blaise prit la parole, la voix étrangement ferme et résolue. « Bien, il y a visiblement des zones d’ombres assez notables, et les failles seront creusées. Pour l’heure en revanche, je pense que tout le monde peut s’accorder sur le fait qu’il est nécessaire de retrouver Sidonie Drèke au plus vite. Et vivante. »

Il avait raison.

Mon espérance de vie n’était actuellement pas très folichonne, en particulier avec ce trou d’un diapouce dans mon épaule. La situation n’était plus aussi catastrophique. Blaise toisait son partenaire et me laissait espérer que les coups, c’était fini. Madame Silverine ferait prévenir Mathurin et Catherine, et on devrait enfin m’écouter.

Je m’apprêtais à suivre ce plan génial vers ma liberté et, avec un peu de chance, une tasse de cannelle chaude, quand une forte odeur d’ozone s’insinua dans mes sinus. Je retins péniblement un haut le cœur, et ce dernier s’accéléra à en perforer mon torse. Un bruit net de bottes, assez lent pour rapidement s’insinuer dans mes oreilles, emplit l’atmosphère. Cela martelait les pavés, encore, et encore, et encore, avec une lenteur insupportable. Un froid lucide cristallisa mon esprit, tous mes muscles se tendirent.

Du croisement, deux silhouettes assez mal assorties apparurent. Un rond, l’autre filiforme, tous deux drapés d’un long coupe vent noir encre. Ils auraient pu se noyer dans la nuit, si ce n’étaient pour leurs cols irisés, traçant des arabesques ésotériques jusqu’au fond de mes yeux.

Je fus loin d’être la seule à pester, même si je le fis avec autant de discrétion que possible.

« Que se passe-t-il ici? » La plus petite des silhouettes, l’homme, chantonna gaiement quand ils furent arrivés à notre hauteur. Un mentaliste, à en juger par les arabesques de son col.

Merde.

Will, tout abruti qu’il était, se ratatina sur lui-même. 

« Que faites-vous ici, à une heure pareille, en plein couvre-feu. » Blaise répliqua. Il semblait avoir repris le contrôle de ses nerfs et affichait désormais un calme froid. Je remarquais cependant qu’il avait délicatement posé sa main sur son ésolver. A raison.

Les mentalistes ne se contentaient pas de lire les pensées de leurs cibles, ils avaient la fâcheuse manie de pouvoir insuffler des illusions et autres visions peu agréables.

J’étais décidément trop proche de cette bande d’idiots, ce n’était vraiment pas l’heure de bouger. Si Blaise semblait décidé à être raisonnable, je n’avais aucune confiance entre sa capacité à maîtriser: un excité de la gâchette, un sorceleur rondouillard, et une inconnue de la Cohorte. De toutes les ruelles de cette fichue ville, ils avaient décidé d’entamer leur meilleure discussion à trois pieds de moi.

Si je m’en sortais vivante, mon Esprit Familier allait se faire virer.

La femme le toisa et son sourire me fit tiquer. Peut-être était-ce dû à son visage, anormalement creusé pour une magicienne, mais pour être parvenue à intégrer la Cohorte, elle ne devait pas être une femme ordinaire. 

Ce n’était pas très rassurant.

C’était, en vérité, assez terrifiant, d’autant plus que je me trouvais incapable de décrypter les emblèmes nomicroniques de son col. Et j’aurais dû, bordel, ces trois arabesques, je les avais vu-revu-survu! Bien entendu, c’était maintenant entre tous que mon cerveau préférait jouer la karanka plutôt que de me sortir la signification de ce fichu emblème nomicronique! 

Mais merde à la fin! J’avais déjà assez galéré ainsi non? Ça suffisait là! Il était plus que temps pour mon Esprit Familier de se sortir les doigts du popotin et de venir veiller sur moi un minimum-

« Votre supérieur en a eu assez de votre incompétence, nous prenons le relai. » L’homme répliqua d’un ton écoeurant. Cela me fit l’effet d’un choc électrique.

Bon, grommeler sur l’incompétence notoire de mon gardien ne m’avancerait à rien, au contraire. Cette femme à l’École Magique non déterminée me donnait des sueurs froides -elle et l’angine qui s’annonçait en fanfare. Quand bien même elle ne serait pas une magicaliste, elle finirait bien par sentir mon essence, ou il s’en chargerait, et je serais cuite. Il fallait que je prenne la poudre d’escampette.

Aux vues de ma chance kosmique aussi pourrie que du fromage d’Anvers, je devais partir du principe qu’il s’agissait d’une élémentaliste. Après tout le cosmos avait passé la journée à me faire un joli petit doigt d’honneur, alors ajouter quelqu’un capable de me faire fondre sur place, cela n’était qu’une formalité-

« Il n’en est pas question. » Blaise répliqua d’un ton sec, à en faire sursauter son compagnon constable.

« Nous ne vous demandons pas la permission. » l’homme renchérit.

« Ma parole, ça prend confiance dans la Cohorte! » Monsieur Ebenezer s’écria, et se paya un regard si noir qu’il en devint aussi pâle qu’un spectre.

« Et vous êtes? » Le mage demanda doucement.

Monsieur Ebenezer prit une inspiration, très certainement décidé à reprendre du poil de la bête, mais avant qu’un seul mot ne franchisse ses lèvres, il se prit un bigoudis dans la figure.

« Je vous prierais de rentrer chez vous et de fermer vos volets. » Blaise dit avec un sang froid incroyable, et ni Madame Silverine, ni son voisin ne s’y firent répéter à deux fois. 

J’eus soudain conscience que mon dos se tenait contre des tuiles glacées.

« Vous n’avez aucun droit de menacer qui que ce fut, Monsieur. » Blaise siffla, et poussa le courage -ou la stupidité- jusqu’à pointer le mage du doigt « Je pourrais vous coller un rappel à l’ordre. »

« C’était une simple question. » 

« C’était déplacé. Et pour revenir à notre sujet, vous n’avez rien à faire ici. Cela va bien au-delà de la décision de l’Inspecteur. Vous êtes aux dernières nouvelles une milice privée et de surcroît on ne peut plus-»

« Finis donc ta phrase, petit constable. » L’homme roucoula, presque littéralement, et l’odeur d’ozone s’intensifia.

« A nouveau, je vous conseille fortement de cesser les menaces. » Blaise refusa de se laisser impressionner, ce qui aurait été franchement son droit, et peut-être dans son intérêt.  

« Blaise, par tous les Saints-» Will posa sa main - tremblante de froid ou de peur qui aurait pu le dire- sur son épaule, mais son coéquipier se dégagea, non sans hargne.

« Mon Inspecteur et… certains constables se plaisent peut-être à fricoter avec le Conclave, mais ce n’est pas une généralité. » Blaise ajouta, non sans fusiller Will du regard. 

« Allons, allons, inutile de se braquer. Votre supérieur a eu raison de faire appel à nous. Notre expérience en traque de Teknokrate est bien plus développée que la vôtre.» La femme dit, révélant au passage une rangée de dents aiguisées- et merde. Je savais maintenant pourquoi elle m’avait tant fait tiquer-

« Quand bien même, Mademoiselle Demerzel, ce n’est pas le sujet. Vous n’avez rien à faire là.. » Blaise tint bon et je l’aurais volontiers remercié s’il ne m’avait pas fait au passage la pire confirmation du monde. 

Sonia Demerzel, Cassini ait pitié…

Élémentaliste de l’eau, connu pour sa fâcheuse manie de faire bouillir les cervelles de ses ennemis, mais également de collectionner les scalps.

J’eus une envie subite d’insulter quelqu’un. 

Les deux magiciens échangèrent un regard aussi appuyé que sinistre. Il ne faisait aucun doute qu’ils étaient en pleine conversation mentale -ça aussi ce n’était pas une très bonne nouvelle.

Bon.

Bon, bon, bon.

Il allait falloir trouver un moyen de se sortir de cette mélasse. Je refusais de paniquer, car il était hors de question que mon scalp finisse dans la collection de cette sorcière psychotique. J’allais devoir garder le contrôle de mes nerfs.

Je pris quelques brèves inspirations, afin de signaler à mon dernier neurone viable que la sieste était terminée. Attendre serait stupide -un de ces crétins allait bien finir par lever la tête ou pire encore, le mentaliste finirait par étendre ses recherches et percevoir on esprit. Il allait donc falloir que mon Esprit Familier cesse de se comporter comme un touriste notoire en état de grève permanente et-

« La situation est extraordinaire. »

« La loi ne fait aucune exception. » Blaise leva le menton.

« Pourquoi ne pas aller vous plaindre à votre supérieur dans ce cas? » Le mage susurra à m’en faire frissonner.

« Il est hors de question de vous laisser déambuler dans ces rues. » Blaise refusait de lâcher l’affaire, et commençait sérieusement à exaspérer les mages. 

« Démerzel se fera un plaisir de vous accompagner. » Le sorceleur poursuivit, et à en juger par le regard de sa coéquipière, elle était aussi ravie qu’une mouette dans la tempête.

Elle ne protesta pas, en revanche.

« Vous »

« Votre collègue veillera à ce que je ne fasse pas d’esclandre. Le plus vite cette affaire sera réglée, le mieux, non? Après tout, vous avez tout de même une fugitive à trouver. »

Cela ne plut pas à Blaise, mais il ne trouva rien à redire, et Will apparaissait décidé à ne lui apporter aucune assistance.

« Soit, Will, si tu as encore la gâchette facile, je te mets au rapport, et cette fois-ci, je ne laisserai pas ton père noyer le poisson.» Blaise grommela, avant de tourner les talons. Démerzel échangea un dernier regard avec son compagnon, avant de disparaître à sa suite, dans la nuit noire.

« Charmant. » Le magicien susurra, quand les bruits de pas se furent estompés.

« Il aime les procédures. » Will grommela « Mais il se dégonfle toujours. »

« Regrettable. »

« Monsieur Portos, je viens de vous dire qu’il ne faisait jamais de vague. »

« Et cela n’en sera pas moins regrettable. » Le mage renchérit, avant de pointer l’étage aux volets bleus, et les fenêtres oranges adjacentes.

« Monsieur Ebenezer, Madame Silverine, des simples petits commerçants. » Will maugréa, et mon cœur se glaça.

Portos fixa un instant les fenêtres en question, tapant de ses doigts dodus son menton pointu.

« Ils semblaient impliqués. »

« Monsieur Ebenezer a entendu Blaise faire son cirque et aime se mêler de tout. »

« Sa voisine? »

« Elle est arrivée peu avant vous. » Il dit, et quel petit menteur il faisait là!

« Qu’ont-ils entendu? » Le mage demanda, et le regard de Will dut être assez expressif pour qu’il se mette à secouer la tête, l’air tout bonnement navré « Regrettable. Que cette affaire est regrettable… »

« Un simple contre-temps. »

« Nous l’espérons, dans ton intérêt. La situation est déjà assez fâcheuse ainsi, et, pour être franc, ton nom revient avec une constance cassinienne. » Portos susurra, toisant Will comme s’il s’agissait de son dîner.

« Ce n’est absolument pas de mon fait. Mon collègue l’a laissé filer par le conduit comme un imbécile! »

« Il est loin d’être le seul idiot dans l’affaire. Personne n’aurait pu passer par ce conduit. Vous vous êtes tous fait avoir comme des débutants. Mais c’est le cadet des reproches réalisés à ton encontre. »

« Elle n’était pas là. Nous avons dû vite improviser. » Will protesta à nouveau.

Cette fois-ci le mage laissa sa colère apparaître et siffla de colère.

“Régler cette affaire discrètement. Quel aspect de cette directive t’a échappé? Pourquoi l’avoir amené au poste pour commencer?”

Mon sang se glaça dans mes veines. Ça puait, ça puait sévère pour ma pomme, tout ça.

“Je reste constable, tout de même.” Will protesta, beaucoup trop faiblement.

Tout ce qu’il y gagna fut un petit rire désagréable.

“Tu es des plus drôles, mon garçon.”

“Il y avait des témoins.”

“Tu avais une arme de service. S’il y avait des regards indiscrets tu aurais pu le régler facilement.”

Même Will blêmit, mais à nouveau, ne releva pas.

« Rien ne va dans cette histoire. Elle a eu beaucoup trop de chance. »

« Tenter de justifier votre échec ne vous mènera nulle part. » Le mage renchérit avec une attitude si décontractée qu’elle en devenait horripilante.

« Elle a passé huit heures à la question sans craquer. Cela vous paraît commun? »

« Cela me paraît plutôt remettre en cause les compétences de l’Inspecteur. Une ballerine… une stupide ballerine vous fait courir aux quatre coins de Rocam. Que c’est pitoyable. »  Son interlocuteur lui coupa la parole.

D’ailleurs, au passage, la stupide ballerine t’emmerde, Cohortier.

« Vous êtes libre d’essayer, si cela ne se déroule pas selon vos désirs. »

« Penses-tu que je perdrais mon temps de la sorte s’il en était autrement? Nous prenons le relais. » Il dit, et quelque chose se transforma en plomb. Mon estomac, ou mes entrailles. Probablement les deux.

« Non, il y a une limite à ce que- certains ont déjà commencé à exprimer une certaine réticence et-»

« Cette affaire doit être réglée au plus vite. Tu vas rentrer au poste, y retenir ton collègue, et quand nous en aurons fini nous vous préviendrons. »

Will jeta un petit regard aux fenêtres closes.

« Je ne pense pas que vous saisissiez le problème. »

« Et je ne pense pas que tu mesures les désagréments auxquels tu devras faire face. Il est déjà bien déçu, il n’est pas dans ton intérêt qu’il devienne mécontent- »

L’homme ventripotent s’arrêta net, le regard fixé sur le mur. Ses sourcils se froncèrent, mais une lueur jaillit dans ses yeux brun. Il tendit alors le bras, effleurant du bout de ses gants de cuir la gouttière. Un nuage d’aiguille me harponna à la nuque quand je réalisais ce qu’il venait d’y trouver. Il observa ses gants rougis, leva le regard.

Et le voilà enfin, ce tête à tête gênant.

Bon, la partie de cache-cache était visiblement terminée.

Il avait à peine ouvert la bouche pour lever l’alerte que tout mon corps se tendit comme un élastique et s’élança dans la nuit.



 

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