Les heures s'étiraient à une vitesse effroyable. Il était déjà presque dix-huit heures et je n'avais pas encore trouvé le temps de respirer. Le téléphone n'arrêtait pas de sonner, les réunions s'enchaînaient et le stress de la journée semblait me saisir à chaque instant. Mes pensées étaient tourmentées par les menaces anonymes que j'avais reçues ces derniers jours, mais je m'efforçais de garder une façade calme et implacable. Après tout, c'était ce qu'on attendait de moi.
Je me redressai dans mon fauteuil, épuisée. La lumière du soir filtrait à peine à travers les rideaux épais du bureau. Un coup frappé à la porte me fit lever la tête. Avant même que j'aie eu le temps de répondre, la porte s'ouvrit brusquement. Le visage de mon chauffeur, un homme d'habitude silencieux et respectueux, apparut dans l'entrebâillement.
"Madame", dit-il d'une voix tremblante, son regard fuyant. "Il... il y a quelque chose d'urgent. M. DeVallon a été informé de... de quelque chose qui concerne mademoiselle Élisa."
Je me figeai, la gorge soudainement sèche. Une alerte s'alluma dans ma tête. J'avais bien entendu les rumeurs et les menaces de plus en plus pressantes, mais je n'imaginais pas que cela parvienne jusqu'à lui, mon père. Pas aussi tôt.
"Que s'est-il passé ?" demandai-je, ma voix se fendant sous la pression.
Le chauffeur hésita un instant, avant de murmurer : "Il a appris que mademoiselle Élisa a été suivie... qu'elle reçoit des menaces. Il est furieux, madame. Il a demandé à ce qu'on l'informe immédiatement."
Je sentis un frisson glacer ma peau. Mon père était une force de la nature, un homme que personne n'osait contredire. Quand il était contrarié, il ne faisait jamais les choses à moitié.
Le chauffeur tourna les talons sans dire un mot de plus, et je le suivis du regard, consciente que l'annonce qui allait suivre allait secouer tout le reste de la journée.
Quelques minutes plus tard, je me trouvais dans une salle de réunion, avec mon père et ses employés les plus proches autour de la table. L'air était lourd. La tension était palpable, un malaise étrange flottait dans l'espace. Je n'avais jamais vu mon père aussi nerveux, aussi tendu.
Soudain, la porte s'ouvrit violemment. Mon père entra, son visage rouge de colère. Son regard était une arme, une étincelle prête à tout brûler sur son passage. Il s'arrêta un instant, scrutant la pièce, avant que ses yeux ne se fixent sur moi.
"Élisa", commença-t-il d'une voix froide, mais empli d'une rage évidente. "Je viens d'apprendre que ma propre fille, la plus jeune de mes enfants, est menacée et suivie." Ses mots s'écrasèrent sur moi comme un poids. "Et toi, tu fais quoi ?"
Je me levai lentement, ignorant les regards des autres autour de la table. "Papa, je gère la situation, je t'ai dit que tout allait bien", répondis-je d'un ton aussi calme que possible, mais je savais que ça ne suffirait pas.
"Non, ça ne va pas ! Et toi, tu crois que tu peux tout contrôler ?" hurla-t-il soudainement, sa voix se brisant sous la colère. Il frappa du poing sur le bureau avec une violence telle que tous les documents volèrent en éclats, se dispersant autour de la pièce.
Les hommes dans la salle reculaient instinctivement, effrayés par l'intensité de la scène. Moi aussi, je reculais intérieurement. Je connaissais mon père, mais ce genre d'explosion... C'était différent. Il semblait dévoré par la colère. Et cette fois, il était hors de contrôle.
"Tu crois vraiment que je vais rester là, les bras croisés, pendant que quelqu'un te menace, toi, ma fille ?!" Il haussait la voix encore plus fort, comme si chaque mot était un coup porté. "Tu crois que tu peux être assez forte pour gérer tout ça toute seule ?!"
Je n'avais pas l'habitude de le voir aussi désemparé. Sa fureur était palpable, imprévisible. Il était un homme qui préférait gérer les choses à sa manière, mais là, il était en pleine panique, sa peur se traduisant par une explosion incontrôlable de colère.
"Calme-toi, s'il te plaît", murmurai-je, essayant de le raisonner.
"CALMER !?" Il me coupa immédiatement. "Tu ne comprends pas, Élisa ! Je n'ai pas fait tout ça, construit tout ça, pour te voir mise en danger !" Il s'empara du dossier posé devant lui, le balançant contre le mur. "Je vais faire en sorte que cela cesse. Tout de suite."
Il tourna brusquement la tête vers l'un de ses employés, un homme de confiance, et lui ordonna avec un ton froid : "Appelle Cassian Vercelli, maintenant. Il doit la protéger. Elle n'aura plus aucune chance si on attend plus longtemps."
Le nom résonna dans ma tête comme un coup de tonnerre. Cassian Vercelli. Un nom que je n'avais jamais entendu, mais qui à cet instant semblait déjà lourd de sens. Il n'y avait pas de place pour le doute dans la voix de mon père. C'était une décision prise, et je n'avais pas mon mot à dire.
"Tu vas rencontrer cet homme demain matin", continua-t-il en se tournant vers moi, sans me laisser le temps de répondre. "Il est là pour ta sécurité. C'est pour ton bien."
Je me sentais prise au piège, comme si tout autour de moi se resserrait, m'écrasant sous la pression. Je voulais protester, lui dire que je n'avais pas besoin de ça, que je pouvais très bien me protéger seule. Mais les mots se coinçaient dans ma gorge.
Je pris une profonde inspiration, mes poings serrés sur le bord de la table. "Je n'ai pas besoin de protection", murmurai-je, ma voix ferme, mais faible. "Je suis capable de me défendre, papa."
Mais il ne m'écoutait pas. Le regard qu'il me lança était celui d'un homme qui n'avait aucune intention de reculer. "Tu vas rencontrer ce Cassian demain", dit-il encore, cette fois plus calme, mais tout aussi déterminé. "Et tu vas l'écouter. Il est là pour une seule chose : ta sécurité."
Il tourna les talons, prêt à sortir de la salle, avant de jeter un dernier regard sur moi. "Je ne veux plus d'histoires, Élisa. Je veux que tu sois protégée."
Le bruit de la porte qui se ferma violemment derrière lui résonna dans la pièce, me laissant seule, sous le poids de ses mots. Cassian Vercelli. Un nom inconnu, mais qui allait désormais faire partie de ma vie. Et je n'étais pas prête à accepter cela.
"La colère de mon père n'était pas une simple réaction, c'était un avertissement : il n'y avait plus de place pour l'ignorance, ni pour les choix. À partir de ce jour-là, ma vie allait prendre un tournant que je n'avais pas choisi."