Le lance du Chevalier était une arme d’hast à la pointe encadrée par deux lames en demi-lune. Le métal, entièrement noir, était gravé de minuscules symboles qui dessinaient des arabesques. Les mêmes que sur son armure. Le bougre avait surgi sans qu’aucun de nous ne le sente arriver.
— Qu’est-ce que… a hoqueté l’Africaine, les yeux écarquillés.
Le Chevalier a levé sa botte bardée de fer et la lui a enfoncée dans le ventre. La faucheuse a volé sur au moins quatre mètres avant de s’écraser sur les tiges de coton mortes.
J’étais perplexe. Soit le Chevalier noir avait atterri entre nous par hasard, soit il venait de me sauver la vie.
— Euh… d’accord. On est potes, maintenant ?
Pour toute réponse, la tête de sa lance a pivoté vers moi. Je m’étais attendu à quelque chose dans ce goût-là. J’ai bondi en arrière.
— OK, pas potes.
Il a esquissé un pas dans ma direction et, malgré son silence, j’ai perçu la menace. Mon cœur, qui avait repris du poil de la bête, s’est mis à cogner comme s’il essayait de s’enfuir.
Il n’y avait pas grand-chose qui me faisait peur. Le noir, les films d’horreur, les cadavres en putréfaction, les Télétubbies ou la mort… tout ça me laissait assez indifférent. Les esprits non plus ne m’avaient jamais fait peur, pas même un esprit aussi laid et maboul que le Cavalier sans tête. Mais le Chevalier noir… il me filait les miquettes. Le fait qu’il m’ait embroché dans une autre vie, trois jours plus tôt, y était peut-être pour quelque chose.
J’ai resserré ma prise autour de ma faux, à peine rassuré par les fourmillements annonçant le retour des sensations entre mes épaules. Dieu merci, la faucheuse africaine n’avait pas dit son dernier mot. Elle a bondi haut dans le ciel et abattu son glaive sur le Chevalier. Celui-ci ne s’est pas laissé surprendre, bien qu’il lui ait tourné le dos. Il s’est dérobé, rapide comme l’éclair, et a balancé sa lance à la manière d’un couperet. À son tour, l’Africaine s’est écartée et a entamé la contre-attaque. Son khépesh enchaînait les mouvements à une vitesse folle, mais ça ne suffisait pas à percer la garde impeccable du Chevalier.
J’ai échangé un regard avec Sacha. On aurait pu en profiter pour filer à l’anglaise et continuer notre petit bonhomme de chemin, s’en tenir au plan initial… D’un autre côté, le Chevalier était là. L’Africaine était une faucheuse aguerrie, en pleine possession de ses moyens – et de ses souvenirs. À nous trois, on avait peut-être une chance d’en venir à bout.
Sacha a acquiescé et on s’est jetés dans la bataille. J’ai foncé au contact tandis qu’elle contournait les combattants pour trouver un meilleur angle de tir. Le Chevalier parait un coup de l’Africaine quand j’ai débarqué. Profitant de l’élan, j’ai abattu ma faux de toutes mes forces. Il a aussitôt esquivé vers l’arrière. L’Africaine a suivi le mouvement et j’en ai fait autant.
La lance du Chevalier lui offrait une allonge plus grande qui, jusqu’à présent, avait donné bien du souci à l’Africaine. Mais ma faux avait une portée presque égale et maintenant, nous étions deux contre un. D’un accord tacite, j’essayais de distraire le Chevalier tandis que l’Africaine s’efforçait de passer derrière sa garde pour le tailler en pièce. Plus facile à dire qu’à faire.
Le gars était sacrément habile. Sa lance tournoyait comme un bâton de majorette, toujours là où il fallait pour repousser nos assauts, quand il ne les évitait pas. Il n’en était pas moins totalement sur la défensive, obligé de reculer sans cesse. Alors que ma faux venait de crocheter la tête de sa lance, une balle a frappé le heaume du Chevalier dans un grand gong ! Ce dernier a vacillé, l’Africaine a bondi en avant et fendu l’air de son khépesh. Le coup était magistral, pourtant, il a à peine suffi à entailler le plastron de l’armure qui s’est aussitôt reformé.
Le Chevalier a titubé un peu plus loin, levé sa lance pour intercepter une nouvelle balle de Sacha, puis il a fait volte-face et battu en retraite vers les immeubles qui dominaient les champs. Dépassant une rangée de palmiers, il a fauché deux arbres d’un mouvement ample. Lancés à sa poursuite, l’Africaine et moi avons plongé sur les côtés pour éviter de finir écrasés sous un tronc poilu.
Bondissant sur un muret, puis sur les balcons qui saillaient des façades, le Chevalier s’est propulsé vers les toits. On s’est élancés à sa suite. Plusieurs vivants avaient pointé le bout de leur nez aux fenêtres, montrant du doigt les palmiers couchés et le champ de coton bruni où l’air soufflait en spirale, comme les prémices d’une tornade. J’ai failli tamponner une vieille dame en me hissant sur la rambarde d’un balcon avant de réussir à atteindre le sommet du bâtiment.
Le Chevalier avait déjà bondi sur l’immeuble suivant. Sacha s’efforçait de le canarder, mais toucher une cible en mouvement tout en courant aurait donné du fil à retordre même à John Wayne. On a sauté une ruelle, puis une autre… jusqu’à déboucher devant un échangeur autoroutier. L’Africaine avait fait le grand plongeon, alors je me suis jeté dans le vide. La hauteur et l’élan m’ont permis de franchir les quatre voies d’un coup. L’accotement est arrivé à toute vitesse. Mes rotules allaient y rester, c’est sûr.
J’ai serré les dents. L’impact a vibré jusque dans ma nuque, douloureux, mais mes jambes n’ont pas fini en bouillie. Rebondissant comme une balle, j’ai fait saute-mouton par-dessus la palissade d’en face et atterri sur un terrain vague.
Un terrain de foot avait été tracé sur la terre rouge, heureusement, l’endroit était désert. Le Chevalier avait arrêté de courir. Peut-être avait-il compris que c’était inutile ? Mais s’il cherchait vraiment à s’enfuir, pourquoi ne pas disparaître comme il était apparu ? C’était louche. L’Africaine devait songer la même chose, car elle a pilé dans le rectangle des cages, méfiante. Je l’ai rejointe d’un bond, puis Sacha a dérapé à côté de nous en soulevant un nuage de poussière.
— Qu’est-ce qu’il fout ?
La réponse n’a pas tardé. Brandissant sa lance comme s’il s’agissait d’un sceptre, le Chevalier noir a tapé le sol.
Tum. Tum. Tum.
Les coups ont résonné dans ma cage thoracique. La température a chuté de quelques degrés supplémentaires et les poils de mes bras se sont hérissés. Le ciel est devenu noir, orageux. Une couverture de brume est montée de la terre. Comme formée à partir du brouillard, la silhouette d’un autocar s’est alors dessinée à l’autre bout du terrain. La bête était ancienne, montée sur un châssis de camion Opel Blitz – très apprécié du IIIe Reich. Rien de bon ne pouvait en sortir.
Avec un crachotement de moteur récalcitrant, le bus fantôme est venu se garer derrière le Chevalier. Lorsqu’il s’est immobilisé, le moteur s’est coupé dans un prout de fumée et le pare-choc avant s’est décroché. Pétrifiés de surprise, on a regardé la porte s’ouvrir et livrer passage à une vingtaine de squelettes.
À en juger par l’expression de l’Africaine, dont les yeux n’allaient pas tarder à lui sauter de la tête, ce qui se passait là n’avait rien d’habituel. Cela dit, il était difficile de déterminer si c’était les prouesses du Chevalier qui la désarçonnaient ou la dégaine des squelettes. Les types semblaient s’être armés dans une remise de jardin – l’un d’eux traînait une binette rouillée, un autre une pelle, un troisième une fourche… – et on les avait partiellement déguisés en touristes : casquettes, bérets ou chapeaux de paille sur le crâne, chemises hawaïennes en travers des épaules et sac-banane pendu aux fémurs. Le top de la classe. Dans le lot, j’en ai reconnu deux en particulier, parés aux couleurs de l’Italie et dont les tee-shirts disaient « I ♥ Firenze ».
— Ah ! Les frères Gepetto !
Sacha m’a décoché un regard consterné. Gepetto 1 tenait une paire de cisailles, mais il semblait incapable de l’actionner et se contentait de la secouer comme un hochet. Gepetto 2, lui, avait opté pour un râteau.
— C’est impossible, a murmuré l’Africaine. C’est de la nécromancie… Mais un esprit ne peut pas…
J’aurais bien voulu lui demander à quoi on avait affaire. Mon radar à fantôme me soufflait qu’il y avait de l’esprit là-dessous, mais les outils et les os paraissaient bigrement matériels. Je n’ai pas eu le loisir de poser mes petites questions : le Chevalier nous a pointés de sa lance et les squelettes se sont rués vers nous comme une volée de ménagères à l’ouverture des soldes. Morts, mais vifs. Et drôlement souples. Certains squelettes couraient en faisant décrire des tours complets à leurs jambes, façon Bip Bip. Leur tête rebondissait d’une épaule à l’autre et leurs mâchoires claquaient. Le tableau était à la fois comique et dérangeant.
Sacha a bondi vers la droite et s’est perchée sur la palissade, d’où elle s’est mise à tirer dans le tas. Moi, j’ai plongé vers la gauche, au pied des immeubles. Mieux valait encercler qu’être encerclé. L’Africaine ne s’est pas embarrassée d’un tel détour. Restée sur ses positions, elle a fait front et tranché quatre squelettes d’un coup : ils se sont effondrés comme des pantins désarticulés. Ça semblait bien engagé, mais alors qu’elle se taillait un chemin parmi les morts, certains squelettes tombés au combat se sont à nouveau animés et ont rampé pour venir lui agripper les chevilles.
— Il faut viser le crâne ! a alors hurlé Sacha. C’est là qu’est leur âme !
Autant parlé à un mur. L’Africaine a continué à moissonner les squelettes avec de grands gestes, sans se soucier de viser. De son côté, Sacha s’est obstinée à tirer. Ce qui devait arriver est arrivé. Une de ses balles à touché le bras de notre camarade, qui en a lâché son arme et rugit de douleur.
— Tu essayes de me tuer !
— C’est toi qui t’es jetée sur ma ligne de mire ! Dégage de là, tu me gênes !
L’Africaine lui aurait sûrement répondu d’aller se faire cuir un œuf si les squelettes ne s’étaient pas tous jeté sur elle. J’ai plié les genoux, armé ma faux et me suis propulsé à son secours. Le Chevalier noir a surgi devant moi.
J’ai juste eu le temps de m’abriter derrière ma faux. On s’est foncés dedans comme des auto-tamponneuses et le choc a failli me décrocher la mâchoire. Bien sûr, j’ai perdu le bras de fer. Malgré mon élan, j’ai été éjecté en arrière où j’ai roulé dans la poussière sur plusieurs mètres avant de m’échouer lamentablement sur le dos. J’ai cillé, désorienté. Déjà, la silhouette imprécise du Chevalier tombait du ciel, lance pointée vers le bas.
J’ai repris ma faux à deux mains et l’ai brandie au-dessus de moi. La lame en demi-lune a crocheté le manche de mon arme et la pointe effilée de la lance s’est arrêtée à quelques centimètres de ma poitrine. Mes bras tremblaient sous la pression. J’étais dans une très mauvaise posture. Le Chevalier a levé le pied pour m’écrabouiller le nez. J’ai lâché d’un côté et roulé de l’autre : sa lance a glissé contre le manche de ma faux et sa botte s’est abattue sur le sol en me frôlant la nuque.
Je me suis écarté vivement et relevé, faisant rouler mon arme sur mes omoplates avant de la ramener devant moi pour encaisser le nouvel assaut. Cette fois, j’ai envoyé la tête de la faux à la rencontre de sa lance et réussi à l’entraîner dans mon mouvement. Si j’ai cru tenir mon ouverture, je rêvais. Le Chevalier a chargé. J’ai titubé à reculons, entraîné par sa force de bulldozer. Mon dos a heurté la façade de l’immeuble.
Mes bras ont plié et les manches des deux armes se sont retrouvées en travers de ma gorge. Mes baskets ont décollé du sol et ma respiration s’est coupée. J’ai eu beau donner des coups de pied dans les flancs du Chevalier, essayer de le repousser, le type n’a pas bronché. J’allais mourir étouffé avec ma propre arme. Mais alors que la tête commençait à me tourner, j’ai soudain eu la sensation de m’enfoncer.
J’ai d’abord cru que le manque d’oxygène me jouait des tours, puis les fourmis qui couraient dans mon dos se sont répandues plus loin sous mon crâne et dans mon corps. Le mur s’est refermé sur moi comme de la pâte à modeler. Mes poumons ont brièvement cessé de fonctionner, comprimés. Tout est devenu noir ; des bruits de pas, de chaises qui raclent et de portes qui cognent ont vibré dans mes oreilles bouchées. Soudain, la pression s’est relâchée ; la lumière, les couleurs, l’air sont revenus et j’ai titubé en arrière.
Je me suis affalé sur un sol couvert de tapis, dans ce qui ressemblait à un salon ouvert sur une salle à manger où une famille prenait tranquillement le thé. Ils n’ont même pas tourné la tête, parfaitement inconscients de ma présence. Le Chevalier a émergé du mur à ma suite. Le souffle court, j’ai rampé entre le canapé et la table basse et me suis remis sur mes guibolles.
— On peut peut-être en discuter ?
D’un coup de pied, le Chevalier a envoyé la petite table se fracasser contre un buffet, faisant sursauter toute la famille. D’accord, pas de discussion. Hurlant, les occupants de l’appartement ont couru se réfugier dans l’angle de la pièce, bras sur la tête. J’ai grimacé. Si on croisait le fer ici, on allait les tuer, c’était sûr.
Le Chevalier a amorcé un pas. En désespoir de cause, j’ai tendu ma faux jusqu’à la théière, en ai crocheté la anse et lui ai balancé le tout à la figure en m’écriant :
— Prends au moins une tasse de thé !
Sans attendre de voir si j’avais fait mouche ou si le thé au jasmin était sa kryptonite, j’ai fait volte-face et me suis précipité dans la cuisine. J’ai aperçu la fenêtre. Pas le temps de ralentir pour traverser. Bras devant le visage, j’ai bondi en boule. La vitre a éclaté.
Je suis retombé dans une pluie de bris de verre, aux abords d’un square entouré d’immeubles. Les jeunes qui zonaient là se sont exclamés en arabe. Je me suis empressé de filer dans l’autre sens tandis qu’ils approchaient pour voir ce qui se passait. M’attendant à ce que le Chevalier me bondisse dessus d’une seconde à l’autre, je marchais à reculons, prêt à encaisser… Rien. Son temps était peut-être écoulé, comme le Cavalier sans tête ? Ou le thé l’avait bel et bien terrassé ? Je ne sentais plus sa présence.
J’allais abaisser ma garde quand mon dos a heurté quelque chose qui ne sonnait pas comme un mur. Du coin de l’œil, j’ai aperçu la silhouette noire, les épaulettes et le casque hérissés de pointes. Mon cœur a sursauté et moi avec. J’ai pivoté ; sa lance a fusé vers la tête de ma faux. Les deux armes se sont accrochées l’une à l’autre. D’un puissant moulinet, le Chevalier a envoyé la mienne voler, puis sa botte m’a cueilli en plein ventre. Mon estomac a failli rendre soda et brioche.
Je me suis écrasé sur le dos. Ma tête a heurté les pavés et un poids énorme s’est abattu sur mon sternum, expulsant le peu d’air qui restait dans mes poumons. Je voyais trente-six chandelles. Et derrière les petits points qui clignotaient comme des étoiles, le Chevalier. Il se dressait au-dessus de moi de la même façon qu’il s’était dressé au-dessus de Sam lorsqu’il avait rendu son dernier souffle.
Son pied faisait pression sur ma poitrine, m’écrasait. Mes côtes n’étaient pas loin de craquer. Je me suis débattu, j’ai essayé de pousser sa jambe, de la soulever, la griffer… rien à faire. Je n’arrivais pas à me dégager. Je manquais d’air et de force. Les vivants s’exclamaient de l’autre côté du square, sous la fenêtre que j’avais cassée, sans avoir aucune idée du combat que je menais. Le Chevalier a levé sa lance. Mon arme gisait à plusieurs mètres de là. En désespoir de cause, j’ai tendu le bras, usé de toute ma volonté pour la ramener à moi. La faux n’a pas bougé. La lance a piqué en sifflant et j’ai cessé de respirer.
L’arme s’est plantée à un centimètre de mon visage.
Mes muscles se sont ramollis comme un ballon qui se dégonfle. Je n’étais pas mort.
Pourquoi je n’étais pas mort ?
Le Chevalier a lâché sa lance qui est restée plantée dans le sol, puis s’est accroupi, le pied toujours appuyé sur ma poitrine. J’ai fixé la fente en V, sans discerner ses yeux, rien que l’obscurité. Si ce n’était pas ma mort qu’il voulait, alors quoi ? Le gant qui protégeait sa main droite s’est changé en fumerolles. D’un geste brusque, sa paume m’a grippé le front et ses doigts se sont enfoncés dans mon crâne. Littéralement.
Une douleur atroce m’a transpercé la tête et des tas d’images se sont mis à défiler devant mes yeux, comme des flashs. Ma renaissance, le visage farouche de Sacha, l’école, mon père qui cuisinait… mes rêves dans la peau de Sam, surtout. J’avais l’affreuse sensation que sa main touillait dans ma cervelle pour en démêler des bobines de souvenirs, avec une frénésie et une brutalité de plus en plus grande. J’ai essayé de lutter, mais ça ne faisait qu’accentuer la douleur.
J’ai vu ressurgir des moments de ma vie que je pensais avoir oubliés : je pédalais sur un tricycle jaune dans la cour de mes grands-parents, vers les bras tendus de ma mère ; je faisais un tour de moto, cramponné à mon oncle ; mon père me changeait la couche dans le salon de ma tante et je regardais ma cousine danser au milieu des adultes, devant le sapin de Noël… Dans la tempête d’images, de sons et de sensations, j’ai fini par percevoir une voix, qui grondait au creux de mon oreille.
« Où est-il ? Qu’est-ce que tu en as fait ? »
Les souvenirs tourbillonnaient de plus en plus vite. Quelqu’un hurlait. Ma tête n’allait pas tarder à exploser, c’était sûr. Soudain, tout s’est arrêté.
La présence sous mon crâne s’est retirée, en même temps que le poids sur ma poitrine. J’ai cillé, aspiré une grande bouffée d’air, la cervelle en feu. Au-dessus de moi, le Chevalier avait empoigné sa lance et reculait. On lui tirait dessus.
Luttant contre une furieuse envie de vomir, j’ai roulé sur le flanc et rampé. J’avais l’impression d’avoir enchaîné trois tours de Space Mountain. Sacha et l’Africaine ont atterri au milieu du square et sont venues se positionner entre moi et le Chevalier. La première a suspendu ses tirs et la deuxième s’est propulsée vers lui. Elle a fendu l’air de son khépesh, mais le bougre s’est volatilisé.
— Ça va ? a demandé Sacha en s’accroupissant à mes côtés. Tu hurlais comme un damné…
Ah ? Voilà qui expliquait la douleur dans ma gorge.
— Ça va, ai-je coassé, la voix cassée. Je crois.
Je me suis tâté la tête : pas de trous ni de fuite de sang ou de cervelle. Ouf.
— Et vous ? Les squelettes… ?
— Retournés à l’état d’ossements inanimés, a jeté l’Africaine.
Elle avait reculé pour se rapprocher de nous, mais restait sur ses gardes, balayant le square du regard, l’arme toujours brandie. Elle avait raison de se méfier. Ce type était plus furtif qu’un sous-marin.
— Tu nous crois, maintenant ? lui a lancé Sacha, pleine d’amertume.
Les yeux d’obsidienne de l’Africaine se sont plissés.
— Je vous crois quand vous dites qu’il y a un Chevalier et que ce n’est pas Thanatos, mais je ne vous fais pas confiance pour autant. Vous êtes peut-être de mèche avec lui… Pourquoi est-ce qu’il t’aurait protégé, sinon ? a-t-elle achevé en me regardant.
— Il cherchait quelque chose dans mes souvenirs.
Les deux filles ont froncé les sourcils.
— Vraiment ? Quoi donc ? Pourquoi faire ?
— Je… je sais pas, ai-je avoué, dépité par ma propre ignorance.
— Tss ! Et tu espères qu’on te fasse confiance ?
Là-dessus, le Chevalier noir a refait surface.
Les réflexes aussi aiguisés que son sabre, l’Africaine a dévié la lance qui piquait vers son ventre. Elle et le Chevalier sont partis dans un nouvel échange de coups endiablés. Sacha s’est écartée et a levé son revolver, guettant une ouverture. L’équilibre encore incertain, j’ai sprinté vers mon arme, dérapé à ses côtés et saisi le manche : aussitôt, les vertiges se sont estompés et un regain d’énergie m’a parcouru comme un courant électrique.
Plusieurs coups de feu ont retenti. J’ai relevé la tête, prêt à me joindre à l’effort collectif. Le Chevalier essuyait les tirs de Sacha et l’Africaine était sur le point de lui fendre le casque. Soudain, il a disparu et réapparu juste derrière elle.
Ils étaient dos à dos. J’ai crié « attention ! », Sacha a redirigé le canon de son arme, mais trop tard. Le Chevalier avait déjà piqué sa lance vers l’arrière. La pointe a traversé le flanc de l’Africaine. Elle s’est cambrée, puis a titubé en avant et s’est effondrée à genoux.
Ça va aller, me suis-je dit, il n’a pas touché son âme…
Mais ça n’allait pas. Elle s’est redressée, s’est retournée pour faire face au Chevalier, le pas chancelant, la main pressée sur l’abdomen. Elle a levé sa paume ; ses yeux se sont écarquillés et son visage a perdu le peu de couleur qui lui restaient. Ses doigts étaient couverts de sang.
Je comprenais au fond de moi que ça n’aurait pas dû arriver. Ça ne pouvait pas arriver. Les esprits et les armes des faucheurs ne blessaient pas la chair, seulement l’âme. La lance du Chevalier, pourtant, l’avait transpercée comme l’aurait fait une vraie lame.
L’Africaine a reculé devant le Chevalier. Son glaive tremblait au bout de son bras. Elle n’avait plus l’air d’un être immortel et surpuissant, mais d’une jeune femme terrifiée.
— Qu’est-ce que tu es… ? a-t-elle soufflé, l’air halluciné.
Alors, le Chevaier a répondu :
— La fin.
Le tonnerre a grondé. Je ne sais pas combien de temps on est restés là, paralysés.
— Je ne voulais pas en arriver là tout de suite, a dit le Chevalier, mais tant pis… les autres penseront que vous vous êtes entre-tués.
Il s'est tourné vers Sacha.
— Toi d’abord.
Elle s’est tassée contre la façade de l’immeuble, le revolver tressautant entre ses mains bleuies. Alors que le Chevalier amorçait un pas dans sa direction, j’ai bondi à ses côtés et brandi ma faux en rempart. Il a incliné la tête, comme surpris par ma réaction.
— On n’en a pas fini ! s’est écriée l’Africaine.
Ses yeux flamboyaient.
— Je suis Anubis, l’Ouvreur des chemins, le Maître du secret ! Azraël, l’ange de la mort ! Je foule cette terre depuis des millions d’années ! Qui que tu sois, quoi que tu sois, tu ne me fais pas peur !
Le teint livide, les dents serrées, elle a repris son khépesh à deux mains et foncé sur le Chevalier. Leurs armes se sont entrechoquées.
— Partez ! nous a-t-elle lancé. Il faut prévenir les autres !
Le Chevalier l’a repoussée et a fait tournoyer sa lance, manquant de décapiter la jeune femme. Les faucheurs avaient beau guérir vite, il me semblait impossible qu’elle l’emporte avec le sang qu’elle perdait. J’allais m’élancer pour l’aider quand Sacha m’a attrapé le bras.
— Elle a raison, faut qu’on se casse !
— Quoi ? Non !
— Si !
— Partez ! a insisté l’Africaine, qui parait tant bien que mal les coups de son assaillant.
Sacha a crocheté un bras autour de ma gorge et m’a tiré en arrière. J’ai eu beau protester, elle n’a rien voulu entendre. Elle m’a entraîné dans une allée et j’ai eu une ultime vision de l’Africaine, qui ripostait en hurlant, prête à se battre jusqu’à son dernier souffle.
La surprise de la fouille du cerveau et des souvenirs est extra ! J'ai cru que la scène se terminerait là quand le Chevalier noir ne trouve pas ce qu'il cherche, mais le sacrifice de l'Africaine a réussi à me surprendre une fois de plus ! Exaltant et implacable ! Bravo !
Au passage, j'ai relevé une petite coquille dans la phrase : "Profitant de l’élan, j’ai abattue ma faux de toutes mes forces." le participe passé ne s'accorde pas et "abattu" s'écrit sans e.
Alors si tu écris cette histoire pour te délasser d'un autre projet plus sérieux, j'en conclus que cet amusement est ton pouvoir secret ! On sent que tu te lâches, que tu oses tout et que tu y prends un sacré plaisir ! Et c'est communicatif ! Merci !
C’est clair que je prends énormément de plaisir à écrire cette histoire. Voir que des gens prennent autant de plaisir à la lire, c’est le top. Je me dis que l’histoire à peut-être ses chances d’être éditée… ? O.O À voir.
Merci pour ta lecture et ton commentaire, toujours très encourageant !
Je vais aller corriger cette vilaine faute d’accord.
A bientôt !
J’ai eu la trouille en croyant que c’était le dernier, mais heureusement, il me reste encore un chapitre.
C’est dément, ça s’enchaine et les infos tombent petits à petits. Je suis totalement accrocs et une chose est sure : tu peux tenter l’édition et quand ce sera le cas, ton livre trônera dans ma bibliothèque. C’est génial !
Ça se confirme de plus en plus, le chevalier noir est un faucheur : il y a les mêmes symboles sur sa lance et elle est noir. Je me suis vraiment demandé pourquoi il avait sauvé Enzo, et après quand il l’a attaqué, je ne comprenais plus rien. Ouf ! l’explication arrivait dans le même chapitre ! Apparemment, cela dit, il n’en veut qu’aux souvenirs d’Enzo… ça a un lien avec le fait qu’il était dans les derniers souvenirs des faucheurs morts ?
C’est quoi cette lance à double tranchant, qui touche l’âme et le corps ? L’arme des faucheurs est super importante pour eux, ils sont plus faibles quand ils en sont séparés, comme si elle contenait une partie de leurs âmes en plus d’y être lié. Alors, que le chevalier noir possède une telle arme, ce n’est pas anodin.
Ah l’arme du Chevalier est vraiment spéciale. Toutes tes questions finiront par trouver des réponses, bien sûr. En attendant, c’est cool de voir ce que les lecteurs relèvent ou pas, et les conclusions qu’ils tirent. J’ai vraiment hâte (et peur x’D) de voir comment les révélations seront accueillies… en espérant combler les attentes, et plus encore !
Je m'en vais vite répondre à ton dernier commentaireuh. <3
J'aime toujours autant la description précise des véhicules et les petits détails culturels un peu partout.
Ce chapitre est vraiment très axé sur le combat, avec peu de répit, ça m'a paru peut-être un poil long mais en y réfléchissant je ne vois pas trop ce que tu pourrais raccourcir, car toues les informations font sens : les squelettes qui servent à séparer Enzo du reste du groupe, le changement de lieu qui fait que les filles ne voient pas forcément ce qui se passe tout de suite mais arrivent juste au bon moment... le tout me paraît bien ficelé.
Il n'y a que deux choses qui m'ont fait un peu bizarre en lisant :
> La température a chuté de quelques degrés (...). Le ciel était devenu noir, orageux. Une couverture de brume est montée de la terre.
J'ai pas forcément compris l'utilisation de l'imparfait sur la phrase du milieu, car le changement de décor semble se dérouler très vite, donc si le ciel est devenu noir avant que la température ne chute, pourquoi ne pas juste les inverser ?
Et quand le Chevalier noir dit "mais tant pis" ça m'a un peu surprise, car c'est une expression qui colle à un langage quand même très courant, et je m'attendais à quelque chose d'un peu plus solennel. Je l'ai plus perçu comme un bug que comme un indice sur la personnalité du personnage, mais je me trompe peut-être.
On dirait que je suis bientôt à la fin 😱
Trop d’action hein. :/ Tout le monde a l’air de tomber d’accord là-dessus. L’ennui c’est que, comme tu le soulignes, chaque moment du combat a son utilité, du coup je sais pas comment je peux faire. Peut-être qu’en enlevant quelques phrases par-ci par-là, y aurait moins cette impression de « trop » ? Ou alors faut que je modifie complètement ce qui passe.
Je suis en train de tout relire en ce moment. Avec un peu de chance, avec le recule que j’ai maintenant, j’arriverais mieux à voir ce que je peux raccourcir/enlever/modifier. è.é
Pour la première phrase que tu as relevé, je me suis peut-être un peu emmêlé les saucisses avec les temps. ^^’ Je vais revoir ça.
Pour la deuxième phrase… si je confirme que c’est une erreur, ou si je dis que c’en est pas, ça en dirait trop sur le Chevalier. o.o Alors je ne vais rien dire. Mais corriger le potentiel bug.
T’as bientôt fini ce qui est dispo, ouais ! Mais j’ai presque fini la fournée de chapitres suivantes. (ça arrive bientôt, on y croit)
Merci pour ta lecture et pour toutes ces remarques ! Je vais faire de mon mieux pour rectifier tout ce que t’as pointé.
Bon. Y'en à qui se font un marathon d'épisode de séries, moi je me suis fait un marathon de faucheur d'âme =D
Je laisse un petit commentaire ici pour marquer la lecture ;)
Je n'ai pas grand chose à dire, si ce n'est que j'adore tes scènes d'actions. Elles sont fluides, réalistes, cohérentes et très visuelles. Ca fait vraiment plaisir !!
Eh bien merci ! ^^ Elles m'auront bien fait suer des fesses ces scènes d'action, alors tu m'en voies ravie si ça fait plaisir à lire ! J'espère que la suite te plaira tout autant.
Un gros merci pour ta lecture. !^w^
Pour tout te dire, au début du chapitre, je me suis demandé si ça ne commençait pas à faire beaucoup de combats d'affilée. Mais ensuite, il y a une petite pause et un changement quand le bus arrive et que les squelettes apparaissent (au passage, je me suis bidonnée quand Enzo parait tout content à l'idée de revoir les frères Gepetto !). L'apparition de ces nouveaux ennemis est chouette et d'ailleurs j'ai un peu regretté qu'on ne les voit pas plus. Est-ce que la suite du combat/pillage de souvenirs entre Enzo et le chevalier ne pourrait pas se faire sur le terrain de foot ? Comme ça, du coin de l'œil, Enzo pourrait suivre le dézingage des squelettes par les deux filles, non ?
Alors comme ça, le chevalier n'a pas pris tous les souvenirs de Sam ? Il lui en manque un ? Ca a l'air super important, mais il semble y renoncer assez facilement, pourtant, puisqu'il veut tuer Enzo à la fin du chapitre. Elle va mourir, l'Africaine ? Non parce que je l'aime, bien, moi, même si elle a un peu de mal à faire confiance à Enzo et Sacha.
En synthèse, je ne me suis pas ennuyée, mais j'ai quand même moins eu cette impression sublime d'ouvrir une pochette surprise comme à chacun de tes nouveaux chapitres. Ou alors, la même pochette que la semaine dernière. Du coup je me demande si quand même, ça ne fait pas BEAUCOUP de combats les uns à la suite des autres. Si c'était un autre type d'action (genre fuite ou course poursuite, par exemple) , ça ne me poserait aucun problème, mais là ça ressemble quand même pas mal au chapitre précédent. Est-ce que tu n'as pas moyen d'intercaler autre chose entre le combat contre l'Africaine et celui-ci ?
Enfin encore une fois, je chipote, hein, parce que c'est quand même très chouette. D'autant que je suis épatée par ta virtuosité sur les scènes d'action (mes personnages sont beaucoup trop bavards, ça les empêche d'agir...)
A très bientôt !
Bon, ton sentiment rejoint celui de Dan : beaucoup de combats. J’entends bien, je comprends que ça puisse faire trop. >.< Y aurait moyen de raccourcir un peu le combat. Je peux facilement enlever la petite course-poursuite sur les toits des immeubles et faire en sorte que le Chevalier invoque très vite les squelettes. Mais est-ce que ça suffirait à effacer cette impression de « trop de combat » ? Je ne sais pas. :/
Pour ce que tu suggères (que le Chevalier fouille les souvenirs d’Enzo en restant à proximité des autres), je comprends bien qu’on ait envie de voir plus du combat avec les squelettes. Le truc, c’est que le Chevalier fait exprès de séparer Enzo des deux autres et de l’éloigner, pour pouvoir fouiller ses souvenirs tranquillou. Il est vulnérable aux attaques quand il fait ça, c’est pour ça qu’il se donne la peine d’occuper les deux filles et d’éloigner Enzo. Ce serait moins malin/prudent de sa part de faire ça juste à côté en fait. Aussi, pour être honnête, je crois pas que ça apporterait quoi que ce soit de plus (si ce n’est de l’action) d’en montrer plus du combat avec les squelettes. Ce que je voulais montrer, c’est que les faucheurs n’arrivent pas à travailler ensemble. Je le fais dans les premières minutes du combat. Honnêtement, il se passe rien de bien différent dans la suite. ^^’
Du coup, je me creuse la soupière… Peut-être que je pourrais intercaler autre chose, mais quoi ? Telle est la question. X’D Je veux pas rajouter des péripéties juste pour combler les trous, faudrait que je réfléchisse à quelque chose qui ait un vrai intérêt pour l’intrigue et/ou les personnages… ou alors caser quelque chose que j’avais prévu plus tard ici, mais je sais pas si c’est possible. Faut que je me pose et que j’y réfléchisse à tout ça.
En tout cas, merci pour m’avoir fait part de ton ressenti !
Pour ce qui est de savoir si le Chevalier a pris tous les souvenirs de Sam, eh ben… eh ben je ne dirais rien. :p Mais le chapitre suivant devrait apporter un peu plus de pistes. Par contre, le Chevalier a pas dit qu’il allait tuer Enzo en particulier. Il menace Sacha et essaye de tuer l’Africaine, mais y a rien qui indique qu’il inclut Enzo quand il parle de les tuer. è.é
Encore un gros merci pour ta lecture et pour toutes tes remarques Isa !
Mais je pense que ton idée de supprimer la première scène de combat et de faire apparaître les squelettes tout de suite, ça pourrait déjà éviter l'impression de redondance.
"Par contre, le Chevalier a pas dit qu’il allait tuer Enzo en particulier. Il menace Sacha et essaye de tuer l’Africaine, mais y a rien qui indique qu’il inclut Enzo quand il parle de les tuer. è.é" : effectivement, en relisant, c'est vrai qu'on ne peut pas savoir. Pourtant, quand il dit "les autres penseront que vous vous êtes entre-tués.", pour moi ça concernait vraiment les trois faucheurs. D'autant que la terminaison en -és semble confirmer ça (mais comme les identités/genre des faucheurs qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux de leurs "enveloppes" actuelles, j'ai conscience que ça complique le truc).
Bref, je note qu'Enzo a peut-être droit à un traitement particulier ;)
Je pense que je vais déjà raccourcir la scène, et pour les chantiers plus gros, je vais attendre d'avoir fini d'écrire le tome 1. Comme je m'attends pas à ce que ce soit parfait du premier coup, je vais sûrement reprendre des trucs après avoir fini. Autant garder les gros points à reprendre pour ce moment là. è.é
C'est vrai que la confusion est légitime. Je pourrais accorder au féminin pour dissiper ça, mais... d'un autre côté, du point de vue d'Enzo non plus, les intentions du Chevalier sont pas très claires. Y a pas de raison qu'il soit absolument sûr qu'il parle que de Sacha et l'Africaine donc... Je vais peut-être laisser le mystère flotter. :p
❤