15. Du vin pour oublier.

Par Arod29

La forteresse de Waald surplombait le monde, un édifice majestueux qui s'élevait dans le ciel jusqu'à effleurer les nuages. Pour y accéder il fallait traverser un gigantesque pont de pierre. Le pont des géants qui devait son nom à ses batisseurs. Les grands hommes du Nord le construisirent pour permettre à leur amis humains d'atteindre l'ile de Waald. Ils descendirent des blocs de pierre des Montagnes du Nord. Des décennies furent nécessaires.

Une vieux poème rendaient hommage à ces géants. Les conteurs aimaient à le déclamer l'hiver au coin de l'âtre.

 

Dans les montagnes du Nord, sous le ciel étoilé,

Là où les vents glacés jamais ne cesseront de souffler,

Les géants marchaient, fiers et hauts comme les cieux,

Leurs pas résonnaient, échos des temps anciens et glorieux.

 

Ô, géants du Nord, gardiens des pics enneigés,

Vos ombres s’étendent, sur les vallées argentées,

Sous la lueur des étoiles, vos légendes perdurent,

Dans les cœurs des braves, vos voix murmurent.

 

Leurs voix, tonnerre dans la nuit, chantaient des chants d’antan,

Des ballades de batailles, de paix et de printemps,

Leurs mains sculptaient la terre, créant des merveilles sans fin,

Des citadelles de glace, des ponts vers les destins.

 

Ô, géants du Nord, gardiens des pics enneigés,

Vos ombres s’étendent, sur les vallées argentées,

Sous la lueur des étoiles, vos légendes perdurent,

Dans les cœurs des braves, vos voix murmurent.

Le défunt roi Gus aimait se promener à l'aube, à l'heure où les langues de brumes léchaient les murs et enveloppaient de mystère la grande esplanade du château. A petit pas il traversait l'immense place. Il saluait toujours les gardes qui terminaient leur ronde matinale puis il s'approchait du bord du monde et laissait son imagination l'emporter vers des contrées lointaines. Parfois Brise attendait assise. Ils ne se parlaient pas mais ils restaient ainsi à contempler le soleil qui lentement prenait sa place. Le royaume ne serait dorénavant plus comme avant.

Lylly faisait les cents pas dans la salle de réception sans trône, elle alternait entre la colère et le désespoir. A cet instant c'était la fureur qui l'animait. Elle parlait à voix haute.

— J'aurai sa peau à cette trainée!

— Alors nous l'aurons ensemble ma Reine!

La souveraine fit volte face.

— Qui me parle?

Un homme barbu aux longs cheveux gris au regard à la fois déterminé et mélancolique et une jeune femme aux cheveux courts blonds presque blanc s'avançaient vers elle, accompagné de Hewvin.

— Je m'appelle Loup et voici Iria une amie. Nous vous présentons toutes nos condoléances pour la perte de votre époux.

Loup et Iria s'inclinèrent.

La reine se rassénéra.

— Et je les accepte. Veuillez vous approcher. Je vous sers du vin.

Sans attendre de réponse, Lylly se saisit d'une carafe argentée et remplit trois verres.

Ils déclinèrent d'un signe de la main.

— Et bien je les boirais! J'en ai bien besoin.

La reine joignit le geste à la parole et déversa l'alcool dans son gosier comme si c'était de l'eau. Elle posa le verre bruyamment sur la table.

— Alors pourquoi voulez vous tuer Alzebal?

— Pour faire court il y a dix ans elle a fait tuer ma femme et ma petite fille. Il y a trente ans elle a tué mon père et si ce n'est pas suffisant, elle m'a enfermé et torturé pendant dix ans dans les Geôles de la Putrescence. 

Lylly leva les yeux le plafond.

— Les Geôles de la Putrescence. Je croyais que cette prison était une légende.

—Je vous assure que non.

La souveraine jaugea du regard ses invités. 

— Alors je vous laisserai asséner le dernier coup mon ami. Sois le bienvenu Loup. Toi aussi Iria.

C'est une femme d'une grande bienveillance Loup. Je le sens.

Je sais Iria.

— J'irais droit au but Monseigneur. Le temps nous est compté. Vous ne résisterez pas seul bien longtemps. Nous avons appris la mort de la reine Ellène. Son royaume a sombré. Mon fils Arcis monte une armée mais nous ne sommes pas assez nombreux, nous implorons votre aide et celle du dragon.

— Quels sont vos plans?

— Nous allons proposer à Alzebal une bataille qui décidera du sort de Milsden.

Lylly but un autre verre cul sec.

— Vous savez le plus drôle que je n'ai jamais bu une goutte d'alcool de toute ma vie, Gus prenait ma part. Mon aide vous l'avez. En ce qui concerne Brise, c'est plus compliqué. Elle est anéantie par la perte de son roi et son amie Zéphire. Elle se laisse mourir.

— Menez nous à elle.

La reine hocha la tête.

— Non non non non. C'est impossible. Imaginez un instant que le même jour vous perdiez deux amies fidèles.

Le regard de Loup se perdit dans l'océan agité de ses funestes souvenirs.

— J'imagine sans mal. J'ai perdu ma petite fille et ma femme le même jour.

Lylly regarda Loup avec compassion.

— Mon ami, je ne peux que ressentir la moitié de votre souffrance car moi même je vis ce que vous avez vécu mais vous ne les avez pas tués. Brise a tué Gus, c'était certes un accident et je ne peux lui en vouloir mais imaginez son sentiment de culpabilité.

— Je connais ce sentiment car je vis avec depuis dix ans. Ma femme et ma fille sont mortes par ma faute.

C'est faux. Comment tu peux dire ça!

Les mots d'Iria résonnèrent dans son esprit et la sensation fut désagréable.

Loup se retourna vers la jeune femme.

— Je serais toujours en partie coupable Iria.

La reine resta un instant sans rien dire.

— Veuillez me pardonner, peut-être que mes oreilles me trahissent mais pourquoi répondez vous à une question qu'elle n'a même pas posé.

Loup soupira.

— Iria a le pouvoir de lire dans les pensées.

Lylly se mit à rire.

— Vous êtes plein de surprises! Et donc cette jeune femme peut lire dans mes pensées.

— Oui mais elle ne le fera pas.

— Laissez nous la voir. Peut-être pouvons nous la convaincre.

La reine Lylly déambula en grommelant.

— Votre Altesse?

— Suivez moi!

La souveraine quitta la pièce presque en courant. Loup et Iria la suivirent dans les dédales du château de Wald. L'histoire du royaume se livrait sur les nombreuses tapisseries.  Les dragons étaient au cœur de leur vie. Sans eux rien n'aurait perduré ici. 

A l'extérieur, ils se dirigèrent vers les écuries. De nombreux chevaux se reposaient paisiblement.

— Choisissez un cheval et suivez moi. Hewvin reste ici, remplace moi pendant mon absence.

Ils galopèrent à travers les bois de Waald. La lumière perdait de son intensité, le soir déployait ses bras obscurs.

Lylly leva la main. Les chevaux marchèrent aux pas.

— Pas de bruit.

Lentement, ils débouchèrent sur une clairière majestueuse. Un lac aux reflets jaunes se reposait loin du tumulte de la guerre. Des montagnes escarpées s'élevaient tout autour et allongée devant la berge, la dragonne Brise. Loup et Iria restèrent bouche bée devant le mélange de beauté et de bestialité de l'animal.

— La première fois c'est toujours ainsi, murmura Lylly devinant leurs pensées.

La dragonne semblait épuisée, elle respirait faiblement. Sa tête gigantesque, hérissée d'épines acérées, était fascinante. Des reflets bleus étincelaient sur ses ailes, repliées sur ses flans. 

Lylly s'agenouilla devant Brise. Les yeux de la dragonne fixèrent les nouveaux venus.

Elle posa une main sur son museau, elle eut un léger soubresaut.

— Ce sont des amis Brise.

Elle souffre.

— Qui a dit ça?

— C'est Iria qui vous parle. Elle est muette mais ce n'est pas ce qui l'empêche d'être bavarde.

Elle ne souffre pas physiquement mais moralement. Elle se sent coupable. Elle attend la mort.

— Brise nous avons besoin de toi.

Lylly lui caressa le museau.

La dragonne leva la tête un instant sembla reprendre vie mais ce n'était qu'un soubresaut.

Les épaules de la reine s'afaissèrent et son visage exprima une profonde tristesse.

— N'insistons pas. Laissons là. Partons.

Loup revint à la charge.

— Pardonnez moi d'insister.

La reine leva la main.

— Brise est mon amie et je respecte son choix.

Lylly s'approcha de la dragonne et lui caressa le front.

— Je suis tellement désolé Brise. Ce n'était pas ta faute. Je ne t'en veux pas.

La dragonne ferma les yeux.

— Reine Lylly. Si cette créature est votre amie, ne la laissez pas mourir.

—Ecoutez Loup. Vous êtes un homme d'une grande bonté, votre regard ne trompe pas mais votre intérêt n'est pas là où est le mien. Vous considérez Brise comme une arme. Les dragons sont beaucoup plus que ça.

Loup fit un signe à Iria. 

Brise je m'appelle Iria. Je sais que tu souffres mais nous avons besoin de toi. Fais que Gus et Zéphire ne soient pas morts en vain.

Laisse moi petite fille. Je ne suis que mort et chaos. Je ne mérite pas la vie.

La jeune femme se tourna vers Loup et fit non de la tête.

Elle est perdue. 

Quand Brise rouvrit les yeux, les visiteurs avait disparu la laissant seule avec son désespoir.

La reine, Loup, Iria rentrèrent au chateau dans la nuit. Lylly invita ses hôtes à partager un diner.

La souveraine vida plusieurs verres de vins. Elle but plus qu'elle ne mangea. Loup se permit de lui parler franchement.

— L'alccol est un piètre remède au chagrin ma reine.

— Je le sais mais en cet instant, je n'ai que cela.

— Si je peux me permettre. Nous avons un objectif sur lequel il faut nous concentrer.

— Vous pouvez vous permettre mon ami mais il n'est pas dit que je vous écoute.

Le sourire de Lylly illumina la pièce.

— Vous êtes très déstabilisante.

— Je prendrais cela comme un compliment. Un drôle de compliment mais un compliment quand même.

— Que pensez vous d'un délai de trois mois pour nous préparer?

— Mon peuple est prêt depuis de longs mois, nous repoussons les assauts de cette mégère depuis si longtemps. Nous avons accueilli de nombreux habitants de Timred.

— Il nous reste à trouver l'endroit où cette bataille aurait lieu.

— Il faut d'abord qu'Alzebal accepte.

— Elle acceptera.

— Vous paraissez si sûr de vous.

— Détrompez vous. Ce n'est pas de la certidude. C'est de l'optimisme forcené.

— Si pour vous être optimiste c'est espérer la guerre. Je n'ose vous imaginer pessimiste.

— Vous marquez un point. Ce que je veux dire c'est que cette bataille pourrait signifier la fin d'Alzebal. 

— Ou notre propre fin.

— Je préfère mon optimiste.

Iria changea de sujet, une question la taraudait depuis son entrée dans le chateau.

Reine Lylly, pourquoi n'y a t-il pas de trône ici?

Lylly eut un sourire emprunt de nostalgie.

Le cirque du pouvoir, voilà comment  mon défunt mari définissait la royauté. Il ne croyait pas qu'un homme ou une femme, sous prétexte qu'il était bien né, devait se permettre de dire, à celles et ceux qui n'avaient pas eu cette chance, ce qu'il devait penser ou faire. Il croyait à l'égalité.

Il avait l'air d'être un homme de bien.

Il l'était et têtu comme une bourrique mais je l'aimais plus que tout. 

La reine se tourna vers Loup.

— Ne vous inquiétez pas. Le jour fatidique je serais prête.

— Je n'en doute pas une seconde. De votre côté, pouvez vous contacter vos amis et les convaincre de se joindre à nous.

— Je ne vous garantis rien. La plupart des amis du royaume l'était grâce à Gus. Maintenant qu'il n'est plus là. Je ne suis pas certain qu'ils veuillent discuter avec une simple femme, toute reine qu'elle soit.

— Essayez! Vous pourriez être surprise.

— Je le ferais.

— Parfait. Reine Lylly je vous remercie pour ce merveilleux repas mais nous allons partir.

— Lylly. Juste Lylly. Il fait nuit. Nous voulez vous donc pas dormir ici?

— Mille mercis Lylly mais nous avons de la route et la nuit nous sommes plus discrets.

Merci beaucoup ma reine. 

— C'est Lylly pour vous ici jeune femme. C'était un plaisir Iria.

Les deux invités du royaume de Waald prirent congés de la Reine. Hewvin les raccompagna. 

— Vous avez de la chance d'avoir une telle souveraine.

— Je le sais. N'hésitez pas à nous envoyer des combattants sans expérience. Nous les formeront. 

— Merci beaucoup Hewvin.

Les deux hommes se serrèrent la main puis le fidèle lieutenant de la reine regarda Iria.

— Au revoir gente Damoiselle.

A bientôt Hewvin.

Les deux compagnons récupérèrent leurs chevaux et partirent au galop dans la nuit profonde.

 

 

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