16 Action en Afrique

Notes de l’auteur : ATTENTION : VIOLENCE CRUE.
Deuxième partie du chapitre "Salamata", il développe un côté cynique et violent qui peut dérouter.
Attention, je suis contre la violence ; les personnages sont des PERSONNAGES. Ce chapitre me permet de développer "le côté sombre" des héros, sans merci.
Comme le précédent, il est assez condensé, et je m'en excuse.

   Salamata croisa ses bras, posant ses fesses contre l’évier, admirant vraisemblablement Rose.

   — Tu as dis me connaître, lui répondit cette dernière. D’où me connais-tu exactement ?

   Salamata ne répondit pas mais pointa du doigt une photo sur le mur ; dessus, il y avait une guerrière à la peau noire, et… Rose.

   — Oh ! Tu es de la famille de Joséphine ?

   — Non, pas de sa famille, répondit-elle ; mais dans mon village, c’était une légende. Elle avait ramené l’ordre et la paix. Quand j’ai découvert mes pouvoirs, j’ai voulu suivre son flambeau.

   — Mais Joséphine était congolaise ?

   — Je le suis aussi. Par ma mère. Mais mon père est originaire d’ici. Joséphine est mon modèle. Avec l’AHC, ils avaient construit quelques bunkers, dont celui-ci.

   Salamata fit un regard circulaire, observant chaque pièce de la base avec dévotion. L’ombre d’une éducation militaire se lisait dans sa tenue, qu’elle se forçait d’assouplir.

   — Joséphine nous parlait beaucoup de toi, reprit-elle. L’immortelle Rose. La légendaire. C’est parce que je t’ai reconnu que je n’ai pas découpé ton ami.

   Rachid la remercia en joignant ses paumes de main et en se baissant à la japonaise.

   — Il t’en aurait fallu beaucoup, lui déclara Rose. Il a des pouvoirs comme toi.

   Salamata s’épongea la tête avec une serviette.

   — C’est-à-dire ?

   — Je suis super résistant, lui indiqua Rachid. Moi aussi j’ai touché un météore.

   La fille ouvrit de grands yeux.

   — Un météore ? Comment savez-vous ?

   — C’est comme ça que l’on obtient nos pouvoirs, lui indiqua Rose. Pour Joséphine aussi c’était le cas. Elle ne t’en a jamais parlé ?

   Salamata fit non de la tête.

   — Elle nous parlait rarement de cela. Elle préférait voir l’avenir plutôt que ressasser le passé.

   Salamata pianota l’évier avec ses mains, bouillonnante de curiosité.

   — Alors toi aussi Rose tu… ?

   — Non, pas moi ; moi c’est légèrement plus compliqué ; je ne vais pas te faire un cours, nous ne sommes pas venus pour cela.

   Salamata hocha la tête. Elle se retourna, prit des bocaux remplis de formol qu’elle posa sur l’évier, et ouvrit son sac. Sans qu’ils ne voient ce que c’était, elle mit des choses dans les bocaux de formol. Elle les plaça dans l’évier de sorte qu’on ne puisse pas voir ce qu’il y avait dedans.

   — Au fait, voulez-vous une bière ? J’ai soif.

   — Pas de refus, répondit Rachid avec un réel bonheur.

   Salamata partit dans une pièce derrière, et Rose et Rachid observèrent celle où ils étaient ; Rachid remarqua alors d’autres bocaux remplis de formol, avec de drôles de formes dedans, comme des concombres de mer, parfois noirs, parfois blancs. Salamata revint alors dans la pièce avec trois bières, qu’elle décapsula et tendit à ses invités.

   — Alors, demanda Rose, qu’est ce que tu fais ici ?

   Salamata but une gorgée avant de répondre. Elle s’était assise sur le plan de travail, les jambes se balançant dans le vide.

   — Vous devez le savoir non ? Sinon vous ne seriez pas venus là.

   — J’aimerai entendre ta version à toi.

   Salamata la regarda d’un air songeur, mais ne tarda pas à lui dire toute la vérité.

   — Il y a des groupuscules ici ; plus où moins sectaires. Plus où moins terroristes. Après ce qu’ils pensent, je m’en cogne. Le problème, c’est que ces groupes persécutent les villages qui ne pensent et ne croient pas comme eux ; pire, ils enlèvent les filles pour les prendre où les vendre comme esclaves, et en général, dans le sens sexuel du terme. Alors on va dire que moi, je remets un peu d’ordre.

   — J’ai vu ça, répondit Rose sans sourciller ; joli travail quand on voit tout les cadavres. Tu ne penses pas aux représailles ?

   Salamata haussa les épaules.

   — En général, je leur fous tellement la frousse qu’ils ne reviennent jamais. J’ai deux trois techniques qui les perturbent assez radicalement.

   — Les bocaux, déclara Rose qui avait deviné.

   — Oui les bocaux.

   — Qu’est ce qu’il y a dedans ? demanda Rachid interloqué.

   Salamata sauta du plan de travail, et sortit quelques petits bocaux de l’évier, qu’elle venait de refermer. A l’intérieur, de petits morceaux de chair flottaient.

   — Si tu voles quelqu’un d’innocent, je te coupe un doigt ; si tu tapes quelqu’un d’innocent, je te coupe la main ; si tu insultes, cris, ordonnes des actes horribles à une tierce personne, je te coupe la langue. Enfin, si tu violes quelqu’un…

   Les bocaux contenant des « concombres de mer » prirent alors un autre sens, et Rachid retint un haut le cœur très violent.

   — Mais ça va pas ! dit-il quand il réussi enfin à contenir son estomac. Pourquoi tu les gardes dans du formol ?

   — Elle les rejette par-dessus les murets avant d’attaquer un camp, lui répondit Rose. Cette tactique date du début des temps. Plutôt dissuasive.

   — C’est exact, répondit Salamata avec un sourire en coin. Technique vieille mais plutôt efficace.

   — Tu m’étonnes, dit Rachid en tenant toujours son poignet devant sa bouche.

   Salamata rangea son bocal, détacha ses longs cheveux en tresses, puis retira sa paire de baskets éventrées qu’elle balança dans un coin où il y avait une dizaines d’autres dans le même état. A côté de ces paires usées, il y avait, sur une étagère, une pile de boite de baskets neuves.

   — Et vous, pourquoi vous êtes là ? demanda Salamata qui rangeait ses affaires. J’imagine que ce n’est pas que pour me rencontrer.

   — Non, répondit Rose avec du sérieux. Tu as activé la balise.

   Salamata s’adossa sur un des meubles et les regarda interloquée.

   — Attendez. La balise ?

   — Oui la balise.

   — Quelle balise ?

   Rose la regarda d’un air songeur.

   — C’est une sorte de boite cylindrique avec un gros bouton vert. Joséphine en avait une dans son village aussi. C’est grâce à cela que nous sommes venus ici précisément.

   Salamata garda sa moue interrogative, ajoutant même une main penseuse sous son menton. Rose fronça le regard, à son tour interloquée.

   — Tu ne l’as pas activé ?

   — Nope, répondit simplement Salamata.

   C’était étrange. Non seulement les balises n’étaient pas connus de tous, mais en plus, seul quelqu’un qui avait un « don » pouvait les activer. Il y aurait quelqu’un d’autre ? Cela paraissait peu probable.

   — Bon, l’essentiel c’est que nous t’ayons retrouvé, reprit Rose. On voudrait réunir tout les gens comme nous. Je voudrais que tu nous rejoignes.

   Salamata se braqua.

   — Je suis désolée, Rose, dit-elle avec plein d’amertume ; mais les gens ici ont besoin de moi. Je ne partirais pas.

   Rose se leva et fit quelques pas vers elle.

   — Je comprends ta situation, Salamata, mais je vais avoir besoin de toi. D’autres personnes risquent d’avoir besoin de notre aide très prochainement.

   — Ici, continua Salamata en pesant chacun de ses mots, la population n’a que moi. Je ne peux pas partir.

   Rose soupira. Elle s’approcha de son sac et en sortit le dossier jaune, qu’elle lui tendit. Salamata le regarda brièvement.

   — Qu’est ce que c’est ?

   — L’argumentaire pour que tu viennes nous rejoindre. Je comprends ton combat, et tu n’es pas obligée de nous rejoindre tout de suite. Mais j’aimerais quand même que tu jettes un œil là-dessus.

   Salamata attrapa du bout des doigts le dossier, comme s’il s’agissait de quelque chose de toxique, puis tourna les premières pages, lisant en diagonales quelques titres.

   — Je veux bien lire ça, ce soir, mais avant, je dois prendre une douche. Et je ne te promets rien. Mon devoir est ici.

   Rose hocha la tête. Salamata en fut reconnaissante, et s’apaisa, relâchant ses épaules musclées.

   — Il y a plusieurs salles de bain dans le bunker, vous pouvez les utiliser comme vous le voulez, leur dit-elle d’un ton plus doux.

   Ils ne se firent pas prier, et prirent chacun une bonne douche revigorante, avant d’attendre Salamata, assis dans les canapés dans la grande salle du bunker.

   Salamata revint propre quelques minutes plus tard, habillée d’un débardeur simple et d’un short noir. Rose l’observa plus longuement, maintenant qu’elle n’était plus camouflée par la crasse ; la peau foncée, les lèvres pulpeuses, elle était grande, environ 1m75 ; très athlétique, avec un buste haut et développé et des cuisses puissantes ; elle avait le crâne rasé sur les côtés, et ses longs cheveux tressés au dessus tombaient jusqu’en bas du dos. Son débardeur laissait apparaître des abdominaux saillants.

   Salamata reprit le dossier, s’assit dans un fauteuil près d’eux et commença à le lire sans rien dire. Elle s’ouvrit une deuxième bière, et le son de la capsule fut la seule chose qu’on entendit pendant une heure. Rachid se reposait, Rose commençant elle-même à somnoler.

   — Ce signe !

   Rose sursauta.

   — Ce signe là !

   Salamata montra un sigle en forme de sphère rouge, avec un ibis en son centre. 

   — Je l’ai déjà vu. Quand j’observais certains camps. Ils emmenaient des filles. Des camions avec ce signe emmenaient des filles !

   — Vraiment ? demanda Rose qui clignait des yeux par le réveil forcé.

   — Vraiment.

   Rose se rapprocha d’elle, et lut par-dessus son épaule. Salamata resta silencieuse un moment, son regard devenant peu à peu morne. Enfin, elle ferma le dernier chapitre, affalée dans son fauteuil, le torse bas.

   — Quand je vois ce qu’il y a dans ce dossier… Tout est vrai ?

   — 95% sûr, répondit Rose d’un ton las.

   Salamata se mit à réfléchir en observant une carte sur le mur.

   — Effectivement, il se pourrait que nous ayons un but commun.

   Rose eut un sourire de satisfaction.

   — Tu veux bien nous rejoindre alors ?

   Salamata se leva, et regarda au fond de la pièce, comme si elle pouvait voir l’horizon à travers les murs. Elle avait le visage dur.

   — Peut-être que je vous rejoindrai, je dois y réfléchir. Je veux d’abord terminer ce que j’ai à faire.

   Rose hocha la tête. Elle s’en contenta. Elle savait qu’elle venait d’obtenir une nouvelle recrue. Il lui suffisait désormais de lui laisser un peu de temps pour digérer l’information.

 

   Au repas du soir, les fourchettes raclaient le fond des assiettes de saucisse lentille avec enthousiasme. Ils n’avaient pas reparlé du dossier.

   — Dis-moi Salamata, demanda Rose en piquant une saucisse du bout de sa fourchette, quels sont tes capacités exactement ?

   — Je suis extrêmement rapide, répondit cette dernière en avalant. Plus qu’une voiture, et mes reflexes sont incroyables.

   Rose mâcha sa saucisse, pensive.

   — Tu as gardé le météore qui t’as accordé ce pouvoir ? demanda-elle en avalant.

   — Euh… oui, répondit-elle en posant sa fourchette. Pourquoi ? Il ne fonctionne plus.

   — Je sais. Les météores ne donnent du pouvoir qu’une seule fois. Ce n’est pas ce que je recherche. Je voudrais juste en prendre un échantillon. Si cela ne te dérange pas. Sa composition nous permettrait de mieux comprendre ton pouvoir.

   — Ah ? s’étonna Salamata. Dans ce cas, d’accord.

   Salamata partit dans une petit pièce, et revint avec le météore ; rond, de la taille d’un ballon de handball, il avait des reflets chromés ; sa densité était imposante. Rose gratta à l’aide d’un petit scalpel en diamant la surface, et récupéra de la poussière dans un petit tube à essai stérile, qu’elle bouchonna, et entoura de scotch, afin de s’assurer que rien ne s’échappe.

   — De quelle couleur était-il quand tu l’as trouvé ?

   — Il avait des reflets orange, répondit-elle. Ça a une importance ?

   — Oui ça en a une.

   — Laquelle ?

   — Chaque météore donne un pouvoir propre. Mais on peut les catégoriser en famille. La composition et la couleur sont liées.

   — Moi par exemple, reprit Rachid, le mien était noir, et de type « ferreux ».

   — Vous avez l’air d’en connaitre un rayon dessus.

   — Si tu nous rejoins, reprit Rose, on t’en apprendra encore d’avantage.

   Salamata soupira, et baissa les yeux. Elle y avait réfléchit. Elle devait libérer la région, mais quand elle aurait finit, qu’allait-elle faire ? En apprendre plus sur ses capacités serait une bonne chose.

   — Aidez-moi à libérer un camp demain, finit-elle par dire, et je vous aiderais. Et plus vite j’aurais débarrassé ce territoire de la vermine, plus vite je vous rejoindrais.

   Rose sourit, mais déclina.

   — Nous ne pouvons pas nous mêler de conflits qui ne nous concernent pas, nous…

   Rachid l’arrêta, posant une main sur son poignet.

   — Rose, je ne pense pas que quiconque viendra faire le ménage ici. Plusieurs personnes nous l’ont dit, les autorités ne se préoccupent en rien de cette zone. Personne n’en saura jamais rien. Et puis, un peu d’action ne nous fera pas de mal.

   Il lui sourit, tentant de la convaincre. Si c’était le moyen de récupérer Salamata… Rose lâcha prise. Il avait raison. Un peu d’action ne ferait pas de mal.

   — Ok, répondit-elle. Mais cela doit rester entre nous, pas un mot à quiconque. D’accord ?

   Rachid hocha la tête, suivit de Salamata.

   Aux premières heures du matin, la nouvelle petite équipe se prépara. Salamata leur prêta des armures de fortunes, et de quoi cacher leur visage. Dans la salle d’arme, Rachid opta pour une masse malienne ; Rose trouva son bonheur avec une épée courte et tranchante à souhait.

   Ils chargèrent la voiture de différentes provisions. Rachid conduisit sur la piste, tandis que Salamata et Rose discutait à l’arrière du véhicule. Salamata avait le poignet posé sur une grosse chaîne hifi qu’elle avait emmené.

   — Apocalypse Now ? demanda Rose.

   Salamata hocha la tête.

   — Toutes les techniques sont bonnes, répondit-elle en ouvrant les bras. Et celle-ci à le dont de me faire rire. Dès les premières notes, ils se mettent à paniquer.

   — Tu as réussi à trouver du Wagner en cassette ?

   Salamata rigola de toutes ses dents blanches.

   — Non ! Grand dieu non, c’est impossible à trouver ici. Mais j’ai beaucoup mieux. Je te laisse la surprise.

   Salamata souriait. Rose retrouvait en elle l’insouciance d’une jeunesse qu’elle avait elle-même eut. Il allait falloir la brider. Pas aujourd’hui, mais le cynisme de Salamata pourrait devenir dangereux.

   Sur le chemin, ils passèrent plusieurs camps où Salamata avait déjà fait le ménage. Désordre et chaos parsemait la route et les enceintes, des corps de fanatiques pourrissant dans les caniveaux, certain à moitié croqué par des charognards. Un vrai spectacle de guerre ; difficile de croire qu’une seule personne en était à l’origine. Ils arrivèrent enfin près d’un camp où quelques jours avant, Salamata avait rejeté par-dessus les murets ses « cadeaux » conservés dans du formol. On ressentait une certaine tension dans la zone ; allongée et campée derrière des jumelles, l’équipe observait les gardes postés l’unique porte qui était ouvert sur les quatre que comptait le camp ; les sbires regardaient autour d’eux toutes les deux secondes, les fusils d’assaut tremblants au bout de leurs bras. Aucun garde ne faisait de ronde ; tous se pensaient mieux protégés au sein de la muraille en argile.

   Salamata observa le cœur du camp, où d’autres soldats armés gardaient des cages en fer où s’entassaient des prisonniers. Quelques gardes entassaient des affaires, indiquant un départ proche. La guerrière à la longue tresse serra les dents.

   — Bon, on va devoir agir vite. Je vais passer devant pour éliminer les gardes à l’entrée, vous me rejoignez à votre rythme.

   Rose et Rachid hochèrent la tête. Salamata se releva de toute sa hauteur, de sorte qu’au loin, on puisse la voir. Elle tata les poignées de ses deux dagues courbes attachées à son ceinturon, et prit la chaîne hifi sur l’épaule. Elle fit un pas en avant et tourna la tête vers Rachid et Rose qui se relevaient à leur tour.

   — Surtout, rappelez vous que ce sont des trafiquants d’êtres humains, des esclavagistes sexuels ; n’ayez aucune pitié envers eux, et surtout, surtout, protégez coûte que coûte les innocents.

   Salamata bondit et courra vers l’enceinte, soulevant un nuage de poussière sur son passage. Sa vitesse était fulgurante. Elle arriva en quelques secondes au coin de la base, cachée par son propre nuage de poussière. Les gardes, nerveux, observèrent ce qu’ils pensaient être un coup de vent, les armes braquées tout de même dans sa direction.

   Toujours cachée dans son tourbillon de sable, Salamata posa la radio, attrapa ses deux dagues qu’elle tenait à l’envers, puis démarra le poste.

   Love is all.

   Rose ne put s’empêcher d’esquisser un rictus. Salamata avait le sens de l’ironie !

   Un vent de panique résonna aux premières notes de la chanson, et les gardes postés à l’entrée tirèrent à l’aveuglette vers le nuage de poussière. D’autres sortirent en courant, les armes en l’air, pour fuir.

   Tous furent les premières victimes de Salamata.

   En un éclair, elle se dirigea vers le garde le plus proche, qui ne la vit même pas arriver ; il lâcha son arme, porta ses mains à sa gorge, qui se maculèrent de liquide rouge. Le flot ne pouvait être contenu, et le sang s’échappa à un mètre devant lui, aspergeant un de ses compatriotes. Les gardes à côtés s’étaient arrêtés, observant avec horreur l’agonie du premier. Puis le deuxième, le troisième et le quatrième portèrent eux aussi leurs mains à leurs gorges, tombant l’un après l’autre. Salamata laissa retomber peu à peu le nuage de poussière, attendant Rose et Rachid, puis repartit comme une bombe dans l’enceinte du camp.

   Quand ils arrivèrent à la porte, tout ce qu’ils virent, pendant un laps de temps d’une seconde, se fut des gerbes de sang en suspension, qui s’échappaient de trois cous en même temps, à plusieurs mètres de distance. Salamata passait à travers les balles avec aisances, et les terroristes, dans la panique, se tiraient même dessus. Tout autour d’elle devenait chaos, l’aidant confortablement dans sa tâche. Le spectacle était si saisissant que Rose et Rachid restèrent un moment cloués à l’entrée, voyant un à un les fanatiques tomber. Bientôt, une grande partie d’entre eux fuirent la face nord, où Salamata semait la désolation, Rose partit cueillir ceux qui tentaient de s’enfuir à l’ouest, tandis que Rachid lui partit vers l’est.

   Rose grimpa sur le mur, gardant en visuel trois hommes qui courraient vers la porte fermée de ce côté. Elle accéléra sur le monticule d’argile, s’approchant assez du premier pour sauter dans sa direction ; elle abattit son épée à l’arrière du genou gauche de l’homme, qui tomba à la renverse en hurlant de douleur. Rose fit une roulade, emportée par son élan, pour mieux se relever et donner un coup d’estoc dans la gorge du deuxième homme qui s’était arrêté, et dont le cri se transforma en un borborygme immonde lorsque le sang ruissela le long de la lame. Alors que le troisième homme prenait ses jambes à son cou, accompagné bientôt d’un quatrième, Rose lança son épée dans son dos, s’y plantant net, renversant l’homme, qui tomba avec fracas, mort. Le dernier se retourna, visant la guerrière et lançant une rafale de balles. Rose bondit en avant, récupéra l’épée plantée sur le passage, se permit même de dévier quelques balles avec la lame, avant d’agripper le bras de l’homme qui tenait la kalachnikov ; elle repoussa l’arme, plaqua le côté tranchant de l’épée contre la trachée de l’homme, et fit glisser l’épée d’un coup sec. Sa gorge s’ouvrit en deux, aspergeant Rose d’écarlate, et l’homme tomba sur les genoux, Rose gardant son arme à feu dans sa main au passage. Enfin, elle retourna vers le premier protagoniste, qui hurlait toujours de douleur, se vidant sur la terre sèche. De la main gauche, Rose visa l’espace entre ses yeux, et y logea une balle. Elle lâcha ensuite l’arme à feu à terre, ne gardant que l’épée dans sa main droite. En lançant un regard circulaire, elle vit Salamata qui se débrouillait toujours aussi bien, et à l’opposé, Rachid ; bien qu’il n’ait pas combattu comme cela depuis longtemps, son pouvoir lui permettant de ne fournir que peu d’effort, il n’avait en aucun cas perdu de sa hargne.

   Plusieurs hommes étaient à terre autour de lui, le crâne ou le torse fracassé par un coup de masse. Deux autres le prenaient en tenaille, fusils de chasse braqués sur lui. Le premier lui tira dessus, les plombs s’abattant sur ses cottes, lui provoquant une douleur aigüe qui lui fit mettre genou à terre. Rachid s’observa, tirant sur les trous béant fait sur le tissu. En dessous, le sang ne coulait pas.

   — Bordel, mon pull ! s’écria Rachid.

   Déboussolés par ce spectacle, les deux mercenaires firent un pas en arrière, et Rachid se releva, tournoyant sa masse et infligeant un vilain coup dans le ventre du premier, qui se plia en deux. Malgré un physique peu enclin à l’exercice, Rachid roula sur le dos de l’homme, et avec de l’élan, frappa à la tête le second, qui s’écroula à terre. Il acheva ensuite le premier de la même manière. Deux autres arrivèrent, et ils subirent le même sort.

   Se fut une véritable boucherie. En quinze minutes, tous les terroristes se trouvant sur la place étaient morts.

   Tous, sauf un.

   Rampant jusqu’à une maison, Salamata le suivait d’un pas lent. Elle venait de lui trancher les ligaments des genoux. Ils se trouvaient au alentour d’un poteau, où un homme avait été attaché par des cordes, et dénudé ; on l’avait lapidé à mort. Elle rattrapa l’homme rampant quand Rachid et Rose arrivèrent à proximité, le relevant en l’empoignant par les cheveux . Elle le força à regarder l’homme lapidé au poteau.

   — Explique ! aboya-t-elle. Explique-leur pourquoi cet homme a été tué.

   L’homme balbutia en pleurant, son visage terrorisé, psalmodiant une prière incompréhensible, battant les bras en l’air pour tenter d’échapper à la guerrière guépard. Salamata lui secoua la tête, ce qui le fit crier de douleur, et aboya de nouveau :

   — EXPLIQUE-LEUR !

   Alors, l’homme, dans un Afrikaans que seules Rose et Salamata comprirent, répondit en pleurant :

   — Nous l’avons tué parce qu’il aimait les hommes.

   Le cœur de Rose s’arrêta. Parfois, elle oubliait ce genre de situation, avant qu’elle ne revienne la percuter de plein fouet. Même si ce n’était pas la première fois, cela martelait toujours son âme, un peu plus profondément. L’image cauchemardesque d’une Sophie attachée de la sorte la fit chanceler pendant une seconde, provoquant une sueur froide qui dégoulina le long de sa colonne vertébrale.

   Salamata trancha la gorge du chef des terroristes, qui s’effondra à terre dans la flaque de son propre sang. Elle chercha dans ses poches un trousseau de clés ; puis, elle se dirigea vers des cages, où les villageois apeurés étaient enfermés. Libérés, ils acclamèrent leurs sauveurs, les prenant dans leurs bras, les remerciant un à un chaleureusement.

   Salamata demanda à une des femmes qui la remerciait quelque chose, mais dans un dialecte que Rose ne comprit pas. La femme lui montra du doigt un container parmi une dizaine, prêt à être remorqué par un camion.

   — Qu’est ce que tu lui as demandé ? demanda Rose, curieuse.

   — Si il y avait une livraison spéciale.

   Le groupe de trois se déplaça là-bas, et avant de l’ouvrir, Salamata en fit le tour. Elle tapota la tôle, et on entendit du bruit dedans. Salamata se dirigea à l’arrière, ôta son masque et ouvrit alors le container. A l’intérieur, des dizaines de femmes, aveuglées par la lumière soudaine, se protégèrent les yeux et crièrent de peur.

   — Je suis là pour vous sauver, dit Salamata d’une voix forte en Afrikaans.

   Elle ôta son masque, ouvrant en grand ses bras accueillant.

   — Je suis la guerrière guépard.

   Les femmes enlevèrent leurs mains de leurs fronts, et reconnaissant Salamata, l’acclamèrent.

   Ce ne sont pas des femmes, remarqua Rose. Ce sont des filles !

   Elle eut une pointe au cœur. Le combat que menait Salamata ici était… effrayant d’horreur.

 

   L’équipe regroupa les femmes au centre du camp, Salamata leur expliquant quel chemin elles devaient prendre pour être le plus possible en sécurité. Le silence régnait désormais dans l’enceinte, seul le bruissement de quelques mouches volant au dessus des cadavres animant la place.

   Rose faisait le gai autour ; son ouïe affutée la dirigea vers une cabane à quelques dizaines de mètres d’ici. Elle s’en approcha silencieusement, et pénétra à l’intérieur. Comme elle s’y attendait, il n’y avait personne –ils avaient vérifié tout les bâtiments-. Pourtant, quelque chose clochait. Un bruit subtil, comme une souris grattant un plancher de bois. Elle huma rapidement une odeur d’essence nettement reconnaissable, qui semblait provenir du sol lui-même.

   Rose souleva un tapis qui recouvrait le sol terreux, et y découvrit une trappe. Elle l’ouvrit en tirant sur l’anneau, et elle découvrit, en bas, un homme, affairé à asperger des tas et des tas de documents autour de lui avec le combustible. Il y avait, à côté de lui, une bouteille de gaz. Quand la trappe s’ouvrit, machinalement, il regarda Rose, et, prit de panique, alluma son briquet. Rose eut juste l’instinct de lâcher la trappe avant que la cabane n’explose, la propulsant quinze mètres en arrière, arrachant des cris de peur au groupe de femme qui venait d’être libéré. Rose s’écrasa durement sur le sol terreux, provoquant une ornière sur quelques mètres. Quand elle releva enfin la tête, ses oreilles bourdonnant et ses vêtements fumant encore de l’impact, elle vit des papiers enflammés tournoyant autour d’elle. Un morceau de ses papiers incandescents se posa sur sa droite ; elle y remarqua un symbole : une sphère rouge, dans laquelle il y avait une tête d’Ibis.

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