17. La goutte d'eau

Par tiyphe
Notes de l’auteur : MAJ faite le 23/06/2020 - Bonne (re) lecture :D

 

Conan

Tu aurais pu lui demander de venir au dortoir plutôt que de te déplacer jusqu’à la Grande Académie, ronchonna Conan. On n’a pas de temps pour discuter, c’est agaçant.

Lucas descendait hâtivement les nombreux étages de l’aile N, suivi de Plik qui voletait aussi rapidement que son concepteur courrait. L’ancêtre ressentait de l’inquiétude dans le cœur du garçon. Il était préoccupé par d’étranges pensées qui le firent presque manquer une marche. Le jeune homme se rattrapa en sautant et rebondit sur le mur avant de continuer sa route.

Conan était lui-même anxieux. Trois heures plus tôt, il s’était produit quelque chose d’inhabituel. Pendant les deux années où il avait partagé le corps de son descendant, jamais il n’avait perdu le lien avec celui-ci. Pourtant cette fois, il s’était retrouvé dans un silence complet, comme rejeté de la tête de Lucas.

— Au cas où tu n’aurais pas remarqué, la situation est un peu urgente là, rétorqua l’intéressé, inconscient des craintes de l’aîné. Des Occupants se font attaquer et d’autres sont introuvables. Ce n’est pas vraiment le moment pour bavarder.

Le jeune homme allait de plus en plus vite. Il sautait les cinq dernières marches de chaque palier, comme s’il cherchait à mettre le plus de distance possible entre le macabre spectacle dont il venait d’être témoin ainsi que ce qu’il avait halluciné. Un goût âcre persistait dans sa bouche et son cerveau surchauffait.

Je ne veux pas papoter, se défendit l’ancêtre. J’aimerais comprendre ce qu’il s’est passé dans ta tête là-haut. Pendant plusieurs minutes, je me suis retrouvé coupé de tout. Je n’avais plus accès à rien. Ni tes pensées, ni tes sensations, ni tes sentiments.

Il s’arrêta dans son monologue et Lucas manqua une nouvelle fois de chuter au rez-de-chaussée dans son élan. Le Créateur se rattrapa au dernier moment sur le mur d’en face. Heureusement pour lui, personne ne le remarqua et il continua sa course folle. Conan perçut la douleur de son descendant dans ses poignets, brisés par l’impact. Toutefois, le garçon était tellement focalisé sur son objectif qu’il ne s’arrêta pas et laissa ses mains pendre au bout de ses bras le temps de la guérison.

— Tu n’as donc pas été conscient de toute ma crise ? s’étonna le garçon en jetant un œil aux alentours pour être sûr d’être seul alors qu’il parlait à voix haute.

Il était évident que le descendant ne cherchait même pas à cacher ce qu’il avait vu. Les images repassaient en boucle, toujours aussi poignantes, obligeant les deux cohabitants à les regarder encore et encore. Les pertes de sa sœur dans le monde des vivants, puis celle de son frère dans celui des morts devaient être dévastatrices. Conan avait de la peine pour Lucas et il ressentait avec force son besoin de réconfort. C’était pour cela que l’ancêtre cherchait à être le confident du plus jeune.

Non, j’étais dans le noir total, répondit donc le concerné. C’était une impression très déconcertante que je ne recommande pas, j’étais coupé des cinq sens. Tu n’as pas envie de me parler de ta sœur ou de Tom ? insista-t-il avec un ton presque empathique.

— Non, le copia le descendant, mettant soudainement fin à la conversation.

Il rejoignit la voiture dans laquelle Louise les avait amenés et s’installa à la place du conducteur. Le siège s’adapta à ses membres ailés, prenant leur forme sans les écraser. Le robot ovale monta en vitesse à sa suite à l’arrière tandis que Lucas démarrait en trombe en direction de la Grande Académie. Conan aperçut la pointe d’allégresse que son logeur ressentait au milieu de tous ses tourments quant à la rapidité du bolide. L’homme aurait aimé sourire avec les lèvres du plus jeune. Ce dernier était bien incapable de se concentrer sur une seule et même émotion.

Au volant de son véhicule et dans sa précipitation, Lucas faillit renverser des Occupants qui se rendaient au lac près du dortoir. Plusieurs durent se jeter sur le côté pour éviter la voiture, tandis que le Créateur freinait avec force.

Fais attention ! s’écria Conan.

Du coin de l’œil de son logeur, l’homme observa Plik voltiger à l’arrière du véhicule, ballotté comme un vulgaire objet. Il se stabilisa assez facilement tandis que son concepteur poussa un râle de mécontentement et plusieurs jurons. Le garçon venait de donner un violent coup de volant qui aurait pu les envoyer dans le décor en gracieux tonneaux s’il n’avait pas redressé à temps.

Pourquoi tu n’utilises pas tes ailes pour te déplacer plus vite ? interrogea alors l’habitant de ses entrailles ne laissant pas son descendant réorganiser ses idées.

Lucas souffla. Son cœur battait si rapidement que les deux parents pouvaient l’entendre cogner contre les tempes. Conan se concentra sur les pensées du garçon. Si ce dernier refusait de réagir à voix haute, son esprit vagabond lui offrirait sûrement certaines réponses. Pourquoi ne recourait-il plus à l’usage de ses membres de plumes ? Le jeune homme était en effet en train de se le demander. L’image de Tom apparut. L’enfant semblait être la raison, mais il n’y avait pas plus d’explications. Les idées du Créateur se perdirent de nouveau dans ses affreux cauchemars. Finalement, cela revenait au sujet qu’il voulait éviter, alors il laissa Conan avec un silence comme réponse.

L’habitant comprenait le choix de son logeur. Lui-même n’avait jamais trop aimé se confier sur ses problèmes, peut-être était-ce également le cas de son descendant. Le lien avec Tom apparut de nouveau assez évident au milieu du chahut. Les ailes étaient un cadeau de son petit frère et les utiliser semblait lui peser. C’est ce que Conan déduisit du cheminement qu’il entrevit entre deux images lugubres d’Enfer et d’un fœtus sur le sol.

Ils arrivèrent finalement devant la Grande Académie qui n’était pas très loin du dortoir, interrompant les pensées du jeune homme. Un petit sentiment de satisfaction perça dans son mal-être. Ils auraient mis le même nombre de minutes en volant, se disait-il comme pour se convaincre qu’il n’avait pas besoin de ses membres de plumes et Conan ne fit pas de remarque à ce propos. Sur la durée, il avait peut-être raison, mais avec ses ailes il n’aurait pas blessé d’Occupants à cause de son inattention sur la route.

Lucas ne prit pas le temps d’admirer le bâtiment qu’il avait aidé à édifier et s’élança dans les couloirs colorés de l’institut. Le groupe de parole avait une salle à eux au premier étage. Le Créateur grimpa les marches deux par deux, toujours talonné de Plik qui ne peinait aucunement à suivre son rythme.

Pourquoi es-tu si pressé ? demanda l’ancêtre, étonné de l’endurance de son logeur.

« Parce que je n’ai pas envie de te parler. », l’envoya promener l’intéressé, utilisant la pensée à cause des Occupants qu’il croisait.

Celui qui partageait son corps fit un bruit que Lucas interpréta comme un soupire, mais qui s’apparentait plus à un grognement vexé. Conan ne se formalisa pas du rejet du garçon et s’installa alors dans un silence qui sembla calmer le jeune homme. Ce dernier était particulièrement angoissé et le plus vieux décida donc de ne pas insister, du moins pour le moment. Peut-être qu’il obtiendrait des réponses en lisant ses pensées.

Néanmoins, l’esprit du Créateur était préoccupé par des hypothèses scientifiques quant à l’amélioration de sa bille de télépathie. Étant le concepteur de ce progrès technologique, Lucas cherchait toujours de nouvelles évolutions afin de rendre la mort des Occupants plus agréable ou pour ses propres expériences. Malgré tout cela, il préférait tout de même communiquer avec Conan de vive voix. Pourquoi se faciliter la vie ? ironisa pour lui-même l’aîné.

L’ancien inventeur du XVIe siècle observa silencieusement les différentes théories du garçon. Connaissant encore peu les modernisations de ce qu’il avait pu étudier lors de son vivant, Conan aimait pouvoir apprendre de son logeur. L’ingéniosité de Lucas était bien présente, quoique pas développée à son maximum pour l’instant, mais il était si jeune et avait tant à découvrir que cela promettait de belles choses.

Le garçon aux cheveux cendrés arriva finalement devant la pièce qu’il cherchait. La vision de l’endroit finit de l’apaiser, constata l’ancêtre. Construit en cercle, l’espace spacieux semblait douillet et confortable. Des tapis molletonnés et chatoyants étaient disposés un peu partout, les fauteuils et canapés dans un coin donnaient envie de s’y poser des heures, et des ateliers de détente avaient été entreposés à l’opposé. Au centre, un groupe de personnes était assis en rond et semblait entreprendre des exercices de respiration.

Une femme avait des difficultés à mettre en application les consignes de ses voisins et avait l’air plus angoissée que les autres. Elle se tenait le ventre en sanglotant. En la voyant, Lucas se sentit défaillir de nouveau. Il paraissait ressentir la peine de l’Occupante et des images de sa mère inerte dans la cuisine se superposaient à la réalité. Conan dut le secouer pour qu’il reprenne ses esprits.

— Je suis désolé de vous déranger, toussota le Créateur. Mais je dois vous emprunter Gabie.

Celle que le garçon avait remarquée sursauta en entendant sa voix. Elle fut vite rassurée, tandis que les regards se posaient sur le jeune homme. Ce dernier leur afficha une mine navrée quant à son interruption. La petite femme qu’il cherchait se retourna, surprise également. Son visage allongé et bruni par le soleil du Chili se figea en voyant celui qui la quémandait.

— Le… Le Sauveur ? bégaya-t-elle.

Conan fut à son tour étonné. L’intéressé ne s’attendait apparemment pas à cette appellation et son ancêtre eut du mal à interpréter les différents ressentis qui obscurcissaient le cœur de son logeur. Le garçon avait envie de jeter des regards noirs, de lancer de mauvaises paroles, de frapper un mur.

Calme-toi, Lucas, souffla la voix dans l’estomac. Ce n’est qu’un nom.

Ces paroles n’eurent pas l’effet escompté de l’aîné. Le jeune homme ne se détendit pas et sembla en vouloir encore plus à son habitant. Comment son ancêtre pouvait-il être aussi paisible alors qu’il l’avait repoussé quelques instants plus tôt ? s’interrogeait-il pour lui-même, sachant pourtant que l’intéressé lirait dans sa tête.

Parce que je ne suis pas toujours rancunier, lui répondit le concerné. Et puis je crois que, malgré ce que tu penses, tu as besoin de moi.

Le Créateur ne put que soupirer face à ces paroles. L’homme de presque cinq cents ans savait qu’il avait raison, mais Lucas paraissait ne pas aimer cela. Se souvenant où il se trouvait, le garçon remarqua le regard étonné de son interlocutrice. Gabie semblait avoir pris la lamentation pour elle.

— Tu étais ingénieure en télécommunications de ton vivant, n’est-ce pas ? préféra-t-il demander pour changer de sujet.

Le visage allongé de la petite femme vira au cramoisi jusqu’à ses oreilles légèrement pointues. Elle avait l’air de ne plus savoir où se mettre et commençait à trembler. Lucas s’inquiéta alors de ses paroles. Avait-il insulté la Chilienne sans s’en rendre compte ? Avait-il été trop brusque dans son ton ? Détestait-elle son ancien travail ? Conan aurait aimé lever les yeux au ciel. Pourquoi son descendant se souciait-il de choses aussi futiles ? Un vieil homme s’approcha alors d’eux et posa une main sur l’épaule de l’effrayée.

— Gabie, tout va bien, la rassura-t-il. Pardonnez-la, Monsieur Lucas, fit-il en s’adressant au Créateur. Elle vous admire beaucoup, vous et la Princesse.

« Voilà autre chose », grogna l’intéressé dans sa tête.

Son ventre se mit alors à faire un bruit étrange. Surpris, le blond observa autour de lui, mais il était apparemment le seul à entendre. Il finit par comprendre. Son ancêtre gloussait, il se moquait de lui et semblait plié de rire. En effet, le presque cinq-centenaire s’étonnait de la situation, ne s’expliquant pas l’embarras de son descendant.

« Non, mais sérieusement, Conan ? », s’énerva Lucas.

Pardon… Excuse-moi, tenta de se contrôler celui qui logeait dans son corps.

Face à tout ce remue-ménage intérieur, le vieil homme et Gabie regardaient le garçon comme un extra-terrestre. L’aîné sentait que cela bouillonnait à l’intérieur du cerveau de son cohabitant. Lucas était décontenancé, encore fébrile de sa vision cauchemardesque et sa vulnérabilité le rendait susceptible. Ces forts sentiments avaient un impact sur Conan. Lui-même se trouvait angoissé sans savoir pourquoi. Ses railleries n’avaient pas vraiment été de la moquerie, mais bien un rire nerveux lié à la pression que ressentait le garçon. Mais l’ancêtre n’eut pas le temps de lui expliquer.

— Avons-nous dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? se ratatina l’Occupant âgé.

— Non, non, s’empressa de rasséréner le Créateur. Je suis encore sous le choc des récents événements, argumenta-t-il maladroitement. Alors parfois mon esprit s’égare vers des choses inutiles.

Il avait appuyé sur le dernier mot en regardant son ventre avec insistance, espérant que le message passât pour son compagnon d’enveloppe. Celui-ci ne fit pas de commentaire, laissant Lucas à son silence intérieur. Les deux membres du groupe de parole devant lui semblaient toujours aussi démunis. Le jeune homme inspira profondément pour se donner de la contenance et se tourna vers la petite femme au regard fuyant et bleuté.

— Gabie, j’ai besoin de ton aide, expliqua-t-il. Nous allons essayer de communiquer avec ton ami Gaum ainsi que les autres Occupants qui ont disparu. Pour cela, il me faut une experte dans ce domaine. Je faisais des études pour devenir ingénieur comme toi, mais je n’ai pas eu le temps d’achever ma formation ni d’exercer.

L’intéressée ouvrit grand la bouche, entre admiration et frayeur. Le combo de ces deux émotions donnait une impression bizarre sur le visage allongé.

— Pour… pourquoi moi ? finit-elle par demander en trébuchant sur ses paroles.

C’est vrai ça, pourquoi elle ? intervint Conan.

L’homme ne pouvait s’empêcher d’interférer dans la conversation. Cela faisait partie de ses manies. Très bavard, il cherchait la plupart du temps à obtenir le dernier mot. L’ancêtre avait du mal à comprendre pourquoi le Créateur ne voulait pas travailler seul ou avec lui. Un léger frémissement se fit au bout des doigts de Lucas tandis que celui-ci n’en était pas le responsable. C’était la seconde fois, et de la même façon, le garçon eut à son tour accès aux pensées de son ancêtre, accentuant son agacement d’un degré supplémentaire.

« Lâche-moi ! », se contenta-t-il de répliquer.

— Il y a beaucoup d’autres personnes qui ont travaillé dans les télécoms et qui doivent être mille fois meilleures que moi, déclara Gabie en baissant la tête, n’ayant pas du tout connaissance du tumulte intérieur.

Le vieil homme à son côté massa la frêle épaule de sa comparse comme pour l’encourager.

— Ta détermination à joindre ton ami améliore nos chances de réussites, précisa Lucas qui prenait énormément sur lui afin de ne pas craquer.

C’est quoi encore ces âneries ? s’exclama la voix dans ses entrailles.

Plus le garçon se retenait d’exploser, plus la pression s’accumulait et affectait le comportement désagréable de l’habitant. Ne pas répondre. Ne pas répondre. Ne pas répondre. Le jeune homme se battait contre lui-même, essayant de paraître le plus normal possible et de ne pas se laisser déstabiliser par les paroles de son ancêtre. Sa posture crispée aurait pu le trahir, mais son dernier argument avait réussi à convaincre l’ingénieure Chilienne. Elle souriait timidement et annonça :

— C’est d’accord !

Contre toutes attentes, tout du moins de la part de Lucas et encore plus de Conan, le groupe d’Occupants qui avaient suivi avec intérêt l’échange applaudit. Ils félicitaient leur camarade pour son choix et par la même occasion ses progrès. Elle avait bravé ses peurs et se laissait porter par ce qu’elle avait aimé tout au long de sa vie : son travail. Le garçon trouva la scène touchante, adoucissant sa colère un instant. Ils étaient tous soudés, peu importait la décision que Gabie aurait prise, ils l’auraient soutenue et acclamée.

Moi aussi je t’épaule quand tu en as besoin, fit remarquer l’importun qui partageait son corps. Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu fais appel à cette femme qui a même la trouille de son ombre !

Le Créateur contracta sa mâchoire. Ce fut la goutte d’eau.

« Mais tu vas te taire, oui ! », s’écria-t-il.

***

Lucas

Dépassé par ses émotions et ne pouvant plus gérer le nombre incalculable de sentiments contradictoires qui se battaient en lui, Lucas n’avait pas concentré sa pensée sur sa seule personne, mais l’avait laissée s’échapper. Il remarqua alors les regards étonnés ou effrayés du groupe d’Occupants.

— Je suis désolée, s’empressa-t-il de dire en levant ses mains devant lui pour rassurer l’assemblée. Je…

« Tout va bien, Lucas ? », s’inquiéta Louise par la pensée.

« Un problème, bonhomme ? », demanda Hans.

« Lucas, c’est toi qui cries comme ça ? », fit Johny.

« Monsieur Lucas ? », murmura Cohmghall, le Grand Occupant.

Le garçon était à présent submergé de paroles dans sa tête des conseillers, de connaissances, d’inconnus. Si seulement toutes ces voix pouvaient cesser, le laisser. Il arracha alors son oreillette violemment et l’écrasa de son pied, avant de s’agenouiller en geignant. Son crâne entier le faisait souffrir. Il avait besoin de calme. Il n’en pouvait plus d’être partout à la fois, il croulait sous les responsabilités et les épreuves.

Il n’était qu’un garçon de 22 ans physiquement. Il était mort deux ans auparavant, laissant ses parents, ses amis, sa famille sur Terre. Son petit frère lui avait été enlevé par un homme très certainement contrôlé par la divinité du mal. Même la jeune femme qu’il avait commencé à aimer avait disparu, sa trahison n’étant plus qu’un lointain souvenir vite balayé. Et la suivante l’avait écarté de son quotidien sans lui laisser la moindre chance de discuter.

Des doigts menus et frais se posèrent sur sa nuque alors qu’il avait le visage dans les bras près du sol. La sensation était agréable, elle l’apaisa délicatement, comme si la froideur repoussait la douleur.

— Inspire profondément par le nez, lui conseilla une voix féminine. Puis expire doucement par la bouche. Et répète.

La personne le laissa reproduire cet exercice quelques fois avant de poursuivre :

— Lucas, je ne sais pas tout ce qui se passe dans ta tête, mais tu sembles surmené, mon garçon. Je vais t’aider, mais tu devrais peut-être te reposer avant, non ?

La main fit une légère pression sur son cou, comme pour lui proposer de se relever. Le jeune homme souffla un bon coup une dernière fois avant d’oser porter son regard sur son environnement. Les Occupants n’étaient pas agglutinés autour de lui comme il se l’était imaginé, mais se trouvaient à une distance raisonnable. Il se rappela alors que ces gens devaient être habitués à gérer ce genre de crise.

Penchée, Gabie lui faisait un sourire timide d’encouragement. Depuis longtemps, Lucas ressentit un sentiment d’estime, la petite femme s’inquiétait sincèrement pour lui. Il pensa à ses parents qui avaient souvent été si fiers de lui, à ses amis qui l’avaient soutenu dans les moments les plus difficiles, à Tom qui l’avait continuellement admiré. Lentement, il se remit sur ses pieds et prit les mains de l’Occupante.

— Merci, Gabie, la remercia-t-il en serrant les doigts toujours aussi frais dans les siens qui tardaient à retrouver une température raisonnable. Ça va aller pour moi, tenta-t-il de la rassurer. Nous n’avons pas de temps à perdre, ton ami est peut-être en danger, tout comme les enfants qui viennent d’être attaqués.

L’ancienne ingénieure hocha la tête. Elle semblait déjà être au courant de l’attentat au dortoir puisqu’elle ne fit pas de commentaire à ce propos. Elle se tourna vers ses compagnons et leur adressa un petit signe de la main. Chaque Occupant présent le lui rendit avec un énorme sourire et de belles paroles, même la femme qui se tenait toujours le ventre.

Pendant ce temps, Lucas constata enfin l’état de son oreillette. Elle était brisée au sol et Plik avait sorti ses bras mécaniques pour essayer de la réparer. Un poids s’était soulevé des épaules du jeune homme alors qu’il regardait les restes du petit objet. Avec le silence de son ancêtre dans son ventre, il se sentait de nouveau lui, tranquillisé et prêt à sauver une fois encore le monde. Il ordonna à son ami de métal de récupérer la bille beige qui grésillait, avant d’emmener Gabie en direction du château où ils trouveraient le moyen de communiquer avec Gaum et tous ceux qui étaient perdus. Qui sait, peut-être arriveraient-ils à joindre Tom en Enfer, espéra le Créateur.

***

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