Maleine
Sur les dernières marches les plus hautes du Temple maya, Maleine observait le paisible et splendide paysage de l’Anti-Chambre. Tout la subjuguait, la fascinait, l’enchantait. Que ce soit les couleurs de la végétation, les effluves des champs de lavande, les mélodies des rossignols, le goût exquis des fruits ou la douceur du pelage d’un chiot qui aime les câlins. Comment résister à ces perceptions presque inexistantes dans l’Entre-Deux ? Comment renoncer à ses sens humains ?
Outre la nature abondante, ce monde regorgeait du résultat d’un des plus grands talents de l’humanité. De plusieurs époques de l’antiquité, l’architecture des monuments des différentes civilisations s’imposait inévitablement au milieu de la jungle, la banquise ou encore des rizières. Chaque peuple avait érigé un ou plusieurs bâtiments en l’honneur de leurs croyances. Tous se côtoyaient pacifiquement et en harmonie, rendant l’Anti-Chambre idyllique.
Du haut de la pyramide à degrés, Maleine observait ces merveilles quasiment toutes disparues sur Terre ou grandement endommagées par le temps. Elle mesurait la chance qu’elle avait de pouvoir les contempler, mais aussi de pouvoir visiter et découvrir les secrets dont elles regorgeaient. Et pourtant, malgré cette conscience et les multiples possibilités qui s’offraient à elle, la femme de 73 ans s’ennuyait ferme.
Elle avait bien le sens de l’aventure depuis sa mort et sa curiosité avait toujours été présente même dans sa vie, mais elle n’avait jamais envisagé de vivre toutes ces expériences seule. La Néerlandaise aux cheveux bleus voulait partager ces moments avec ses nouveaux amis, non pas avec des gens qu’elle connaissait uniquement depuis peu et qui s’occupaient de toutes les façons possibles et partout sauf avec elle.
Cela faisait trois semaines qu’ils se trouvaient dans l’Anti-Chambre. Trois semaines que Gaum découvrait des espèces de mammifères, reptiles, oiseaux, insectes, en étant accompagné d’un Andjety particulièrement collant d’après les propos de l’ancien vétérinaire de Madagascar. Trois semaines que Luciana faisait des recherches dans les différents points d’archives afin de retrouver sa sœur perdue depuis près de quatre siècles. Trois semaines qu’Ezéchiel restait enfermé dans la Pyramide harcelant Ouadjet de questions concernant l’antiquité égyptienne. Et Maleine ? Quelle tâche lui avait-on confiée ?
Nourrice.
Le lendemain de leur arrivée, trois enfants de l’Entre-Deux les avaient rejoints. Physiquement, ils avaient 2, 8 et 13 ans, mais uniquement la petite du milieu possédait le même âge mentalement. Esther, Kahsha et Imad s’étaient difficilement remis de la pesée du cœur, donc Maleine avait été désignée volontaire contre son gré pour s’occuper d’eux.
— Tu es la seule femme à avoir eu des enfants, avait dit maladroitement Ezéchiel.
— Et alors ? avait répondu platement Luciana. Il faut être une femme pour garder des enfants ? Et puis deux d’entre eux sont bien plus âgés que toi dans leur tête, avait-elle ajouté.
À ce moment-là, la Néerlandaise avait espéré que la remarque de sa consœur la sortît de cette situation qui ne lui convenait pas. Assise à l’écart avec ces mineurs, elle avait écouté les avis sans pouvoir donner le sien.
— Tu as raison, excuse-moi, Maleine, s’était rattrapé l’ancien libraire d’Israël. Cependant, il y a tant de choses à découvrir, je ne pourrai pas leur tenir compagnie pour ma part, avait-il repris se détournant de la vieille femme. Pareil pour Gaum, il préfère faire connaissance avec les pingouins et les koalas.
— Et moi, j’aimerais profiter des archives de ce monde, avait conclu Luciana, se désolidarisant complètement de la Néerlandaise.
L’intéressée en était restée interdite, incapable de se défendre et surtout encore trop habituée à recevoir des ordres indiscutables sous peine de coups. Elle avait alors espéré compter sur Esther et Imad, qui étaient largement aptes à se débrouiller par eux-mêmes et donc à gérer une enfant de 8 ans. Cependant, ils avaient d’abord prétexté une acclimatation difficile à ce nouvel environnement puis ils s’étaient enfuis, laissant Maleine et Kahsha seules.
Un tapotement sur son bras la ramena à la réalité au sommet du Temple maya. La petite fille à l’apparence androgyne essayait d’attirer son attention. Son visage rond aux joues rebondies était entouré de cheveux lisses et noirs. Cela contrastait avec la couleur de ses yeux qui étaient d’une teinte si claire qu’il était difficile de choisir entre le bleu et le gris. À l’instant où Maleine croisa ce regard empli d’une curiosité enfantine, elle oublia toutes ses protestations.
Kahsha produisit un faible son inintelligible en faisant des mouvements derrière elle pour montrer la tête colossale qui surplombait la pyramide où elles se trouvaient. Dans ses gestes précipités, la Néerlandaise comprenait que la fillette était impressionnée par la taille de cette sculpture monolithique. Mesurant dans les trois mètres de haut et devant peser plusieurs tonnes, elle représentait un homme d’âge mûr au nez épaté surmontant de grosses lèvres. Le visage carré possédait de puissantes mâchoires et ses yeux en amande avaient un léger strabisme.
Si les dialectes d’origines n’avaient pas d’importance dans les mondes de la Mort, car tous se comprenaient, il n’existait pas de langue des signes universelle à l’instar de la Terre. Maleine avait beau connaître un peu celle des Pays-Bas, il lui était toutefois difficile de toujours saisir celle propre à la petite native du Groenland. Kahsha entendait et intégrait parfaitement ce qu’on lui disait, mais était quasiment incapable de sortir un mot qui eût du sens.
— Oui, c’est vrai, elle est énorme cette tête, s’enjoua Maleine malgré tout. Je me demande de quand elle date. Peut-être pourrions-nous rencontrer le peuple qui a construit ce monument tout à l’heure. Tu aimerais ? ajouta la femme avec douceur.
Peu importait les obstacles, cette enfant méritait qu’on lui accorde la même importance et la même attention que les autres, d’autant plus qu’elle était décédée peu de temps auparavant et qu’elle n’avait que 8 ans. Alors la petite mamie laissait son interlocutrice faire de ses mains une danse voluptueuse, parfois hésitante lorsqu’elle cherchait ses mots, et l’arrêtait occasionnellement pour être sûre d’avoir saisi l’idée dans sa globalité. Kahsha ne se vexait jamais quand Maleine passait à côté du sens et réessayait toujours. Persévérantes, les deux Occupantes avaient bien progressé en trois semaines dans la compréhension de l’une et de l’autre.
Un nouveau silence s’empara du sommet du Temple. La Néerlandaise soupira, de nouveau envahie par des sentiments négatifs sans en connaître la raison. Une petite main passa dans son champ de vision, la sortant de sa torpeur.
Kahsha lui indiquait les hauts massifs pâles des montagnes blanches. Les aiguilles immaculées les séparaient de l’Entre-Deux d’après les dires d’Ouadjet. Maleine avait envie d’y croire. Cependant, comment traverser une telle frontière ? L’altitude des cols les plus bas semblait supérieure à celle des monts les plus élevés de Terre. Aucun des Occupants n’avait de compétences en alpinisme. Même en étant mort, ce n’était pas une activité qui s’apprenait comme le vélo.
— Toi aussi tu veux rentrer ? demanda alors Maleine à la fillette.
Cette dernière l’observa de ses yeux clairs avant de hausser des épaules. Elle avança ses mains devant elle et entama des mimes d’escalade. Un grand sourire barrait son visage tandis qu’elle exprimait son enthousiasme.
— Tu as déjà grimpé des sommets et tu adores ça, c’est ça ? l’interrogea la Néerlandaise.
Kahsha hocha vigoureusement la tête et se lança joyeusement dans plus d’explications tout en gardant un rythme décent pour la compréhension de son interlocutrice.
— Ta famille et toi, vous viviez près des pics rocheux enneigés, traduisait Maleine sous l’approbation de la petite Inuite. C’est pour cela que les montagnes blanches te fascinent autant. Tu adorerais les traverser, les gravir, pardon. Ta grand-mère t’a appris toutes ces choses et tu aimerais la rendre fière ?
La gorge de la femme aux cheveux bleus se serra. L’histoire de la fillette la bouleversait à chaque fois. La relation qu’elle avait eue avec son aïeule était touchante et remplissait Maleine d’une compassion qu’elle ne saurait décrire. La vieille Inuite avait vécu près de 80 ans et portait encore ses affaires la veille de sa mort. Elle était robuste avec un cœur d’or et avait été la matriarche d’un clan d’une soixantaine d’individus. C’est ce que Kahsha répétait souvent avec une admiration incommensurable. Maleine avait elle-même eu beaucoup de petits enfants, qu’elle aurait aimé appeler sa famille. Cependant, elle avait dû les éloigner d’elle pour qu’ils ne subissent pas la violence de son mari.
— Sais-tu si Any se trouve dans l’Entre-Deux ? demanda-t-elle alors.
— Any ! répondit la fillette avec un grand sourire.
C’était l’un des seuls mots dont les syllabes assemblées se comprenaient. Elle l’avait d’ailleurs tant répété que Maleine avait fini par nommer la grand-mère de cette façon sans savoir si c’était son prénom ou bien un diminutif de Granny. Pour toute réponse, Kahsha haussa les épaules et fit le signe de l’espoir avec ses doigts. Elle n’avait à l’évidence pas eu le temps de chercher ses ancêtres dans la Bibliothèque du château, supposa la Néerlandaise.
— Je suis sûre qu’Any serait très fière de toi, finit par dire Maleine en caressant tendrement les cheveux de l’enfant. J’aimerais tant rentrer chez nous, soupira-t-elle de nouveau.
Kahsha se leva alors devant son amie aux mèches bleues et aux vêtements colorés. Elle lui prit les mains et les plaça sur son cœur abîmé par l’âge. Dans les yeux pâles de l’enfant régnait une audace qui ne pouvait pas être ternie par des obstacles de la vie. L’Inuite n’avait pas connu les problèmes qui encombraient les hommes et les femmes habitant dans des civilisations avancées. Elle avait vécu la liberté de faire ses choix, de suivre une existence de nomade dans un désert gelé tout en ne pensant qu’à ce qu’elle aurait à manger au prochain repas.
Alors Maleine vit là une promesse dans ce regard. Elle n’avait pas besoin des sous-titres, des gestes ou des paroles. Kahsha s’engageait, à 8 ans, à la ramener dans l’Entre-Deux et la vieille femme était convaincue que l’enfant y arriverait.
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J'ai pas grand chose à dire, mais voilà :
Dans ton paragraphe où tu répètes "trois (fois par) semaines" (déjà j'ai pensé à Indochine, mais passons), pour Gaum la phrase est si looooongue, je pense que tu peux t'arrêter à "ancien vérinaire", et lister moins d'espèces ?
En tout cas, j'aime bien la chute pour Maleine, ça m'a fait sourire ^^
Sympa les gens qui laissent mamie avec les enfants ! Et les deux gosses qui s'enfuient mdr bien joué.
Le duo Maleine est Kahsha est très touchant, et la promesse à la fin grave mims comme tu dis si bien.
A la revoyure.
Je note pour la phrase de Gaum, merci !
Oh t'as vu comme c'est mims !
Merci pour ton commentaire <3
Ce chapitre était très chouette, j'ai beaucoup aimé Luciana solidaire et féministe qui se barre des qu'elle peut pour pas garder les enfants xD
la petite Kahsha est mystérieuse et adorable !!!
J'espere aussi qu'on en saura plus sur les deux autres enfants !
Ahah t'as vu, sont pas sympas avec Maleine ! C'est cool si tu as aimé le chapitre et Kahsha :3
Bisous <3