1er octobre

Notes de l’auteur : Entrée à l'école de grand-mère

1er octobre

Il fut un temps très ancien où la rentrée scolaire se faisait le 1er octobre

et où on était libre le jeudi

 

 Le cœur de lumière du volet découpe la silhouette fantomatique du pied tout tarabiscoté de mon lit. Il y a longtemps qu’il ne me fait plus peur ; je sais bien que c’est le pied du lit, pas le monstre de mes nuits.

Pas un bruit, seul le tambourinage dans ma tête cogne dans le silence absolu. J’ai tremblé longtemps avant de comprendre que les battements de mon cœur rythment ma peur dans le noir.

 

Jamais je n’ai appelé au secours, jamais je n’ai pleuré, je me suis recroquevillée sous l’édredon à moitié étouffée, laissant mon angoisse s’abandonner au sommeil. Boum, boum, boum, les pas se rapprochent …. un coup d’œil, le monstre est là au pied du lit, immobile. Je suis figée , il ne bouge pas, je jette un coup d’œil, il m’observe.

 

Maintenant je suis grande je n’ai plus peur. Je sais…… mais sait-on jamais ? J’ai 5 ans.

 

Pas un bruit dans la maison, pas un bruit dans le quartier, même le coq de la voisine est encore endormi. C’est dire que je vais attendre longtemps, longtemps, nourrissant mon impatience d’imaginaire.


1er octobre , c’est la rentrée, enfin, enfin, ce soir je saurai lire. Les livres de Maman me délivreront leur mystère caché dans les mots, plus forts que les illustrations ;

 

Une porte qui s’ouvre en douceur, un pas furtif, un murmure discret, grand-père et grand-mère  vont vers la cuisine. Attention de ne pas réveiller les enfants ! ou peut-être bien attention de ne pas les attirer trop tôt dans nos pattes.

 

Mais moi tous les matins je saute du lit d’un élan, j’ai trop à faire, et tous les matins on me renvoie dans ma chambre « trop tôt ». Ce matin l’obéissance n’est pas de mise.  « Non, non » dit grand-mère, « c’est bien trop tôt, regarde il fait à peine jour » .

 

Encore une tentative, je bredouille «Mais, mais, je vais être en retard », rien à faire, demi-tour et au lit.

 

Enfin tirée de ma somnolence « Debout, c’est l’heure ». Je dégringole à toute vitesse, pas ensommeillée pour un sou. Je cours, je trébuche, je vole vers la cuisine, pieds nus. Tes pantoufles ! tu ne voudrais pas être malade le jour de la rentrée !

 

Demi-tour sans grogner , j’en oublierais d’embrasser grand-père et grand-mère et de dire bonjour.

 

Le cacao tout chaud, les tartines grillées, le beurre, la confiture de fraise m’attendent ; 

  • je n’ai pas faim,
  • je n’ai pas le temps grand-mère,
  • mais si, mon petit, et il faut bien manger pour bien apprendre

Je croque dans une tartine grillée, la confiture de fraise dégouline un peu, je me dépêche.

  • Allons, viens te faire belle, c’est un grand jour, tu es une grande fille.

C’est quasi un cérémonial qui se reproduira tous les ans : pour la rentrée une robe neuve, des chaussures neuves, et l’indispensable blouse.

 

Un petit « barbette » pour se rafraîchir, la toilette c’est le soir après une journée bien remplie ;

  • Viens te coiffer 
  •  

De mes cheveux un peu indisciplinés grand-mère façonne les somptueuses anglaises de la rentrée rassemblées du ruban que j’ai choisi.

- Aie ! ça tire !

- Pour être belle il faut souffrir !

 

Pour finir, la blouse toute neuve bien sûr et le cartable flambant neuf, attributs avérés de ma supériorité ; maintenant mon petit frère c’est un bébé qui ne va pas l’école.

 

La rue de l’école je la connais bien, mais je suis fièrement heureuse d’y aller avec grand-mère. Sa main ferme me guide tendrement vers l’inconnu. Sur le chemin du Clou, Léon le vieux cantonnier accompagne du regard les enfants vers l’école.  L’air s’immobilise dans l’attente de l’instant de l’ouverture de la porte de l’école.

 

Monsieur Dubois, imperturbable dans sa blouse grise ouvre magistralement la porte et fait entrer les élèves qui se pressent ; la porte se franchit dans le calme, l’autorité çà se respecte. Les grands se précipitent en se bousculant, chahutant, criant……  Ils sont contents de se retrouver les enfants ; ceux du village ont couru les chemins tout l’été, ceux des fermes piaffent de retrouver les copains. Finalement les vacances c’est long !

 

Derrière la grille, l’image familière des bâtiments n’a rien de rassurant ; difficile de lâcher la main réconfortante. Le pas hésitant, le souffle court, la porte m’avale, l’appréhension me rejette sous le préau à l’abri du tourbillon de la cour. Devant moi l’étendue de la cour des grands, le mur et la cour des petits, à gauche l’escalier majestueux (je crois bien qu’il a au moins 4 marches) du bâtiment de la mairie et aussi de l’appartement de Monsieur et Madame Dubois, à droite le bâtiment de l’école , deux classes aux hautes fenêtres , un quadrilatère un peu inquiétant, fermé, sans échappatoire.

 

Madame Dubois nous guide deux par deux vers la cour des petits, le mur nous sépare de la brutalité des jeux de grands.  Silence dans les rangs, comme il se doit. C’est la rentrée ! les habitués se poussent du coude et murmurent ; le mur passé les jeux s’amorcent ; nous les nouvelles - nous ne sommes que deux filles – observons sans un mot ; les garçons nous frôlent de provocation, les filles se racontent des secrets dont nous ignorons tout. Grand moment de solitude. Que va-t-il se passer ? Il faut nous dire. Le regard se fige sur la maîtresse, dont nous savons dépendre ; elle seule nous donnera la clef du savoir-vivre écolier. Nous attendons la cloche, nous savons que c’est LE signal.

 

C’est l’heure ! Le « grand » désigné va sonner la cloche, léger brouhaha, puis silence, la grande porte se ferme sur le village ; les rangs se forment dans la cour des grands, garçons et filles mélangés rentrent en classe.

 

Notre alignement est plus hésitant, la maîtresse rectifie en douceur ;   claquement de mains « Entrez » Bien en rang nous rentrons sagement. On m’avait raconté ….. l’estrade, le bureau de la maîtresse, les tables,  le tableau noir……  trois marches pour rentrer dans la classe, les porte-manteaux dans le couloir où l’on accroche son gilet. On rentre timidement, en silence, la maîtresse nous fait prendre place, les anciens élèves reprennent d’instinct leur place de l’année précédente. Attendez un instant, Monique et Martine laissez votre place pour les petites. Elles hésitent, n’ont pas envie de changer leurs habitudes. Est-ce une punition ? Mme Dubois explique, je garde les petites près de moi pour les aider. Elle recompose la classe selon des règles mystérieuses. Première étape et presque soulagement, çà s’est bien passé. La pression retombe, la curiosité pas du tout.

 

 Ce qui surprend d’abord ce sont les plafonds très hauts, les grandes fenêtres, rien à voir avec les proportions des discrètes maisons de brique du village.

 

                                           

Le cadre est défini, Madame Dubois nous dit bonjour ; bien instruits par nos parents nous répondons solennellement un sonore « bonjour maîtresse ». Même les grandes de l’année dernière ne font plus les fières.

 

«  Les enfants, aujourd’hui nous allons faire connaissance avec les nouveaux.  Je m’appelle Madame Dubois, vous le savez tous » et elle écrit son nom au tableau ; c’est joli la craie sur le tableau noir «  Je vais vous demander de vous présenter même si je pense que vous vous connaissez tous »  Tour à tour, intimidés, nous nous levons et la maîtresse écrit notre nom au tableau.

 

« Vous avez vu vos bureaux, le dessus se soulève, vous y rangerez vos cahiers et vos livres ». Vous pouvez regarder – les claps retentissent détendant l’atmosphère - Dessus vous voyez l’encrier qui est encore vide, on le remplira quand vous apprendrez à écrire à l’encre »  

 

Elle nous montre – et nous nous autorisons à nous retourner – le grand placard au fond de la classe ; y est rangé tout le matériel précieux pour apprendre à lire, à écrire, à compter. C’est beau, bien aligné, les livres en pile, les cahiers de toutes les couleurs et des boîtes au contenu à découvrir.

 

Claquement de mains, c’est déjà la récréation, le temps a passé si vite !

 

C’est presque encore l’été, le soleil éclaire encore en transparence le vert des tilleuls de la cour. Le souffle redevient plus libre avec les copines, même si les grandes nous snobent. On évacue la tension au jeu de chat perché ; il faudra de l’imagination pour trouver d’autres jeux.

 

La cloche nous rappelle bien vite. Claquement de mains, « en rang, silence » on prend vite le pli.

 

La maîtresse nous explique que nous les nouveaux allons apprendre à lire, à écrire, à compter ; elle nous rappellera souvent l’objectif que serineront aussi les parents même les moins attentifs, conscients de cette nécessité absolue.  Moi j’en rêve, j’écoute, j’absorbe. Déjà on entend des raclements de pied d’impatience. Même ceux qui connaissent le rythme de l’école ont du mal à soutenir l’attention. La grande période d’agitation des vacances laisse des traces. Tout le monde doit rentrer dans le carcan des horaires, des règles.

 

Elle nous montre les grands panneaux accrochés au mur où s’exposent les lettres majuscules et minuscules, les syllabes, les mots, les chiffres….

 

Si vous travaillez bien, à Noël vous saurez lire (on a encore le droit de rythmer le temps à l’aune des fêtes catholiques ! ). Une promesse qui donne tous les courages.

 

J’ai l’impression qu’elle ne s’adresse qu’à moi ; je n’ai pas souvenir de ce qu’elle dit aux autres, bien trop concentrées à tout retenir.

 

 Distribution des fournitures : « les grandes vous allez m’aider » ; une aubaine de pouvoir se dégourdir les jambes, nous les nouvelles nous sommes figées, les garçons ne font pas plus les fanfarons.

 

Enfin, l’ardoise noire aux reflets bleutés luxueusement encadrée de bois et son crayon d’ardoise solidement tenu dans le porte-crayon,  maintes fois enviés chez les voisines qui nous interdisaient d’y toucher. « Ca casse, tu es trop petite ». J’enrageais.

 

J’y suis, Je brûle de m’essayer à écrire ; je détaille la pointe de graphite finement striée d’une harmonie de bleus.

 

On passe déjà à autre chose, chacune reçois un cahier que nous avons même le droit d’ouvrir. « Observez, lorsque vous apprendrez à écrire, les lignes vous aideront à bien dessiner les lettres ». Exemple au tableau. Un rai de soleil éclaire les arabesques des pleins et des déliés tracées à la craie entre deux lignes. « J’écris la date, nous sommes le lundi 1er octobre 1946, tous les jours nous commencerons la journée en écrivant la date ».  J’ai très très envie de toucher cette belle craie douce et nacrée, crissante.

 

L’heure de la sortie, déjà, me surprend, le temps a passé si vite.

« C’est l’heure, levez-vous, et sortez en rang par deux en commençant par la rangée du fond » et c’est en rang calme que nous gagnons la porte de sortie en traversant la cour et le préau des grands de Monsieur Dubois. Nous sortons les premiers pour éviter le choc des grands.

 

 

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Contesse
Posté le 31/05/2023
Bonjour :)

Je suis tombée sur ton histoire par hasard et j'ai été saisie par la manière dont tu arrives très bien à nous retranscrire les pensées d'une enfant ! Phrases courtes, remplies de sensations et de petits détails insignifiants mais jolis...
Ça fait du bien de suivre une enfant qui n'a pas peur, n'est pas traumatisée par l'école comme on le voit souvent, mais au contraire une enfant qui a hâte d'apprendre, de découvrir, de progresser et qui est impatiente et curieuse de tout !

Un p'tit nuage de douceur et de nostalgie !
Merci pour ce chapitre et au plaisir ;)
Hortense
Posté le 17/11/2021
Bonjour Dorothée,

Un bien joli retour en arrière qui nous plonge dans un autre temps, Celui des blouses d’écolier, de l’odeur de l’encre, du grincement de la craie sur le tableau noir.
C’est plein d’une douce nostalgie.

En bémol, je dirai que l’évocation s’achève trop vite. J’aimerai pouvoir m’y attarder encore un peu.
Tu pourrais développer cette rentrée en trois partie :
- L’attente et les préparatifs
- Le trajet jusqu’au portail
- Le premier jour d’école

Il me semble que tu peux davantage développer les sensations, décrire quelques figures caractéristiques…
Dans la classe, il y a les grands et les petits, n’hésite pas à expliquer.

À très bientôt
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