- 2 - Julian

Je déteste vivre. Si je pouvais mourir, je le ferais immédiatement.

Mais je dois veiller sur mon abruti de frère et sur ma mère. Mon père s'est gentiment barré à ma naissance en me laissant gérer. Pour lui, c'était à ma mère d'assumer son bâtard et pas à lui. T'as voulu le porter ? Bah vas-y ! Je le hais lui aussi.

— Ju, cinq jup ! me commande mon collègue.

Je les lui prépare et continue de servir les clients. Je bosse depuis deux ans au Wisk's, un bar super populaire chez les jeunes. La vraie attraction du bar, c'est surtout la scène, au fond de la salle, où des groupes viennent souvent jouer. Devant la scène, c'est le terrain de jeu des fougueux : une immense piste de danse. Enfin, "danse" est un grand mot, c'est plus un spot pour sauter et se défouler. Les jeunes préfèrent sauter comme des fous, le poing en l'air, plutôt que de se prendre la tête à apprendre quelques mouvements utiles.

Malgré l'agitation, quelques tables sont collées aux murs pour ceux qui veulent souffler un peu ou siroter leur verre tranquillement. Et puis, y a mon bar sur la droite dès qu'on franchit l'entrée. Je n'ai jamais vu le Wisk's à sec, ça tourne en continu. C'est un peu comme si c'était le cœur battant de la ville. On travaille non-stop, mais ça m'arrange.

Une jolie brune me sourit et en profite pour mater mes tatouages. J'adore le pouvoir d'attraction qu'ils possèdent. C'est juste une partie de mon histoire, mais pour les meufs, c'est synonyme que je suis un connard, un Bad boy, un intouchable, un mec qui les fait mouiller dans leurs romans à l'eau de rose. Le chocolat, c'est pas mon truc. Je suis un connard et j'aime l'être. Les relations d'un soir, c'est parfait pour moi. Pas de prise de tête, pas d'obligation.

Je chante dans ma tête un air qui m'inspire quand Cameron monte sur scène. C'est un gars super doué en musique qui se produit ici presque tous les soirs avec son groupe les Cavaliers. Grâce au Wisk's, ils ont pu rencontrer une maison de disque. Maintenant, ils voyagent partout aux USA et au Canada. Ils choisissent de chanter "Brother" de Zack Harrington lorsque Jay, mon patron déjanté, vient me voir. Je sens immédiatement qu'il se passe un truc. Depuis les années, j'ai appris à reconnaître ses expressions.

— Ju... Yan vient de me dire qu'il a vu ton frère dehors, m'informe-t-il. Le calme avant la tempête, pensé-je.

— Ouais et ? Accouche, lui répondis-je, agacé.

Je déteste quand il prend sa petite voix calme. Jay est un gars génial. Il est simple et brut, c'est pas lui qui va te mentir ou faire le gentil. Il est direct et serviable malgré son allure de brute avec ses tatouages partout et sa lèvre inférieure percée. On pourrait vraiment croire qu'il est quelqu'un de mauvais si on ne regardait pas ses yeux rieurs et sa bouche taquine. C'est un vrai gosse dans le fond. Un gosse qui kiffe baiser. Sans oublier qu'il me laisse jouer sur scène, car il sait combien la musique compte pour moi.

— Il est en train de dealer avec Daemon, lâche-t-il sans ciller.

— Putain ! grogné-je, énervé. Je vais le tuer !

Je sors prêt à lui casser la mâchoire s'il le faut. Mon abruti de frère traîne avec des mecs encore plus abrutis que lui ce qui prouve son intelligence défectueuse. Daemon passe sa vie en maison de redressement. Mon frère est son vrai petit toutou, soumis et obéissant. Il fait sa tête brûlée maintenant, mais quand il se retrouvera seul en taule, il fera moins le malin. Cet idiot a toujours adoré me chercher. Il sait que je bosse ce soir, je suis certain qu'il est venu dealer tout près juste pour me mettre hors de moi. Depuis ce qu'il s'est passé, il adore me voir péter un câble.

— Brandon ! crié-je.

L'intéressé tourne à peine la tête, une moue pédante plaquée sur le visage. Je me retiens de lui faire disparaître son petit sourire et le tire par le bras. Il se dégage et me lâche platement qu'il est occupé et que je ne suis pas son père avant de se tourner vers ses amis avec un sourire fier. Crétin. Je lui reprends le bras, mais il se défait de mon emprise une seconde fois.

— Dégage putain ! Va baiser, c'est ce que tu fais de mieux.

C'est la goutte de trop. J'explose et le plaque au mur, énervé.

— Tu vas me suivre petit con que ça soit gentiment ou par la force ! J'en ai marre de tes conneries. Si tu finis encore en taule, j'aurais pas l'argent pour t'y sortir.

— T'as qu'à arrêter de boire. On aurait plus d'argent.

Je fulmine. Il sait que je fais tout pour la famille. Je n'use rien pour moi. Mes jeans sont troués et c'est pas un effet de mode. Je le dissuade d'en rajouter du regard, mais il ne s'arrête pas. Il me sourit, provoquant.

— J'ai pas terminé ma vente. Tu vas me voler mon fric peut-être ? Ou alors tu veux m'en acheter ? Avoue, tu baves sur le fait que moi, je fais un truc de ma vie.

Je serre les dents presque à les briser. Il ne se départit pas de son sourire alors j'utilise la force. Rien d'autre ne marche avec lui. Je lui retourne le bras et le pousse fermement en avant. Il a beau se débattre, je suis le plus fort. Cette fois, il ne dit rien et me laisse faire. Je le pousse dans ma caisse et rentre à la maison. Il n'était pas comme ça avant. Quand il était petit, j'étais son héros. Je passais mes journées à m'occuper de lui. On s'amusait comme des fous. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'être la pire chose qui lui soit arrivée. On a pas eu une vie facile, c'est certain, mais c'est pas une raison pour être un abruti fini. Il me fait exploser tous les jours. S'il continue, je vais perdre mon job et dealer sera notre seul moyen de manger.

Je le pousse dans la maison pendant qu'il me lance un regard noir.

— Oh excuse-moi... Tu avais des projets peut-être ? lui demandé-je, faussement contrit.

— Va crever ! crache-t-il en montant dans sa chambre.

Une fois qu'il disparaît de ma vue, je souffle. Je suis épuisé de toutes ses conneries. Monsieur a dix—sept ans et il se pense roi de la ville. Crise d'adolescence ou pas, il a intérêt à se calmer ou je vais finir par l'envoyer à l'hôpital. Il sait de quoi je suis capable

— Maman ? Maman ? appelé-je.

Je fouille toutes les pièces, mais elle reste introuvable. Génial. Je me dirige vers le frigo pour prendre de quoi cuisiner quand un reflet blanc sur le plan de travail attire mon attention.

Je m'approche et découvre une serviette avec une inscription.

[ Je suis avec Mark. Je rentre demain bisous mes anges. ]

Au moins, elle va bien. Je soupire. J'ai besoin d'une clope pour déstresser.

Une fois dans ma chambre, je sors sur mon petit balcon et tire un coup. Les pensées en vrac, j'ai l'impression que chaque bouffée me permet de respirer un peu mieux.

— Pourquoi faut-il que tu sois comme ça, hein ? je murmure à voix basse comme si mon frère pouvait m'entendre. Tu te crois invincible, mais tu ne vois pas que tu gâches ta vie.

Je passe une main dans mes cheveux, sentant le poids écrasant de la responsabilité sur mes épaules. Être le pilier de ma famille est un fardeau lourd à porter, surtout quand chaque geste de mon frère est comme un écho de mes propres erreurs. J'ai merdé. J'ai merdé, et c'est ma famille qui en paie le prix.

J'observe le parc au bout de la rue, seul coin de verdure de mon quartier. Pour une fois, Brandon n'y est pas. Tous les soirs, quand je ne bosse pas, je vérifie s'il ne « s'amuse » pas encore à fumer, draguer ou dealer avec ses potes. Faut que j'arrête de penser à tout ça. Je sens la colère monter et j'ai pas encore envie de péter les plombs. Il faut que je me calme. Que je garde ce monstre enfermé bien profondément.

Ma guitare. Je me lève lentement, laissant derrière moi les cendres de ma cigarette comme le symbole de tout ce que je veux laisser derrière moi. Je glisse mes doigts sur les cordes et sent immédiatement ce sentiment de calme m'envahir. Enivré par la mélodie qui se vide de moi, je me laisse emporter loin, très loin d'ici. Si seulement tout était plus facile... Si seulement je pouvais abandonner ce monstre.

D'un coup, une voix d'auto-tune m'agresse les tympans. Brandon.

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