Raoul continuait de surveiller discrètement les alentours tandis qu’Ernesto vérifiait la sécurité du bâtiment. Quant à nous, nous étions persuadés qu’il s’agissait d’une erreur et qu’Ales n’était pas l’homme qu’ils recherchaient, mais Ravtek ne nous avait pas laissé le choix. Nous devions les suivre jusqu’à la confrérie pour éclaircir toute cette histoire.
— Cet immeuble ainsi que de nombreuses propriétés de la cité appartiennent à notre confrérie. Cela nous permet d’être plus efficace lorsque des situations d’urgence se produisent.
Je ne répondis rien, car Alessandro ne semblait pas avoir fait le rapprochement, mais si l’immeuble était bel et bien à la confrérie, cela voulait donc dire qu’elle avait un lien avec Sergio, le père d’Ales. Ce dernier était le propriétaire de notre appartement qu’il nous avait proposé comme logement de fonction, Alessandro occupant un emploi de gondolier dans l’entreprise de Sergio.
Ernesto venait de nous rejoindre, affirmant à Ravtek que la voie était libre.
— Dans ce cas, nous allons pouvoir y aller. Pour le bien de notre mission, je vous demanderai de ne pas dire un mot et d’être aussi rapides que possible.
J’observai Alessandro qui restait sur ses gardes, tout comme moi.
— J’allais oublier ! ajouta Ravtek. Avant que nous ne partions, sachez que pour nous introduire dans la confrérie, nous emprunterons une entrée différente de la vôtre. Quand nous serons devant la maison, il vous faudra y pénétrer et attendre qu’un système de sécurité se déclenche pour pouvoir aller plus loin. Si le sang qui coule dans vos veines appartient bien à un Retoni, Alessandro, alors vous pourrez nous rejoindre en toute tranquillité. Sinon… nous évoquerons ce point une prochaine fois, dit-il en souriant, gêné de ne pas s’être arrêté avant. Ah, j’allais oublier ! Tenez Rose, prenez ceci, dit-il en déposant une petite amulette dans le creux de ma main. Elle vous permettra d’entrer sans encombre.
Ales allait interpeller Ravtek à ce sujet lorsque Raoul mit fin à toute conversation, pressé de nous mettre à l’abri. Ernesto ouvrait la marche, Ravtek et Raoul étant derrière nous. Une fois en bas de l’immeuble, le pas s’accéléra. Il devait certainement y avoir quelque chose qu’ils s’étaient bien gardés de nous dire et que nous tentions de fuir à travers des ruelles qui nous étaient inconnues.
Soudain, alors que nous précipitions nos pas pour rejoindre une petite passerelle, j’aperçus l’un des deux chevaux que j’avais vus tout à l’heure.
— Nous sommes bientôt arrivés ! La situation ? demanda Ravtek à l’un des chevaux comme si ce dernier pouvait lui répondre.
— La voie est libre, Ravtek, réagit l’un d’eux en me faisant un clin d’œil, amusé.
Je savais bien qu’en entrant dans une confrérie secrète, j’allais apprendre de nombreuses choses sans vraiment y croire, mais voir un cheval répondre à une question, c’était en haut de ma liste.
Les ruelles étaient très étroites et sombres, à tel point que nous devions maintenant avancer les uns derrière les autres. Après avoir descendu quelques marches, passant sur un minuscule pont qui paraissait aussi fragile qu’une feuille, nous entrâmes dans une ruelle peu accueillante. Plus nous progressions et plus mon courage s’effaçait au profit d’un sentiment que je commençais à bien connaître depuis plusieurs minutes : l’appréhension.
Les murs étaient bâtis de vieilles pierres biscornues et les toits donnaient l’impression de se resserrer en hauteur. Aucune paroi n’était droite, aucune maison semblable et la lumière était aussi intense qu’une soirée d’hiver.
Une centaine de mètres plus loin, une fine lueur clignotait comme si elle allait s’éteindre d’ici peu et de vieux panneaux pendaient aux murs comme s’ils attendaient d’être arrachés. Ernesto s’arrêta juste après une ancienne porte en bois, certainement la plus archaïque de la cité.
— Nos chemins se séparent ici ? demanda Ales, surpris par le silence de ces hommes.
— En effet, avoua Ravtek. Nous ne pouvons venir avec vous par risque de faire repérer la confrérie. Et puis, notre entrée est différente de la vôtre. Nous nous rejoindrons à l’intérieur d’ici peu, ne vous en faites pas. En attendant, suivez les points lumineux, vous êtes les seuls à pouvoir les distinguer. Ils vous mèneront directement à Umberto qui pourra vous mettre en garde contre tout ce qui rôde dans les bas-fonds de notre incroyable cité.
— Une dernière chose ! dit Raoul. Ne touchez pas les murs, ils sont ensorcelés par la magie qu’Umberto a lancée afin de détourner les curieux.
— Bonne chance ! s’exclamèrent-ils à l’unisson. Vous en aurez besoin ! rajouta Ernesto avant de partir avec Ravtek et Raoul.
Alessandro paraissait soulagé que nous soyons arrivés jusqu’ici sans encombre. Contrairement à lui, j’étais anxieuse de découvrir la suite des évènements, même si je prenais davantage conscience que nos vies risquaient d’évoluer d’ici peu.
Une fois la main sur la poignée, Ales ouvrit la porte qui grinça comme si elle avait plusieurs centaines d’années. La pièce était très sombre, sans aucune clarté hormis quelques dizaines de points lumineux implantés dans les murs comme des lucioles statiques.
Nous étions passés par quelques chemins biscornus, par des couloirs étroits, et il n’y avait toujours rien. Il n’y avait donc rien d’engageant à continuer en ces lieux. Mais après quelques minutes de marche supplémentaire, nous arrivâmes enfin au niveau de la dernière lumière qui clignotait au-dessus d’une vieille porte en bois.
Ales s’arrêta net et se retourna face à moi.
— Comment te sens-tu ?
— Pour être sincère, je me demande ce que nous allons découvrir derrière cette porte.
— Tout va bien se passer, je te le promets, dit-il en posant sa tête sur la mienne. Ne t’inquiète pas, nous allons régler toute cette histoire en un rien de temps. Je t’aime Rose, quoiqu’il puisse arriver, ne l’oublie pas.
Il me donna un baiser sur le front et dirigea sa main en direction de la poignée, attendit un instant avant de la saisir puis poussa la porte vers l’extérieur. Tout cela se passa si vite que je n’eus pas vraiment le temps de profiter de ces quelques secondes en tête à tête avec lui.
Nous venions d’entrer dans une pièce complètement noire, marchant à tâtons pour éviter tout problème lorsqu’un grand bruit me fit sursauter.
— Ales, qu’est-ce que c’est ? m’exclamai-je totalement surprise en lui serrant la main à l’instant où la lumière jaillit dans toute la maison.
En réalité, la porte que nous avions franchie quelques secondes plus tôt s’était brutalement refermée derrière nous, déclenchant le système d’éclairage pour donner des couleurs à cette pièce. Rien à voir avec l’endroit froid que nous venions de parcourir, les lieux paraissaient chaleureux malgré l’absence de présence humaine. En une fraction de seconde, tout avait changé ici. La lumière traversait cet endroit de toute part à travers des lustres en verre de Murano, des tapis et de magnifiques meubles. Une musique émanait même de l’ascenseur, dont les portes venaient de s’ouvrir. Tout ceci était époustouflant de beauté.
— Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue en ces lieux. Je me nomme Sturridge et je serai votre guide jusqu’au palais. Entrez donc, voyons, n’ayez pas peur ! s’exclama-t-il heureux.
Alessandro me regarda, l’air abasourdi.
— C’est sûrement le service de maintenance qui parle dans un micro, me dit-il à voix basse, peu sûr de lui, même s’il essayait de ne pas le montrer.
— Tu as certainement raison, mon chéri, mais… vous vous occupez de l’entretien ? demandai-je curieuse d’entendre la réponse.
— Bien sûr que non, voyons ! Je suis l’ascenseur dans lequel vous entrez ! affirma-t-il d’un air déplaisant comme si ma question avait blessé son amour-propre. Et je suis le chef de toutes les cabines en ces lieux, madame, je m’appelle Sturridge. Auriez-vous l’obligeance de me donner votre destination, je vous prie !
C’était la première fois que je discutais avec un ascenseur, et vu le ton qu’il avait employé avec moi, je ne risquais pas de l’oublier.
— Nous avons rendez-vous avec Umberto Retoni, reprit Alessandro d’une voix forte et assurée.
— Je vois, s’exprima Sturridge sur un ton bien plus amical. Vous devriez vous asseoir, mes chers, le déplacement risque de vous secouer un peu.
Ce n’était là qu’un euphémisme, cette cabine d’ascenseur étant remuée de gauche à droite et de bas en haut. Fort heureusement, les fauteuils étaient très confortables. Sturridge devait faire deux fois la taille d’une cabine classique et offrait un bien-être plus important aux utilisateurs. Au-dessus de la porte se trouvait un minuteur qui affichait le temps restant avant d’arriver à destination. Plus qu’une minute et dix-huit secondes avant de rencontrer celui qui était à l’origine de notre présence en ces lieux. Une minute et une poignée de secondes pour découvrir la vérité sur l’histoire d’Alessandro.