Le soleil s'échappe des nuages. Selenn ferme les yeux et laisse la chaleur bienfaisante réchauffer son visage. Elle hume l'air, les parfums des fleurs et des herbes vertes glissent, flattent son odorat et lui procure une sensation de bien-être. Ses pieds, nus, sont glacés de l'eau de la rivière qui serpentent et sursautent entre les rochers. La jeune femme se sent si bien. Elle regarde sa petite soeur qui s'accroche à sa jambe. Soudain, une douleur lui vrille la main. Elle pousse un gémissement. Les nuages s'emparent du soleil et la chaleur disparait. Une décharge violente lui irradie le ventre. Elle tombe à genoux. L'orage gronde et les éclairs explosent dans le ciel. Selenn hurle. Les senteurs douces se changent en odeurs nauséabondes. Sa soeur s'enfuit et disparait. La douleur reste avec sa compagne fidèle, la solitude.
Selenn ouvrit les yeux. Le ciel avait disparu, remplacé par un plafond de bois. Elle était allongée à même le sol. Un poids l'écrasait. Elle savait qui était sur elle. L'infect Jarvis. La puanteur de son corps n'avait d'égale que son haleine méphitique.
Combien d'années de souffrance?
Selenn ne saurait le dire. Dans sa cellule, le temps n'existait plus. Parfois de longues périodes se déroulaient sans que son bourreau ne vienne la voir. Des oasis dans le désert de sa douleur. Sa soeur était toujours prisonnière et c'était pour la sauver qu'elle supportait tout ça. On lui enleva les fils qui fermaient sa bouche au bout de la première année, quand elle fut enfermée dans cette prison construite avec de l'heylios. Ce métal empêchait toutes les magies d'exister. Avec la délicatesse de Jarvis, les lèvres de Selenn saignèrent abondamment pendant plusieurs jours et la douleur était intense mais selenn apprivoisait la souffrance à l'aide d'une amie précieuse, sa haine. Elle abhorrait ce monde. Un jour elle le ferait disparaitre. Elle détruirait les êtres qui lui ont fait du mal, Kjeld, Arshard, sa mère, Alzebal et ce pourceau de Jarvis.
Chaque journée lui paraissait être la même, une sensation de déjà-vu permanente, comme si elle était enfermée dans une boucle temporelle. Elle ne parlait plus. Les seules fois où elle entendait sa voix c'était quand elle hurlait sa magie sur des champs de bataille avec la rage dans le ventre.
Je te retrouverais Niwise.
La voix sournoise de Jarvis la sortit un instant de ses pensées.
— Tu commences à sentir mauvais ma petite. Tu vas devoir prendre un bain.
Jarvis s'était relevé péniblement. Il ne re rhabilla pas. Son corps était sale et luisant de sueur.
— Bientôt ma Selenn, on va faire de grandes choses tous les deux. Je sais que tu es prête. Bientôt tu retrouvera ta soeur. Selenn l'entendait parler mais son cerveau ne l'écoutait plus.
Un jour je te détruirais morceau par morceau pourceau!
— Tu es si importante. Tu es mienne. Repose toi ma belle. J'ai un roi à voir.
Le bourreau sortit nu dans le couloir.
***
— Jarvis!
Un homme d'une large carrure se tenait debout plus loin dans le corridor, son visage reflétait l'indignation mais ses épaules voutées révélaient la soumission et le stress. Le nain pouffa. Son rire ressemblait à un râle.
— Roi Jerdoba! Soyez honoré de voir mon avantageuse anatomie. Ce n'est pas donné à tout le monde.
— Comment osez vous vous présenter ainsi devant moi! Je suis un roi!
— Et moi un artiste!
— Un artiste?!
— De la douleur et de la manipulation mon ami.
Le roi Jerdoba soupira d'agacement. Ce Jarvis était insupportable autant par l'odeur que par son arrogance.
— Comment faites vous pour?
— Pour être aussi bien proportionné?
Le roi s'irrita et serra les dents afin de rester calme.
— Pour Selenn, pour la contrôler.
— Sa soeur est au coeur de la manipulation. la drogue des mages noirs et mes mots doux font le reste. Je lui fait croire que nos ennemis détiennent sa soeur et elle attaque. Pour elle c'est comme un jour sans fin dont elle n'aurait pas conscience. Les humains sont des animaux si facilement malléables.
— Parce que les nains ne le sont pas?
Jarvis sourit.
— Les nains ont une grosse tête et sont beaucoup plus intelligents que vos semblables.
Jerdoba eut une moue de dépit.
— Qui vous dit qu'elle ne s'en aperçoit pas?
— Pour deux choses, la première c'est que je suis un maître dans mon art. La deuxième c'est que je serais mort depuis longtemps si elle s'en était aperçue!
Jarvis gloussa. Le roi grimaça. Ce nain était la pire créature qu'il ait rencontré, mais il n'avait pas le choix. Pour survivre, il devait faire des concessions à ce maudit Alzebal et ses sbires. Le royaume de Jerdobal Asdaline était exsangue. Il ne survivrait que si d'autres périssaient. Le roi avait fait son choix. Il survivrait à n'importe quel prix. Malgré tout, il avait de la compassion pour cette jeune femme.
— J'ai pitié d'elle.
— J'aurais pitié de vous si vous rompez le contrat avec Alzebal.
Le souverain secoua la tête.
— Comment êtes vous devenu ainsi?
— Je vous aime bien mon Jerdo...
Le roi l'interrompit.
— Ne m'appelez pas ainsi! Notre accord ne vous autorise pas tout petit être!
Jarcis ignora la colère de son interlocuteur et ne se départit pas de son sourire narquois.
— Donc je disais que je vous aimais bien et donc je vais vous révéler un secret que peu de gens connaissent. Mon peuple est originaire d'un autre continent. Histrall. Notre société est pacifique mais pas parce que nous naissons tous gentils et bienveillants. A l'age de dix ans nous sommes testés. Ceux qui échouent ne peuvent pas faire partie de leur société parfaite et sont condamnés à l'exil. Les méchants enfants nains sont parqués dans des bateaux et bon voyage! Alors mon cher ami, croyez vous que je sois devenu ainsi parce que je suis mauvais de naissance ou pensez vous qu'être abandonné par ses propres parents à l'âge de dix ans et jeté dans une cale a contribué à ce que je suis?
Jerdobal était décontenancé par les paroles de Jarvis. Il bredouilla:
— Je ne sais pas.
— Moi non plus mon roi. Peut-être est ce un peu des deux. Quoiqu'il en soit si je me sens bien comme je suis, c'est que je suis là où je dois être. La pitié et la compassion je n'en ai aucune. Et tout roi que vous êtes, je pourrais vous étriper sur votre trône et vous laisser en vie le temps que vous puissiez jouir de la vision de vos entrailles se déversant sur le sol.
Le roi s'énerva.
— En d'autres temps, je vous aurais tranché la tête sur le champ nain!
— En d'autres temps mon roi, en d'autres temps.
Jarvis ricana et tourna les talons.
— Selenn sera des vôtres pour votre future bataille. Votre royaume survivra.
Le nain rota bruyamment.
— N'oubliez pas Jerdobal. Un roi n'est pas un Dieu. Ne vous croyez pas au-dessus de Jarvis.
Dans un sursaut d'orgueil le souverain répliqua.
— Et vous, ne vous croyez pas au-dessus d'Alzebal petit homme. Beaucoup ont fait l'erreur.
Le bourreau ne dédaigna pas se retourner mais il avait perdu son sourire.