24. La voix du loup

J’avais du mal à reprendre pied, je me sentais faible, vidée et dormais la plupart du temps. Jorys veillait sur moi avec attention. Saad avait construit une nacelle qui attachée à 4 loups permettait de me transporter allongée à travers les chemins. Il ne m’avait plus adressé la parole depuis la chute. Il marchait en avant, dictant les indications à Jorys et aux loups.

Le même cauchemar me hantait, avec à chaque réveil, la sensation d’avoir perdu un peu de moi. Et ce jour-là, j’avais l’impression que les sangles qui me maintenait à la nacelle étaient une continuité de celles qui chaque nuit m’immobilisait, me laissant à la merci de vampires qui se nourrissaient de ma magie. Je n’en pouvais plus !

—Détachez-moi Jorys ! ordonnais-je, frustrée de ne pas réussir à défaire moi-même les sangles.

—Bonjour votre altesse, c’est toujours un plaisir d’échanger avec vous, me répondit-elle avec un sourire bienveillant qui tranchait avec son ton sec.

Je me tortillais pour essayer de défaire les liens, mon cœur accélérait, pris d’une lente et croissante panique.

—…Je suis désolée…Libérez moi, s’il vous plaît ! soufflais-je entre les dents, je sentais la magie monter en moi. Elle me regardait avec de grands yeux interloqués où pointait une touche d’angoisse.

—Calmez-vous, vous êtes encore faible ! Je vais vous détacher…Saad ! SAAD ! finit-elle par crier.

Il arriva rapidement glissant sur le sol en un dérapage contrôlé pour s’arrêter juste à mon niveau. Une barbe légère mangeait une partie de son visage, ses yeux verts étaient sombres sous ses sourcils froncés.

—Libérez-moi... murmurais-je dans un souffle, tentant de contenir la violence de mes mouvements comme celle de mes émotions et de ma magie qui ne demandait qu’à exploser.

Il haussa les sourcils et me libéra d’un geste. Moi qui n’avais plus de force quelques minutes auparavant, je jaillis littéralement de la nacelle. Je me sentais léviter entre terre et ciel, dans un halo de lumière bienfaisante. J’avais la sensation grisante que la magie brillait à travers moi, éclairant de joie le monde autour. Puis, tout aussi soudainement, l’euphorie de la libération disparut et je chutais lourdement sur le sol.

En me relevant, je découvris les têtes déconfites de Saad et Jorys qui m’observaient la bouche ouverte comme s’il venait de voir un spectre.

Un rire métallique s’éleva alors sur ma gauche me faisant sursauter. Je me tournais et vis alors Lorens, le loup, s’approcher.

—Votre magie est sous le signe de la lumière, c’est un heureux présage …prononça l'animal dont la machoire s'ouvrait et se fermait étrangement au rythme des mots.

Je me relevais et me tournais vers Saad, abasourdie. 

—D'où ça sort ça? Il…Il parle ?! demandais-je. Saad cligna des yeux comme s’il s’éveillait tout juste d’un rêve, il fronça les sourcils, et l'air grave se releva, mais ne me répondit pas.

Je me tournais vers Jorys qui hocha frénétiquement la tête en signe de confirmation.

—Les Norkhas vivaient autrefois en harmonie avec mon peuple, nous nous protégions les uns les autres…Je ne vous tiens pas rigueur de l’avoir oublié, dit le loup. Je me retournais de nouveau vers lui, le dévisageant, interdite.

—C’est ce qu’elle est ? demanda Saad en s’avançant vers le loup, attrapant ma main dans la sienne.

—Je te l’avais dit ! La magie native…Saad ! Seuls les Norkhas avaient cette capacité…s’exclama Jorys.

—Les Norkhas ont tous été éliminés…, rétorqua calmement Saad, serrant un peu plus ma main.

—Êtes-vous sots au point de croire que l’humanité puisse renoncer à un pouvoir qui lui permette la domination sur les autres espèces ? répondit le loup, penchant la tête alors qu’il s’asseyait, la queue fouettant le sol.

—L’humanité ? Ou les Norkhas eux-mêmes ? Ils ont exterminé la moitié des êtres de ce monde et réduit en esclavage le reste ! C'est une catastrophe ! s’exclama Jorys horrifiée.

—Je ne comprends rien de ce que vous dites ! C’est absurde...les coupais-je tous, avant de continuer :

—Saad ! Vous savez qui je suis... Vous me connaissez depuis l’enfance. Je suis on ne peut plus humaine…banalement humaine même ! Ce pouvoir n’est pas le mien. Il y a eu ce rituel, je n’aurais pas dû y prendre part, j’étais curieuse, je n’aurais pas dû… Je m’en excuse…mais c’est fait ! Ce pouvoir n'est pas le mien, c'est le vôtre ! C'est celui de Saad !

Il me toisa en se grattant la barbe, un sourcil levé puis après une longue expiration :

—Non, Iliana, ce pouvoir n’est pas le mien. Vous me l’avez partagé, l’avez-vous oublié ? Ce faisant vous m’avez permis d’en découvrir la nature…Il circule encore en moi. Vous… circulez en moi, mais l’inverse n’est pas vrai. Et ce pouvoir, je puis vous l’assurer, il ne se mélange pas à ce que je suis. Il est autre. Puissant et autre.

Il avait parlé d’une voix neutre, tournant un regard mélant intérogation et suspition vers le loup. Et un silence lourd s’installa entre nous, rapidement rompu par Jorys.

—Ce dont nous venons d’être témoin… Saad ! C’est son vrai visage…Tu l’as vu autant que moi ! s’exclama-t-elle en me dévisageant avec une pointe de mépris.

Saad se retourna vers Jorys l’air surpris…

—Je n’ai pas vu un monstre Jorys…

—L’amour t’aveugle ! retorqua-t-elle du tac au tac.

Sur ces paroles, il lâcha immédiatement ma main comme si elle l’avait brûlé. Je fermais les yeux et pris une grande inspiration avant d’exploser ! J’en avais assez que l’on parle pour moi, que l’on décide pour moi, que l’on me juge autant pour ce que j’étais que ce que je n’étais pas !

—TAISEZ-VOUS ! hurlais-je en serrant mes mains contre mes oreilles. Je…je suis fatiguée ! 

Jorys se leva et s’avança vers moi en riant.

—Vous êtes fatiguée ? Vous ? Quand cela fait des jours que nous prenons soins de vous ?! Votre race connaît-elle autre chose que l’arrogance et la domination ?! me cracha-t-elle d'une voix mordante.

Saad vint s’interposer entre nous.

—Jorys…

—Je suis là pour toi ! Pour toi ! s’écria-t-elle en pointant un index accusateur sur lui. Que ce soit clair ! Je suis une Mage Libre, je n’ai prêté allégeance à personne et surtout pas à elle ni à son imbécile de père !

J’allais rétorquer quand le chant des loups se mit à raisonner tellement fort que notre seul sujet fut de nous protéger les oreilles pour ne pas défaillir. Ma tête résonnait encore plusieurs minutes après qu'il eut stoppé, Saad et Jorys semblaient tout aussi hagards que moi.

Les loups nous avaient rejoint, nous entourant petit à petit silencieusement.

—La prophétie…, repris alors Lorens, le loup. Je me tournais vers Saad :

—Notre prophétie ?

Saad secoua la tête.

—Non, une autre…dit-il après une grande inspiration.

—QUOI ?!!!  lui rétorquais-je étouffant difficilement un rire.

—La reine cachée et l’homme qui maîtrise les énergies, par leur union guérirons le monde, dit le loup de sa voix métallique.

Saad se figea…

—Vous aviez omis cela…leur union ? Qu’entendez-vous par là, demanda-t-il au loup.

Je le dévisageais ouvertement. Vraiment ? C’est ce qui lui faisait le plus peur dans cette histoire ?

—Il ne manquait plus que ça ! s’exclama Jorys en portant l’une de ses mains au front tandis que l’autre vint se poser sur sa taille, elle avait l’air aussi outrée que moi !

La situation était ridicule ! J’étais là, entre Saad et sa maîtresse, à débattre avec des loups sur mon rôle dans sa vie amoureuse et le fait que cela allait sauver le monde ! Enfin… si je ne les tuais pas tous avant cela, car en fait, j’appartenais à une race de tortionnaires sanguinaires et esclavagistes ! C'était tout bonnement risible !

Je ne pû me retenir d’éclater d’un rire franc devant le regard scandalisé de la petite assemblée. Et je mis réellement plusieurs minutes à me calmer, avant de reprendre la parole mi-amusée, mi-désespérée :

—Ecoutez moi bien ! Je ne suis assurément pas « reine », je ne suis pas cachée, je ne suis pas la femme aimée par Saad, je ne suis rien de tout ça. Vous faites tous fausse route, la veille femme, vous, les prophéties… Je suis flattée que vous m’attribuiez toutes ces intentions, vraiment…Mais vous vous trompez, je suis juste…moi…

Un élan de tristesse et d’épuisement m’envahi en disant ces derniers mots et j’ajoutais d’une voix presque éteinte alors que ma tête tournait :

— …et vraiment, je suis fatiguée.

Et je suis tombée. Et j’ai fermé les yeux. Et je n’ai plus rien entendu.

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