25. La danse des cauchemars

Il était une fois une amitié.

Il était une fois une amitié brisée.

Il était une fois une amitié brisée injustement.

 

Alyz avait entendu la rumeur. Les Résistanges partaient vers la Tour. Et Abeln le Rebelle était avec eux. Alyz n'aurait jamais pensé qu'il puisse laisser le Perce-Magie seul... Peut-être s'étaient-ils disputés ? Elle savait qu’elle ne devait pas suivre les gens à leur insu, mais c'était plus fort qu'elle, elle devait aller voir le Perce-Magie. Il était une fois une jeune fille trop curieuse. La petite stratège dessina un petit pentacle sur sa main. Et elle devint invisible, silencieuse et imperceptible pour tous. Elle mit bien deux heures à retrouver le petit homme au milieu de son quartier et se mit à le suivre. Au bout d’un moment, il se mit à neiger, ce qui lui posa un peu problème : le Perce-Magie pourrait voir ses traces. Alors elle décida de le suivre à distance, rasant les murs pour que ses empreintes soient moins visibles.

 

 

May’ké entre dans l’hôtel. Il a besoin de revoir cet endroit.

C’est ici qu’il vient à chaque fois qu’il va mal.

Le toit est plus là, alors une fine nappe blanche recouvre tout le parquet. Et une bonne partie des parois s’est effondrée, ce qui permet de voir l’intérieur des chambres depuis la réception.

Pour éviter les courants d’air, c’est pas gagné.

En réalité, cet endroit a pas été abandonné en même temps que les autres. Il a été abandonné bien avant. C’est le feu et pas le temps qui l’a détruit.

Le Perce-Magie fait quelques pas dans la neige.

Elle commence à prendre du volume, elle est si belle.

Il s’assied dans le duvet de poudre blanche et se met à bricoler.

Un vague bruit de fond.

Des discussions.

Des riches bourgeois qui réfléchissent à la prochaine ville qu’ils vont visiter.

Ils parlent vraiment trop fort.

May’ké, lui, il a beau être silencieux, il est assis en plein milieu du hall, ce qui est absolument interdit. Les domestiques lui passent au travers et marchent sur ses pièces, mais il s'en fiche.

Midlo, le réceptionniste, parle avec cette voix si charmante que May’ké aimerait tant avoir. Son frère sait toujours quoi dire et les gens ne repartent jamais mécontents.

May’ké se rend compte que la Fillette dans le Vent est en train de le câliner.

- Arrête, s'exclame le Perce-Magie d’une voix rauque, j’en ai marre de voir la ville se ranimer à chaque fois que tu me touches !

- C’est toi qui fais revivre Arkeide ! C’est toi qui as gardé ces souvenirs, moi je fais que de les matérialiser !

- Et pourquoi tu les matérialises, alors !? Ça me fait mal de voir ça !

- Tu comprendras, tu verras…

- Eivind...

May’ké marque un pause.

- Promets-moi encore une fois qu’Abeln va pas mourir.

- Quoi, tu t’inquiètes pour ce gamin débile ?

- T’es aussi une gamine débile.

- Je te promets qu’il mourra pas, elle soupire. Mais maintenant, on doit s’intéresser à quelque chose de plus important, toi et moi. Tu vas voir, on va faire des grandes choses, ensemble !

- C’est-à-dire ? demande May'ké qui est vraiment pas rassuré.

Eivind trottine dans la neige. On dirait qu’elle danse. Cette gamine peut pas s’empêcher de bouger tout le temps.

- Tu te souviens de Noé ?

May’ké aime pas trop cette question. Evidemment qu’il se souvient d’elle, mais c’est pas des bons souvenirs.

- Je vois pas le rapport, il répond froidement.

- T’as sa mémoire, c’est pour ça que tu reconstitues des scènes d’Arkeide qu’en fait t’as pas vécues.

- Mais qu’est-ce que tu racontes !? Comment elle aurait pu me transmettre sa mémoire, petite idiote !?

- Tu me crois pas, hein... Je vais te montrer !

La fillette le prend par la main et elle l’entraîne hors de l’hôtel -enfin c'est plutôt May'ké qui la suit, parce qu'il la sent même pas, sa main-.

 

 

Alyz s’écarta pour laisser le Perce-Magie sortir. Il était vraiment très étrange. Il parlait tout seul. Cela commençait un peu à l’effrayer. Le Perce-Magie était-il devenu fou en quelques heures, face au départ d’Abeln ?

 

 

La rue est remplie de monde.

Eivind et May'ké traversent plein de fantômes sur leur passage. May’ké manque de trébucher trois fois sur des objets qui existent dans la réalité, mais pas dans l’illusion.

Mais personne semble remarquer les deux intrus, à savoir un squelette ambulant et une fillette à la peau noire et aux cheveux blonds virevoltants.

Les vendeurs préparent leurs étalages et commencent à tenir leurs comptes. Avec autant de monde, c'est une belle journée qui s'annonce.

- Regarde, s’amuse la petite fille.

Le Perce-Magie lève la tête.

Et manque de tomber à la renverse.

Noé.

La petite Noé regarde May’ké et lui fait signe de la suivre.

- Te trompe pas, May’ké, c’est juste un souvenir, elle est pas là pour de vrai, rappelle la Fillette dans le Vent. Elle t’a juste laissé des indices. Imagine le jour où tous les passants l’ont vue faire des signes dans le vide !

- Mais comment elle savait qu’on serait exactement là !?

- Noé sait tout, May’ké, mais ça, tu l’avais pas compris, à l’époque.

May’ké répond rien. Il est trop éberlué pour le faire.

Pardon, Noé.

Si je t’avais écouté, rien serait arrivé.

- Mais si on est dans sa mémoire... comment elle peut se voir elle même ? il demande.

- Mais non, c’est pas comme ça que ça marche, en fait elle sait tellement tout qu'elle arrive à reconstituer un décor comme si c'était quelqu'un d'autre qui le voyait. C'est pour ça qu'on la voit .

May’ké est pas sûr d’avoir tout compris, mais il en demande pas plus, parce qu'à ce moment là, Noé se met à courir.

- On la suit ! s’élance Eivind.

- Hein !? s’exclame May’ké qui arrive même pas marcher droit sans se tenir à un mur.

La fillette se retourne vers lui.

- On doit la suivre ! Dépêche-toi !

May’ké se met à courir de manière vraiment ridicule pour suivre la jeune fille et la gamine. En fait, on dirait qu’il essaie de plonger dans le sol à chaque pas.

Au bout de quelques rues, Noé -enfin l’illusion de Noé- s’arrête. Elle entre dans une cave et ouvre une caisse. Elle en sort une petite boîte à bonbons et se retourne vers May’ké. La jeune fille montre la boîte et désigne ensuite les caisses de son index.

Elle invite May’ké à se servir, on dirait.

Eivind lâche la main du Perce-Magie et le décor disparaît.

May’ké s’approche des caisses. Des boîtes de bonbons. A l’infini.

Elles sont identiques à celle que May'ké a utilisées pour emprisonner la magie d'Abeln. Noé aimerait qu'il emprisonne encore plus de magie ?

La Fillette dans le Vent lui laisse pas le temps de réfléchir et continue :

- Maintenant, on va passer dans la deuxième application de nos pouvoirs. Je vais te prendre avec moi dans le monde des rêves et je vais t’expliquer comment ça marche.

- Euh... Pour quoi faire ?

- Tu vas voir !

- Je commence à en avoir un peu marre des «tu vas voir»...

La gamine s’avance vers Mayké.

Et à May’ké, ça lui plait pas trop, qu’elle s’approche. Il recule, mais la Fillette dans le Vent lui touche à peine la main qu’il s’endort d’un coup.

May’ké se réveille.

Il est couché sur le dos et c’est très inconfortable. Il se redresse.

Il est assis sur une pierre, au milieu d’un champ d’herbes jaunes. Au loin, la ville de Domélyl apparaît.

- On est sur la montagne de l’Heldegie… murmure May’ké.

- Pas exactement, répond la Fillette dans le Vent. On est dans ton rêve de la montagne. Comme t’as pas de vrai rêve, vu que tu dors pas, c’est dans ce lieu que t'apparaîtras.

- Mais c’est un rêve ou c’est pas un rêve ?

- Euh... C’est un faux rêve.

- Ah... Ok...

La petite fille pose sa main sur l’épaule de May’ké et le regarde droit dans les yeux.

Pour la première fois, il la sent quand elle le touche.

- Maintenant écoute moi bien, parce que c’est là que ça va devenir compliqué. Tout d’abord, ce lieu, il disparaîtra pas quand tu te réveilleras, il va rester à l’intérieur de toi.

May’ké la dévisage. Il avait jamais remarqué à quel point les yeux de la gamine étaient sombre.

- Ensuite, tu dois savoir qu’il existera toujours deux May’kés, celui de la réalité, qui dort en ce moment, et celui des rêves, que tu es maintenant. A chaque fois que l’un des deux se réveillera, l’autre s’endormira.

- Donc si quelqu’un me réveille dans la réalité, je vais m’endormir, là maintenant ?

- C’est ça, répond Eivind. Et il faut pas que t’oublies ça : pendant que tu seras éveillé dans la réalité, le May’ké du rêve restera endormi ici. Et c’est moi qui le protégerai de tout intrus.

- Il peut y avoir des intrus dans mes rêves ?

- Tu crois que ça vient d’où, les cauchemars ? C’est juste des créatures qui viennent, qui te font cauchemarder et qui se nourrissent de ta peur.

- Mais toi, t’es quoi ?

La gamine sourit.

- Je suis un cauchemar. Mais t’inquiète, je te ferai pas souffrir, moi. Je tiens à toi.

- Tu m’as fait souffrir plein de fois, idiote.

- Euh... Ah bon ? dit la gamine en faisant mine de réfléchir.

Une petite brise joue sur ses cheveux comme sur une harpe.

- Et en fait, reprend May’ké, ça sert à quoi d’entrer dans les rêves ?

- Mais May’ké réfléchis, un peu ! Tu peux entrer dans les rêves des Anges de la Tour ! On peut enfin aller voir toutes ces personnes inaccessibles ! Regarde !

La fillette claque des doigts et les deux intrus se retrouvent dans un drôle de salle. Une salle toute bleue. Les murs sont bleus et scintillants. Et y a beaucoup de monde. Des personnes en belles tuniques bleues. Avec des cheveux très longs. Et des visages d'ange.

- Eivind, je t’en supplie, me dis pas qu’on est dans la Tour...

- On est pas dans la Tour.

- Quoi, mais on est où, alors ?

- Mais May’ké tu comprends rien ! On est dans le rêve d’un Ange, parce que ces crétins d’Anges connaissent que la Tour, alors forcément, ils rêvent que de la Tour !

Silence.

- Eivind ?

- Hmm ?

- J’ai pas bien compris à quoi ça servait d’aller dans les rêves des Anges...

- Ça sert à choper toute les infos que tu veux ! Tu peux tout leur demander !

- Mais pourquoi tu le fais pas toi ? Pourquoi c’est moi qui dois le faire ?

- Parce que je suis un cauchemar trop célèbre et qu’ils voudront jamais me parler !

- Et tu penses qu’il y a plus de chances qu’ils parlent à un squelette ?

- May’ké... Tu sais que t’es en train d’attraper l’humour d’Abeln ?

May’ké s'apprête à répliquer, mais il se rend compte qu'il a oublié quelque chose. Il sent de la magie. Son vrai corps est à côté d'un Scribe, il en est sûr. Comment il a fait pour se déconcentrer autant et ne pas le remarquer ? 

- Eivind, je sens quelque chose dans la réalité. Y a un Scribe près de moi...

- Attends, je te réveille.

May’ké s’endort.

May’ké se réveille.

 

 

- Sire ? Sire, vous m’entendez ?

Le Perce-Magie ouvrit difficilement les yeux. Mais un simple regard sur Alyz les fit devenir grands et ronds, si bien que la jeune fille sursauta.

- Sire, vous devriez faire attention, c’est dangereux de s’endormir dans la neige...

Elle avait enveloppé le petit homme dans une couverture, mais elle craignait que cela n’eût pas suffi pour le réchauffer. Le Perce-Magie sembla extrêmement gêné. Il se releva d'un coup et s’enfuit à travers les rues enneigées d’Arkeide. Alyz le laissa partir et resta plantée au milieu des pavés glissants.

Il était une fois le Perce-Magie qui était devenu très étrange.

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