💍 26. Chacun ses affaires, chacun sa vie 💍

Il y avait bien des spectacles auxquels assister, mais celui-ci n'en faisait définitivement pas partie. Cela faisait bien longtemps maintenant qu'il n'y avait pas eu une telle démonstration sur la place près du Palais. Etait-ce pour rappeler aux bons citoyens et citoyennes où était leur place ou était-ce tout simplement pour faire un exemple et décourager quiconque pourrait avoir la même idée ? Nul ne le sait, mais on dit que le jeune Duc n'avait pas eu la main légère. Dix coups de fouet pour la coupable de l'affront. Les trois derniers lui auraient arracher la peau ne dévoilant qu'un dos ensanglanté. Marqué à vie. Quand le châtiment fut administré, la coupable fut immédiatement reconduite en cellule et le jeune Duc, tentant de cacher sa haine, ne put que se concentrer sur sa main tremblante. Etait-ce dû à l'effort ou car une certaine émotion ne demandait qu'à sortir tandis qu'il la contenait au plus profond de lui ? Là encore, il aurait fallut être là pour le savoir, mais la jeune Baronne Conquérant fut parmi les abonnés absents. A sa place, son frère, Bartholomé Conquérant, s'était rendu sur les lieux pour voir la scène de ses propres yeux. A la fin, son regard impassible croisa celui du Duc se trouvant sur l'estrade devant lui. Ils avaient fait ce qui était à faire. Ils avaient fait ce qui devait être fait. Ils avaient «sauvé» Joséphine et ils en étaient satisfaits. Tous les deux.

Cette dernière, volontairement enfermée dans sa chambre à double tour, voyant l'heure défilée, ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour Caroline. Jamais une femme comme Caroline n'aurait pu commettre un tel crime. Ce n'était pas de sa faute. Ni celle d'aucune de ces filles présentes au marché ce jour-là. Elle le savait, au plus profond d'elle-même, elle en était convaincue. Tout ceci devait être un coup du mauvais sort ou bien une manœuvre de la Princesse. Pendant son temps enfermée, elle y avait pensé. Elle s'était prêté à imaginer ce genre de scénario, mais cela ne faisait aucun sens à ses yeux. Jamais de sa vie elle n'avait côtoyer la famille royale et depuis son enfance, elle passait le plus clair de son temps à fuir les nobles. Alors pourquoi elle ? Pourquoi se retrouver mêler dans un jeu qui ne la regardait pas et dont elle ignorait les enjeux ? Pourquoi Son Altesse Royale viendrait s'embêter d'une personne comme elle ? Elle n'était personne. Juste une petite Baronne ayant acheté son titre faute d'être née d'une grande lignée. Cela faisait d'elle et des siens de «faux nobles» et par conséquent, le cadet des soucis de la bonne société. Alors pourquoi ?

Bien des choses semblaient lui échapper. Trop de choses et elle n'avait honnêtement pas le coeur, ni le courage pour courir après un mystère de plus, surtout en ce moment.

- Madame ? demande Ninon en frappant délicatement à la porte, Vous avez de la visite.

- Je ne suis guère d'humeur, crache sèchement Joséphine en enfournant sa tête dans son oreiller laissant sortir un cri qui pouvait se laisser entendre de l'autre côté de la porte.

- Son Excellence est là, rajoute la domestique.

Un silence. Rien.

- Madame ?

Puis soudain quelque chose venu percuter la porte. Peut-être l'oreiller en question faisant ainsi comprendre à quiconque essayerait de lui parler qu'elle n'était pas ouverte à la discussion. Encore moins au Duc de Varsox. Elle n'avait ni envie de lui parler, ni envie de le voir.

- Madame ? insiste alors Ninon d'un ton plus ferme.

- Retournez à vos tâches, ne vous en faites pas pour moi, lance alors le Duc, Je vais me débrouiller.

- Mais, je...

- J'insiste. Laissez-nous.

Prêtant néanmoins une oreille attentive à ce qu'elle pouvait entendre de l'autre côté de la porte, Joséphine perçu les pas des sabots de Ninon s'éloigner petit à petit tandis qu'une main vient frapper de nouveau à sa porte. Plus délicatement.

- Joséphine, je vous en prie, lui dit-il.

- Allez vous-en ! lui conjure t-elle

- Nous avons des choses à nous dire vous et moi.

- Je ne crois pas non.

- Disons alors que j'ai des choses à vous dire et j'aimerais que vous les écoutiez. S'il vous plaît.

Elle lui en voulait. Assez pour garder sa porte close, mais pas assez pour se refuser à l'approcher. Alors, quittant son lit, elle s'approche à pas de loups de cette dernière et y pose la paume de sa main. Elle le savait de l'autre côté, juste derrière cette fine parois en bois, là et il ne lui suffirait que de l'ouvrir pour le voir, mais elle s'y refuserait. En quelques semaines à peine, cet homme était entré dans sa vie d'une façon à laquelle elle ne s'attendait pas. Elle ne s'attendait pas à sa douceur, sa compréhension, sa vision des choses et du monde, son charme, sa détermination...

Elle ne s'attendait pas à voir en cet homme, un ami. Et cela lui est d'autant plus douloureux que de se retenir de le frapper en plein visage.

- Si vous ouvrez la porte, je promets de subir tous les coups que vous me donnerez, relance-t-il dans l'espoir d'avoir un semblant de réponse, autre qu'un grognement ou un juron marmonné.

Hélas, «obstination» est le deuxième prénom de Joséphine.

- Je ne m'excuserais pas pour ce que j'ai fais. Sachez-le. J'ai pris une décision que je savais difficile et j'en assume les pleines conséquences. J'aimerais juste...que vous compreniez mon action.

- Et j'aimerais, moi, que Son Excellence n'intervienne pas dans mes affaires personnelles. Par votre faute, une innocente a été punie pour un crime dont elle n'est même pas responsable.

- Je sais, mais...

- Je vous pensais différent, Duc, le coupe-t-elle, Je pensais que nous partagions au moins une vision commune de notre monde défaillant et injuste. Je pensais que vous, plus que quiconque, comprendriez pourquoi je me suis rendue moi-même. Mais il faut croire que je me trompais. Vous êtes comme tous les autres : Une immense déception.

Voilà des mots qui blessent. Il s'attendait très certainement à sa colère, mais pas à une telle froideur dans ses propos. Sans doute, Jonah aurait préféré une gifle que cela.

- Vous êtes à votre tour, injuste envers moi, Baronne, lâche-t-il à son tour en l'appelant par son titre.

- Une injustice pour une injustice alors. Nous voilà quitte vous et moi.

- Peut-être qu'avec le temps, vous comprendrez ma démarche, ce que je souhaite sincèrement car vous êtes une amie de grande qualité et cela serait dommage que votre vision naïve du monde et de son fonctionnement vous empêche d'aller de voir plus loin que le bout de votre si petit nez. Néanmoins, vous avez raison sur un point, soupire-t-il.

Marquant un temps de pause, ce dernier vient à son tour poser sa main sur la porte espérant silencieusement qu'elle soit juste là, de l'autre côté. Espérant qu'un jour, tout ceci ne soit qu'un lointain souvenir et qu'ils continuent à se voir. Il ne se voit pas tenir dans ce milieu sans elle. Sans cette «bulle d'oxygène». Il ne voit pas comment, après une journée de pluie, le soleil pourrait revenir si ce dernier le boude avec ardeur.

- Je ne devrais pas me mêler de vos affaires de famille.

Posant son front à hauteur de sa main, Jonah reste dans cette position quelques secondes si ce n'est quelques minutes avant de s'éloigner. Ce n'est que quand le bruit de ses pas s'éloigne que Joséphine se décide à ouvrir la porte, allant même jusqu'à sortir dans le couloir pour s'assurer de son départ. Elle lui en voulait, c'était certain mais cela justifiait-il les mots qu'elle a eu à son égard ?

Car rien n'est plus malheureux qu'une parole sortie bien trop tôt, échappant à tout contrôle et que l'on finit, un jour ou l'autre par regretter.

- Madame ? souffle Ninon en arrivant à sa hauteur la voyant attristée

- C'est mieux ainsi.

- Mais n'est-il pas...

- Ninon ? Il me semble que nous avons un voyage à planifier. Tout compte fait, cela tombe à pic, j'ai besoin de m'éloigner d'ici quelques temps.

On dit que les larmes ont le goût de l'eau de mer, sans doute que son corps avait subitement décidé de lui donner un avant goût de ce qui l'attendait. Mais bien que nombreux soient ceux qui désapprouvent son voyage, ce dernier représentait actuellement la seule bouée à laquelle la jeune femme pouvait encore se raccrocher dans la tempête sans fin qu'elle semblait vivre chaque matin dès le petit-déjeuner.

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- Monsieur ?

Voyant le visage inquiet de son plus proche conseiller devant le sien, Jonah sort de ses pensées, retournant à la lecture des nombreux documents lui faisant face. Il y avait là de quoi l'occuper pendant trois jours au moins, si ce n'est plus et si habituellement une telle pile de travail ne l'effraie pas, aujourd'hui il éprouve une grande peine à se concentrer sur la moindre phrase. Parfois il relit deux fois le même mot, parfois il saute des paragraphes entiers perdant le sens du document et parfois, il signe complètement à côté et toutes ces petites erreurs accumulées n'échappent en rien à l'oeil avisé de Maximilien.

- Vous êtes contrarié, soupire-t-il en lui reprenant le dossier des mains.

- Non.

- Vous avez bien des qualités, mais mentir n'en fait pas partie. En outre, je présume avec aisance que votre manque de concentration est dû à la Baronne, n'est-ce pas ?

Juste à l'appellation de son titre, Jonah ne put s'empêcher de sursauter légèrement. Tout comme il ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu'il s'était passé. Dans sa tête ne passent qu'un nombre incalculable de scénarios lui faisant comprendre qu'il n'aurait pu faire autrement. Si, il aurait pu ne pas s'en mêler. Il aurait pu fermer les yeux et juste jouer à la poupée avec la Princesse comme elle le souhaitait. Mais avant même qu'il ne le réalise, il se retrouvait dans ce salon à lui serrer la main, ayant conclu avec elle un marché qu'il regrettait. Jamais encore il n'avait agit par pulsions, c'était bien là une première et probablement pas la dernière. Pourquoi était-il si sensible à tout ce qui touchait de près comme de loin cette jeune femme ? Ils ne se connaissaient que vaguement. Ils n'étaient ni des amis de longue date, ni même des amants. Alors pourquoi ressentait-il constamment ce besoin de graviter autour d'elle comme d'une lune tournant autour d'une planète ? Eprouvait-il pour elle de la sympathie ? De la pitié ? Une quelconque forme d'attachement autre que ce lien qui se crée inconsciemment entre eux ?

Toutes ces questions qui le perturbent tel un adolescent tombant amoureux pour la première fois.

- Je...

- Si tu me dirais «Je vous avais prévenu» Maximilien, je promet de réduire ta paye de moitié. Je ne suis pas d'humeur.

- Alors je suggère que vous sortiez dans les jardins prendre l'air pour vous rafraîchir les idées car nous avons encore beaucoup à faire.

- Non, ça ira. Redonne moi ces papiers, j'ai besoin d'occuper mon esprit et d'y chasser toutes ces choses...triviales.

Cela faisait des années que Maximilien suivait Jonah partout où il se rendait, telle une ombre. Des années qu'il était là, à le servir jour et nuit, l'observant et se demandant comment un garçon qui a tout perdu et qui a été chassé de chez lui pourrait un jour revenir et reprendre ce qui lui appartenait. Il était seul. Du moins, seul, il ne l'est pas resté bien longtemps. Jonah a toujours eu un don pour charmer les gens et en obtenir ce qu'il désirait. Il savait ce qu'ils voulaient entendre et se débrouillait pour faire passer tout ceci pour de la simple amitié. Alors naturellement, quand il l'a vu s'approcher de la jeune Joséphine, il s'est tout d'abord dit que cela ne serait qu'une amourette comme il y en a eu avant ou bien que cette fille devait être la fille d'un riche marchand et qu'il pourrait en obtenir quelque chose. Cela ne serait guère étonnant, combien de fois Jonah a-t-il demandé à ce qu'il vienne le chercher un beau matin ou au beau milieu de la nuit, laissant seule dans son lit une fille bien trop crédule pour croire que cet homme pouvait aimer ? Depuis des années, sa vie ne repose que sur l'instant où il sera en mesure de fouler la terre qui l'a vu naître. Ce fut sa seule motivation, la seule chose qui le faisait quitter son lit le matin et qui le poussait à endurer autant de choses.

Puis, il s'est soudain mit à parler d'elle. Fréquemment. Il s'est mit à la chercher des yeux dans les soirées ou lors de leurs fréquentes sorties quand ils passaient le port et ses alentours. Cette jeune femme était plus qu'une de ces «filles». Et aujourd'hui, elle avait mit à mal l'organisation que Maximilien s'était promis d'avoir. Le travail n'avance pas. Le jeune Duc ne cesse de soupirer ou, dès qu'il est fait mention de son nom ou de son titre, de le foudroyer du regard. Il s'était définitivement passé quelque chose entre eux.

- Vous savez, si cela vous contrarie autant, vous n'avez qu'à vous excuser, relance Maximilien.

Voyant un stylo plume lui frôler l'oreille, ce dernier fit quelque pas en arrière en sentant la menace venant du bureau le fusiller du regard.

- Plus un mot, j'ai dis. En outre, je ne vais pas m'excuser pour quelque chose que je ne regrette pas. J'ai fais cela pour son bien et...

Ne venait-il pas de dire qu'il ne voulait pas en parler ? Pourtant, le voilà lancé. Le conseiller dans un soupire lasse ramasse alors le stylo se trouvant quelques mètres plus loin tandis qu'il pouvait entendre toutes les complaintes de son jeune maître.

- Elle ne m'a même pas ouvert la porte ! continue à bouder Jonah en faisant des boules de papier qu'il lance à travers toute la pièce

Qu'il est dur de s'occuper d'un homme de vingt ans quand celui a la mentalité d'un adolescent.

- Vous avez tous les deux raisons, se résigne Jonah en se levant brusquement de sa chaise, Je ne devrais plus me mêler de ceci. N'ai-je pas moi-même suffisamment à faire pour m'occuper ? Ne suis-je pas débordé ? N'ai-je pas mes propres problèmes à régler ? Ai-je le moindre temps pour faire la charité ? enchaîne-t-il en faisant les cent pas devant sa fenêtre

- Je plussoie, par contre pourriez-vous éviter de...

- Je devrais me concentrer sur ce que j'ai à faire car tout à fait entre nous, mon cher Max, cela ne vaut même pas la peine que je m'attarde dessus plus longtemps.

- Pourtant vous...

- Et je te dirais même que je m'apprête à tirer un trait définitif sur toute cette histoire ! réenchérit le Duc

Encore faudrait-il que ses mots réussissent à convaincre quiconque mis à part lui-même.

Ou peut-être que la jeune Baronne a cassé quelque chose chez son maître et il ne serait dire quoi si ce n'est sa raison. Comment a-t-elle pu le rendre fou à ce point ? Lui avait-elle jeté un sort ? Peut-être était-elle une sorte de sorcière comme il en a existé pendant longtemps dans les temps anciens et si tel était le cas, il se devait de mener l'enquête afin de débusquer le démon malicieux et l'exposer.

Pour cela, il lui fallait commencer quelque part, mais où ?

 

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CelCis
Posté le 12/01/2023
Dans la tourmente!

Bon tout de suite, c'est moins sympathique de voir que le Duc ait frappé cette pauvre Caroline (en plus, pas avec la main légère). Il est difficile de lui donner un âge - certaines façons d'être ou d'agir le rendent "vieux" (plus que 20 ans - par ex. cette scène), d'autres pas. Mais nous ne sommes pas au temps d'auj, évidemment.

Concernant le chapitre précédent, je n'imaginais pas les domestiques parler autant quand ils-elles sont face à un noble, mais c'est peut-être l'avantage du roman ;)

J'ai souri à la lecture de "plussoie". Le texte est dans un style un peu ancien, puis il y a ce néologisme. Mais il convient bien.
A bientôt!
ManonSeguin
Posté le 13/01/2023
J'aime beaucoup que tout le monde s'interroge sur l'âge de Jonah alors que c'est ça...Il a environ une vingtaine d'années :) Il est pas si vieux...
Le fameux "plussoie" que j'ai posé là en me disant "oh, ça rends bien" :')
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