27 mars 2024. Chapitre 5: Le mental

Par Snybril

Après une semaine estivale et les vingt degrés qui affolaient le mercure. L’hiver a décidé de se pointer à la fête. Sans avoir été invité. Adieu petites fleurs, ciel bleu et oiseaux qui chantent. Il restait quantité de gris, du froid, du vent et de la pluie à refourguer avant qu’il ne soit trop tard. Je croyais que les séances allaient redevenir un plaisir.  Enfin presque, si on oublie quelques instants les contrariétés d’un agenda trop chargé, le contexte particulier de ma blessure et le principe général de l’entrainement ,aller chercher la souffrance pour devenir plus fort. Le principe du trail c’est d’aller se balader dans la nature. Avec une météo de merde, ça sonne beaucoup moins romantique d’un coup.

Pourtant, la météo pourrie, ça n’arrive pas qu’à l’entrainement, même au cœur de l’été une dépression inopinée peut venir ruiner la noce. Le coureur se trouve généralement face à deux choix si la pluie, la neige ou la grêle s’invite à sa compétition.

L’option 1, c’est d’abandonner. De rendre son dossard et de retrouver son canapé moelleux. D’ailleurs il reste un pot de nutella à finir et Netflix vient de sortir une nouvelle série qui fait le buzz.

L’option 2, c’est de s’entrainer à courir par tous les temps. Et le jour de la course, serrer les dents et se dire qu’on a déjà vu pire. Que peut-être pour le compétiteur, il se cache là un petit avantage face à tous les concurrents qui visent l’option 1. Ce que l’on ne ferait pas pour gratter quelques places.

 

Les courses dans la deuxième moitié du peloton m’ont appris que je ne suis pas le seul à travailler l’option 2. Je ne croise pas beaucoup de forfait pour raisons météorologiques. Et quand bien même, ça ne changerait pas grand-chose. Deux ou trois places de gagnées lorsque des centaines, parfois des milliers de coureurs auront franchi la ligne avant moi. Hier encore, je me suis fait violence pour aller faire ma session du jour. Il avait plu presque toute la journée. Et cinq minutes avant de partir, il pleuvait encore, mettant au défi les météorologues qui nous avaient promis une après-midi ensoleillée. Et puis j’avais froid. Terriblement froid. Comment s’habiller si dans une demi-heure le soleil se décide enfin à chasser les nuages ? Comment s’habiller pour affronter une séance d’intensité où je sais bien que je risque transpirer ? Bilan des courses, le soleil est ressorti, j’étais trop habillé.

Ce matin, la pluie tambourinait sur le toit vers les six heures du matin. J’avais ma voiture prête à m’emmener bien au chaud et à l’abri dans les embouteillages. Mais j’ai choisi le vélo et les vêtements de pluie. Rien ne me forçait, même pas trop des considérations écologiques ou économiques. Je suis donc parti en pédalant sous les dernières gouttes.

N'empêche, tandis que je pédalais dans le froid et sous la pluie, je m’interrogeais, qu’est-ce que je fous là ?

Bien sûr il y a cette satisfaction virile et un peu idiote d’être plus fort que les éléments. C’est faux sur le long terme bien sûr et je ferais moins le fier sans mes gants ou ma cape de pluie. Néanmoins, ça fait du bien à l’égo de se dire qu’on garde en nous une petite part du guerrier des époques héroïques. Il y a surtout de manière beaucoup plus consciente cette volonté de l’option 2. Je veux pouvoir courir par tous les temps. Et pour ça il faut se préparer car le chemin est parsemé d’embûches.

Je me prépare en premier lieu à affronter un danger réel et objectif. La pluie, la boue, la neige ou la glace vont rendre mes appuis glissants et instables. Parfois de manière franche, le plus souvent de manière sournoise et chercher à faire tomber le coureur imprudent. On s’est tous fait mal en hiver en glissant sur une plaque de verglas inattendue. C’est pire quand on lâche les chevaux et que l’on court pleine balle en descente sur un terrain technique. A ce moment, le cerveau n’a plus le temps d’analyser sur quoi ou comment poser le pied. Et quand j’y réfléchis je trouve miraculeux qu’il n’y ait pas plus d’accidents lors des courses humides. A force de courir sous la pluie, il faut croire qu’on habitue son pied à devenir plus sûr. Outre la glissade, les coquines conditions climatiques rendent plus difficile la lecture du terrain, elles dissimulent les cailloux, racines et autres joyeusetés promptes à nous faire chuter.

Outre le traumatisme, les mauvaises conditions climatiques augmentent le risque réel d’hypothermie. On ne va pas prendre froid lorsque l’on envoie des watts, au contraire la fraicheur va nous permettre de faciliter l’évacuation de chaleur. Cependant, gare au coureur qui s’arrête en plein milieu d’un col, en plein vent, lorsque les rafales vont lui plaquer des vêtements gorgés de sueur glacée sur un corps épuisé.

La sueur amène un autre sujet sur le tapis. Outre un danger objectif pour la santé, les mauvaises conditions créent un inconfort majeur. Chacun y est plus ou moins sensible. Pour mon malheur et depuis ma plus tendre enfance je suis plutôt du genre hypersensible. J’ai toujours détesté la transpiration. Dès que je termine une session d’entrainement ou bien une course, je ne suis plus capable de rien tant que je n’ai pas pris ma douche. Je déteste sentir ma peau coller, que ce soit après une baignade en eau de mer ou bien lorsque je dégouline de sueur. Hors de question de juste m’essuyer avec une serviette propre, j’éprouve le besoin impérieux de me laver.

En plus de la sueur, la chaleur est rapidement source de contre-performance. L’organisme ne sait pas très bien s’adapter pour évacuer le trop plein de chaleur produit par tous ces muscles. Dès lors que la chaleur s’associe à l’humidité, le risque peut devenir mortel. Et puis dès que l’on a trop chaud, que faire ? Mis à part se mettre à l’ombre et boire de l’eau fraiche. Ou bien aller s’enfermer dans les cinémas, les grandes surfaces et autres bureaux. Pas évident dans le contexte d’une course.

Après la chaleur, l’autre côté du spectre nous ramène un froid polaire. Lorsqu’on écarte le risque d’hypothermie évoqué plus haut, la sensation reste profondément désagréable. Je n’étais pas frileux avant de me mettre à la course à pied. Je ne comprenais pas ces gens qui avaient tendance à se coller au radiateur, ou à toute source de chaleur. Pour moi, il y avait une grosse part d’exagération derrière ces manies. Depuis, j’ai beaucoup changé. Je fais maintenant partie de cette tribu. Peut-être que je subis juste les effets de l’âge. Mais la transition me semblait trop rapide pour venir uniquement de là. La course a eu un effet radical sur mon corps. Je m’entraine beaucoup, si l’on compare à un sédentaire non sportif. Et en moins d’un an, j’avais perdu une douzaine de kilos. Courir dépense beaucoup de calories, et j’ai beau manger beaucoup, le déficit est devenu quotidien. Entre ça et la fatigue désormais chronique causée par le manque de sommeil, j’ai développé une hyper sensibilité au froid. Il y a de ça des années j’avais déménagé dans la région pour le ski. J’ai même couru en short et en t-shirt dans la neige à l’époque de mon projet de marathon. Désormais je déteste l’hiver.  En milieu de séance le froid me pose rarement un problème majeur. Le plus difficile se trouve quelques minutes avant de sortir.

Non le vrai problème consiste à trouver la motivation pour sortir s’entrainer quand il fait froid, gris, qu’il pleut. Alors que le canapé semble si confortable. Alors je sors surtout pour travailler le mental. La volonté doit être plus forte que la pulsion de confort. Sinon comment envisager de courir pendant plus de cent soixante-dix kilomètres. Comment continuer à avancer malgré la douleur et les périodes de doute ? Quand je sors sous la pluie je ne travaille pas que mon endurance physique et ma résistance à l’inconfort. J’entraine surtout ma tête à devenir plus forte. Quand je vois d’autres sportifs plus endurcis que moi sortir par tous les temps, je me dis qu’ils ont de la chance de ne pas être sensible aux conditions climatiques. Alors que pour moi c’est si dur. Cependant, je ne suis pas dans leurs têtes. Peut-être qu’eux aussi se font violence. Mes collègues, mes amis, ma famille non plus ne comprennent pas cette petite folie qui me pousse à sortir malgré le mauvais temps. Peut-être que parfois cela les impressionne, car ils ne sont pas dans ma tête non plus.

Alors oui, je pédale sous la pluie et j’arrive trempé au boulot. Ou pas. Car outre le mental, le porte-monnaie est un fabuleux atout contre les caprices du climat. Le dicton raconte qu’il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements. C’est assez vrai. Car parfois je me fais l’impression d’être un cosmonaute. Il pleut à torrent, parfois il gèle et pourtant je suis bien au chaud sous mes triples couches techniques. Ca ne durera pas tant que ça, mais ça aide sacrément. Car s’entrainer sous la pluie, c’est aussi tester son matériel, s’y habituer pour en tirer le meilleur.

Ce jour-là, j’avais donc sorti un peu de matos pour affronter la pluie. Mais il aura suffi de quelques tours de pédale pour que le soleil chasse les nuages. La météo sourit aux audacieux. Statistiquement, il fait plus souvent beau quand même.

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Saskia
Posté le 27/05/2024
Salut Snybril !

Me voilà déjà rendue au dernier chapitre disponible.
Il faut vraiment être motivé pour sortir courir par tous les temps ! Moi je m'y risquerais pas XD
C'est marrant quand même le parallèle qu'on peut faire entre la préparation d'un défi sportif et l'écriture d'un roman. Dans les deux cas, c'est long, faut avoir la motivation de s'y mettre souvent, beaucoup travailler pour s'améliorer, il y a des contraintes extérieures qui peuvent retarder ou mettre en péril le projet...

Remarque orthographique :

" Car s’entrainer sous la pluie, c’est aussi tester son matériel, s’y habitué pour en tirer le meilleur. "
> habituer
Snybril
Posté le 31/05/2024
Décidément Saskia, tu as survécu à tous mes chapitres jusqu'ici.
J'éprouve le même sentiment que toi à comparer les expériences de l'écriture et l'entrainement sportif. Ca prend du temps, on est jamais sûr de voir la ligne d'arrivée. Mais quelle satisfaction de laisser une petite trace (même infime) dans ce monde d'anonymes.
Merci encore pour ton aide !
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