💍 28. Surprise 💍

Depuis combien de temps était-elle là, plantée devant le bord de son lit à regarder cette énorme caisse débordant de vêtements ? En avait-elle prit suffisamment ? Trop ? Pas assez ? Voilà que cette boîte était la seule chose venant occuper ses pensées tandis que derrière elle, appuyé contre la porte, se tenait son cadet, la dévisageant avec désespoir, soupirant de temps à autre comme s'il tentait de l'interpeller. Mais rien. Rien ne semblait sortir Joséphine de ses pensées.

Bartolomé savait que ces derniers jours avaient été particulièrement rudes pour son aînée et que cette dernière s'était enfouie, tête la première, dans les tâches qui lui incombaient en tant que Baronne afin de ne pas penser à tout le reste, mais cette fuite en avant était tout sauf une stratégie saine. Un jour ou l'autre, toutes ces choses auxquelles Joséphine se refuse de faire face lui reviendront au visage. Toutes ces choses qu'elle a momentanément mises de côté, reviendront la hanter et il le savait. Malheureusement, il ne sera pas là pour l'épauler. Ninon ne peut avoir ce rôle, Ambre et Thomas sont trop jeunes pour réaliser encore l'ampleur du rôle et de la responsabilité de leur sœur. Joséphine n'avait personne. Et ça, il ne pouvait le tolérer.

- Vas-tu rester à me regarder pendant encore longtemps ? lui demande-t-elle soudainement sans même prendre la peine de se retourner.

- M'ignores-tu sciemment ?

- Je ne t'ignores pas, mais je préfère éviter une conversation qui me vaudra tes foudres.

- Certes. Je me doute que si cette malle est sortie et à moitié remplie, ce n'est pas parce que tu as décidé de faire du tri dans ta penderie.Tu comptes y aller, n'est-ce pas ? Malgré tout ce que j'ai pu te dire et malgré notre duel ?

- En effet. Toi plus que n'importe qui sait ô combien j'ai besoin de m'éloigner d'ici quelques temps, déclare Joséphine en daignant enfin lui faire face, Je comprends tes inquiétudes, Bart, crois-moi...

- Et je comprends ton envie, Joséphine. Je l'entends, mais...Le vaste océan est un endroit dangereux, insiste le cadet en s'approchant d'elle

- Pas plus dangereux que la terre ferme.

- Joséphine...Je t'en prie. Je sais que tu n'as guère besoin de mon approbation pour partir, mais j'aimerais passer les quelques jours qu'il me reste avec tous les membres de famille. Après, je m'en irais de nouveau et tu ne m'auras plus sur le dos.

- Ne dis pas ça. Je t'aime sincèrement Bartolomé et il me manquait une personne qui s'inquiétait honnêtement pour moi...Mais toute ma vie, je n'ai fais que ce que l'on attendait de moi. Toute ma vie, je n'ai fais que sourire, prétendre et vivre au travers de cette famille. Pour la première fois, je veux juste faire quelque chose pour moi. Quelque chose de nécessaire à mon bien être et j'ai besoin de prendre l'air. Pas seulement de sortir pour me promener en ville, mais j'ai besoin de m'éloigner de cette ville quelques temps avant qu'elle ne me prenne absolument tout. Elle m'a déjà tant pris : Mes rêves, mes ambitions, mes parents...

Aussi loin qu'il puisse se souvenir, Bartolomé n'a pratiquement aucun souvenir de Joséphine pleurant. Elle tombait,elle se relevait. Elle était blessée, elle serrait les dents. Elle était triste, elle faisait autre chose pour se divertir l'esprit. Enfants elle était l'exemple parfait. Elle était son modèle, mais aussi son pilier. Joséphine ne pleurait pas. Joséphine était incroyablement forte.

Jusqu'à aujourd'hui.

Aujourd'hui, ses yeux sont pris d'assaut par de légères et fines gouttes. Ils se teintent de rouge alors qu'une larme roule sur sa joue. Aujourd'hui, Joséphine craque alors qu'elle ne l'a pas fait en presque vingt ans de vie. Peut-être que tout compte fait, cette ville lui a prit bien plus qu'elle ne veut bien l'admettre car voilà qu'elle commence à lui arracher une partie de son âme.

Alors naturellement, Bartolomé prends sa sœur dans ses bras, écoutant ses sanglots silencieux devenant des supplices à son cœur. Joséphine partira,c'est certain. Mais pas seule, cela il se le refuse.

- Cela me fait penser que j'ai une importante course à faire en ville, annonce le cadet, Je reviendrais avant le dîner !

- Maintenant ?

- Oui. Cela m'était complètement sortie de la tête ! Quel étourdi je suis !

Dans un rire nerveux, Bartolomé s'écarte, détale dans les escaliers et disparaît. Dans ces mêmes escaliers, un plateau à la main se trouve Ninon qui, ayant écouté une bonne partie de la conversation bien malgré elle, se demande si tout compte fait son plan finement élaboré est une bonne idée. Pouvait-elle s'en abstenir et faire ainsi faux bonds au jeune conseiller du Duc qu'elle avait croisé plutôt dans la matinée à la librairie ? Non. Il fallait que ce dernier réussisse. Pour le bonheur de sa jeune maîtresse.

- Madame ? Je vous ai apporté un thé. Puis-je le poser sur la table ?

- Je t'en prie, fis Joséphine en se séchant les larmes.

Posant le plateau, Ninon ne dit pas un mot, encore tiraillée par sa décision. Etait-ce vraiment le moment pour cela ?

- Puis-je vous demander de m'accorder une petite heure ? demande-t-elle soudainement ?

- Bien-sûr, mais pourquoi ?

- J'ai malheureusement oublié une précieuse sacoche ce matin vers le marché et je me dois d'aller la récupérer.

- Au marché ? Cela ne te ressemble pas d'oublier ce genre de chose.

- C'est que j'avais les bras chargés et je crains que si je n'y vais pas maintenant, je ne pourrais pas...

- Cela tombe bien ! J'ai des papiers à récupérer au port. Je vais t'accompagner.

N'en croyant pas ses oreilles, la jeune domestique peine à réprimer un sourire satisfait. Voilà qu'elle venait de réussir sa partie du plan en faisant sortir sa maîtresse de chez elle. Etait-ce si facile ? Ou avait-elle un don caché pour le théâtre et le jeu ? Qui sait ?

- Je vais immédiatement préparer vos affaires alors !

Ne comprenant pas le soudain entrain de la jeune fille pour cette sortie, Joséphine la regarde partir en courant, descendant les escaliers précipitamment. S'en retournant vers sa malle, un soupire lui échappe alors que les mots de son frère ne cessent de tourner en boucle dans sa tête. Elle comprenait son inquiétude et ses appréhensions, mais voilà trop longtemps que Joséphine rêve de voyages, d'évasions et d'aventures. Trop longtemps que cette chance ne lui était même pas à portée de mains. Elle ne pouvait pas refuser telle occasion. Pas maintenant que cette dernière lui souriait enfin.

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Maximilien fit les cent pas devant la porte, ruminant encore et encore inlassablement. Etait-ce une judicieuse idée ? N'était-il pas partie en quête de réponses ? N'en voulait-il pas à cette jeune femme de détraquer l'esprit si brillant de son maître ? Alors comment avait-il pu accepter un tel plan ? Non, comment avait-il pu être celui qui le propose ? Une part de lui-même se sentit manipulée et cela le contrariait énormément. Néanmoins, Maximilien était un homme de paroles et il ne pouvait décidément pas se défiler bien qu'il en avait profondément envie.

Soudain, la porte du bureau s'ouvrit brusquement et il tomba nez à nez avec le jeune Duc le dévisageant curieusement.

- Cela fait dix minutes que je t'entends derrière la porte. Que fais-tu ?

- Rien. Ai-je l'air de faire quelque chose ?

- Justement. Ce n'est pas dans tes habitudes. Pourquoi fuis-tu mon regard ?

- Pour aucune raison. Vous ai-je déjà dit que votre beauté est...

- D'accord, ça suffit, le coupe Jonah plus suspicieux que jamais, As-tu bu ou pris une quelconque substance avant de revenir ?

- Non.

- Dans ce cas, me cacherais-tu quelque chose ?

Maximilien, acculé, ne put s'empêcher de faire un pas en arrière tout en fuyant le regard du jeune Duc. Il ne savait pas mentir et encore moins lui cacher des choses.

- Maximilien...j'attends une réponse. Me cacherais-tu quelque chose ?

- Non...souffle ce dernier

- En es-tu certain ?

- Non.

- Le coin gauche de ta lèvre tremble tu sais...

Trop c'est trop.

- Bon d'accord, je vous cache quelque chose ! finit-il par craquer, Je n'ai malheureusement pas pu trouver l'ouvrage que vous souhaitiez et je vous serais gré de faire preuve de clémence.

- Quel ouvrage ? interroge Jonah visiblement confus

- Le livre que vous m'avez demandé d'aller chercher ce matin.

- Justement, de quel livre parles-tu ?

Le faisait-il exprès ? Etait-ce une nouvelle façon pour lui de l'interroger ?

- Ce matin vous m'avez envoyé faire une course me demandant d'aller vous chercher un livre vous permettant de...

- Aaaaah ! s'exclame le jeune Duc, Je voulais juste un moment pour moi. Ce n'était qu'une excuse alors ce n'est pas bien grave.

- Pas bien grave ? répète Maximilien.

A peine avait-il mit les pieds dans la petite librairie qu'il avait pu sentir sur lui tous les regards le dévorant de son vivant. Jusqu'à présent, peu de choses l'avaient rendu ainsi inconfortable et voilà qu'il venait de subir ça pendant une petite demi-heure et pour rien ?

- Je demande réparation, lance Maximilien

- Pardon ? Réparation ? Pour une course inutile ? pouffe Jonah surpris par sa soudaine requête

- Tout à fait ! Je demande à ce que vous m'accompagniez en ville à votre tour et vous comprendrez peut-être l'enfer que vous m'avez fait traverser.

Jonah ne put s'empêcher d'éclater de rire. C'était bien là la première fois que son ami agissait de la sorte, tel un enfant boudant, contrarié, vexé qu'on l'ait utilisé. Pourtant, ce n'était pas une première pour eux, mais sortir d'ici, loin des papiers, loin du travail, peut-être que cela peut être pour lui une échappatoire comme une autre car après tout que lui restait-il à faire à présent si ce n'est s'enfermer dans cette lugubre pièce ?

- Très bien. Sortons alors. Je ne voudrais surtout pas manquer de me faire pardonner.

- Vous riez, mais vous savez que je déteste perdre mon temps.

- Tu es blanc comme un linge Max, prendre le soleil n'a pu te faire que le plus grand bien ! rit le Duc

- Si vous étiez soucieux de ma santé, vous éviteriez, et ce par tous les moyens, de me rendre chèvre.

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Joséphine n'avait pas dit un mot depuis qu'elle était sortie de la maison en compagnie de Ninon. Elle s'était contenté de marcher, regardant le paysage l'entourant, ignorant les quelques passants murmurant sur son passage le tout en allant de l'avant. Cette ville représentait bien des choses pour elle, mais ces dernières années tout lui laissait à penser qu'elle s'était retrouvée dans une immense prison dorée. Enfermée. Coincée. Obligée. Étouffée. Il n'y avait plus un brin de bonheur qui s'offrait à elle. Sortir n'était plus synonyme d'expédition mais de fardeau. La simple pensée de rencontrer des gens était épuisante et elle savait que n'importe quel prétexte serait bon pour une lapidation verbale. Alors oui, elle s'était cachée derrière sa famille, ses prétextes, ses désirs et ses souhaits. Elle s'était cachée derrière l'éducation de Ambre puis de Thomas, mais voilà que sa cadette semble en bonne voie pour se débrouiller seule et son dernier petit frère est de plus en plus débrouillard. Bientôt, ils n'auront plus besoin d'elle car à leurs tours ils iront dans le vaste monde. Elle le sait. Pourtant, cette simple pensée l'effraie. Comment seront-ils traités ? Arriveront-ils à se faire respecter ? Entendre ? Aimer ? Elle pourrait aisément briser le cou de quiconque venant blesser l'un ou l'autre, mais la violence n'était décidément pas la réponse à tous ses maux et problèmes comme il ne lui était pas possible de continuer à ignorer les lettres du Conte Detina. Toujours plus nombreuses. Toujours plus oppressantes.

Mais tandis que ses pensées s'égarent au sujet du Conte, une silhouette se dessine progressivement de l'autre côté du pont. Une silhouette familière. Singulière. Plaisante et pourtant énervante.

S'approchant délicatement de cette dernière, quand l'ombre fut à sa hauteur, elle baissa le regard et marqua un arrêt avant de se courber légèrement.

- Votre Excellence, siffla-t-elle alors que la brise emporta ses mots sur l'instant.

- Madame la Baronne, lui répondit-il, Quelle agréable surprise.

En effet. C'est une surprise.

 

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