Deux jours plus tôt...
La liberté. Elle est là. Juste devant moi. Je peux presque la sentir. Il m'a fallu des années avant d'enfin me décider à la prendre. Il ne pourra plus jamais m'atteindre ici. Je laisse mes démons derrière moi cette fois.
— Mesdames et messieurs, veuillez attacher vos ceintures. Nous allons atterrir, préviens le pilote.
Cette voix ne sait pas combien elle me comble de joie. Il est temps pour moi de vivre.
Je descends de l'avion et cherche ma valise. Une fois trouvée, je sors et profite de cette agréable chaleur. Ce n'est pas la France, ça, c'est certain ! Je ris toute seule de ma folie. Prendre mes valises du jour au lendemain et décider de quitter mon pays d'adoption pour retrouver mes origines. Ma mère habite quelque part ici et je la trouverai. Elle me doit des explications pour m'avoir lâchement abandonnée alors que je n'étais qu'un bébé. Si elle ne me voulait pas, elle n'avait qu'à avorter. On ne fait pas des enfants pour les rendre malheureux.
Je prends un taxi et donne l'adresse de mon petit studio. J'ai passé des heures sur internet pour en trouver un pas cher et joli. Quand je l'ai vu, j'ai directement craqué. Il donne en plein sur Newhaven Parc. Je pourrai me mettre tranquillement à ma fenêtre et lire avec une bonne odeur d'herbe et de fleurs. Quelle autre définition pour le paradis ? Sans oublier qu'il est entièrement meublé ce qui est assez pratique étant donné que je ne suis pas riche. J'ai réussi à économiser environ trois mille euros en France mais rien que le loyer s'élève à six cent cinquante euros enfin... sept cent treize dollars plutôt.
J'ouvre les fenêtres pour laisser entrer ce magnifique soleil matinal et range mes affaires dans mon placard. J'aime le soleil. Sa chaleur, sa lumière. Il englobe mon studio comme s'il prenait enfin vie.
Il faudrait que j'aille faire des courses. J'ai le ventre qui crie famine. J'aurais bien mangé dans l'avion, mais le prix étant excessivement cher, j'ai préféré me retenir. C'est le bon moment pour découvrir s'il y a un magasin pas loin. Je me demande s'ils auront des fruits. C'est bête, mais je ne connais rien à l'Amérique. Mon père m'a toujours interdit d'y penser. D'après lui, ma mère est juste une ***, mais j'ai envie de me faire mon propre avis sur elle, ses raisons et ce pays. J'ai faim…
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Une fois revenue des courses, je mange puis mets la musique à fond. Rien de mieux que de la musique pour faire le ménage. Je ne sais pas depuis quand le studio est à vendre, mais il a drôlement besoin d'un rafraîchissement. Je range, trie, jette, installe durant des heures. Je ne m'arrête que lorsque le soleil part se coucher, fatigué de m'illuminer. J'ai reçu de nombreux appels, mais je les ignore. Je brise ma carte Sim et la jette.
Je feuillette ensuite le journal local que j'ai trouvé à la supérette et cherche la rubrique emploi. Je n'ai pas encore internet donc il faudra me contenter des vieilles techniques.
Ingénieur en communication :
Dans le cadre d'un remplacement, nous recherchons un Ingénieur Marketing et Communication digitale.
Missions Principales :
- COMMUNICATION DIGITALE : Animation et évolution des supports.
- MARKETING : Analyse marché et gestion de données liées.
- CONTRIBUTION aux activités diversifiées du pôle de support aux ventes (événementiel, enquêtes...).
Chef de cuisine :
Diplômé et capable de gérer un restaurant ou un hôtel. Expériences aux Etats—unis et à l'international. Nous avons besoin de quelqu'un rapidement. Contactez-moi au
Serveur(se) :
Nous recherchons un(e) serveur(se) rapidement car notre ancien serveur est parti en Australie. Pas de compétences particulières. Notre équipe pourra vous former. Téléphonez—moi au 213-565-2975.
Bon… Ce n'est pas un boulot très agréable, mais serveuse ça m'ira parfaitement. Je téléphone au numéro indiqué et le patron m'explique un peu ce qu'il me demande. Je lui donne mon horaire et il me donne rendez-vous ce soir pour tenter ma chance. Je le remercie cent fois, mais il me coupe.
— Ecoute t'es gentille ma belle, mais je dois aller couler un bronze. A ce soir, me dit-il avant de raccrocher.
Je m'empourpre et ris à gorge déployée. Au moins, ça sera un patron cool. C'est rare de trouver des patrons sympathiques. Quand j'étais encore en France, je travaillais chez un restaurateur. Le patron passait ses journées à râler sur les clients qui étaient trop exigeants, sur mes collègues qui prenaient trop de vacances, sur le temps pluvieux et j'en passe. C'était une vraie machine. Il ne s'arrêtait qu'à la fermeture. Quand je rentrais, j'étais épuisée mentalement. Sans oublier qu'il était misogyne. D'après lui, si on payait le restaurant à une femme, elle pouvait bien nous faire plaisir après. J'ai dû mordre sur ma langue des centaines de fois pour ne pas le remettre à sa place. Quand j'ai démissionné, je lui ai dit ma façon de penser. Un an et demi à me retenir. Il en a pris pour son grade. Je me souviens encore de sa tête. Il ne s'y attendait pas. J'en ris encore. C'est tellement bon de dire ce qu'on pense aux gens.
Je décide de me mettre dans mon coin lecture qui se résume à mon lit face à la fenêtre avec une étagère remplie de roman ; et de lire un d'entre eux. J'hésite longtemps. Je les aime tous alors choisir est à chaque fois un déchirement mental. Mais je finis tout de même par prendre Forbidden de Tabitha Suzuma. Je l'ai déjà lu, mais ce livre est tellement incroyable qu'il mérite une relecture. Je me suis toujours demandée pourquoi les humains se mêlaient constamment de la vie des autres. On a déjà tellement à faire avec la nôtre, quel intérêt de perdre du temps à commenter et juger celle de son voisin ?
Je déteste le regard des gens, leur façon de fouiner et de commenter tout ce qu'il se passe. Mon ancienne voisine madame de Neuveille, passait sa vie à sa fenêtre. Elle observait tout, tout le temps. Puis elle allait en parler à sa coiffeuse, à son club de bingo, à ses voisins et à ses enfants (qui ont arrêté d'y aller et on les comprend). Le pire, ce n'est même pas le fait qu'ils fouinent. S'ils n'ont que ça pour s'occuper… Le plus dérangeant c'est qu'ils transforment ce qu'ils ont vu en ce qu'ils pensent être la vérité. C'est pourquoi un jour, elle est allée dire à mon père que j'avais volé dans un magasin alors qu'en fait, j'avais juste oublié une partie de mes courses. Je haïssais cette vieille mégère. Elle était passionnée par ma vie. Je voyais sa tête tous les jours sans exception.
Je grogne mentalement. Heureusement, ici, j'ai des voisins très occupés. Je suis là depuis des heures et personne n'est venu me déranger. Un vrai bonheur. J'espère seulement que j'arriverai à gérer les trajets. Mon studio est très loin de la fac. J'étais obligée sinon les prix étaient excessivement chers. J'aurais pu prendre une chambre universitaire, mais je ne voulais pas partager ma chambre. J'ai besoin d'avoir mes moments de solitude, de juste me vider l'esprit.
Tu peux fermer les yeux sur les choses que tu ne veux pas voir, mais tu ne peux pas fermer ton cœur sur les choses que tu ne veux pas ressentir.
Je passe la nuit à lire ce chef d'œuvre quand le sommeil me happe sans prévenir. Voilà une nouvelle nuit sans rêve qui se profile.