— Je me souviens… C’était un matin de juin 1982…
— Hugues ? Que s’est-il passé en juin 1982 ?
— Notre première rencontre, ma chère Raymonde. Notre première rencontre.
— Ah oui ? C’était en 1982 ?
— Le 21 juin 1982. Nous nous sommes dit bonjour à 19h04. Il faisait beau malgré l’apparition de quelques nuages. Un harpiste jouait sa musique dans la rue. Nous étions dans un bar. J’ai commandé une bière et toi, un panaché. Nous avons consommé nos boissons sur la terrasse. Il y avait Philibert aussi, ce jour-là. Mais lui a pris un coca. Le serveur portait un t-shirt bleu ciel avec des chaussures rayées blanches et vertes. Je l’entends encore dire à un de ses collègues que le lendemain, c’était son anniversaire.
— Tu t’en souviens mieux que moi, dis donc.
— Je m’en souviens comme si c’était hier.
— En effet.
— Encore mieux que si c’était hier, en fait ! Chaque détail me revient en mémoire. C’est fou…
— Quand tu disais avoir une mémoire d’éléphant depuis le nouvel an, tu n’exagérais rien. Combien de fois as-tu oublié l’anniversaire de ta femme ?
— Au moins douze fois…
— Combien de fois as-tu oublié ton propre anniversaire ?
— Quatre fois, précisément.
— Quand as-tu oublié tes clefs à l’intérieur de chez toi ?
— Le 2 mars 2009, 10h17. Je m’en suis aperçu en revenant de la boulangerie.
— Quand as-tu égaré ta carte bancaire ?
— Une fois par mois, ces deux dernières années.
— Impressionnant…
— Je me souviens de tout. De tout.
— Tu sais, moi aussi je suis quelque peu… différente… depuis le nouvel an…
— Vraiment ?
— Je ne sais pas si tu te souviens mais… j’étais très dépensière.
— La plus dépensière de nous tous. À chaque virée shopping, tu dépenses en moyenne six-cent-quarante-deux euros et trente-trois centimes. Et tu reviens avec cinq à six sacs sous le bras en ayant fait pas moins de quinze boutiques.
— Tu as vraiment fait une moyenne de tout ce que je dépense en shopping ?
— Compte tenu du fait que nous nous retrouvons en centre-ville au moins une fois par mois, qu’il y a les soldes deux fois dans l’année… Si je résume tes dépenses de l’année 2019, oui… On arrive à ce résultat-là.
— Cela étant, ça c’était avant. Je ne suis plus comme ça dorénavant.
— Vraiment ?
— Oui, rien que ce matin… J’ai presque eu envie de jeter ma carte de crédit.
— Non ?
— Je te jure ! Je n’ai plus envie de m’en servir. Le shopping ne me dit plus rien… Alors que j’ai reçu une tonne de mails pour m’inciter à dépenser, rien que depuis ce matin.
— Cela ne te ressemble pas, Raymonde.
— Nous sommes d’accord ! C’est très étrange…
— Je te le fais pas dire…
— J’ai même eu envie de faire le tri dans mes placards.
— Du tri ? Toi ?
— Du tri. Moi.
— Comme quoi, tout arrive.
— J’ai envie de tenir un cahier pour lister chacune de mes dépenses. Pour ne pas dilapider plus de la moitié de mon salaire.
— Tu veux faire quoi de l’autre moitié ?
— La conserver pour les urgences, les extrêmes nécessités. Mettre de côté, épargner…
— C’est pas toi qui nous disais que l’argent servait à être dépensé, se faire plaisir vite fait, bien fait ?
— Bien sûr que si. Mais je crois que cette soirée du nouvel an m’a changée… Je ne suis plus la même depuis. Comme toi, en fait.
— J’avais fait le vœu d’avoir une meilleure mémoire.
— Et moi, de moins dépenser. Mais je dis ça chaque année sans trop y croire…
— Moi aussi !
— On devient plus sage en vieillissant. Enfin… Je sais pas… Je sens que j’ai envie d’avoir la fièvre acheteuse mais je n’en ai pas envie… Je ne sais pas comment expliquer.
— C’est un peu comme si on avait formaté ton disque dur et installé un logiciel inconnu ?
— Oui, peut-être. Je ne me reconnais pas. Je me sens frustrée de ne rien acheter mais pas si frustrée que ça… Comme si une force invisible m’empêchait de céder à cette fièvre.
— Rien à voir mais j’ai la gorge pas mal enrouée à force de parler en détails. Je pourrais avoir un verre d’eau ?
— Ça te coûtera trente-six centimes.
— Trente-six centimes un verre d’eau du robinet ? C’est une blague ?
— Pas du tout, dans ces trente-six centimes, il y a une taxe de vingt-trois pour-cent. C’est pour ne pas que les consommateurs de mon eau du robinet se plaignent de la température. C’est toujours soit trop froid, soit trop tiède, soit trop chaud… C’est énervant… L’eau, ça coûte cher, hein. On dirait pas comme ça… C’est une des idées que j’ai eues pour économiser et rentabiliser l’argent au maximum.
— Pour de vrai ?
— Depuis ce matin, j’ai eu le temps de confectionner deux classeurs entiers d’astuces en tout genre pour dépenser le moins possible. Tu veux que je te montre ?
— Euh… Comment dire… Je n’ai plus très soif et je vais y aller, je crois.
— Non mais ces classeurs… On n’en aura pas pour longtemps, tu verras.
De mieux en mieux ! XD
Du coup ça commence aussi à être légèrement flippant de se dire qu'en prenant de bonnes résolutions qu'on ne tient pas, on peut se retrouver à devoir absolument les tenir sans en avoir le contrôle finalement. Je comprends mieux ton "avertissement" dans le résumé de ta fiction ;)
C'est aussi légèrement addictif ta fiction XD... Je continue donc ;)
Eh oui, j'ai averti mais on ne m'écoute jamais… ;)
J'ai le droit d'être ravi que tu sois addict à l'histoire ? :D
Merci pour ces retours, Cli ! :D
Hâte de lire la suite et bon courage.
J'aime beaucoup ton interprétation sur le bazar. Je dois avouer que je n'avais pas vu le double sens. Je trouve ça génial ! :P
Un grand merci pour ton retour ! :D
Je trouve l'idée des résolutions qui se réalisent excellente :)
Dieu merci je n'en ai pas pris cette année... Sinon quoi ? Sinon je crois bien que j'aurais tellement arrêté de procrastiner que je n'aurais plus aucun projet à faire !
Super bien écrit en tout cas, et plein d'humour :)
Merci pour cette agréable lecture,
À bientôt ;)
Fy
Merci, Fy ! :D