Assis sur le lit, je ne sais pas quoi faire. Ce que je viens de découvrir change tout. Je regarde le test dans ma main et les deux barres rouges qui se sont affichées. Enceinte. Je suis enceinte. Je suis enceinte. De lui, c'est sûr, mais je ne peux pas lui dire… Comment va-t-il réagir ? Je n'ai pas peur qu'il réagisse mal, non, mais il va mourir… Après tout, qu'est-ce que ça lui ferait d'apprendre qu'il va être père ?
La douleur bien familière me transperce le cœur comme à chaque fois que je pense à sa mort prochaine. Je ne veux pas qu'il meure, je ne veux pas qu'il parte, je ne veux pas vivre sans lui. La douleur est intense, je me plie en deux, des larmes coulent au coin de mes yeux. Je comprends ce que signifie l'expression se faire transpercer le cœur désormais. Devant lui et devant tous les autres, j'essaie de faire bonne figure, mais je n'y arrive pas toujours : des fois, je m'effondre. Quand je suis seule, je me laisse aller, je me laisse pleurer, je me laisse me détruire à petit feu.
Je regarde ce test rouge dans ma main. Je ne sais pas quoi en faire. Je réfléchis et la solution me vient : je dois lui dire, je suis obligée de le dire, il doit le savoir. Je ne sais pas comment il va réagir, j’ai un petit peu peur. Je me dirige vers sa chambre, au bout du couloir, prenant mon courage à deux mains. Je ne toque pas, je sais que j'ai le droit d'entrer.
Il est de plus en plus faible ces derniers temps. Il est adossé à sa fenêtre en train de regarder au dehors. Le soleil inonde la pièce d’une lumière dorée. Ses joues sont creusées, mais ses yeux brillent encore. Il passe sa vie à regarder dehors, à regarder le temps qui passe, la lune, le soleil, les étoiles, tous les petits oiseaux qui volent dans le ciel, à écouter le bruit que fait la pluie, le bruit du vent, le bruit du vent dans les feuilles. Toutes ces petites choses qui ne semblent pas importantes au quotidien mais qui, pour lui, valent tout l'or du monde.
En entendant la porte s'ouvrir, il se retourne vers moi et me regarde. Aussitôt, un sourire éclaire son visage. À chaque fois que je m'approche de lui, il me sourit de cette manière. Il est content de me voir. Je sais aussi que ma présence est dure pour lui car il pense à après, quand il ne sera plus là et comment je vais faire, moi. Je m'approche doucement de lui et m’assieds à son chevet.
— Comment vas-tu ?
Cette question peut sembler étrange à une personne qui est condamnée. Je sais que beaucoup de gens me demandent pourquoi je lui pose cette question. Je lui demande tout simplement pour qu'il se sente encore vivant, qu'il soit encore parmi nous.
— Je souffre moins qu'avant. Les médecins que j'ai vus hier m'ont dit qu'il ne me restait plus que quelques mois à vivre.
Je pose la main sur mon ventre, je ne sais que faire. Dois-je lui dire ? La main toujours posée sur mon ventre, je décide de lui dire. Arrête de tergiverser et de passer par quatre chemins.
— Je suis enceinte.
Il me regarde, il ne dit rien, sa bouche s'ouvre. Il se fige, je vois bien qu'il ne sait pas quoi dire, qu'il ne sait pas comment réagir. Il y a un instant de flottement avant que ses yeux s’écarquillent. Des larmes montent.
— Tu… tu… sérieusement ?
Je hoche la tête, me retrouvant émue à mon tour. Nous restons là à ne rien dire, à nous regarder.
— J'ai un autre vœu maintenant. Je veux assister à la naissance et ainsi, je pourrai partir en paix.
— Je te promets qu'on fera tout pour que tu y arrives.
J’attrape doucement sa main dans la mienne et passe mon pouce sur ses jointures. L'instant se passe de mots et je ne rajoute rien non plus.
Quelques jours plus tard…
Nous sortons de l'échographie. Il n'était pas capable de marcher, il est venu en fauteuil roulant. J'ai bien vu les regards de pitié posés sur lui, mais il a fait comme s'il ne les voyait pas. Une surprise de taille nous attend : je n'attendais pas un mais deux enfants. Nous allions avoir des jumeaux, la famille que nous avons désirée pendant des années.
J'avais appris autre chose : je n'étais pas enceinte de deux ou trois mois comme je le pensais, mais bien de six. Selon la sage-femme, j'avais fait un déni de grossesse dû en partie au stress. J'avais vu le soulagement dans le regard de Nils quand il avait entendu ça. Il avait beaucoup plus de chances de réussir à être présent pour l'accouchement, bien que personne ne sache ce qui pouvait se passer pendant tout ce temps.
De retour dans la maison, nous étions assis sur le canapé, nous regardions la télé sans rien dire, lovés l'un contre l'autre. Il n'y avait personne d'autre que nous, le reste de la famille étant partie quelque part ailleurs. Je ne savais pas où. D'un coup, j'entendis la sonnette. Nils voulut se lever mais je l'en empêchai et y allai à sa place.
Je vais chercher les clés et entrouvre la porte. Ma mâchoire se décroche de surprise. Devant moi se trouve le frère de Nils, qu'il n'a pas vu depuis des années. Quand il voit que c'est moi qui lui ouvre, ses pupilles s'assombrissent, sa mâchoire se serre. Mais il ne dit rien.
— Qu'est-ce que tu fous ici ? Tu ne penses pas que tu en as déjà assez fait ? Ça fait des mois que ton frère est malade et que tu n'as pas daigné venir le voir.
— On ne parle pas quand on ne sait pas. Bien sûr que je suis venu le voir, je suis venu le voir tous les jours depuis des mois. Tu ne m'as juste jamais vu parce que je venais au moment où vous n'étiez pas là.
Mes yeux s’écarquillent de surprise. Je ne m'attendais pas à ça.
— C'est vrai ?
— Tu sais très bien que je ne mens jamais.
À cette phrase, je détourne le regard, puis je me décale sur le côté et le laisse entrer. Il se dirige droit vers le salon où Nils est assis. Je ne les rejoins pas, je vais leur laisser leur moment. Je les entends vite se mettre à discuter.
Que de bouleversements aujourd'hui : un bébé et un frère qui revient. Je m'assois moi aussi, fatiguée par cette journée. J'ai peur de ce que l'avenir nous réserve.