36- Faites vos jeux!

Une des grandes injustices de ce monde, c’était que jamais, Lazarus ne vivrait de crampes.

Quand bien même un jour il se retrouvé cloué sur une causeuse, cela serait là si ponctuel qu’il pourrait prétendre être absent.

Ce n’était bien entendu pas mon cas, et en conséquence, Lazarus eut tout le spectacle qu’une Sidonie échevelée pouvait offrir. J’avais tenté de brièvement recoiffer mes cheveux en un chignon, mais ce dernier était lâche. Il y avait malheureusement une limite à ce que je pouvais accomplir, et c’était donc une peau nulle, des yeux fatigués, une mamie enrobée dans sa couverture que Lazarus découvrit dans le salon bleu.

Il eut d’ailleurs un bref froncement de sourcils.

Je devait avoir une sale tête.

Non pas que j’en avais quelque chose à faire, c’était une simple question d’orgueil. Et peut-être de jalousie, envers lui, et son air toujours impeccable.

« Tu n’as pas l’air au mieux, chère Sidonie. » Il dit en f

« Les joies de la Création. » Je répliquai et fis d’ailleurs un travail admirable pour ignorer la crampe qui me prit à cet instant. Bien, il y avait de toute évidence un bouquet de clous là dessous. Je ne pouvais expliquer autrement la sensation.

Lazarus eut une brève grimace, crispée.

« As-tu consulté un guérisseur à ce sujet? » Il demanda, et je savais que son ton se voulait magnanime.

En temps normal j’aurais apprécié la sollicitude, mais actuellement, tout ce que cela me donnait envie de faire c’était le claquer au sol et hurler, et mordre dans quelque chose, un oreiller, un morceau de bois, n’importe quoi.

« Un guérisseur, ça coute très cher Monsieur Lazarus. Quand bien même on aurait eu l’argent nécessaire, ce n’était pas dit qu’il ou elle accepte d’ausculter une omeg. » Je répondis, avec le calme d’un chaton face à une tranche de jambon. Je préparais un bon, mais pour le moment, je parvenais à demeurer immobile.

« Je doute que Madame Drèke ait accepté te laisser dans un tel état. »

« Nous sommes allées voir l’apothicaire, il m’a donné des dragées. »

« Lesquelles? »

« Délézoprane. » Je dis, et le regard de Lazarus s’assombrit immédiatement.

« Cela n’est pas supposé être un remède si facilement prescrit. »

Il avait la voix étrangement dangereuse, et semblait en vérité, mécontent.

« Cela n’a pas été le cas, il a tenté une demi-douzaine d’antidouleur d’enfin m’en donner. » Je répliquai sèchement. Et il avait, au passage, tenté de me sermonner sur mon hystérie irresponsable et ma théâtralité. Bon, il avait peut-être fini avec une plume à écrire enfoncée dans la paume ce jour là, mais c’était un-

Mmmh.

Prédisposition à la violence.

Bref.

Si on parvenait à me présenter une personne qui se faisait scier le bas ventre tous les mois tout en demeurant agréable, je promettais de suivre l’exemple.

Dans le cas contraire, cela serait mon pied dans la figure.

« Pourquoi ne pas l’avoir mentionné? » Lazarus, grâce au ciel, m’arracha à mes tribulations meurtrière.

« J’avais la ferme intention de prendre la fuite avant que cela ne devienne un problème, pour être franche avec vous. »

Quoi qu’il pensa de ce commentaire, il n’en laissa rien paraitre, et tant mieux pour lui. J’avais si mal que je me sentais capable de le mordre s’il me regardait de travers, voir s’il s’approchait trop.

« Je vois. » Il finit par dire, le ton anormalement tranquille. Il me fit en cet instant penser à l'Aurateur- ce qui devait très certainement être dû au sabrage général de mes humeurs qu’à une véritable ressemblance mais bon.

La douleur se mit à pulser, irradiant tout sur son passage, remontant jusqu’à mes omoplates et me coupant momentanément la respiration.

« Ouf, désolée, interruption, vous disiez? » Je demandai quand cela s’atténua. Lazarus avait les lèvres si serrées qu’elles étaient presque invisibles. Il me fixa un petit instant avant de se lever.

« Que faites-vous? »

« Je doute que cet échange soit productif, il serait plus sage que tu te reposes quelques jours. »

« Oh non, hors de question, on a un marché, et je n’ai qu’une parole, allons-y, je dois juste… pas trop bouger ou respirer ou cligner des yeux, si ça ne vous dérange pas. » Je protestai.

« Tu dois avoir un bien piètre opinion de ma personne pour penser que je t’en tiendrais rigueur. »

Bien tenté, l’approche culpabilisons-la-Sidonie, mais non.

« Ce n’est pas la question. »

« Alors qu’elle est-elle? »

« La seule garantie que j’ai, que Lizzie va bien, que les Drèkes vont bien, c’est votre parole d’honneur. Vous l’avez engagé, en échange de la mienne. Je préfèrerais me manger la main plutôt que de remettre cela en jeu.  » Je dis d’un ton ferme, contrôlé. Avec un peu de chance, cela ferait peur aux salves et elles retourneraient se cacher dans les jupes de Tante Flô.

« Tu continues donc de te préoccuper du bien être de Mathurin et Catherine Drèke. » Il dit, l’air de rien. Comme si cette question n’était pas aussi chargé que la liqueur maison de feu mon oncle Alphonse.

« Il y a une explication. Peu importe ce qu’elle est mais… tant que je ne l’aurais pas entendu de leur propre bouches, je refuse de changer d’avis sur eux. » Je dis, et notais bien l’air de Lazarus « Cessez de me regarder comme si j’étais une idiote, s’il vous plait. Je sais que c’est stupide, mais c’est comme ça.»

« Je doute simplement qu’apprendre la vérité puisse t’apporter le moindre réconfort, voilà tout. » Il continua, avec une telle certitude que cela me poignarda en plein coeur.

« Parce que vous la connaissez, la vérité? »

Nouvelle petite moue, nouvelle envie de le gifler.

À nouveau, ce n’était pas une prédisposition à la violence, c’était la souffrance.

Enfin, j’espérais.

« J’ai mon avis sur la question, dira-t-on. »

« Ces gens ont veillés sur moi, et n’avaient pas à le faire. Personne ne joue la comédie aussi longtemps et… je choisis simplement de me baser sur sept ans plutôt que sur une feuille de papier, je dois leur laisser le bénéfice du doute. »

« Parce qu’il y a un doute, selon toi. » Il dit en penchant légèrement la tête sur le côté, un air de pitié abominable dans le regard.

Non, c’était trop, navrée mais c’était trop. Qu’il la gagne cette manche, je la lui laissais volontiers, sans le moindre regret. Si nous continuions je- autant m’arracher le coeur, cela serait moins douloureux.

« Par pitié arrêtez de me regarder comme ça. Je ne le supporte pas. Parlons d’autres choses, n’importe quoi, s’il vous plait.»

Même moi, je trouvais ma voix pitoyablement pathétique.

Tant pis.

« Penses-tu sincèrement que je remettrais en cause ma parole si tu refusais de te malmener plus longtemps? »

« N’utilisons pas les grand mots, quand même. »

« Tu es présentement devant moi, crispée de douleur, à m’annoncer que ton apothicaire a été contraint de te prescrire un remède de crises cardiaques et je ne pèse pas assez mes mots? » Il demanda alors avec une telle exaspération que cela en était comique.

« Parfaitement. C’est une crise de métrapathia, ce n’est pas si grave que cela.»

« Très bien, touche donc tes orteils. »

« Là vous êtes cruels. »

« La vérité l’est souvent. »

Mmmh. Une idée assez saugrenue, mais également plutôt drôle me vint en tête. Que Lazarus ne souhaitait pas exactement me laisser du temps de répit, mais plutôt refusait de s’infliger…

« Vous souhaitez partir, parce que vous êtes magnanime, ou alors vous êtes dans ma tête et ressentez donc la sensation qu’on vous grignote les entrailles? »

« Je n’ai pas besoin de cela pour noter que tu n’es pas au meilleur de ta forme. » Il répondit, avec une étincelle dans le regard. Celle qu’il avait, d’ordinaire, quand nous débutions nos conversations. Cette petite lueur avide.

« Ce n’est pas un non. »

« Et c’est assez désespéré comme tactique. C’est à croire que tu es à court d’idée. » Il répliqua du même air, posant sa tête contre sa main.

Les discours mielleux c’était fini, et j’en étais étrangement ravie. Peut-être parce que au fond, moi aussi, j’aimais jouer.

« Je ne suis jamais à court d’idées, Monsieur Lazarus, et je n’abandonne jamais. »

« Il va bien falloir pourtant, cela va faire sept jours. Aussi, à moins que tu es une autre question, je crains que cela soit là la fin de ton temps impartis. » Il dit en se servant du thé, un sourire assez franc aux lèvres.

« Qu’est-ce que vous allez me demander? »

Ses sourcils se haussèrent d’eux même.

« En voilà une question bien curieuse. » Il murmura doucement, sans pour autant dissimuler cet accent de violence et le regard qui allait de paire.

« Je suis quand même un minimum concernée. Comme vous n’avez absolument pas lu mes pensées de quelque manière que ce fut, de près ou de loin, alors vous deviez être certain de gagner, donc vous avez dû y réfléchir, je me trompe? »

« Il me semblait avoir accordé une dernière question, pas deux. »

« Vous n’avez pas répondu à la première. »

« Tu ne te trompes pas. » Il dit alors tranquillement.

Bon. Ce n’était peut-être pas plus mal. Cela signifiait qu’il n’avait jamais mis les pieds sous ma caboche, ni entendu les insultes. Et encore mieux, cela voulait dire qu’il n’avait aucun moyen de l’apprendre.

« Et bien, qu’est-ce que cela sera? » Je demandai tranquillement. J’étais vraiment soulagée, au fond, et rien de ce qu’il demanderait ne pourrait gâcher ça, car cela voulait dire, que si Scetus tenait sa langue, Lazarus n’avait aucun moyen de l’apprendre.

Bon, le tout, c’était de ne pas trop penser à- sans quoi mes joues allaient devenir rouge- et c’était trop tard.

« Tout va bien? » Il demanda alors en fronçant légèrement les sourcils.

« Mmmh, oh oui, mes règles. » Je dis, en essayant de ne pas trop gesticuler sur ma chaise.

Lazarus se mit à m’observer avec davantage d’attention, la tasse aux lèvres.

Il suffisait de ne pas paniquer. Ce serait vraiment bête de tout gâcher maintenant, de manière si nulle. Mais mon esprit ne semblait pas d’accord avec cet état de fait, et je me revoyais dans le couloir, la veille, comment il m’avait plaqué contre le mur, et ses mains, comment sa boucle de ceinture avait cliqueté et-

Beria recracha son thé, en partie par le nez.

« Ahah! » Je m’écriais en claquant des mains. Mes tympans rugirent de douleur, ainsi que ma tête, mais tant pis « Je le savais, je le savais! Vous êtes un mentaliste, j’en étais certaine! »

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Cléooo
Posté le 17/11/2024
Et re !
"Une des grandes injustices de ce monde, c’était que jamais, Lazarus ne vivrait de crampes." -> bah, peut-être pas de celles-là, mais il peut avoir d'autre genre de crampe, non ? xD

Okay, alors la chute est superbement menée ! Génial qu'elle puisse être si focus dans ses pensées et le choquer l'air de rien comme ça !
Par contre j'ai l'impression que tu étais tellement pressée d'arriver à cette chute, que le début du chapitre fait de petits couacs ^^
J'ai noté :
- "« Tu n’as pas l’air au mieux, chère Sidonie. » Il dit en f " -> cette fois, je suis sûre qu'il manque quelque chose !
- "il a tenté une demi-douzaine d’antidouleur d’enfin m’en donner." -> ?
- "« Pourquoi ne pas l’avoir mentionné? »" -> mentionné quoi ? Il n'y a pas de réplique qui se relie à ça, si ?

Mais vraiment, belle chute ! Ce petit sagouin. Maintenant, elle va avoir intérêt à bien cacher ses pensées...
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