39. L'ignorance est un mal

La lettre d’Antoine m’a fait réfléchir sur un tas de choses différentes auxquelles je n’avais jusqu’à lors pas pensé, ou préféré ne pas y penser. À l’après. Est-ce que l’on sera capable de se retrouver ? Je ne sais pas. Je ne veux pas y réfléchir, car la réponse à cette question m’effraie grandement. Nous sommes à présent si loin des uns et des autres, et cela risque de s’éterniser, car peut-être ne serons-nous plus jamais réunis. Oui, cette simple petite pensée me terrifie. Je veux croire en cette possibilité, bien qu’infime, de savoir que la guerre prendra bientôt fin. J’ose l’espérer. Dans de brefs moments de rêverie, je m’autorise à croire que demain, Thomas, Antoine et moi-même seront réunis. Comme avant.

— Élise, tu viens manger ? Le dîner est prêt !

— J’arrive, je finis de me préparer.

Combien de fois me suis-je dit que je devrais arrêter de penser à ça ? Existe-t-il quelqu’un, en ce bas monde, capable de mettre la guerre et ses atrocités de côté ? Quelqu’un doué d’une quelconque faculté pouvant oublier ne serait-ce que sur le temps d’une journée ? Si une telle personne venait à exister, je crois que j’aimerais la rencontrer pour lui demander son secret. Certes, ici je suis à l’abri, protégée, éloignée de tout ça, de cette réalité et si je n’avais pas ses échanges de courriers, je pense que je serais restée dans le noir, ignorante. Est-ce mieux ? N’est-il pas préférable de ne rien savoir justement ? Mais me connaissant, je ne l’aurais pas toléré. L’ignorance est sans doute le pire des maux et le plus lourd des fardeaux.

— Tu ne manges presque pas, es-tu contrariée ? me demande Stanley.

— Non, je n’ai pas grand appétit ce soir, je dois bien l’avouer.

Ce n’est pas de la contrariété, non, je pense que c’est juste de la nostalgie, un manque. J’aime à croire que Thomas et Antoine ressentent la même chose que moi. Tout aurait été tellement plus simple si l’on était resté tous les trois. Tout aurait été différent sans la guerre nous arrachant les uns aux autres. Mon Dieu, faites qu’on lui survive ! J’ai arrêté de prier ou de croire quand j’ai compris que l’espoir était vain, mais si je devais prier ce soir, alors je prierais pour eux et pour tous ceux qui se battent. Tous les jours, je demanderais au ciel, voyant ces fils, ces maris, ces pères, ces frères mourir petit à petit, de les laisser. De les épargner.

— Je pense que je vais monter dans ma chambre. Veuillez m’excuser.

Les nuits se font de plus en plus froides alors que les bras de Thomas me manquent. Mon corps se glace et mon cœur se vide au fur et à mesure des jours durant lesquels je réalise qu’il y a de fortes possibilités que je ne le revoie jamais.

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Elora
Posté le 19/06/2021
Comme Elise le décrit, on a l'impression qu'elle, Thomas et Antoine sont les meilleurs amis du monde, bien que je ne pense pas qu'ils aient le même avis.
Sinon, c'est un bon chapitre, mélancolique et d'une douceur amer, on sent la fin arriver...
MissRedInHell
Posté le 21/10/2020
J'aime beaucoup les chapitres qui détaillent ce qui se passe dans la tête d'Elise. On y voit ses doutes, et en même temps, beaucoup de maturité.
J'aime vraiment ce mélange, parce que tout me paraît vraiment crédible. Et en même temps, je peux rattacher certaines de ses réflexions à des réflexions/pensées actuelles. Ça facilite l'identification quand bien même l'époque n'est pas la même, c'est super immersif ^3^
ManonSeguin
Posté le 22/10/2020
^o^ Petit retour dans le temps mélangé à un cours d'Histoire gratuit...T'as vu un peu cette efficacité légendaire :)
MissRedInHell
Posté le 22/10/2020
Mais ouuuii :D
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