Annie est une danseuse, une danseuse classique. Elle appartient à un corps de ballet pas comme les autres. Quand d’habitude les danseuses entrent en scène par les côtés – côté cour et côté jardin, comme on dit dans le jargon –, Annie, elle, émerge au milieu de la scène comme une fleur sortant de terre. Elle éclot, elle jaillit, elle naît sur scène.
La petite danseuse est heureuse, le jour du gala est arrivé. Annie et ses camarades vont enfin pouvoir se représenter devant un public. Elles seront parfaites et gracieuses tel qu’on leur a appris.
Annie s’est préparée pendant des mois pour ce spectacle, à travailler dur ses relevés sur pointes et à souffrir de courbatures dans ses petits mollets. Ce soir, elle est prête. Ses cheveux noirs sont attachés en chignon bien serré, son maquillage est léger, ses collants poudrés sont neufs et son tutu rose lui va à ravir. Une véritable étoile.
Pendant qu’elle s’échauffe, la scène est nettoyée en profondeur et décrassée pour que les danseuses puissent sortir aisément et sans douleur. Car oui, il n’est pas banal d’émerger d’une scène, c’est une performance unique qui requiert les meilleures conditions et beaucoup de préparation et d’entraînement. Qui sait ce qui pourrait arriver si l’une d’entre elles ne sortait pas complètement ? Certains disent que l’on serait obligé de couper ce qui dépasse et il reviendrait à la suivante de pousser les restes par en dessous. Brrr… cette pensée donne des frissons à la petite Annie.
C’est le moment ! La musique commence. Un classique : Le beau Danube Bleu. Les premières notes retentissent. Lumière sur la scène. Papalalala…lala…lala… Annie a une envie de pipi. Papalalala…lala…lala… Fausse alerte, ce n’est que le stress. Tout va bien se passer, se rassure-t-elle. Ce n’est plus le moment de reculer, il est temps de se lancer, ou plutôt, de s’étirer vers le haut.
Papalalala…lala…lala… pieds en cinquième position, bras en première position, demi-plié et hop ! d’un petit bond, elle monte sur pointes et porte ses bras en couronne au-dessus de sa tête en cinquième. La voilà dressée, les jambes tendues, la tête tournée légèrement vers la droite, le cou bien allongé, laissant apparaître le muscle sucre d’orge, comme l’appelle son professeur. Elle piétine pour tenir en équilibre sur le bout de ses orteils. Petit pas, petit pas, petit pas. Elle perce un trou à l’aide de ses mains. Puis, elle revient à plat et enchaîne immédiatement avec des relevés en équerre qui lui permettront de pousser vers le haut. Équerre jambe droite, fermée derrière, équerre jambe gauche, fermée derrière, équerre jambe gauche, fermée devant, équerre jambe droite, fermée devant, et ainsi de suite sur deux phrases musicales, jusqu’à ce que sa tête apparaisse. La lumière l’éblouit, mais elle devine un plafond de verre, non ! un plafond miroir. Elle se voit. Annie se trouve magnifique. Mais, ce n’est pas fini. Le plus dur reste encore à passer les épaules, le reste suivra plus facilement après.
La musique s’emporte. Papalalalaaaaa…lala…lala, papalalalaaaaaa…lala…lala… Annie commence à sauter sur place en effectuant des entrechats, les chevilles bien collées l’une contre l’autre. Elle saute, elle saute, elle saute, de toutes ses forces, de plus en plus haut, et parvient à se faufiler à l’extérieur. Papalalalaaaaa…lalalaaaaaa…lalala…lala lala…lalala.
Et la voilà, debout sur scène. Gracieuse, souriante et fière sous la lumière des projecteurs.
Soudain, alors qu’elle s’apprête à entamer la danse, un immense anneau métallique s’empare d’Annie et ses amies, les arrachant de la scène pour les transporter dans les airs et les déposer sur une surface blanche, moelleuse et douce. Annie est déboussolée. Les danseuses ne cessent de crier et pleurer. Certaines n’ont pas eu le temps de complètement sortir et ont perdu un pied ou les deux. Que s’est-il passé ? s’interroge Annie. Ce n’était pas prévu, ça ne faisait pas partie de la chorégraphie !
Si, c’était prévu.
À son échelle, Annie croit être une danseuse, mais à l’échelle humaine, Annie et ses amies sont des comédons qui jusqu’ici obstruaient les pores d’un nez. Elles finiront leur ballet dans un mouchoir, au fond d’une poubelle.
Fin
Bravo pour cette nouvelle qui dégage une superbe poésie avec ces descriptions et ses rythmes. Je lisais sur le rythme des "Papalalala…lala…lala… " jusqu'à... La chute !
Bravo et merci pour ce moment de rire !
Merci d'être passée par ici :)
Ton commentaire me va droit au coeur !
Je me disais bien que cette histoire de sortir du plancher semblait étrange !! Avec la chute, cela fait bien plus sens.
Parlons-en, de cette chute : elle m'a complètement surprise, c'est super bien fait ♥ et ta plume est si légère, si vivante ! C'est vraiment un plaisir de lire tes nouvelles.
Bravo et merci beaucoup pour ce moment de lecture ♥
Merci pour ton commentaire.
J'ai tellement ri en l'écrivant ! Tout ce que tu me dis me fait très plaisir :DD
La chute expliquée si rapidement a engendré une brutale transformation visuelle dans mon esprit, j’ai adoré xD
Merci pour ton commentaire. Contente de t'avoir fait rire :DD
Je ne te remercie pas, l'éclat de rire qui a jailli à la lecture de la chute a réveillé mon enfant qui faisait la sieste à côté ! xD
Bravo pour ce texte, on sent la danseuse en toi !
Continue, j'adore ce que tu fais !
Merci encore pour tes gentils commentaires :)
Merci pour ta lecture et tes commentaires. Je suis vraiment contente que ton périple dans mon univers t'ait enchanté !
Quelle fin !
Tout de même, tu as bien développé les mouvements de la danseuse de ballet. Limite. Je pouvais l’imaginer. C’était agréable à lire et le dénouement était des plus surprenant.
Superbe job !!!
Merci pour ton commentaire !
J'ai un univers un peu particulier, j'admets que ça peut déstabiliser :D
Contente que ça t'ait plu ;)
Avec mes chutes farfelues, j'ai toujours peur qu'on me demande un remboursement 😂
Très contente que tu y aies cru autant qu'Annie la danseuse-comédon ! 😂
Je... JE... YOU ARE A FUCKING GENIOUS.
Déjà pour cette phrase : "Papalalala…lala…lala… Annie a une envie de pipi. Papalalala…lala…lala… Fausse alerte, ce n’est que le stress. "... voilà, magique.
Ensuite pour cette fin... ah on peut dire que tu manies l'art de la chute !
Et enfin pour toute la partie descriptive de la danse ! On voit bien que tu t'y connais !
Moi qui m'attendais à trouver un : "Tu veux danser ?
- Non"
Fin :p
Mais qu'est-ce que tu nous réserves pour la prochaine ? xD
Je ne sais pas si c'est du génie, mais je me suis bien marrée en l'écrivant et maintenant je pleure littéralement de rire en lisant les commentaires !
La fausse envie de pipi avant d'entrer sur scène, c'est du vécu... Comme quoi, l'authenticité marche à peu près à tous les coups XD
On verra pour la prochaine carte :D
J'ai éclaté de rire, c'est vraiment une belle chute !
On sent tout à fait la danseuse qui parle (au début, évidemment... 🙄) !
C'est une très belle nouvelle, bravo ! <3
Merci, je suis moi-même pliée de rire en lisant vos réactions !
Très contente que mon petit délire t'ait plu ! XD
Alors le début, on sent l'expérience de la danseuse qui parle, c'est très immersif ! Et cette fin... Je l'ai relu 2 fois pour finir par éclater de rire !
C'est très bien mené !
Et oui, la danse classique, ma toute première passion ❤
Merci pour ton commentaire !