« Tu fumes ? » demanda Fabien alors qu'elle s'asseyait à côté de lui sur les marches de pierre. Elle secoua la tête. Il l'interrogea du regard pour savoir si ça la dérangeait et il sortit de sa poche un paquet de cigarettes.
Alors qu'il l'allumait, il commenta : « Il fait chaud pour cette période de l'année. » Elle acquiesça :
« C'est cool. »
Il haussa les épaules.
« Je ne sais pas trop. J'aime bien aussi quand il fait froid. Mais oui, j'imagine qu'on peut dire que c'est agréable. »
Elle eut un sourire moqueur.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-il. Et il tira une bouffée.
« Tu te la joues, répondit-elle.
— J'aime vraiment quand il fait froid. Je me sens plus vivant, je ne vois pas en quoi ce serait prétentieux de dire ça.
— Moi, c'est l'inverse. J'ai l'impression d'être morte.
— Rien que ça ?
— Rien que ça. »
Il tira une seconde bouffée et la souffla par le nez.
« Là, tu te la joues.
— Je peux pas trop dire le contraire, sourit-il. Mais j'aime aussi bien la sensation.
— Celle de perdre dix ans de vie ?
— Eh ben. J'espère que tu n'as pas l'intention d'être psychologue. Tes patient se suicideraient en masse.
— Je peux pas trop dire le contraire, » le singea-t-elle.
Il se mit à rire. Elle ne comprenait toujours pas qu'il ait peur des gens et qu'elle, elle ne le fasse pas fuir. N'importe qui d'autre l'aurait prise pour une moralisatrice.
Elle ne l'était pas, d'ailleurs. Elle était très pragmatique, mais si les gens se mettaient dans le corps des choses qui les détruisaient, ça leur appartenait. Elle, elle tenait à la vie comme d'autres tiennent à leurs rêves, et cette idée ne la lâchait jamais assez longtemps pour qu'elle se mette sciemment en danger.
« Je comprends pourquoi tu aimes dessiner les gens, dit brusquement Fabien. Ils sont beaux. »
Surprise, Léna répondit :
« Je préfère ceux qui ne le sont pas.
— Mais tout le monde l'est, tu ne crois pas ? »
Elle réfléchit un instant et secoua la tête.
« Vraiment pas.
— Pourquoi tu les dessines, alors ?
— Parce qu'un corps, c'est intéressant à dessiner.
— C'est plus qu'intéressant. C'est beau. Ça vit.
— C'est vrai que ça vit. »
Il se tourna vers elle dans un petit rire. Sans les lumières tournantes de l'intérieur, elle vit ses yeux plus clairement. Ils étaient clairs et ils brillaient fort, et elle craignit un instant que Fabien lui demande si elle le trouvait beau.
Soudain retentit le chant. C'était la deuxième fois qu'elle l'entendait aujourd'hui. C'était une longue note aigüe qui lui transperçait les oreilles et qui y résonnait longtemps après s'être tue.
Le sourire de Fabien s'effaça instantanément, il dirigea son regard vers là d'où venait le chant. Ses yeux brillèrent de plus belle, même si elle ne savait pas de quoi, mais elle en fut si certaine qu'elle lui demanda :
« Tu l'as entendu ? »
Il tourna la tête vers elle, l'air un peu hagard, et il hocha la tête de haut en bas.
« Je ne suis pas le seul ? »
Elle hocha la tête de gauche à droite. La boule familière montait dans sa gorge et elle se demanda s'il la voyait grossir.
« Je ne sais plus quand je l'ai entendu la première fois, mais c'est de plus en plus fréquent, marmonna-t-il. Je ne sais pas d'où ça vient. J'aimerais pouvoir l'aider, ou les aider, mais comme je croyais être le seul à l'entendre, j'avais mis ça sur le dos d'hallucinations auditives…
— Attends. Aider qui ? »
Parlaient-ils de la même chose ? La même question sembla traverser l'esprit de Fabien aussi.
« La personne qui crie, répondit-il.
— Qui crie ? »
Il se détourna, un peu déçu.
« Laisse tomber, pardon. C'est probablement dans ma tête.
— Je croyais que c'était un chant. »
Il s'illumina.
« C'est peut-être le cas.
— Non. »
Il fronça les sourcils.
« Il faudrait savoir.
— Tu as raison. Je crois que c'est un cri. »
Fabien posa machinalement ses mains sur ses oreilles mais il ne se les boucha pas, écoutant encore les derniers échos.
« Les autres, demanda Léna, ils ne l'entendent pas ?
— Je ne sais pas. »
Les autres, pas loin d'eux, étaient en train de danser à l'intérieur ou dehors, à discuter en fumant en petits groupes. Difficile d'ici de voir s'ils avaient eu la moindre réaction.
« Il a raison, marmonna le jeune homme.
— Qui ? »
Il sembla se rendre compte qu'il avait parlé à voix haute et il se leva.
« Personne. »
Léna se leva à son tour alors qu'il lui tournait le dos. Il tapa du doigt l'extrémité de sa cigarette, faisant tomber quelques cendres qui s'écrasèrent sur l'herbe vive.
« Il faut que j'y aille.
— Attends ! »
Mais Fabien ne l'écouta pas et s'éloigna sans se retourner vers l'entrée de la maison. Elle marcha derrière lui alors qu'il ouvrait la porte et s'approchait du portemanteau, saisissant son livre et une veste en jean fluide.
« Qui a raison ? » répéta Léna.
Il ne répondit pas mais il se tourna vers elle.
« J'ai beaucoup aimé parler avec toi...
— Léna, compléta-t-elle d'un ton agacé.
— J'espère qu'on se croisera une autre fois. J'aimerai beaucoup regarder plus longuement tes dessins.
— Sans déconner ? »
Pour qui la prenait-il ?
Fabien hésita. Peut-être qu'il comprenait vaguement à quel point il était grossier, mais il paraissait mu pas quelque chose qu'elle ne voyait pas, comme une vague de peur qui passait sur son visage expressif. Elle ferma la porte d'entrée et s'appuya contre elle de sorte à bloquer la poignée.
« Je veux savoir.
— Savoir quoi ?
— Tout. Ce chant, ce cri, comme tu veux, ça fait des mois que je l'entends et c'est la première fois que j'en parle. »
Elle se livrait plus qu'elle n'aurait voulu, mais elle se disait que c'était le seul moyen de l'arrêter.
« J'imagine bien, soupira Fabien. Mais j'imagine aussi que tu veux des réponses, et je n'en ai aucune.
— Je veux seulement ce que tu as à dire.
— Pas grand-chose...
— Réponds.
— Je ne sais rien, explosa Fabien, je le sens, c'est tout ! Il y a quelqu'un qui m'a dit des choses auxquelles je n'ai pas arrêté de penser depuis, et qui avaient un rapport avec ce qu'on a entendu. Mais si je te le présente, alors tu me prendras pour un fou, et...
— Et alors ? Tu ne me connais pas. »
Ses yeux étaient bleus, elle le vit plus clairement alors qu'ils parcouraient son visage sans savoir où se poser. Elle, elle continua à le fixer sans fléchir. Elle ajouta :
« Tu ne connais même pas mon prénom.
— Helena ? »
Elle ouvrit la bouche et la referma. Elle n'arriva même pas à articuler qu'il commençait à lui faire peur, que personne de présent à cette soirée ne l'appelait pas son prénom entier.
Fabien en profita pour tenter d'attraper la poignée mais elle bloqua sa main sur la sienne. Il n'était pas plus grand qu'elle, ou à peine. Il retira aussitôt sa propre main et elle le laissa faire, croisant les bras, en restant appuyée contre la porte.
« Il y a un homme, prononça-t-il lentement, qui vient régulièrement parler dans un tabac pas loin d'ici. L'endroit n'est pas dangereux. Tu n'as qu'à aller le voir et lui demander directement ? Je ne veux pas te raconter n'importe quoi et que tu penses que je suis un illuminé.
— C'est à quelle adresse ? »
Il lui donna l'adresse et il ajouta : « Il s'appelle Yves.
— Désolée, dit-elle enfin en libérant la porte d'entrée.
— Ne t'excuse pas, répondit Fabien, mais il évitait son regard. Il n'est pas toujours là, alors demande au comptoir quand il passera. Sinon, tu risques de le louper. »
Elle faillit demander si elle le croiserait mais elle ne le fit pas, et elle le laissa sortir comme s'il avait eu un rendez-vous urgent, tard dans la soirée et tôt dans la nuit. Et puis, elle se rendit compte qu'elle ne savait toujours pas comment il connaissait son prénom.
Oh ! Le retour du chant/cri ! : )
Comme dit Cléo, on bascule lentement vers quelque chose de plus fantastique, ou en tout cas de plus mystérieux ^^
On en apprend aussi un peu plus, l'air de rien, sur les caractères des deux protagonistes, Léna et Fabien. Pour l'instant c'est très bien fait, on sent qu'ils pourraient s'entendre mais ils ont tout de même des caractères bien différents qui les opposent malgré tout dans cette situation précise.
Pour les petites remarques, j'ai parfois eu un peu de mal à comprendre tout de suite qui prenait la parole et je pense que c'est une question de "qui fait la dernière action". Traditionnellement, il me semble que par défaut, c'est la personne dont on a parlé en dernier qui prend la parole ensuite.
Par exemple
> "Il tapa du doigt l'extrémité de sa cigarette, faisant tomber quelques cendres qui s'écrasèrent sur l'herbe vive.
" Il faut que j'y aille."
Ça c'est parfait, c'est bien la même personne qui fait la dernière action et qui prend la parole ensuite. Donc il n'y a aucun doute sur le fait que c'est Fabien qui parle. Mais à l'inverse :
> "Elle hocha la tête de gauche à droite. La boule familière montait dans sa gorge et elle se demanda s'il la voyait grossir.
« Je ne sais plus quand je l'ai entendu la première fois, mais c'est de plus en plus fréquent, marmonna-t-il[...]"
Là tant que je n'avais pas lu le "marmonna-t-il" j'étais persuadée que c'était Léna qui parlait, car on parle d'elle juste avant, elle hoche la tête et se demande des choses.
Je ne sais pas si c'est très clair ce que je raconte... en gros tant que je n'ai pas lu l'incise, je ne sais pas qui parle et c'est un problème je pense. Il faudrait peut-être faire plus attention à ce que la prise de parole soit plus claire, en mettant bien la bonne personne en dernière action. Cela rend la lecture vraiment beaucoup plus fluide de faire ça : )
Pour le reste, j'ai beaucoup aimé ce chapitre, on entre dans le vif du mystère et j'ai hâte d'en savoir plus sur ce cri et sur ce Yves ! : )
Bref ça donne envie de découvrir la suite, on sent bien que quelque chose se passe et qu'il y a plus à découvrir derrière ce son étrange.
En tout cas ravie d'avoir commencé ton histoire, ça me plaît bien :)
Sur la forme :
- "Elle n'arriva même pas à articuler qu'il commençait à lui faire peur, que personne de présent à cette soirée ne l'appelait pas son prénom entier." -> je crois qu'il faut reformuler cette phrase.
Coquille :
"il paraissait mu pas quelque chose" -> par
Après, tout n'est pas à prendre, ce sera à toi de voir ce qui te parle ou non !
Personnellement, ça m'a vraiment beaucoup aidée à améliorer le premier roman que j'y ai posté. Il est hors ligne à présent, mais PA a vu son premier jet, un second et même un troisième haha. Et j'ai pu notamment l'améliorer grâce aux retours des lecteurs !
Enfin bref, tu tiens le bon bout, bon courage pour la suite ^^
Et en même temps oui, je vais voir ce qui me plaît ou non. Merci pour ces encouragements :))