46. Confession

Notes de l’auteur : Octobre 1942

Les jours se rafraîchissent et rétrécissent. Le soleil disparaît lentement derrière les collines voisines tandis que mes épaules se couvrent du gilet de laine.Je suis assise là, sous le porche de la maison, le sourire au bord des lèvres. Je suis assise là, bienheureuse.

— Élise ! Tu vas attraper froid si tu restes dehors trop longtemps.

Mais je m'en fiche. Je ne peux m'empêcher de regarder la beauté de ce coucher de soleil. Je me demande si j'en ai déjà vu un aussi peu timide et pourtant éclairant avec toute la lumière qu'il a. Comme si, derrière ses collines, disparaissant à l'horizon, cette lumière orangée, chaleureuse, était sa façon de nous dire au revoir.

Pour la première fois depuis des mois, j'ai le cœur en paix et l'âme heureuse, parce que pour la première fois depuis des mois, j'ai reçu une bonne nouvelle. Thomas revient.

Nous étions tellement persuadés que nos baisers étaient les derniers, que nous avons oublié de souhaiter en avoir des nouveaux. Nous nous étions séparés pour la dernière fois, pour l'ultime fois, chacun s'étant préparé au pire, et ce, jusqu'à la fin de cette histoire.

— Élise, où est-ce que tu vas encore ?! Il se fait tard ! Reviens !

— Je n'en ai pas pour longtemps.

Il faut que je lui annonce la bonne nouvelle. Il faut que je lui dise, il serait certainement ravi.

Alors, je quitte la grande allée d'arbres et de buissons, traverse le champ principal de la maison et me retrouve à l'arrière, assez loin pour espérer avoir une once d'intimité.

— Bonsoir, Georges.

Ici se trouve son mémorial. Un petit quelque chose que j'ai construit et où, chaque jour, quand j'ai le temps et que je ne travaille pas aux champs, je viens déposer des fleurs. Je passe des heures devant cette petite croix de bois fleurie. Des heures à lui parler. À lui raconter. À lui confier mes doutes, mes craintes, mes appréhensions. Des heures à lui parler de moi, sans prendre le temps de lui demander comment il va. S'il est heureux maintenant. S'il a su retrouver sa mère et si, de là-haut, loin dans les cieux et parmi les étoiles s'allumant alors une à une dans le ciel telle une guirlande de Noël, il veille sur nous.

Sur Thomas. Sur moi.

Sur nous tout simplement.

On parle souvent des morts, de l'enfer de la guerre et de la tragédie. Mais on ne parle pas suffisamment assez de ce qu'ils laissent derrière eux. De ces gens que l'on a mis dans un coin, comme un bout d'une vie ne nous appartenant plus, et que l'on espère retrouver plus tard. Après la guerre.

Ces gens que l'on range dans une petite boîte précieuse, comme si, à eux seuls, ils contenaient les derniers fragments d'une vie bientôt oubliée.

C'était comment de vivre avant déjà ? Avant tout ça ?

— Je viens de recevoir une nouvelle lettre de Thomas. Elle est courte, comme d'habitude, mais son contenu m'est précieux. Tu sais ce qu'il me dit ? Qu'il va revenir. Ici même. Il va revenir me voir. Ô, Georges, si tu savais comme cela me remplit de joie. Pour la première fois, en ses lignes, j'ai eu l'impression de retrouver Thomas. Ses dernières lettres m'ont semblé être celles d'un homme des plus perturbés. Troublé. Abîmé par l'atrocité.

Et je ne peux lui en vouloir. Je n'ose imaginer ce qu'il vit, ce qu'il traverse et ce qu'il endure. Je ne pourrais jamais, ô grand jamais, me mettre à sa place. Me dire "peut-être que Thomas fait ça".

— J'espère que si l'occasion se présente, Thomas viendra te voir. Je pense qu'il en a besoin. Honnêtement, le connaissant, il n'a jamais vraiment fait son deuil et il doit s'en vouloir. Tout comme moi. On s'était promis de veiller sur toi. De faire attention à toi. De ne pas te laisser partir comme ça et au final, nous t'avons oublié et nous avons échoué dans notre tâche. Nous avons rompu cette promesse que nous nous étions faite. Tu es parti, Georges. Trop tôt, trop jeune, et aucun de nous ne s'en remettra vraiment. Mais tu sais quoi ? Je suis contente de pouvoir m'asseoir à côté de toi et te raconter tout ça.

Même si tu n'es pas vraiment là.

Dis-moi, Georges, nous pardonneras-tu au moment voulu ?

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Elora
Posté le 27/06/2021
Je suis contente de voir que l'on a pas oublié Georges, il mérite de survivre à travers les souvenirs, et malgré le fait qu'Elise et Thomas n'aient pas su le protéger, ils continuent de le faire vivre, je pense que c'est largement assez, bien qu'il aurait était mieux qu'il survive ce petit Georges !
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