47- Le Murmure

Ce ne fut pas la douleur qui me ramena à moi même, et pourtant, elle faisait un mal de chien. La projection et le coup que je m’étais prise au visage devait avoir fait des sacrés débats, car j’avais l’impression de m’être prise un fer à repasser en pleine figure.

Non, ce qui me ramena à moi, ce fut le bruit de l’eau. Un doux petit clapotis, apaisant, familier. Je fus presque tentée de demeurer ainsi, de ne pas ouvrir les yeux. Je rêvais probablement de la maison, l’ancienne, à la porte jaune, au bord de la mer.

Le bruit de l’eau se fit de plus en plus fort, jusqu’à devenir tout proche, et mon visage fut bien vite éclaboussé. De l’eau fraiche, pas de l’eau de mer, sans quoi cela aurait été douloureux.

Je ne pouvais donc pas rêver, et autre chose le confirma: la poigne de fer qui me cisaillait l’épaule.

Mon coeur s’affola à la seconde et j’eus l’impression d’être à nouveau une petite fille, de retour sur ce chemin, quand ma grand-mère était particulièrement furieuse et me trainait chez elle-

Le manoir, les-

J’ouvris les yeux à la seconde.

L’aube se faisait toujours désirer, et de toute manière, un épais brouillard s’était levé sur la lande, si épais que l’on ne pouvait pas y voir à trois mètres. L’étang pourtant, je le vis, l’eau m’y arrivait déjà aux genoux, et continuait son ascension. Je tentais de e débattre, de m’éloigner de la berge, et en faisant cela, la douleur à mon épaule se fit aigue, et les éclaboussures, l’eau montante, la poigne tou pris son sens.

Le Lemure me trainait par l’épaule, et d’une démarche toute aussi implacable, avançait dans l’eau.

Je compris alors, que j’allais finir noyée. Le Lemure ne s’arrêterait pas, Grand-mère, j’ignorais pourquoi- et peu importait, mais elle allait avancer jusqu’au bout, et j’allais mourir.

Une peur atroce me saisit au ventre, et je me mis à me débattre à la folie, agrippant tout ce qui me tombait sous la main, plantant mes pieds dans la boue, mais rien y fit. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter, elle ne daigna pas même me regarder.

L’eau m’arrivait jusqu’au torse quand je me mis à hurler. Tout se passait si vite si vite, je n’avais plus pieds, je m’accrochais à ses bras pour tenter de demeurer à la surface, l’eau me caressait le menton et je pris ma dernière goulée d’air.

Dans une tentative désespérée, je plantais mes doigts dans cette poigne, espérant faire mal, faire quelque chose n’importe quoi- mes poumons me brulaient, me suppliant d’ouvrir la bouche, d’inspirer, de mettre fin à ce supplice.

Au loin le bateau de maman quittait le port, dans ce déchainement des éléments inouïe. Elle était partie malgré toutes les mises en gardes, contre l’avis de grand-mère. Personne ne pouvait survivre à un cataclysme pareil, et elle ne ferait pas, elle n’avait pas fait exception.

Je n’avais jamais compris son obstination. Papa non  plus. Ils m’avaient tous promis, de ne jamais me laisser seule sur la rive. Je suppose que c’était ce qui était en train de se produire. Elle m’emmenait avec elle, pour tenir sa promesse. Peut-être était-il temps de se reposer.

La lumière disparaissait peu à peu de mon regard, des ombres grandirent entre les algues-

Il y eut un remous et un gargouillis abominable, l’eau changea alors de viscosité et la pression disparut. Des ombres se mirent à fondre sur le Lemure, le blessant ici et là. Je remarquai cependant que les griffes de l’Esprits se saisissaient des ombres et leur rendaient la pareil.

Fuis, on me murmura alors, nage, rejoins la surface.

Mais je n’avais plus aucune force, ni d’air. C’était impossible, je ne pouvais pas-

L’image de Lizzie, me toisant de ma fenêtre, le regard scandalisée me frappa en pleine figure. Elle avait les yeux brillants de colère, les joues rogues, comme si ma trahison, mon abandon lui donnait de la fièvre. Elle avait tout fait pour que je ne partes pas de la maison ce jour là, et que pour la première fois, je ne la laisse pas gagner, cela l’avait mis hors d’elle.

Je lui avais promis que cela ne serait pas long.

Cela ne pouvait pas être éternel.

Je ne saurais dire quel Saint avait intercédé en ma faveur, mais dans un ultime effort, mon pieds cogna contre un caillou et je me propulsais vers le haut.

Le manque d’air me donnait le tournis, et je n’étais pas certaine de demeurer consciente encore bien longtemps. Il fallait juste que je tienne, encore un instant, par pitié-

L’air caressa mes doigts, et dans mon euphorie, je pris une inspiration colossale, et avalait une quantité douloureuse d’eau vaseuse. Tout devint incisif, l’air, mon visage, mes poumons- je me débattais contre les eaux, qui souhaitaient visiblement à nouveau me happer, et cette griffure, qui tentait de s’enrouler autour de mon pieds gauche-

« Sidonie! Par tous les Saints-» On me hurla dans les oreilles, avant de me tirer hors de l’eau.

Scetus, le on, c’était Scetus. Il me fixait d’un air terrorisé, me donnant des coups au ventre. Je fus prise d’une envie violente de vomir, et me tourna au dernier moment afin de cracher de l’eau.

Il fallait qu’il sache, il fallait-

« Le Lemure. » Je tentais d’articuler « Il, leur, casse, la, gueule. »

« Quoi? Comment ça il-»

Scetus tourna la tête et ses yeux s’écarquillèrent de peur, alors que l’esprit émergea, les yeux Noris de colère.

« Mais c’est pas vrai! » Scetus rugit en levant les mains, éblouissantes dans la pénombre. Le Lemure siffla de colère, la main protégeant ses yeux, mais il continua d’avancer. 

Le long de son corps, les plaies se renfermaient une à une, et les nouvelles que Scetus lui infligeaient le ralentissaient à peine. Un être vivant aurait hurlé de douleur, cloué sur le sol et se serait vidé de son sang si on lui avait tranché la gorge. Le problème, dans cette phrase, c’était ‘vivant’. 

« Sidonie, dégage de là! »

Je voyais Scetus s’acharner, enchainer les runes au point que du sang se mis à perler de son nez. Son teint devenait progressivement terreux, une de ses mains se mit même à tiquer… non, il ne pouvait pas continuer ainsi, pas quand ce truc de merde continuait d’avancer vers lui, levant la main-

Au dessus de nous, les feuilles de silvair se coloraient de cuivre, de manière de plus en plus rapide.

Non.

On était si proche de l’aube, une minute tout au plus, deux, avec ce stupide brouillard. On allait s’en sortir, il n’y avait pas d’autres options, l’échec, n’était pas une option. Pas si proche de la libération. Mais par ou viendrait-il…

Ce n’était pas tant que je cessais d’avoir mal, c’était plutôt que je décidai de n’en avoir rien à faire. Je me hissais sur les pieds en m’agrippant à l’arbre. Il fallait juste savoir d’ou il viendrait-

Scetus eut un petit cri désespéré, et invoqua un mur sombre que le Lemure trancha sans le moindre effort. Le silvair était presque achevé, et je n’osais pas regarder l’horizon, si brumeuse mais…

Alleeeeez pense, pense Sidonie!

Un petit murmure se propagea au gré du vent, secouant les branche de l’est vers l’ouest. Ça commence, ça commence… soyez près. Il s’en vient…

Dans un dernier geste, je bondis contre l’arbre afin de me protéger du souffle et j’agrippai Scetus contre moi.  Il tomba à la renverse, et de stupeur, toutes ses runes s’éteignirent. 

« Qu’est-ce que-» Il s’écria dans un mélange de stupeur et de fureur. De trahison même.

Le Lemure leva alors sa main griffue dans notre direction avant de s’immobiliser. Le brouillard se para alors de halos bleus intenses, striés de noirs.

Tout ce qui avait un jour été vert se it alors à se recroqueviller, se dessécher, brunir enfin, comme bruler. Une douleur vive me saisit à la main et j’eus à peine le temps de la retirer, de la plaquer dans la zone d’ombre que l’arbre créait. 

L’eau se mit à fumer, dégageant une odeur d’ozone écoeurante et enfin, enfin, le Lemure poussa un hurlement déchirant. On aurait dit qu’il était en train de prendre feu à nouveau, sans pour autant que la moindre flamme ne fut visible. Elle se consumait de l’intérieur, les rayons mortels du Nerub lui dévorant les chaires.

Le Lemure me jeta un regard outrée, de trahison pur, avant de tomber à la renverse. Elle tenta bien une dernière fois de m’agripper par le pieds mais Scetus lui envoya un coup de botte si violent qu’il la fit valser.

« Saoirse, viens ici…. » Elle siffla alors, une dernière fois avant de s’immobiliser pour de bon. 

Le Nerub était levé.


 

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