49- La Promesse de l'Aube

Notes de l’auteur : Et voilà, l'épilogue (moment d'émotion intense).
Un immense merci à toi, oh lecteur anonyme (ou non)! Merci d'avoir suivi ces petites bouteilles à la dérive! J'espère que tu as passé un bon moment, ou à minima, ait été diverti.e !

Je ne saurais dire par quel miracle je demeurais calme.

Enfin, calme. C’était un bien grand mot, et probablement bien osé dans la situation présente. Et c’était en mettant de côté mon épaule en miette et mon rythme cardiaque plus proche d’une symphonie que de l’être vivant. Apathique était probablement davantage de rigueur, immobile me convenait tout à fait.

Passait encore cette partie de cache-cache avec les esprits des eaux et autres charmants lemures. Je m’étais trouvée prête à mourir si nécessaire. Mais l’adrénaline était retombée, mon corps avait à nouveau plus de trous que d’ordinaire, le gout du mexo était encore contre ma langue et Lazarus n’avait pas desserré la mâchoire en plus de dix minutes.

Je ne savais pas à quoi il jouait, mais j’en avais assez.

Nous n’étions pas demeurés au Manoir, il n’était pas fou après tout et devait se douter que je pourrais tenter une fuite. Voilà pourquoi il m’avait conduit au vieux Belvédère du domaine. C’était une structure vieillie et ronde, tapissées de vitres cuivrées, filtrant les rayons mortels du Nerub. Le disque de ce dernier était désormais bien présent à l’horizon. 

Si je sortais, j’étais cuite, littéralement.

Bon, dans tous les cas de figure, j’étais cuite. On amenait rarement les gens dans des bosquets denses et déserts pour leur demander un avis de mode.

Il y avait un bruissement étrange dans l’air. On aurait presque pu jurer que les arbres se passaient quelque chose. J’ignorais pourquoi, mais j’en étais convaincue, même si le message en question m’échappait. Une petite voix cependant me murmurait qu’il était capital de comprendre.

Assez.

Il faudrait trouver la paix, peu importe l’issue, même si à nouveau, je n’avais aucune illusion sur l’issue en question. L’ironie de l’affaire ne m’échappait pas moins pour autant.

Il fallait trouver la paix, il me fallait trouver un détail, quelque chose, n’importe quoi-

« Pourquoi es-tu intervenue? » Beria brisa le silence, le ton rauque.

Je m’étais imaginée beaucoup de choses, je m’étais préparée à tout, et visiblement je m’étais encore trompée.

« Pardon, quoi? »

« Ne joue pas à l’idiote. » Il répliqua, non sans me jeter un regard aussi noir que glacé. Cela aurait du me faire peur, mais je pense avoir eu bien assez peur pour une vie. À la place tout ce que je parvenais à ressentir, c’était l’envie absurde de rire et je dus lutter pour ne pas-

Ah, correction, un petit ricanement s’échappa de mes lèvres, sans même demander son reste.

« Ce n’est pas la reconnaissance qui va vous étouffer vous. »

« Tu es-»

« S’il y en a un de nous deux qui doit être en colère et qui a le plus petit droit de l’exprimer, c’est moi. Au risque de vous choquer, c’est moi qui n’ai pas fermé l’oeil de la nuit, c’est moi qui ait un genoux plus proche du steak tartare que de l’articulation, et c’est entièrement de votre faute. »

« Ma faute? Tu es parvenue à invoquer un lémure, et c’est ma faute? »

« Je ne soulignerai pas l’ironie de m’enfermer dans une maison spectrale et de se plaindre que mes fantômes en profitent pour mettre la pagaille parce que ce n’est vraiment flatteur pour personne de le souligner, mais je le pense très fort. »

« Tu as dix-neuf ans, tu n’es pas supposée avoir un lémure dans ton répertoire par tous les Saints! »

« Et bien j’ai une vie de merde, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise! »

« Cesse donc le tragique, veux tu bien? »

« Vous vous apprêtez à me raccourcir dans une forêt déserte, sans raison valable, navrée de vous en informer, mais votre avis, je m’assois complètement dessus. »

“Je ne l’envisage pas sans raison, je ne fais jamais rien sans raison.” Il protesta, et j’eus envie de rire.

Alors je le fis.

“Bien, vous avez une raison, merveilleux, vous voulez des applaudissements?”

« Tu es bien résignée. »

« Je suis fatiguée, j’en ai ma claque de vos questions, et de vos gifles, alors j’ai envie de vous dire, faites-le qu’on en finisse, et laissez-moi tranquille. »

« Si on m’avait un jour annoncé que tu baisserais aussi facilement les bras. J’aurais bien ri. »

« Facilement, d’accord. » Je ne retins pas le petit ricanement aussi cynique et douloureux que féminin.

« Tu baisses les bras. » Il dit, et à l’entendre, il semblait presque déçu. Cela en était presque comique franchement.

« Je refuse de baisser la tête. »

« Il n’y a là aucune différence. » Il répliqua, et ce n’était pas son ton habituel. C’était une provocation. Il cherchait à me titiller avec cette voix, mais je n’étais pas d’humeur à jouer.

« Pensez ce que vous voulez. »

L’étincelle dans son regard me retourna presque la cervelle. Presque. Je refusais que cela fut entièrement le cas.

« Ce que je veux, c’est savoir pourquoi tu ne t’es pas enfuie alors que tu en avais l’opportunité. Encore.» Il siffla.

Je trouvais cela quand même gonflé. Quitte à en finir, il pouvait au moins avoir la délicatesse de ne pas me jeter mes échecs à la figure.

« J’ai merdé. Tans pis pour moi, tant mieux pour vous. »

« Tu regrettes, ainsi donc. »

« Évidemment. » Je maugréais, mais étrangement, mes lèvres se teintèrent de bleu. Je n’avais jamais été aussi surprise de ma vie, et ce picotement n’avait jamais été aussi bienvenu. Peut-être, peut-être y avait-il de l’espoir pour mon âme. Peut-être ne serais-je pas jetée dans les tréfonds du néant. Peut-être me laisserait-on jeter un regard à la galaaé pour m’assurer que Lizzie allait bien.

« Ce lémure, qui était-ce? »

Un petit vent caressa mon visage, comme une mélodie muette. Autour de nous, les feuilles de silvairs scintillaient, et ce malgré les vitres teintées. Cela m’emplit le coeur de mélancolie étrangement, et c’était dangereux. Il ne fallait pas, il fallait se ressaisir et être forte.

« La mère de mon père. » Je m’entendis maugréer, et je pouvais presque deviner le froncement de sourcil de Lazarus. Il ne me pressa pas cependant et il me fallut une bonne minute pour comprendre qu’il attendait patiemment que je poursuive.

J’ignorais pourquoi mais cela cassa quelque chose en moi. Je savais que je devais absolument me taire, face à lui, entre tous mais-

La forêt semblait noyée dans un halo doré et scintillant et…

« Un jour ma mère tardait à revenir de la mer. »

Il me fallut une seconde pour réaliser qu’il s’agissait de ma propre voix, et que c’était là mes mots. Ma gorge se dessécha, comme si mon corps mettait tout en oeuvre pour me faire taire, mais, c’était comme un ruisseau.

« Je n’étais pas inquiète. La mer était dans un sale état, mais c’était ma mère. Elle avait survécu à bien pire. Et mon père, en la voyant tarder, est parti à sa recherche. Lui aussi il était garde côte, le meilleur. Je n’avais aucune raison d’être inquiète.  Alors je me suis assise sur la grève et j’ai fixé l’horizon. »

Mes mains tremblaient, mais je n’étais pas entièrement certaine que cela fut de froid ou de peur. C’était comme une corde que l’on a trop tendu et qui claque enfin. Tout semblait s’effacer autour de moi, même la douleur de mon épaule.

« J’ai mis beaucoup de temps à ne plus attendre son retour, et encore, parfois, quand je vois un bateau sur le quais… Le problème, c’est qu’on a jamais rien eu. Le cercueil était vide. C’est ça le pire avec la mer. Elle prend sans rien dire, et sans rien laisser. Tout ce que l’océan a daigné me rendre, que mon père ait trouvé, ce fut une toute petite écharde de la coque du bateau. »

« Mon père ne s’en est jamais remis. De manière rétrospective, je pense qu’il est mort avec elle et cherchait un moyen d’officialiser la chose de manière pas trop honteuse. Il a été extrêmement chanceux à cet égard, dans le mois le crétin du sud-ouest tirait sur l’archi-idiot du Septentrion et… il s’est porté volontaire dans l’heure. »

« Il t’a abandonné. »

« Oh il a juré le contraire, mais oui, et m’a laissé chez sa mère. Sur le coup, j’étais soulagée. J’ai eu beaucoup d’affection pour elle et je pensais que c’était réciproque. Et puis il est parti à la guerre et nous nous sommes retrouvées seules toutes les deux. »

« Que s’est-il passé? »

« Au début, rien, et puis un jour, alors que nous jouions sur la falaise, je suis tombée. Heureusement je me suis bien vite rattrapée. Oh je me suis faite mal aux mains, bien sur, mais rien de bien méchant. Le problème, c’est que le garçon avec qui je jouais s’est mis à raconter une toute autre histoire. La mère de mon père a fini par l’apprendre. »

« Que racontait-il? »

« Que j’avais fait de la magie, et que je serais morte sans ça. »

« Était-ce le cas? » Il demanda alors, et je lui tendis ma paume gauche.

« Vous voyez une rune, vous? »

« Si cela s’est produit il y a dix ans, il n’est pas impossible qu’elle se soit effacé.»

« Non. Ni mon père, ni ma mère n’étaient magiques. »

« Mais ta grand-mère s’est mise à douter. » il devina, sans mal « Qu’a-t-elle fait? »

« A votre avis? »

« Ton père était-il au courant? »

« Je ne savais pas écrire, je me disais que j’attendrais qu’il rentre en permission. Et il a fini par rentrer, dans une boite clouée, comme il le souhaitait. Ils ne nous ont même pas laissé l’ouvrir, comme quoi on n’aurait pas pu le supporter. Je leur en voudrais toujours pour ça, ils sont tous morts et c’est inutile de leur en vouloir, mais je n’arrive pas à leur pardonner. »

« Les dixmites ne se gênaient pas pour utiliser des pièges sales, c’était probablement pour le mieux. »

« Je sais, et cela ne change rien. Je voulais le voir, on aurait du me laisser. »

« Tu étais jeune. »

« Si j’étais assez âgée pour que l’on me vole mon petit papa, alors j’étais assez vieille pour qu’on respecte mon avis. »

« Je suppose que cette femme a eu ta garde. S’est-elle calmée?»

 « Elle a empiré après la cérémonie, je lui rappelais probablement trop son fils, ou pas assez. Les gens lui trouvaient beaucoup d’excuses, la vérité c’était qu’elle voulait passer ses nerfs sur quelque chose et que j’étais trop faible pour lui faire subir la moindre conséquence. Je me suis mise à m’enfuir. D’abord dans la forêt, mais on me trouvait trop facilement, alors je me suis mise à me glisser dans les creusasses de la falaise. C’était une idée pourrie, car à la moindre vague cela aurait été la fin des aventures de Sidonie mais… ça me semblait être un risque acceptable. Ça la rendait folle de rage. Quand je finissais par sortir, elle me trainait chez elle et-bref. »

« Personne n’est jamais intervenu? »

« Les gens n’interviennent jamais. Vous faire un commentaire sur vos bégonias ou la longueur de votre jupe ils s’en donnent à coeur joie mais ça… c’est pas leurs affaires, il faut comprendre. »

J’attendis une réaction de sa part, n’importe quoi, qu’il me dise que cela ne l’intéressait pas et d’en venir aux faits. Mais Beria s’obstinait à demeurer muet, la mâchoire crispée. 

« Ça aurait pu durer longtemps, mais un soir, j’étais dans mon repère et la mère de mon père m’a appelé. Ce n’était pas comme à son habitude, elle était… frénétique. De manière rétrospective cela s’explique mais… sur le coup je me disais qu’avec une voix pareil, elle me donnerait de la ceinture et elle ne s’arrêterait pas. Je ne voulais pas mourir, alors je n’ai pas bougé d’un pouce. Je le regrette bien entendu, mais… il faut essayer de se mettre à ma place, je veux dire, vous auriez bougé, vous? »

Lazarus eut un petit souffle rageur, comme s’il trouvait ma question révoltante, voir insultante. Mes entrailles se tordirent, je trouvais insupportable qu’il me considère lâche, je ne le supportais pas-

« Je serais sorti, et il y aurait probablement eu un mort, en effet. Assez mérité.» Il finit par siffler, et je ne retins pas le soupire de soulagement. Je n’y parvenais pas. 

« Que s’est-il passé? » Il demanda.

« Le monde s’est mis à trembler, et la roche s’est mise à chauffer comme du fer à blanc. J’ai dû m’enfoncer dans la montagne, sans quoi j’aurais fini cuite. Même l’eau, sur le rivage, s’est mise à fumer, à bouillonner, et il y avait ce bruit… j’ai attendu une éternité, jusqu’à ce que cela cesse enfin. »

« … que le tremblement de terre cesse? » Il demanda, non sans cynisme.

« Je n’ai jamais dit que c’était un tremblement de terre, j’ai simplement dit que la terre a tremblé, ce qui était le cas. »

« Les bombardements dixmites ont cet effet secondaire, en effet. »

« Pour être franche, je ne suis même pas sure qu’il s’agissait d’une attaque Teknokrate. »

« Et pourquoi cela? Ton village n’était-il pas fédéraliste? »

« Mon père est allé combattre les sécessionnistes, nuance, il y en a tout autant qui sont passés de l’autre côté, mais le sentiment général, c’était plutôt qu’ils étaient tous stupides. »

« Je ne vois pas le rapport. »

« Quand les officiers de conscription sont venus, ils sont repartis avec des coups de pieds aux fesses, je doute que cela soit bien passé. »

« Au point de raser un village? »

« On pourrait dire la même chose de l’autre côté, et en fin de compte, cela ne change pas grand chose, qui a fait ça. »

« Et ensuite? »

« Quand je suis sortie, j’ai cru un instant m’être trompée. J’ai cru me trouver au centre de la  terre. Ce n’était pas possible autrement, il n’y avait plus rien. Plus de forêt, la falaise s’était effondrée par endroit, il y avait des cratères fumant et… il y avait une pile assez étrange au centre de ce qui restait de la place et des inconnus dans la lande. »

« Tu as été récupérée par les rebelles, n’est-ce pas? »

« Au début, ils ne savaient pas vraiment quoi faire de moi. Et puis ils se sont rendu compte que j’étais capable de grimper, d’escalader, et visiblement de passer inaperçu car j’avais trouvé le moyen de les éviter pendant un bon trois jours. Ça les a intéressé. On m’a envoyée dans un bâtiment, perdu dans la montage avec d’autres enfants. C’était techniquement un orphelinat car nous étions tous des orphelins à ce stade. La seule différence c’était qu’au lieu de nous apprendre à lire et compter, ils nous apprenaient à nous cacher, à escalader les murs, à ne pas se faire remarquer, à repérer les sortilèges. Personne ne savait pourquoi, jusqu’à ce que. »

Je peinais à déglutir, ou à vomir. Voir les deux. Il fallait que cela sorte.

« Un soir, tante Lydia m’a convoqué dans son bureau. On m’a pointé un point sur la carte, on m’a montré un portrait, on m’a glissé un couteau dans la main et on m’a souhaité bonne chance. »

Je savais que c’était une mauvaise idée, mais je me tournais vers Lazarus. C’était comme s’il fallait que je sache. C’était idiot en soit, car on parlait de Lazarus et s’il osait me faire une moindre leçon de morale, je serais dans mon droit d’éclater de rire mais…

Mais il n’y avait rien sur son visage, pas même du sang. Son teint avait perdu la moindre once de couleur, au point qu’il s’apparentait presque à un spectre.

« Quel âge avais-tu? » Il finit par articuler.

« Sept ans. » Je répondis, et il siffla de colère. Qu’il soit scandalisé de la sorte, c’était anormalement réconfortant. Comme s’il pensait impossible que je fus un monstre. C’était apaisant.

C’était également un mensonge. J’aurais tant aimé que cela fut vrai, par tous les Saints, j’aurais tant aimé mériter ce regard.

« Tu mens. » Il finit par dire tranquillement, en secouant la tête. C’était comme s’il souhaitait éjecter cela de son esprit. « Même eux, n’auraient pas accomplis une telle abomination, et quand bien même, tu n’aurais pas fait une demi-lieu avant de te faire attraper. » 

« Mes lèvres sont rouges.”

« Non, je refuse d’y croire. » Il répéta alors, secouant la tete.

« Je pense avoir démontré une certaine facilité à prendre la poudre d’escampette. »

« Il y a une différence notable entre- ne joue pas à l’idiote. C’est exaspérant. » Il continua, toujours en secouant la tête. « Si c’était le cas, tu n’aurais eu aucun problème à t’occuper de Madame Regiris, ni même de- nous ne serions pas en train d’avoir cette conversation. »

Je réfléchis un petit moment, non pas à si j’aurais pu le faire mais plutôt pourquoi je l’aurais fait. La première interrogation n’en était pas vraiment une après tout. Je revis brièvement cette longue pièce, recroquevillée contre moi même, tentant du mieux que je pouvais de dissimuler Dart… 

Non, quand bien même je n’y aurais pas été tenue, jamais je ne l’aurais fait.

« Je n’aime pas la violence. » Je finis par dire, et c’était vrai, mes lèvres en témoignaient.

« N’as-tu pas affirmée être prête à tout pour t’échapper? »

« Quand j’ai dit ça, je pensais plutôt à, ramper dans les égouts, me terrer dans de la boue, ce genre de joyeuseté. »

Lazarus cligna les yeux à de nombreuses reprise.

« C’est absurde. »

« Je sais. Mais je n’aime pas la violence. C’est aussi simple que ça. Et Mafalda s’est montrée assez gentille avec moi. Elle n’est pas toujours facile, mais elle n’a pas eu une vie facile.» Je haussais les épaules. Bon, en fin de compte, elle m’avait complètement abandonnée, mais…

« Je ne te comprends pas. »

« Ça m’a l’air d’être plus votre problème que le mien pour être franche. » Je notai, et même moi mon ton tranquille me surprit.

« Comment t’es-tu échappée? Tu ne me feras pas croire qu’ils t’ont laissé partir. »

« Un soir, il y a eu une alerte de Maelstrom dans le secteur. »

« Tu étais en Danoisie. » Il souligna, et quelque chose dans son ton me hérissa jusqu’à la moelle.

« Oui. Tante Lydia a remué pieds et mains pour nous faire rapatrier à Swynghedaw, mais ils ont refusé. On était en train de perdre la vallée, et ils avaient l’esprit idiot qu’une bande de gamins pourrait tenir la ligne. Ils nous ont donc transféré la base la plus proche- »

« Wazemmerg. » Il murmura de manière à peine audible, avant de me glisser un tel regard que… je baissais les yeux de honte. Il savait. Évidemment qu’il savait. J’aurais aimé pouvoir lui montrer à quel point cet endroit m’avait rongé l’âme, mais je n’étais pas certaine de mériter cette grace là.

« Quand nous sommes arrivés, il n’en restait plus qu’un-une. Elle tenait depuis trois jours d’après ce qu’ils nous racontaient. Elle hurlait à mort. Constamment. En salemni mais… »

Je pris une inspiration afin de tenter de me calmer. Ses cris, par tous les Saints, ils résonnaient encore dans ma moelle. Ils me rongeraient l’âme jusqu’à la fin des temps.

« Ils disaient que c’était une cohortienne, et, c’était probablement vrai mais… elle était si jeune. Seize ans, à tout casser. Ils l‘avaient couverte d’inhibiteurs ésotériques, et ils- c’était trop facile. Ils faisaient les mecs, mais sans ces inhibiteurs, ils se seraient fait pipi dessus. C’était tellement lâche, et inutile, et… »

Je m’arrêtais un instant, car l’air de mes poumons semblait s’être évaporée.

« Vous croyez en la justice divine Monsieur Lazarus? » Je demandais.

Il demeura un moment immobile, comme pétrifié. Son teint était plus que jamais blafard.

« La seule justice est celle que l’on arrache de ses propres mains. » Il finit par lâcher dans un murmure, à peine audible.

Je n’arrivais pas à ne pas être d’accord avec lui, même si j’aurais aimé que cela ne fut pas le cas. Il me plaisait de penser que quelqu’un là haut gardait les scores en tête. Cela voulait dire que quelqu’un protégerait toujours Lizzie et que je n’avais pas de soucis à me faire.

« Moi non plus, mais je crois au Bien et au Mal. J’ai fait beaucoup de mal Monsieur Lazarus, assez pour savoir exactement ce qui m’attend de l’autre côté du miroir. À chaque fois, on m’a donné une bonne raison. Je pense que c’est là la différence. Dans un cas, il faut sortir une justification afin de parvenir à dormir. Dans l’autre, on ne ressent que du soulagement. À l’époque, je m’Accrochais vraiment à ces raisons pour ne pas m’effondrer, mais là, quand je l’ai demandé à tante Lydia, c’était pire encore. »

« Parce que c’était une mage. » Il dit, le plus simplement du monde.

« J’ai toujours eu peur de la magie. Toujours, et à ce stade, on nous avait tellement bourré le crâne que j’étais terrifiée. Mais… ça, c’était inutile. Je comprends le tuer, ou être tué dans un combat, mais ce n’était pas ça. C’était juste cruel, et nous n’étions pas supposés être ça, nous étions du bon côté, nous faisions ce qui était juste pour protéger les gens, les faibles, et non. Très clairement, non, en fait. On s’était payé ma tête. Peut-être étaient-ils horrible en face, j’en avais assez vu, excusez-moi mais je suis passée après la Cohorte et ils enfilaient pas des perles vos petits potes. Mais, on n’était pas mieux en fait. »

« Qu’en était-il du Maelström? » Il demanda, comme s’il ne m’avait pas entendu.

« L’alerte a retenti, on nous a dirigé vers l’abris… et personne n’allait la chercher. Elle… laisser quelqu’un faire face à un Maelstrom, seule, c’est juste immonde. Lui mettre une balle dans la tête, cela aurait été moins pire. Mon ventre s’est tordu et j’ai senti du haut des cieux, à quel point ma mère était déçue de moi. Elle a dédié sa vie à aller chercher les crétins en mer, jusqu’à en mourir. Moi, je semais la mort et j’allais me mettre à l’abris. C’était insupportable, j’aurais eu moins honte de cracher sur sa tombe. Je ne pouvais plus avancer. »

« Tu es allée la chercher. »

« Mon plan c’était de retirer ses inhibiteurs, d’ouvrir sa porte et de lui montrer le chemin. Si j’étais discrètes, ils pourraient s’imaginer qu’elle avait trouvé le moyen de le faire seule, dans la précipitation… mais quand j’ai ouvert la porte. » 

Je secouais mes mains, comme si le sang s’y trouvait encore. Je n’avais jamais eu une telle vision d’horreur, de ma vie. Mes yeux, et ses gémissements, et l’odeur par pitié, que quelqu’un me tue plutôt que de jamais revivre ça.

« Bon, elle allait pas marcher dans la neige, elle n’était même pas consciente, et sa fièvre la faisait délirer. Je l’ai collé sur un traineau, et j’ai descendu la vallée. »

« Et le Maelström. »

« Oh ce n’était pas avec un traineau mécanique qu’on allait le semer, il nous a rattrapé bien étendu. Je ne me souviens pas vraiment, il y avait du vent, tellement de neige, et puis à un moment l’air est devenu lourd et bleu comme de l’eau- et plus rien. On a du tomber dans une crevasse, je ne m’en souviens pas. L’instant d'après, le vent était tombé, le Meriel brillait à me faire mal aux yeux, et je nous remets en chemin car tout est trop froid. Il faut bouger sinon on va mourir. Donc, en chemin, sans traineau, je crois qu’on la perdu en tombant-bref, et à un moment je vois un village. Désert, en apparence, et je suis fatiguée donc une halte, je dis pas non. Et là, dans ce qui reste de l’Auratoire, j’entends des voix, en salemni. Des mages, si proche de Wazemmerg, avec un peu de chance ils vont la reconnaitre et l’emmener à leur base ou je ne sais quoi, donc je nous hisse par une fenêtre, et je vais vous dire, pour qu’ils viennent, j’ai du vraiment y aller, parce qu’ils étaient pas décidé à venir. Je veux dire, je n’ai jamais autant fait de bouquant de ma vie, et il leur a fallu une bonne minute avant de se décider à rebrousser chemin. Ou peut être moins, mais moi, ça me parait si long. Et ils sont devant la porte, alors je me glisse à l’extérieur et Merci Cassini, ils se dépêchent de faire un portail et de l’emmener, sans trop faire attention aux environs, parce que je vais vous dire en toute franchise, j’ai si froid que je claque des dents et ils m’auraient trouvés en trois secondes. »

« Pourquoi. »

« Pourquoi quoi? »

« Pourquoi n’es-tu pas restée. » Il demanda sourdement, la mâchoire crispée « Tu venais de trainer- une magicienne sur plus de dix lieues malgré un Maelström, ils t’auraient accordé l’asile, ne penses-tu pas? »

« Ah oui, ils auraient accordé l’asile à quelqu’un en uniforme d’Institoris? »

« … Institoris? »

« À votre avis, qui m’envoyaient ils tuer? Des simples troufions ?» Je dis calmement « Mon compteur, il affiche maximum soixante soixante trois omegs, et encore, ils étaient classés comme traîtres à leur race ou magicien spirituel. »

« … et c’est une fraction. »

« Je sais ce qui m’attend de l’autre côté du voile. »

« Combien. »

« Deux cent cinquante sept. » Je maugréais, ce n’était pas faux, techniquement.

Il y en a un que je refusais de compter.

« Ils t’ont envoyer tuer plus de deux cent cinquante sept personnes. »

« Quatre-vingt douze, mais sauf exception, ces gens étaient bien placés et bien protégés et ce n’était pas toujours possible de- mais oui. »

«… tu es la Petite Ombre, n’est-ce pas? » Il demanda calmement. “Tu étais cet assassin-là, que personne ne parvenait jamais à attraper.”

« Je ne suis pas petite. » Je maugréais. Cassini que ce surnom avait toujours été insultant. J’avais fait parti de leurs meilleurs éléments, et ils m’avaient affuté d’un surnom pareil. C’était une énième insulte, qui contribuait à rendre deux-cent-cinquante-huit justifiable.

Je le revoyais encore en rire, les lèvres de tante Lydia pincées, mais silencieuses. 

« Enfin bref, vous pensez toujours qu’ils m’auraient accordés l’asile? »

« Tu aurais pu mentir. » Il souligna calmement « Arracher ton veston, te forger un nouveau nom, une nouvelle vie, comme tu as fini par le faire. Qu’est-ce qui t’a arrêté? »

« Ils m’auraient passé le cerveau au peigne fin, avec un mentaliste et il aurait compris. Encore huit ans de souvenir, je peux brouiller les piste, mais avec seulement vingt quatre heures de relais il n’y a pas grand chose que je puisse faire. »

« Il n’aurait peut-être rien dit. »

« C’est ça, il n’aurait rien dit, pour me transformer en ragout pour lui tout seul dans la soirée. »

« Quoi? »

Son expression choquée était presque comique, Monsieur avait été un capitaine de la Cohorte, me trainait ici pour me raccourcir, mais que je vienne à suggérer qu’un de ses compagnons puisse me transformer en rôti, alors la non, c’était dépasser les bordes.

« Je sais, de manière rétrospective c’est stupide. Mais quand je dis qu’ils faisaient tout pour qu’on soit terrifié des mages, je dis bien tout. tante Lydia nous répétait continuellement que dans son village, un mage avait cuisiné toute sa famille et pendant que ça mijotait, il avait tanné leur peaux pour en faire des chaussures. C’est ridicule, certes, mais- j’avais onze ans et j’étais terrifiée à l’idée de finir à la casserole. Et aussi j’avais vraiment froid donc ce n’était pas mes moments les plus brillants.»

« Alors tu t’es enfuie sans jamais te retourner. » Il dit sèchement et je me mordis la joue. Je me doutai, vu ce regard, quelle serait sa réaction et j’appréhendais d’avance de me faire crier dessus.

Je voulais dire, je n’étais plus une enfant, je n’avais donc plus de couteau pour me défendre.

« Bon, je sais que ça va paraitre stupide-»

« Non, je t’interdis. Tu n’y es pas retournée, par tous les Saints, je t’interdis d’être aussi… non. » Il siffla d’une colère noire.

« À nouveau, j’avais onze ans et j’avais si froid! » Je protestais « J’avais un manteau simple, et mes bottes c’était le standard de l’armée dixmite donc bof, et mon générateur s’était éteint. Je me caillais les miches et mes options étaient vraiment limitées- »

« Tes options étaient infinis. Tu étais discrète, et, tu avais onze ans. Tu aurais pu tenter de rejoindre-»

« J’étais seule. Pensez ce que vous voulez, mais j’avais froid, j’avais faim, j’étais fatiguée, et j’étais seule au monde. La seule personne- et je sais que de manière rétrospective c’est idiot, et stupide, et je le vois maintenant mais à l’époque… tante Lydia, ce n’était pas ma mère, mais c’était le plus proche à ma disposition. Elle me donnait des sucettes, elle me punissait mais après elle pansait mes blessures et, elle me répétait toujours, que quand la guerre serait fini, elle m’emmènerait avec elle, que je deviendrais sa fille, et qu’elle prendrait soin de moi, et je pourrais aller enfin à l’école, et je pourrais vraiment me mettre à danser si je le voulais et… c’était trop beau, pour que j’y renonce. C’était stupide, et à nouveau je m’en rends bien compte qu’elle se contentait de me dire ce qu’il fallait pour que je reste dans le rang mais… vous pensez ce que vous voulez de moi mais … Auriez vous pu faire une croix sur l’espoir, même infime, d’avoir à nouveau une famille? »

Je me tournai à nouveau vers lui, mais Beria semblait déterminé à plisser des lèvres plutôt que de me répondre. Je ne saurais décrire le désespoir que cela me causa et si j’en avais eu la force, je pense que je me serais mise à le frapper, jusqu’à ce qu’il me tue ou me réponde.

« Peut-être comptait-elle vraiment le faire? » Beria finit par maugréer et je secouais la tête.

« Monsieur Lazarus, notre unité, au total, on a dû être dans les quatre vingt. Pourtant, je n’en n’ai plus jamais entendu parlé, et visiblement, vous non plus. À votre avis, un secret si bien gardé, vous pensez que ça s’obtient en sermonnant les participants sur la nécessité du silence, ou en s’arrangeant pour qu’ils le gardent à tout jamais? »

« Tu n’en sais rien. »

« Ça expliquerait pourquoi quand les grands partaient, ils ne nous écrivaient jamais. » Je répliquai, et Beria me jeta un regard, comme si je l’avais giflé. Décidément, lors de cette conversation, je me vengeais de sa gifle à tour de bras.

« Quand les grands partaient. » Il répéta.

« Oui, quand les garçons commençaient à changer de voix et quand les filles se mettaient à saigner, ils disaient qu’on devenait trop grand et qu’on pouvait enfin se reposer. On avait tous hâte de grandir. Daniel, une fois, il a fait exprès d’attraper une angine pour que sa voix se casse, et moi je m’était coupée au, là dessous. Ça aurait probablement marché si Barthy n’avait pas couru pour nous dénoncer- vers la fin il devenait super chiant avec le règlement. » Je dis, et aussi bizarre que cela fut, je ne pus m’empêcher d’en rire. Daniel avait toujours eu des idées pourries dans le genre, et j’avais toujours été assez stupide pour l’accompagner dans sa folie.

La correction de tante Lydia, en revanche, avait été moins drôle.

Beria semblait être à un rien de vomir, pour ma plus grande surprise.

« C’est… détestable. » Il finit par dire d’un ton neutre, et s’il cessa d’avoir un ton gris, son visage semblait plus que jamais exsangue.

« C’était la guerre. »

« C’était une affaire d’adulte. »

« Ce n’est jamais une affaire d’adultes, Monsieur Lazarus. Sauf votre respect, c’est toujours les petits et les faibles qui s’en prennent plein la gueule en temps de guerre, d’une manière ou d’une autre. » Je protestai, parce que je l’avais trop entendu, ce discours de merde et qu’il commençait vraiment à me casser les pieds.

« Donc, tu es rentrée au camps, comme tu es toujours vivante, je suppose qu’ils n’avaient pas remarqué ton absence? »

« Oh si bien sur, je n’ai pas fait trois pas dans le camps que je me suis prise un coup de crosse et retrouvée devant une cour martiale. »

« À treize ans. »

« Magicalement j’étais une soldate, j’étais en uniforme. »

« Mais même dans l’armée dixmite il y a une limite d’âge. »

« Alors, je ne peux pas parler de leur armée régulière, mais les Institoris, la limite d’âge, ils la mangeaient au petit déjeuner et c’était visiblement délicieux. On était une branche du Bureau Observateur, vous vous attendez vraiment à ce que des services secrets respectent la loi? »

« Que s’est-il passé alors? Si ma mémoire est bonne, tu aurais du comparaitre pour des charges de haute trahison et crime envers ta race. Je doute que tu aurais pu échapper à la corde si tu avais été condamnée. »

Je pris une petite inspiration. Il me regardait comme si j’étais une petite fille et que j’avais fait une bétise. Je fixai un instant la forêt, baignée d’or, les feuilles de silvair presque entièrement recouvertes de cuivre. L’hiver serait bientôt là, c’était une question de minutes désormais.

« Tante Lydia a essayé d’avancer que, peut-être, les inhibiteurs de la magicienne avaient gelé et elle était parvenue à m’ensorceler mais-»

« Mais quoi? C’est une possibilité en soit. »

« C’est ça, elle était à peine consciente, il y avait plus de sang à l’extérieur de son corps que dedans, et ses mains étaient si cassées qu’elles étaient bleues, mais non, le froid allait péter les inhibiteurs avant elle. Très crédible. »

« Tu sais te montrer persuasive, quand l’envie te prend. » Beria répliqua, avant de me toiser et de plisser des yeux « Tu en avais l’envie, n’est-ce pas? Tu as joué le jeu, n’est-ce pas? »

« Et bien en fait-»

« N’est-ce pas? »

« Et bien non. »

« … et, quelle autre raison brillante vas-tu invoquer, cette fois-ci, pour cette stupidité? »

« Ce n’était pas vrai. »

« Quelle importance? »

« C’est justement de la plus haute importance! Cela allait faire quatre ans que lorsque je fermais les yeux, c’était pour voir le visage d’un de mes morts. Pour une fois, que ce n’était pas le cas, que j’avais fait quelque chose de bien, on veut me le retirer? Il n’en était pas question! Personne n’en avait le droit, pas même elle. » Je répliquai sur le même ton parce que cela suffisait à la fin! Je n’étais plus une gamine, et au lieu de tenter de m’y faire retomber, il ferait bien d’en être reconnaissant.

Lazarus demeura silencieux un petit moment, à m’observer longuement, tout particulièrement mes lèvres.

« Mourir ne te laissait aucune chance de te racheter. » Il finit par dire.

« Vous dites ça, mais vous ne croyez pas en la justice divine. » 

Il hocha la tête, à contre coeur.

« Toi non plus. »

« Non, mais, si ça s’était fini la dessus, je pense que ma mère, bon elle n’aurait pas été fière de moi, mais ça aurait été assez pour qu’elle me prenne dans ses bras. »

« Tu n’es pas sérieuse. » Il siffla d’un air si outré, les joues si écarlates de colère que cela en était presque comique.

« Vous ne donneriez pas n’importe quoi pour une embrasse de votre mère? »

« Comment t’en es-tu sortie? » Il demanda, et si en soit ce n’était pas une réponse explicite, je notais que ce n’était pas un non non plus. 

« J’ai été radiée, marquée-»

« Je n’ai vu aucune trace. »

« Je vous demande pardon? »

« Je cherchais des empreintes runiques. » Il se défendit, mais ses paumettes retrouvèrent un peu de couleur et son regard devint fuyant.

«C’était sur mon épaule gauche, vous n’avez pas retiré le bandage? »

« J’ai pensé, à tort, que s’il y avait eu là quelque chose de notable, Soeur Marie-Charlène n’aurait pas manqué de m’en informer. » Il grinça des dents, et je fus envahie par une mixture de stupéfaction et de gratitude envers l’acolyte.

J’ignore pourquoi, mais je défis les quelques boutons de ma chemise. La manière dont Lazarus se tendit, inconfortable au possible, ce regard gêné, cela en valait la peine. 

« Voyez par vous même. » Je dis, en dégageant mon épaule. Il fixa la cicatrice pendant une longue minute, effleurant même le pentagramme du bout de ses doigts.

« Personne ne l’a jamais vu? » Il murmura.

« Je ne suis pas stupide, merci. »

« Je n’ai jamais rien dit de tel, mais ce n’est pas situé à un endroit facilement dissimulant. »

« Je porte toujours des chemises hautes. »

« Et… ensuite? »

« On m’a trainé dans un bosquet pour me mettre une balle dans la tête. » Je dis simplement « Sauf que le soldat il s’est un peu emballé, et vous voyez, à défaut de justice, il y a toujours un certain équilibre dans le monde, parce que si jamais il avait simplement fait ça, je serais morte, et il aurait peut-être pu s’enfuir. Mais non, il s’est mis à me frapper avec sa crosse et résultat il n’a pas entendu le soldat magicaliste s’approcher. Il lui a éclaté la cervelle avant qu’il n’ait le temps de se retourner. Je me suis donc dit que ça allait être mon tour maintenant, mais le coup n’est jamais parti. De manière rétrospective, la scène ne laissait pas croire que j’étais une soldate en disgrâce. J’étais en sous vêtement, l’épaule en sang, Mathurin a dû s’imaginer que j’étais une autre captive, ou quelque chose dans ce gout là. »

« C’est Mathurin Drèke qui t’a trouvé. » Il répéta d’une voix caverneuse.

« Oui. »

« Il n’en a jamais fait mention. Il n’a jamais écrit la moindre ligne à ce sujet. » Il souffla, comme si cela déclenchait une fureur- non, un désespoir viscéral.

« Il faudra lui demander ses raisons. » Je dis simplement.

Au passage, il devrait faire la queue pour ça, comme tout le monde. Moi aussi j’avais des milliers de questions à lui poser, et… je suppose que j’aurais dû les lui poser il y a bien longtemps.

« Je gage, que tu ne l’as jamais fait. »

« Il ne m’a jamais demandé les miennes. »

Lazarus se détourna entièrement de moi pour me faire dos. C’était comme s’il ne supportait pas ma vue. Peut-être qu’il me trouvait horrible, ou à minima hypocrite.

« Sais-tu ce qui est advenu de la magicienne? » Il dit en tournant à peine la tête dans ma direction.

« Je n’ai jamais cherché à savoir. »

« Pourquoi donc? »

Je fermais brièvement les yeux, tout ceci pour revoir cette silhouette ensanglanté. Elle avait des yeux bleu délavés, presque morts, vide, et un poul si faible… Non, ce n’était pas bien d’espérer, ni pour elle, ni pour moi.

« Personne ne peut survivre à ça. Elle est forcément morte, sans trop souffrir j’espère mais… je n’étais pas prête à l’entendre à l’époque et je ne le suis toujours pas. »

« Tu as donc bravé un Maelstrom pour un cadavre en devenir. »

« Nous sommes tous des cadavres en devenir. Et à nouveau, ce n’était pas exactement réfléchi. Au cas ou cela vous aurait échappé, j’ai un certain penchant pour faire des trucs stupides sans trop réfléchir. »

« Penses-tu sincèrement que c’était la quelque chose de stupide à faire? »

« Non, je ne regrette rien. Si elle est vivante, alors je suis heureuse, si elle est morte… au moins elle était sortie de cet enfer et elle n’était pas seule. Quelqu’un a pu lui tenir la main. »

« En as-tu jamais discuté avec quiconque? »

« Vous pensez sincèrement que je serais là si c’était le cas? Les Drèkes m’auraient rejeté à la porte. Et Lizzie… Vous pensez sincèrement qu’ils m’auraient laissé l’approcher à moins de cent lieues? Si j’en avais parlé à quelqu’un je l’aurais enfin eu cette balle, et… c’est lâche, mais je ne voulais pas mourir. Alors je me suis dit… je me suis dit qu’avec un peu de chance, je pourrais essayer d’oublier. » Je tentais d’expliquer, et même à moi, cela me semblait absurde. 

C’était assez désolant. J’avais passé presque sept ans à fuir, à compartimenter, pour finalement me rendre compte que je n’étais jamais sortie de ce bosquet.

Les arbres se avaient désormais fini de parer leur tronc de cuivre, rendant le spectacle si beau et si triste.

Lazarus demeura longuement silencieux, assez pour que mes genoux rendent l’âme et que je m’installe par terre. C’était froid, mais pas désagréable, ce qui était en soi étrange. D’ordinaire, le froid, c’était la pire chose qui pouvait m’arriver. Je faisais comme une réaction allergique et mon esprit se mettait à détailler des lits tâchés de sang, un vent abominable et le chant des morts s'élevait alors. 

Mes les fantômes demeurèrent silencieux, et pour la première fois depuis longtemps, je pus voir à quel point cette clairière était belle. Tranquille, apaisante. Une légère brise secouait les branches, comme s’ils se passaient un secret entre eux.

Peut-être était-il temps de se reposer.

Quelqu’un, quelque chose dût se révolter à cette pensée, Mon Esprit Familier, probablement, car Lazarus ne me réduisit pas en poussière. Il me tendit sa main, gantée de cuir. 

Je levais la tête de stupeur, mon regard croisant le sien. Il ne me toisait pas, et je ne voyais pas une once de dégout ou d’effrois dans son regard. Il y aurait du en avoir, et je savais que c’était mal, mais qu’il n’y en ait pas, cela provoqua une vague de gratitude en moi. Il me redressa, ajusta ma chemise.

« Vous vous êtes résignée à mourir, Mademoiselle Drèke. » il finit par dire « Mais je n’en ai pas terminé avec vous. »

« Nous rentrons au Manoir Regiris? » Je bredouillai, partagée entre la stupeur et ce sentiment indescriptible que ce regard provoquait.

« Non, vous  êtes de toute évidence incapable de ne pas vous attirer d’ennuis. Dorénavant, je vais personnellement garder un oeil sur vous. »

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