— Parce que j’ai des pouvoirs magiques ! répéta Ephrem en écho.
— C’était en tout cas ce que nous affirmaient tes parents, précisa Selfyn.
— Vous ne les avez pas crus ? voulut savoir Mélusine.
— Bien sûr que non, ma fille.
— Les Humains n’ont pas de pouvoir, murmura Ephrem en se regardant les mains.
— Cette affirmation était vraie avant, mon fils ! rectifia Selfyn.
Mélusine et son père observaient Ephrem. Ce dernier, le visage fermé, invita cependant Selfyn à continuer :
— Il nous était impossible à cette époque de croire sérieusement qu’un Humain, un bébé, de surcroit, possède des pouvoirs ! C’était risible. Il nous fallait des preuves. Le petit bonhomme que tu étais nous en apporta, précisa le vieil homme en levant sa tigerette en direction d’Ephrem.
— Comment ? l’interrogea-t-il.
— Comme ceci ! expliqua le sage, en faisant apparaître un éclair bleu dans le creux de sa main. Cet acte, banal pour des Elfes, eut un impact dévastateur sur ta mère, confia Selfyn.
— Comment ça ? questionna le jeune homme.
— Ta maman semblait terrifiée par ce que tu pouvais produire. Elle s’était plaqué les mains sur la tête, murmurant des paroles incompréhensibles à un rythme effréné.
Le visage d’Ephrem s’assombrit. Il cherchait dans sa mémoire des bribes de souvenirs, mais rien.
— Ce n’est pas plus mal. Qu’ils m’aient abandonné. Je suis un monstre, siffla-t-il.
— Ne dis pas ça, Ephrem ! supplia sa sœur.
— Après cet évènement d’ailleurs, continua Selfyn qui n’avait pas entendu son fils, je ne me souviens pas de t’avoir vu utiliser la magie à nouveau ! s’exclama-t-il.
Mélusine, en revanche, se souvenait parfaitement de jeunes Elfes qui, autrefois, lançaient des pierres à son frère. Pour éviter d’en souffrir, le jeune garçon faisait apparaître des petites bourrasques qui renvoyaient les cailloux lancés contre lui. Effrayés, les jeunes Elfes s’étaient plaints de « l’Humain ». Cet incident avait provoqué de nombreuses histoires, et pour éviter d’être de nouveau le centre d’attention de tous, Ephrem avait cessé d’utiliser ses pouvoirs, et il s’était fait tout petit.
Mélusine remarqua le regard triste de son frère. Ses yeux brillaient de larmes. Elle se rapprocha de lui et posa délicatement une main sur son épaule.
— On est avec toi mon frère, le rassura la jeune Elfe.
— Merci, Mélusine, remercia Ephrem en se frottant les yeux. Au moins vous, vous voulez bien de moi, ajouta-t-il. Contrairement à mes parents.
— Ne les juge pas trop sévèrement Ephrem, le pria Selfyn. Tu dois comprendre que tes parents étaient des gens âgés. De plus, les Humains n’ont pas pour habitude d’élever des enfants magiques, et d’après ce que j’ai pu comprendre, tu n’étais pas un enfant facile. Tu faisais voler des objets dans les pièces, et beaucoup d’entre eux pouvaient se révéler dangereux pour eux, et surtout pour toi. Tu avais également tes humeurs à cette époque, et dans ces moments-là, tes pauvres parents étaient complètement désarmés. Il t’est arrivé par exemple de faire bruler un meuble ou deux ! Il devenait de plus en plus difficile pour eux de te cacher au reste du village. Tes parents redoutaient que si quelqu’un venait à découvrir que tu avais des pouvoirs magiques, la peur née de leur incompréhension les pousse à te tuer.
— Ça me semble exagéré ! commenta Mélusine en secouant la tête.
— Les Humains n’ont pas de pouvoirs ! rappela le vieil homme, une fois de plus.
— Ils m’ont abandonné à cause de la peur ! lâcha Ephrem avec un rire nerveux.
Selfyn retira sa tigerette d’entre ses lèvres, désormais réduite au quart de sa taille après ses nombreuses bouffées. La pièce était remplie d’une brume multicolore à l’odeur épicée, piquante, flottant paresseusement autour d'eux, tel un voile mystérieux. Le vieil Elfe rangea sa fidèle tigerette dans une poche intérieure en gardant les yeux braqués sur son fils. Il lui accorda l’un de ses plus beaux sourires pour le rassurer, puis continua ainsi :
— Non. Ils n’étaient pas motivés par la peur, mais bien par l’amour, plaida Selfyn. De plus, ils ne t’ont pas abandonné, rajouta-t-il encore. Ils t’ont juste confié à nous, le temps que tu maîtrises tes pouvoirs, et que tu sois suffisamment mûr pour entreprendre le voyage qui te conduira à eux.
— Ils veulent donc me revoir ? risqua Ephrem en baissant la tête.
— Évidemment ! s’exclama Selfyn. D’ailleurs, si tu désires partir à leur rencontre, je ne t’en empêcherai pas.
Ephrem réfléchissait encore à cette éventualité, quand son père reprit :
— Je t’ai raconté tout ce que je pouvais te dire. Je te suggère de te préparer correctement pour le voyage qui t’attend demain matin.
— Demain ! s’étrangla Ephrem, pris de court.
— Tu ne souhaites donc pas rencontrer tes parents ! le taquina le vieux sage.
— D’accord ! acquiesça Ephrem d’un air résolu. Je partirai dès demain matin. Mais je reviendrai vite. Je le promets !
— C’est décidé, conclut Selfyn en tournant le dos à son fils, pour que celui-ci ne puisse voir son visage exprimer la tristesse et l’inquiétude.
Après tout ce temps passé à se questionner sur ses origines, à souffrir de ses différences, Ephrem était content de savoir qu’il allait bientôt rencontrer ses véritables parents. La vie à Yggdol n’était pas pénible. Au contraire, elle était même agréable. Mais à part Mélusine et Selfyn, il sentait que les autres Elfes préféraient garder leur distance avec lui. Il était temps qu’il rencontre les siens.