6- Le Conseil

 
 

Nour suivit les gens d'armes, en pyjama, un châle posé sur ses épaules par une Gwendoline aussi agacée que décontenancée, et déçue que son fils n'ait pas le droit d'accompagner la jeune terrayenne.

Le conseiller Hiver était adossé à son bureau, les mains croisés sur la poitrine tandis que Méroé Mora, la cheffe des gens d'armes, se tenait bien droite, les mains derrière le dos. Le bureau, une vaste pièce sans fioriture qui possédait malgré tout un certain charme grâce à sa bibliothèque qui s'allongeait sur tout un mur. L'unique ouverture, une large porte-fenêtre, s'ouvrait sur la mer qu'on voyait jusqu'à l'horizon.

— Alors c'est toi qui prétend venir de Terra ? demanda le vieil homme en fixant Nour.

Atticus Hiver compensait son petit gabarit par une grosse voix colèreuse et un air constamment ronchon. Surtout, ses sourcils broussailleux semblaient vivre une vie indépendante de ses petits yeux bleus pétillants. Ses cheveux gris et sa barbe blanche, sa peau fripée comme une vieille pomme lui donnait l'air d'être centenaire.

— Je ne prétends rien du tout, c'est la vérité, affirma Nour, les joues en feu.

Le vieillard manqua de s'étouffer. Son premier cri, un grognement, se mua rapidement en quinte de toux. Il continua de fixer Nour tandis qu'il virait au cramoisi. Méroé se précipita pour lui tendre un verre d'eau posé sur son bureau. Après un moment, le conseiller reprit figure humaine.

— Quelle insolence, cracha-t-il, visiblement furieux. Par le grand cerf, tu as de la chance, si j'ose dire, que la porte de la cabane du mage soit effectivement ouverte. La question qui demeure est, comment as-tu fait pour te retrouver dans cette cabane ?

C'est qui ce grand cerf ??!

Nour raconta toute l'histoire sous le visage impassible du conseiller.

— Les histoires qu'on raconte sur Terra sont terribles. Montre donc ce bijou, ordonna-t-il.

La fillette tira alors sur la chaîne pour laisser apparaître le médaillon étincelant. Prudemment, Hiver approcha et observa attentivement le bijou. Le visage fermé, concentré, il se redressa mais ne fit pas de commentaires.

— Jamais vu cette babiole, fit-il en se redressant. Possèdes-tu quelque don ? Sois franche et il ne t'arrivera rien de désagréable.

— Aucun, répondit-elle honnêtement.

— Fort bien. Le dur labeur est la seule voie du bonheur. Les dons sont une hérésie. Ils sont mauvais pour le cœur de l'homme. Le déplacement de choses rend feignant, la télépathie encourage les complots, la maîtrise des éléments est l'apanache des dieux seulement et la communication avec les animaux est contre nature. Si Cernunnos voulait me parler il le ferait, à la manière humaine. La magie a été engendrée par le mal et elle engendre le mal. Je me félicite d'avoir mis fin à ces pratiques, par Cernunnos.

Depuis sa jeunesse, Atticus Hiver vouait sa vie aux dieux. N'ayant pas de dons, et pas d'amis, il confiait ses états d'âmes à Cernunnos, le dieu-cerf, maître des forêts et des cycles de la vie. Au fil des années il avait déformé les légendes de son enfance, et la rancoeur avait assombri son âme. Lui, le sans don dominerait le peuple, avec la bénédiction des dieux.

— Comprends que tu n'as rien à craindre de moi chère enfant, fit-il, enjoleur. Dis-moi pourquoi tu racontes cette histoire à dormir debout. Où as-tu trouvé ce bijou, dans la forêt peut-être, dans un grenier ? Et comment as-tu réussi à ouvrir la porte de la cabane du mage ? Si je laisse la cheffe des gens d'armes prendre les choses en main, d'ailleurs Méroé que préconises-tu ?

— Je pensais l'enfermer jusqu'à éclaircissement de cette affaire.

— Elle est un peu jeune tout de même. Tu vois, Méroé n'est pas aussi magnanime que moi. J'ignore comment tu as pu te retrouver dans cette cabane mais ce dont je suis certain, c'est qu'il est impossible d'aller en Terra. Alors si ton bijou ne peut pas te ramener chez toi, tu resteras parmi nous. Si tu dis la vérité, tu ne pourras jamais, jamais, rentrer chez toi.

Les paroles du vieil homme paralysèrent Nour, comme pétrifiée sur place par un mauvais sort. Seule sa bouche resta entrouverte, des cris et protestations se formaient dans sa gorge mais étaient incapables d'en sortir.

— Pourquoi ne voulez-vous pas m'aider ? souffla-t-elle après un moment, la gorge tellement serrée qu'elle en était douloureuse. Il y a sûrement un moyen, vous n'avez même pas chercher. Je refuse de rester ici, vous ne pouvez pas me forcer.

Elle était au bord de l'implosion. Que deviendrait son père si elle ne revenait pas, il ne s'en remettrait pas.

— Pourquoi te mettre dans un tel état, si tu n'es pas contente rentres chez toi, ou révéles-nous la raison de tes mensonges, s'agaça Hiver. Il ne tient qu'à toi de régler tout ce désordre, avoue tout et les dieux te pardonneront.

— Je n'ai rien à cacher, fit-elle au bord des larmes.

Méroé souffla d'agacement et ordonna à Nour de s'asseoir sur une chaise. L'interrogatoire commença. On lui demanda son nom, celui de ses parents, son âge, comment elle s'était procuré le bijou, de retracer son périple depuis son apparition dans la cabane, qui elle avait croisé sur le chemin. Méroé se montrait dure, implacable, les questions fusaient à une vitesse folle, et si Nour montrait quelque hésitation, la cheffe des gens d'arme s'approchait de son visage, menaçante. Et l'interrogatoire reprenait, toujours les mêmes questions, et Méroé qui se montrait de plus en plus agacée.

C'est alors qu'on toqua à la porte. Sans attendre d'invitation à entrer, une tête apparut dans l'embrasure, une jeune fille souriante.

C'est Rebelle, se dit Nour.

— Ma très chère enfant, dit Hiver, tout mielleux. C'est le milieu de la nuit, que va dire ta mère ?

— Désolée grand-père mais je ne parvenait pas à dormir, toute la ville parle d'elle, dit-elle en désignant Nour du menton. Et je ne suis plus une enfant.

Azénor Hiver était aussi rousse qu'on pouvait l'être, ses cheveux de feu encerclaient son visage d'ange. Ce qui impressionna le plus Nour fut son regard. D'abord, son œil droit, cerclé de noir, ce qui était assez surprenant mais surtout ses yeux marrons brillaient comme deux billes hypnotiques. Elle avait l'air assuré de ceux qui conquiert le monde. Elle tournoya autour de Nour, sans un regard pour la cheffe des gens d'armes qui observait son manège.

— Pour moi tu seras toujours une enfant, mais il est vrai que tu es mûre pour tes treize ans, avoua-t-il. Alors, qu'en penses-tu ?

— Il est très jolie, et ses yeux pétillent d'intelligence. Elle nous ressemble en tout point. J'aimerais la prendre sous mon aile, lui faire visiter le pays et lui apprendre nos usages. Dis oui, s'il te plaît grand-père.

Nour n'apprécia pas du tout que cette adolescente parle d'elle comme d'un objet, une poupée qu'elle réclamait comme un caprice.

— Eh bien, j'en ai plus qu'assez de cet interrogatoire et il se fait très tard. Méroé, tu n'y vois pas d'inconvénients ?

— Cette enfant est coriace, sans aucun doute, répondit-elle d'un ton calme et détaché. Si vous en prenez la responsabilité je suis d'accord, mais je l'aurais à l'oeil.

— Soit, tonna le conseiller. Par Cernnunos, je décrête que cette fillette n'est pas un danger pour le pays. Tu peux la garder, fit-il à Azénor.


 

Nour, stupéfaite, resta un moment derrière la porte du bureau, complétement sonnée.

—Il y en a forcèment un moyen, je ne peux pas rester ici, il doit m'aider, fit-elle tout bas, pour elle.

Elle avança d'un pas, bien décidée à s'entretenir encore avec le conseiller, mais Méroé lui bloqua le passage.

— Tu n'iras nulle part. Tu nous as déjà fait perdre assez de temps comme ça. Si j'apprends que tu as semé le trouble parmi la population, je te ferais enfermer, c'est clair. Je te conseille de la surveiller attentivement, ajouta-t-elle pour Azénor avant de s'éloigner rapidement.

— Il paraît que tu étais chez les Tannen, je vais t'y reconduire, c'est une bonne famille, fit Azénor en attirant Nour dans le couloirs. Désolée si je suis passée pour une peste tout à l'heure mais mon grand-père attend de moi que je joue ce rôle, c'est assez compliqué, nous en reparlerons plus tard. As-tu des questions sur notre monde, notre mode de vie ?

— Est-ce que tu crois à mon histoire ?

— Evidemment. Il se produit tous les jours des choses impossible. Je peux paraître crédule mais je m'en moque... J'en suis même fière, je préfère être déçue que désabusée. Alors dis-moi, quel est ton plan pour retourner chez toi ?

— Je comprends pas, avoua Nour.

—Tout le monde te dit qu'il est impossible que tu sois parmi nous, pourtant tu es bien là devant moi, n'est-ce pas ?

— C'est vrai, répondit Nour qui ne voyait pas vraiment où Azénor voulait en venir.

— Selon moi une faille spatio-temporelle est à l'origine de ton « déplacement », elle s'est probablement ouverte au moment où tu passais le médaillon, dit Azénor après un moment. Si ce bijou est originel d'Imbar Isil, cela explique tout.

— C'est un très bon raisonnement, admit Nour.

— Tu dois faire en sorte que l'impossible devienne possible, fit-elle d'une façon qui se voulait énigmatique.

— Mais comment ?

— Ca je l'ignore, c'est pourquoi il te faut un plan. Le médaillon ne t'aidera pas puisque visiblement il ne va que dans un sens, avoue que c'est étrange. J'ai remarqué que tu fixais mon tatouage.

— Oui, tu n'es pas un peu jeune pour te faire tatouer ? Je veux dire, tu pourrais le regretter plus tard.

Azénor fixa Nour d'un œil incrédule avant d'éclater de rire. 

— Tu n'es vraiment pas d'ici, dit-elle en ravalant son rire. C'est le signe des damonae.

— Damo...quoi ?

— Je suis damona, guérisseuse si tu préfères. Je ne suis encore qu'une apprentie, on me tatouera aussi l'oeil droit lors de la cérémonie finale. Myrddin en personne a formé l'ordre. Les damonae sont très puissantes. Nous avons conscience de tout le savoir accumulé dans nos anciennes vies, nous le ressentons dans nos tripes, dans nos cœurs. J'ai eu la vocation dès mes quatre ans. Les damonae sont sages femmes, veillent aussi les mourants et les préparent au passage dans leur nouvelle vie, et bien plus encore.


 

La première impression est parfois trompeuse. Nour s'en rendit compte avec la petite fille du conseiller Hiver. Sur le chemin de retour vers Oren, elle découvrit en Azénor bien plus qu'une simple apprentie guérisseuse. Sous ses mèches indisciplinées et ses mains tachées de baume, la jeune fille dégageait une chaleur rassurante. Azénor, attentive, écoutait les silences de Nour autant que ses mots. Elle ne posait pas de questions inutiles, mais ses gestes parlaient pour elle : une main posée sur l'épaule, un regard franc, une présence constante. Elle comprenait que Nour portait un fardeau plus lourd que ses années.

— Nous allons te renvoyer chez ton père, affirma-t-elle. Avec Oren, nous trouverons une solution.

Ces mots, simples mais empreints de détermination, réchauffèrent le cœur de Nour. Après la profonde désillusion dans le bureau du conseiller elle sentit une étincelle d'espoir. Azénor avait fait de sa quête une mission personnelle.

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