6. Le feu du ciel

Par Rachael

Le poste de commandement du Vieux Marp était plongé dans la pénombre. Taz s’y réfugiait pour réfléchir : chaque lueur, clignotement ou cliquètement lui était familier et lui procurait le sentiment de maîtriser des éléments bien souvent contraires. Chaque surface patinée par les effleurements de milliers de doigts le ramenait à la lignée de commandants qui s’étaient succédé là ; ils avaient dû, eux aussi, peser les risques de décisions ardues. Le vaisseau appartenait à une ancienne génération : à côté des interfaces virtuelles qui répondaient aux interrogations des implants, il conservait des interfaces réelles, disparues sur les modèles plus récents. De bons vieux écrans que tous pouvaient regarder en chœur, autour desquels on se réunissait pour discuter des options à prendre. Sauf que la responsabilité du choix final revenait à Taz, au bout du compte.

Il avait tergiversé une semaine, exigé de tout vérifier, revérifier, avant de se résoudre à utiliser les communications hyper. Une semaine pendant laquelle Mu n’avait pas desserré les dents.

Sale gamine. Pourquoi refusait-elle de voir que l’éveillé n’était pas le jeune homme agréable auquel il jouait ? Avec un certain talent, il fallait l’admettre. Il avait fourré tout l’équipage dans sa poche. Et plus Taz le lui affirmerait, plus elle se braquerait.

Taz aurait mis sa main à couper qu’il cachait de lourds secrets. En l’isolant, il était convaincu qu’il préservait tout le monde sur le vaisseau. Cela limitait en particulier son influence sur Mu. Toujours ça de gagné ! Marsou était fasciné, lui aussi, bien que pour des raisons sensiblement différentes de celles de Mu. Résultat, Taz se sentait presque paranoïaque quand il leur clamait que tout cela puait presque autant qu’un équipage de retour après un mois de mission. Un trait d’humour, mais pas tant que cela : les effluves lui remontaient par les narines et il s’étonnait d’être le seul à les humer.

Une fois les communications rétablies, les informations affluèrent par le lien recréé entre le Vieux Marp et l’état-major. Bon, au moins, ça marchait, Taz dut l’admettre.

Pas franchement enthousiasmantes, les nouvelles : un dixième de la flotte avait disparu. Les systèmes hyper contaminés avaient envoyé les appareils n’importe où, comme c’était arrivé au Vieux Marp. Un quart supplémentaire était bloqué sur place par la même panne qu’on ne parvenait pas à réparer. Pas la panique, mais pas loin.

Les ordres furent clairement énoncés : le Vieux Marp devait tenter un saut hyperspatial, afin de tester si ses systèmes étaient vraiment opérationnels. Si tout fonctionnait, on envisagerait d’étendre leur rafistolage aux autres vaisseaux de la flotte.

On va jouer les cobayes, se dit Taz. Plus la peine de se poser de questions.

Au moins, cela avait le mérite de la simplicité.

Quant à l’éveillé, il ne perdait rien pour attendre. Taz avait tout raconté et transmis les informations qu’ils possédaient sur lui aux services de renseignements. Bientôt, on saurait. Taz aurait parié que les réponses n’allaient pas lui plaire.

 

¤¤¤

 

Mu écoutait la voix désincarnée qui égrenait un compte à rebours.

Tous avaient réintégré le Vieux Marp, dans des quartiers qui paraissaient désormais aussi étriqués que spartiates. Malgré le bon coup de ménage, le Vieux ne soutenait pas la comparaison avec le grand vaisseau qu’ils venaient de quitter. Un mélange de soulagement, de regrets et d’inquiétude habitait chacun, à parts variables selon les individus : regrets pour Mu, inquiétude pour Taz et soulagement pour beaucoup des hommes. Quant à Keizo, qui pouvait savoir ?

Rendu à sa solitude, le mastodonte leur faisait de l’œil, encore tout proche, sa coque leur renvoyant les rayons du soleil. Ils gardaient précieusement ses coordonnées ; il n’allait pas rester inoccupé bien longtemps.

Keizo arriva dans le poste d’équipage, serré de près. Deux solides gaillards le gardaient avec une contenance martiale qui s’accordait mal à leur allure dépenaillée. Mu les regarda avec ironie. Ils prenaient à cœur leur mission, mais c’était Taz qu’il fallait blâmer : une semaine que Keizo avait été mis au secret. Une semaine ! Le commandant exagérait.

Mu considéra d’un œil irrité son visage familier d’un brun sombre, si prompt à lui attirer la sympathie de tous : ses lèvres rieuses, ses joues qui se creusaient d’une fossette à chaque sourire et ses yeux francs de la même couleur noisette que ceux de Mu. Non, non, pas question de se laisser amadouer ! Mu bouillonnait d’indignation depuis l’escamotage de Keizo : elle refusait, refusait absolument d’examiner le point de vue de Taz, que Marsou lui avait expliqué patiemment au moins cinq fois par jour. S’ils l’avaient côtoyé comme elle, ils n’auraient jamais mis en doute la réalité de l’amnésie de Keizo.

Celui-ci ne semblait pas avoir souffert de son emprisonnement. Il ne paraissait ni troublé ni inquiet : il arborait ce même air tranquille qui le distinguait d’eux tous ici. Oui, Mu le percevait à présent, il possédait une sérénité, un détachement qu’ils avaient tous perdus depuis bien longtemps. Quelque chose qui émanait de son passé ou une conséquence de plus de son séjour prolongé dans le caisson ? Cela alimentait son mystère et aiguillonna la curiosité de la jeune fille. Par défi, elle se rapprocha de Keizo et lui parla à voix basse :

— T’as fait quoi, pendant tout ce temps ?

J’ai écumé les pages de vos encyclopédies. C’est moins vivant que quand tu racontes, mais ça m’a donné une vision plus claire de votre situation.

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— Ça t’a rien rappelé ?

Non, je ne savais rien de tout ça. Seuls les noms des planètes m’ont paru familiers. Certains m’ont évoqué des paysages. Mais j’ignore s’ils sont réels ou si mon esprit les a inventés.

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Il haussa les épaules. Agacée, Mu reporta son attention sur les autres occupants du poste de pilotage. Ils s’y serraient à six. Elle n’était pas censée se trouver là, mais depuis toute petite, elle avait pris l’habitude d’assister à chaque départ, alors personne n’aurait songé à la déloger.

Marsou, une fois de plus, avait joué les indispensables en programmant le saut dans l’hyperespace. Taz, les bras croisés, supervisait les systèmes, connecté directement sur eux. Pas tranquille, le commandant ! Mu savait décoder les signaux qui le trahissaient : les ailes de son nez épaté frémissaient d’inquiétude et il fronçait ses sourcils broussailleux par intermittence.

La voix synthétique énonça : « deux, un, saut »

Le grand vaisseau s’effaça, remplacé par la lueur bleutée d’une planète couverte d’océans : Maeflis, qui servait depuis quelques mois de quartier général aux forces armées de l’Alliance.

Ils n’eurent pas le temps de se réjouir ou de profiter du paysage. Dès leur arrivée, des alarmes se mirent à retentir. Tous sursautèrent ou regardèrent leur voisin avec inquiétude. Près de leur point de sortie se trouvait un énorme croiseur, qui venait de leur envoyer une demande d’identification.

— Vaisseau ennemi, grogna Taz. Sacrespace ! tout était normal il y a une heure ici, au dernier contact. Faut qu’on dégage. Combien de temps pour un nouveau saut, Marsou ?

— Quinze minutes, Taz. Je ne peux pas faire mieux. La Grande Mère nous protège !

— Mortenaine, ça va pas suffire, Marsou. Au premier tir de ce monstre, nos écrans vont lâcher.

Keizo tapa frénétiquement sur son jouet, puis le passa à Mu, qui cria :

— Trois minutes. Keizo dit qu’il peut nous extraire de là en trois minutes.

Marsou l’invita à s’approcher d’un signe de tête et lui laissa la place avant même que Taz ne se décide. Dans quinze minutes, ils seraient tous morts.

La tension monta de seconde en seconde dans le poste. Taz restait comme pétrifié, figé dans une contemplation hallucinée du croiseur en face d’eux. Les alarmes sonnaient toujours, personne n’avait pensé à les désactiver. Le vaisseau de l’Expérion ne s’était pas encore préoccupé de leur absence de réponse.

Sur les écrans, des couleurs tournoyaient, dans un chaos psychédélique. Dans le processus normal de convergence, l’affichage partait du rouge, puis passait par toutes les nuances du spectre : orange, jaune, vert et finalement bleu. Une progression lente, qui revenait rarement en arrière. Enfin, c’était comme cela sur le Vieux Marp, où l’on avait gardé des traditions. Cette fois-ci rien de tel, seulement Keizo, bras ballants, concentré sur les affichages tandis que les couleurs s’affolaient.

Au bout de deux minutes, le vaisseau ennemi commença à tourner son nez vers eux. Ils reçurent une sommation, qu’ils ignorèrent. En face, plus rien à attendre que le feu du ciel…

À deux minutes cinquante, les écrans passèrent soudain au bleu, sans prévenir. Le paysage s’effaça, remplacé par le noir de l’espace. Tout se tut dans le vaisseau, alarmes et hommes. Pendant une minute, tout le monde admira le calme intersidéral, sans croire à leur chance. Ils s’étaient tous imaginés pulvérisés, leurs cendres dans une orbite sans fin autour de Maeflis…

 

¤¤¤

 

Estovan. Un habitat spatial décrépit utilisé comme nœud de ravitaillement par les forces de l’Alliance. Après avoir réussi à joindre les autorités, Taz avait reçu l’ordre d’y déposer sa cargaison.

L’attaque-surprise de Maeflis était un drame pour les populations. Marsou n’osait imaginer ce qui se passait en ce moment même là-bas. Cela assénait aussi un dur coup au cœur de l’organisation alliée. Néanmoins, les organes centraux de l’armée se reconfiguraient déjà ailleurs. Le matériel que transportait le Vieux Marp serait précieux, il devait être mis à l’abri. Quant au vaisseau lui-même, avec ses systèmes réparés, il ferait l’objet d’une évaluation dès que l’état-major aurait géré la crise en cours.

Sur leur inconnu, pas de consignes, au grand dam de Taz.

— Là-haut, ils ont bien autre chose à foutre que se préoccuper de nos états d’âme, fulminait-il.

Depuis qu’ils avaient sauté de nouveau – cette fois sans recourir aux tours de passe-passe de Keizo –, Marsou et son commandant s’étaient enfermés dans le poste de pilotage. Ils discutaient âprement de la situation et en particulier de l’attitude à adopter envers leur éveillé.

— C’est un magicien de l’hyperespace, concéda Taz. C’est entendu. Pourtant, ça ne nous dit rien sur ses motivations : il nous a sauvés, mais il s’est surtout sauvé lui-même.

Taz trouvait Marsou un peu trop éperdu d’admiration devant les prouesses de Keizo. Il le lui avait signifié.  

— Maintenant qu’on a atteint un lieu civilisé, proposa Marsou, on va pouvoir récupérer des archives plus anciennes afin de chercher efficacement qui il est. Tant pis si ça coûte.

Une quinte de toux le plia en deux, ce qui permit à Taz de poursuivre son raisonnement.

— S’il est vraiment amnésique, alors on ne peut pas lui faire confiance, car il ignore lui-même à quel camp il appartient. S’il ne l’est pas, c’est pire, il nous trompe depuis des jours et bosse très certainement pour l’ennemi.

— Je pense… je pense qu’il est réellement amnésique, capitaine, murmura Marsou après avoir repris son souffle. Pour autant, la conclusion reste juste. On ne peut pas lui faire confiance.

— Bien sûr qu’elle est juste, mortenaine ! Pas question de se fier à lui. Même si tu en as envie. Je superviserai moi-même le déchargement dès qu’on sera installés à poste. Toi, tu me cherches qui il est. Priorité absolue. Je veux comprendre ! Je suis sûr que ce n’est pas un héritier, un fils de bonne famille. On a pêché un gros poisson, Marsou. Qu’il le sache ou non. Fie-toi à mon instinct !

Marsou opina. À certains moments, il valait mieux ne pas contrarier Taz. Et puis, l’instinct de Taz, Marsou y croyait. Par expérience. Sans lui, ils seraient déjà morts plusieurs fois dans leur antique boîte de conserve. Pour cette raison, Marsou le considérait avec un respect presque superstitieux.

 

¤¤¤

 

Mu sortit du vaisseau avec deux hommes de l’équipage, Braahl et Benjin, afin de participer au réapprovisionnement. Parcourir l’habitat la troubla : elle n’aimait pas ce qu’il était devenu avec l’intensification des combats. Un vieux gruyère sec troué de couloirs jaunis, qui s’émiettait et sentait fort. Avant, elle le jugeait vétuste, grignoté par la rouille ; toutefois, il y régnait une atmosphère paisible, celle des choses surannées qui n’ont que trop vécu, mais gardent une certaine dignité. Depuis peu, il était envahi de toutes sortes de gens : des jeunes, des vieux, des familles, avec le même visage égaré de ceux qui ont tout perdu. Un héritage de la dernière offensive de l’ennemi, celle qui avait vu l’annexion d’Egebor. Certains erraient dans les couloirs, l’œil hagard, d’autres campaient ici ou là, revendiquant un bout de territoire. Ils étaient sales, habillés de vêtements en loques. Des enfants traînaient çà et là, flanqués d’ombres décharnées. Une odeur aigre flottait. Même à plein régime, les ventilateurs ne parvenaient plus à évacuer efficacement l’air vicié. Il émanait de tout cela une tristesse qui prenait à la gorge et donnait envie de pleurer. Des réfugiés, tous ceux-là : des victimes des conflits, des déracinés, avec nulle part où aller ni personne à rejoindre.

Voilà ce qu’elle aurait montré à Keizo pour lui expliquer la guerre, si Taz ne l’avait confiné pas à bord.

Par crainte de quoi d’abord ? Qu’il s’échappe, lassé de la façon dont le commandant le traitait ? Taz déraillait complètement ; Mu ne le suivait plus du tout. À tel point qu’elle aurait aidé Keizo à partir, s’il l’avait souhaité. Sauf qu’il ne disait rien, ne protestait pas ; et cela, Mu ne le comprenait pas non plus.

Comme Braahl et Benjin profitaient d’un breuvage local, après des négociations serrées avec les commerçants de l’habitat, Mu les abandonna pour faire quelques emplettes suggérées par son père. Des vêtements de fille, qu’entendait-il par là ? Mu visait quelque chose de simple, mais plus seyant que les salopettes de travail qu’elle portait à bord. Malgré la guerre, il y avait toujours moyen de trouver ce genre d’articles, même ici. Il suffisait d’ailleurs pour cela que son instrumentation cesse de filtrer les messages publicitaires qui sollicitaient son attention depuis leur arrivée.

Alors qu’elle contemplait une petite tunique à fleurs et se demandait si elle aurait l’air grotesque ou juste ridicule avec, Mu fut interrompue par une sirène. Elle supprima presque par réflexe la publicité, ce qui effaça la robe de sa vision virtuelle, mais ça ne régla pas le problème. Le son était réel et provenait de haut-parleurs au plafond ! Des messages vinrent se superposer au hurlement lancinant : « brèche de sécurité au niveau B23 », « l’ennemi a pénétré nos systèmes de défense et forcé un passage », « Évacuation immédiate de la zone 12 ». Quand la confusion des alarmes se calma et que la sirène se tut, elle fut remplacée par un avertissement général diffusé en boucle : « la base est attaquée, aux postes de défense, les civils non concernés doivent se mettre à l’abri et ne pas gêner les autorités ».

Mu étouffa un cri de dépit, une main devant sa bouche. Elle devait rejoindre au plus vite le vaisseau. Il fallait retraverser presque tout l’habitat pour atteindre le Vieux Marp. À ce moment, un message prioritaire lui parvint par ses implants auriculaires, un mot de Taz : « rentre vite au Vieux, tu as vingt minutes avant qu’on décolle ».

Elle tenta de contacter Braahl et Benjin, mais le prix des messages venait d’être multiplié par mille et continuait de grimper. Elle traita la société Méjoun de tous les noms. « la Méjoun » comme on disait. Ces requins possédaient le monopole des protocoles de communication par implants sur la plupart des bastions de l’Alliance. Si son père les fustigeait régulièrement, Mu, elle, n’avait jamais eu l’occasion de prendre conscience de leur pouvoir jusqu’ici. Taz avait dû se ruiner pour envoyer la précédente missive. Elle leur cria quelques insultes pour se défouler, puis se mit à courir, zigzaguer et jouer des coudes dans les couloirs déjà noirs d’une foule hystérique.

 

¤¤¤

 

Tout le monde s’activait dans le Vieux Marp. Il fallait mettre les voiles vite fait. L’ennemi faisait rarement des prisonniers dans la flotte adverse. Ou alors pour des besoins d’intelligence : jolie séance de ratissage mental en perspective pour les hommes capturés, soupçonnés de détenir des informations sensibles.

— Marsou, qu’est-ce que tu fiches ? C’est pas le moment de rêvasser ! grogna Taz.

Le petit lieutenant venait de s’immobiliser devant la console de visualisation des sauts, après avoir lancé la procédure de départ par l’intermédiaire de ses implants. Une main levée, il fixait le commandant avec un air halluciné sur son visage d’une pâleur de linceul – encore pire que d’habitude.

— Commandant, hier…

— Quoi hier ? Comment ça, hier ? Est-ce qu’on a bien le temps de penser à hier ?

— Hier, quand Keizo a pris en charge le saut…

Il avala sa salive et se tordit les mains en un geste nerveux. Taz se retint de le houspiller et se résigna à lui accorder une poignée de secondes.

— Hier, continua Marsou, rien ne t’a frappé ?

— Par le grand nuage, tempêta Taz, vas-tu arrêter de jouer aux devinettes ? Tu crois que j’ai le loisir de me repasser le film ?

— Keizo a donné des instructions aux systèmes pour raccourcir la convergence, on est d’accord ?

— Eh bien oui ! gronda Taz à bout de patience, tu vas me dire où tu veux en venir ?

— Il n’est pas instrumenté, Taz. Il n’est pas instrumenté, mornespace !

Sa voix rauque mourut à la fin de la phrase, suivie d’une longue inspiration tremblante. Un silence lui succéda, troublé seulement par le bruit sifflant de la respiration du petit homme. Taz sentit ses tempes bourdonner, tandis que sa vue se brouillait.

— Comment ça a pu nous échapper ? marmonna-t-il avec consternation. Comment ça a pu nous échapper ?

— Tout le monde est instrumenté ici… C’est la façon dont n’importe qui aurait agi…

Un froid glaçant était descendu dans le poste de pilotage ; ses deux occupants se regardaient avec la même mine effarée.

— Merde nébuleuse ! Un télépathe ! murmura Taz.

— Si je m’attendais à ça !...

À cet instant, ils auraient tout donné pour que Keizo soit encore dans son caisson ou alors très loin du Vieux Marp.

Cela tombait bien : au même moment, il s’en éloignait aussi vite que ses jambes et son souffle le lui permettaient.

 

¤¤¤

 

Mu repassa devant le bar, maintenant fermé. Les deux hommes de l’équipage s’étaient évaporés. Elle s’efforça de visualiser une route à suivre, mais ses implants restèrent muets. Réseaux surchargés. Rien ne traversait.

La panique enfla sans prévenir. Engluée dans la foule compacte, Mu fut saisie d’un vertige, tandis que son corps se couvrait de sueur. Chaud. Froid. Les satelliens la heurtaient dans leur course, tels des fourmis affolées. Pourquoi se précipitaient-ils ? Ils n’iraient nulle part. Elle, elle savait comment quitter cette vieille carcasse, sauf que jamais elle n’arriverait à temps. Infaisable. Des larmes de frustration montèrent à ses yeux ; elle serra les dents pour tenter de les refouler.

Elle essaya de prendre le même chemin qu’à l’aller, mais au bout de trois minutes, elle ne reconnaissait plus rien. Pourquoi donc avait-elle suivi bêtement ses deux compagnons sans prêter attention à la route ?

Arrivée devant une bifurcation, elle se figea, désemparée.

Respirer. Ne pas paniquer, ne pas paniquer.

Impossible de s’arrêter pour s’orienter, elle se faisait bousculer, droite, gauche, droite. Des cris lui perçaient les tympans, les aigus des gamins terrifiés ainsi que les vociférations d’hommes en colère.

— Pas par là !

— Ils investissent la zone B13 maintenant !

Le flux tournoya, reflua et la poussa dans une direction qui n’était pas la bonne, elle en était sûre. Mu se débattit, tenta de garder son cap, mais un coude s’enfonça avec vigueur dans son estomac. Déséquilibrée, elle frappa violemment la cloison de la tête tandis que de la bile acide lui remontait dans la gorge. Étourdie par la douleur, elle se laissa glisser jusqu’à terre, se recroquevilla et plaqua les poings contre ses oreilles. Quelques instants passèrent, ou plus, elle ne savait plus tant son crâne sonnait. Les gens l’insultaient, trébuchaient sur elle et lui heurtaient les pieds, les chevilles, les tibias.

Elle ne pouvait pas rester là, elle allait se faire piétiner !

Quelqu’un la saisit fermement sous le bras, la releva. Elle plongea son regard dans des yeux bleu nuit.

Keizo.

Avec un hochement de tête péremptoire, il lui colla une arme dans les mains, lui indiqua une direction d’un signe et l’entraîna dans le flot humain sans lâcher son bras.

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Joke
Posté le 04/04/2020
"Alors qu’elle contemplait une petite tunique à fleurs et se demandait si elle aurait l’air grotesque ou juste ridicule avec" lol je me suis identifiée à Mu à ce moment-là XD les motifs à fleurs je trouve toujours ça joli sur les autres filles et pas possible sur moi, comme si j'étais déguisée :)
Très prenant ce chapitre, on change de rythme, tout monte en intensité, on rentre en plein dans l'action!
C'est très réussi, aussi bien le saut, l'apparition du croiseur, le saut réalisé par Keizo, le moment où ils percutent que c'est un télépathe, et enfin l'angoisse de Mu.
super chapitre!
Rachael
Posté le 05/04/2020
Merci Joke ! Oui, l'action démarre dans ce chapitre, ça commence à s'animer !
aranck
Posté le 21/09/2019
Hello Rach' !
Alors j'avais déjà lu ce chapitre dans sa toute première version. Je me souviens très bien à quel point j'avais partagé le sentiment de Mu face à cette foule en délire qui l'empêche de progresser vers le vaisseau. Je trouve que c'est super bien décrit tout ça. Seule, séparée des siens j'avais vécu la même panique qu'elle et ragé sur les systèmes de communication monopolisés par des entreprises sans scrupules (comme quoi le monde ne change pas...)
Et Keizo qui détale... Je ne crois pas une seconde (en réalité, je n'espère pas) qu'il soit ce que s'obstine à dire Taz. Je comprends Taz en même temps, ses responsabilités ne peuvent que le pousser à l'extrême méfiance, mais je penche du côté de Mu et d'ailleurs ne vient-il pas l'aider au final ? (ça aussi je l'espère...). Au passage je l'aime bien Taz, ne serait-ce qu'à cause de l'amour qu'il porte à sa fille. En fait j'aime TOUS tes personnages !
Je me doutais aussi que Keizo était un télépathe, forcément, mais son comportement n'indique rien de mauvais en lui, ou alors il joue parfaitement la comédie, ce qui me désespèrera terriblement si c'est la cas.
Je retrouve décidément avec beaucoup de plaisir ton écriture, toujours très imagée et très subtile, ainsi que cette histoire et ce monde très riche dans lequel tu nous plonges.
Rachael
Posté le 21/09/2019
Oui, c'est là que ça commence à s'animer un peu... Suite de la fuite au prochain chapitre. tu me diras s'il te convainc.
C'est super si tu as vécu l'angoisse de Mu face à la foule qui l'empêche de passer.
Pour Keizo, cette incertitude sur lui est justement ce que je recherche, puisqu'on n'est jamais dans sa tête, on ne peut qu'observer ses actions, et le juger sur celles-ci. En plus comme il revient de loin, il progresse et change sous nos yeux.
Moi aussi j'aime bien Taz, il est méfiant par prudence, mais il a beaucoup d'empathie avec son équipage.
Merci pour ta lecture, tu me fais rougir ! <3 <3
Keina
Posté le 29/05/2019
AH ! Je savais que Keizo était un télépathe. Ce qui ne veut pas dire que c'est un méchant, bien sûr, je sais que dans ton univers c'est un peu plus compliqué que ça. :)
En tout cas ça s'accélère dans ce chapitre ! Avec la "tranquillité" du début, j'avais un peu oublié que le Vieux Marp prenait une part active dans la guerre... ils semblaient tellement loin de tout que ça fait bizarre dans ce chapitre de lire qu'ils sont en contact avec l'Etat-Major. Mais pas bizarre dans le mauvais sens, du tout, c'est comme si dans ce chapitre le lecteur se réveillait avec l'équipage, j'ai trouvé ça plutôt cool !
En tout cas, à très vite pour la suite !
Rachael
Posté le 29/05/2019
Oui, l'action commence vraiment ici, avec le retour dans l'univers "normal" après cette parenthèse dans le grand vaisseau. c'est un retour mouvemententé, !
A beintôt ! 
Fannie
Posté le 29/05/2019
Encore un chapitre pour ce soir.
On dirait que ça commence à chauffer pour Keizo. J’espère qu’il a recouvré ses esprits et ses facultés parce qu’il va en avoir besoin.<br /> Il a cette curieuse faculté de se laisser placer en position de faiblesse parfois, sans broncher et sans pour autant être à la merci des autres. Ça doit être ancré dans sa nature profonde et ça va lui être bien utile dans les situations où il vaut mieux faire profil bas.<br /> Je ne veux pas qu’on lui fasse du mal. Pas parce qu’il est mignon, mais parce que je le connais mieux que tous ces gens. ;-)
Deux petites choses :
Bon sang ! tout était normal [Tout]
aux tours de passe-passe de Keizo -,Marsou [Il manque l’espace après la virgule.]
Rachael
Posté le 29/05/2019
Ca commence à chauffer pour Keizo, mais pas que pour lui ! Il va falloir qu'ils se sortent tous les deux de cette situation !
Merci pour ton passage ! <3 
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