7. Contrebande

Par Gab B
Notes de l’auteur : Bonjour à tous ! Voici la troisième partie du chapitre 2, où de nouveaux personnages font leur apparition :)

Précédemment : Le Premier Cercle, une organisation mystérieuse en lien avec Lajos Volbar et ses contrebandiers, a provoqué un éboulement dans la falaise, ce qui a entrainé la mort de prêtresses et attiré un mastodonte dans la vallée.

Nous espérons qu'il vous plaira ! Merci à ceux qui laisseront un commentaire :)

Chapitre 2 : Le mastodonte

 

Contrebande

 

Lajos Volbar resserra son écharpe de laine autour de son cou. Le vent froid de la fin de l’hiver s’engouffrait entre les étals du marché Volbar qui battait son plein, comme tous les soirs. La clameur des négociations étouffait le claquement des fers des chevaux. Ces derniers tractaient les convois de marchandises depuis le port jusqu’ici, tout au nord de la ville. Malgré le bruit ambiant, une harmonie paisible se dégageait des présentoirs colorés qui se mariaient parfaitement au décor de bâtisses neuves, de volets chatoyants et de pavés immaculés dans lequel ils se trouvaient. Lajos renifla dédaigneusement à la pensée des quartiers voisins et de leurs places de marché encombrées, désordonnées et nauséabondes. Contrairement à d’autres, il pouvait s'enorgueillir du quartier qu’il administrait.

Il contourna la devanture d’une marchande de bougies parfumées pour quitter la rue principale et s’engouffrer dans une ruelle moins fréquentée, un endroit discret duquel il pourrait surveiller les allées et venues des passants. Assis là sur une pile de caisses en bois, le visage couvert par une capuche en toile sombre, son interlocuteur l’attendait. Après un signe de Lajos, les deux miliciens qui l’accompagnaient se retirèrent pour se poster quelques pas plus loin et empêcher d’éventuels badauds de les rejoindre.

— Maître Souftir, persifla l’administrateur. Quel plaisir de vous rencontrer ici.

Le forgeron lui lança un regard noir et tourna à nouveau la tête vers l’autre bout de l’allée.

— Tu voulais me parler, Lajos. Parle donc.

— Il se sera bientôt écoulé toute une sizaine, répondit-il d’une voix sèche et basse. Je vous ai laissé du temps pour vous organiser, même si, soyons honnêtes, vous n’avez pas eu à vous occuper des veuves et des orphelins. Il va maintenant falloir trouver une solution pour redémarrer rapidement nos activités.

Souftir sauta sur ses jambes et se rapprocha de Lajos en boitant. Ce dernier ne bougea pas. L’homme mesurait une tête de moins que lui et même si son aspect rugueux de vieux forgeron barbu intimidait la plupart des gens, l’administrateur ne faisait pas partie de ceux-là.

— Le Général Ekvar est furieux. Il n’a qu’une idée dans le crâne : trouver qui les responsables de l’explosion de la mine. Te trouver, Lajos, ajouta-t-il après une courte pause. Nous devons nous faire discrets. Plus d’extraction jusqu’à nouvel ordre. Nous ne livrerons ni plans ni matériel.

Un long soupir exaspéré s’échappa des lèvres de l’administrateur, qui secoua la tête vigoureusement pour marquer son désaccord. C’était toujours le même manège : à la moindre difficulté, le Premier Cercle bottait en touche. Alors que c’étaient Lajos et ses hommes qui prenaient tous les risques ! De ce petit groupe séditieux et très secret, Lajos ne connaissait que deux membres : Souftir, qui fournissait les outils, et le sulfureux Commandant des éclaireurs qui venait superviser le minage à ses heures perdues. Il prélevait au passage la part qui revenait au Premier Cercle. Les autres restaient tranquillement dans l’ombre et empochaient les pierres précieuses.

— Et qu’est-ce qu’il se passe si je cesse soudainement de livrer les minerais ? gronda Lajos. Qui paiera les commandes en attente des artisans et le silence des quelques bâtisseurs corrompus qui dirigent les excavations ? On ne peut pas dire à tous ces gens-là qu’on arrête tout. Leur loyauté n’est pas indéfectible.

— N’essaie pas de m’apitoyer. Je sais parfaitement que l’année écoulée a été largement profitable pour toi. Les finances des Volbar parviendront sans peine à récompenser la patience de tous les braves gens que tu as cités, le temps que ces trouble-fêtes aillent fouiner ailleurs.

Le forgeron pointait un doigt accusateur derrière Lajos, qui se retourna pour voir de qui il parlait. Une demi-douzaine de gardes patrouillaient la place. Depuis l’incident de la sizaine passée, ils se montraient là tous les jours, cherchaient des traces de contrebande, furetaient dans les étals, importunaient d’honnêtes commerçants. De moins honnêtes également, mais ils ne pouvaient pas le savoir. Comme si Lajos était assez stupide pour laisser traîner des preuves sur le marché principal de son propre quartier !

Alors qu’il plissait les yeux en direction des soldats, Lajos remarqua que l’un des miliciens qu’il avait postés au coin de la rue tournait régulièrement la tête vers lui, comme pour demander s’il devait intervenir et les faire partir. L’administrateur fronça les sourcils et l’en dissuada d’un mouvement de la main. Malheureusement, il ne détenait pas le pouvoir de les empêcher de fouiner.

— Et ces épées, où sont-elles ? lança-t-il d’un ton agacé.

Mieux valait changer de sujet tant que les oreilles inopportunes des gardes traînaient dans les parages. Le forgeron leva les paumes vers le ciel en signe d’impuissance.

– Aucune idée. Et ce n’est pas vraiment dans mes compétences de démasquer le fautif. Mais je suis en train de t’en fabriquer de nouvelles. Cadeau de la maison. De toute façon, le voleur les a en partie payées. Il n’y avait pas vraiment le compte, mais c’était charitable de sa part, railla-t-il.

Lajos ouvrit de grands yeux ronds.

— Comment ça ?

L’étonnement lui avait fait oublier toute précaution et il avait parlé un peu plus fort que ce que la prudence recommandait. Dans la rue principale, quelques têtes intriguées se tournèrent vers eux pendant que Souftir s’enfonçait plus loin dans la ruelle en prenant appui sur le mur proche de lui.

— Qui vole des épées de ce prix-là, s’il peut se permettre de les acheter ? reprit Lajos plus doucement. Sans compter qu’il y a notre blason dessus !

— Sûrement quelqu’un qui est prêt à payer pour te voir perdre ton sang-froid de cette façon… Ce qui ne réduit pas beaucoup la liste des suspects.

Lajos ne pouvait que deviner le sourire narquois du forgeron, dissimulé sous sa capuche. Sa colère contre le voleur d’épées se reporta sur son interlocuteur. Pour qui se prenait-il ? Sans ses responsabilités au sein du Premier Cercle, il n’était qu’un chef de corporation sans importance, un vieil infirme claudiquant. Qui n’avait pas intérêt à continuer de jouer avec ses nerfs s’il voulait poursuivre leur association. Lajos et ses hommes pouvaient tout aussi bien se passer de leur petite bande.

Il serra un poing rageur sur la poignée de la dague qu’il portait à la ceinture et tourna à nouveau le regard vers le marché. Pendant un long moment, il observa les gardes retourner les devantures, ouvrir des coffres au hasard, poser des questions qui recevaient toutes les mêmes réponses.

Soudain, de violents éclats de voix s’élevèrent devant le comptoir d’une joaillière. La marchande hurlait que le cuivre contenu dans ses caisses provenait de vieux bijoux achetés honnêtement et qu’elle n’avait rien à voir dans cette histoire de contrebande. Lajos se rapprocha de la rue principale. Un officier de la Garde brandissait un doigt menaçant sous le nez de la femme, qui, bras croisés contre sa poitrine, refusait de révéler le nom de son fournisseur. Le soldat lui demanda si elle connaissait celui qui se faisait appeler le Serpent. Elle tiqua légèrement puis secoua la tête de gauche à droite. Pas dupes, les gardes se lancèrent des sourires conquérants, visiblement satisfaits de leur cueillette. Ils attachèrent les mains de la marchande au bout d’une corde et commencèrent à la traîner derrière eux, sous les sifflets des autres commerçants et les regards suspicieux des badauds. 

Lorsque l’attroupement se fut dispersé et qu’il n’y eut plus aucun militaire en vue, Lajos s’autorisa un petit rictus. Les gardes de la cité pourraient courir longtemps à la poursuite de ce Serpent, un épouvantail fabriqué de toute pièce que Lajos agitait régulièrement pour tenir l’armée loin de son quartier et de ses occupations. Personne à part le Premier Cercle ne connaissait le rôle que l’administrateur jouait dans la contrebande de la ville.

— Tu vois bien qu’ils n’ont rien, lâcha-t-il.

— S’ils interceptent un convoi et trouvent comment tu rentres la marchandise, ils remonteront facilement jusqu’à l’un de tes lieutenants corrompus, qui préférera peut-être cracher tout ce qu’il sait plutôt que se retrouver accroché à un arbre de l’orée des bannis. Ne te méprends pas, ajouta Souftir alors que Lajos ouvrait la bouche pour répliquer, je suis bien conscient que tu as la situation en main et que tu ne laisserais pas les choses en arriver là. Mais pourquoi courir le risque ? Ils vont chasser des fantômes pendant tout le printemps, et nous serons tranquilles cet été. En attendant, j'imagine que les jolies filles du quartier Wrynd sauront t’aider à dépenser tes richesses.

Le ton suffisant du forgeron raviva la colère de Lajos. Il inspira longuement pour se retenir de lui lancer son poing dans la figure. Ses épaules crispées et sa mâchoire serrée sous la tension qui l’habitait le faisaient presque souffrir.

— Fais attention, Souftir, siffla-t-il. Ce sont mes hommes qui creusent vos tunnels, mes hommes qui écoulent la marchandise, moi qui blanchis les écailles. Avec tout ce qui part dans vos poches, je ne vois pas bien pourquoi je continuerais de m’associer à vous, surtout après le fiasco que vous avez causé la dernière fois. Vos instructions ont été suivies à la lettre, et pour quel résultat ! Si c’est pour faire écrouler une montagne, je pense que nous pouvons nous passer de vos services. Que diront tes petits copains du Premier Cercle si je ne veux plus marcher avec vous ?

— Lajos, Lajos… soupira le forgeron. Sois raisonnable, voyons. Si tu souhaites faire cavalier seul, qu’est-ce qui nous retiendra de te jeter en pâture à Ekvar ? Qu’adviendra-t-il de la belle Mara si elle se fait arrêter par ta faute ?

D’un geste vif, sans même s’en rendre compte, Lajos sortit sa dague et la pointa sur la gorge de son interlocuteur. Ses pupilles lançaient des éclairs dans celles de l’homme en face de lui, qui ne cilla pas. Au bout d’un court instant, il reprit ses esprits et se tourna vers l’animation du marché. Les deux miliciens, à l’entrée de la ruelle, les observaient intensément, prêts à bondir. Lajos rangea son arme et indiqua d’un signe de la main qu’il maîtrisait la situation.

— Laisse ma fille en dehors de tout ça, cracha-t-il en s’efforçant de retrouver son calme. Notre arrangement ne la concerne pas.

— Arrangement qui profite à tous, ne l’oublie pas. Nous avons nos galeries et nos écailles, tu as le contrôle de la pègre et les moyens de faire de ton quartier le plus puissant de la ville. La ville qui, d’ailleurs, se porte bien mieux depuis que toute la racaille est rangée derrière toi.

Lajos haussa les épaules et se détourna. Quand il avait repris l’administration du quartier Volbar, quinze ans plus tôt, les frasques et les dettes de ses parents avaient laissé l’endroit en piteux état. Les petits criminels faisaient la loi et la population n’osait pas sortir le soir. Aujourd'hui, le quartier respirait la prospérité et la vermine se tenait tranquille, au prix de beaucoup d'effort, d'écailles et de magouilles douteuses. Mais s’il flanchait, s’il montrait le moindre signe de faiblesse, l’équilibre qu’il avait tant peiné à construire s’écroulerait comme un château de cartes. Tout était facile lorsque l’argent circulait. S’il fallait, ainsi que le préconisait le forgeron, attendre jusqu’à l’été avant de reprendre les affaires... Lajos aurait du mal à leur demander de patienter si longtemps.

— Je ne fais que nous protéger tous, ajouta Souftir. Pas seulement le Premier Cercle. Vous aussi.

L’administrateur ne répondit pas. Tournant toujours le dos à son interlocuteur, il acquiesça lentement, quitta la ruelle silencieuse et s’engouffra dans l’agitation du marché.

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Camille Octavie
Posté le 24/04/2023
Bonjour :)

Ici j'aime beaucoup la tension entre les personnages c'est très réussi !

Ce que j'ai plus de mal à visualiser / imaginer c'est la situation et les distances entre la ruelle où Souftir et Lajos discutent et le marché. J'ai l'impression qu'ils ont des yeux d'aigle et des oreilles de chauve-souris ^^'

Micro-détail:
"Le vent froid de la fin de l’hiver s’engouffrait entre les étals du marché Volbar qui battait son plein, comme tous les soirs."
> La construction n'est pas fausse mais on ne sait pas instinctivement si c'est le vent qui souffle tous les soirs ou le marché qui est sur la place tous les soirs ^^'

J'ai un petit vœu ^^ J'espère que Mara aura un vrai rôle à jouer ce serait vraiment intéressant :D
Gab B
Posté le 24/04/2023
Coucou :)

Merci pour ton commentaire ! Et ton enthousiasme :D

Je vois ce que tu veux dire sur la "distance" qui les sépare du marché ; en réalité ils ne sont pas très loin, et je dirai que l'agitation est assez forte (et puis ils sont sur leurs gardes), mais je vais atténuer leurs perceptions pour que ça ne paraisse pas surhumain ^^

Est-ce que "Le vent froid de la fin de l’hiver s’engouffrait entre les étals du marché Volbar qui, comme tous les soirs, battait son plein" te semble plus propice ?

Ton vœu me fait vraiment plaisir ! Et il est facile à exaucer parce qu'on va beaucoup revoir Mara, à commencer par le chapitre 9 (c'est mon personnage préféré <3 et elle fait partie des 4 "principaux" avec Bann, Mev et Ada) ! J'espère qu'elle te plaira :D

A bientôt !
Camille Octavie
Posté le 25/04/2023
Hourrah ! Je suis contente pour Mara ;) D'ailleurs, je trouve que c'est une bonne idée de mentionner son nom comme ça, avant son apparition, ça fait "teasing" ^^

Est-ce que "Le vent froid de la fin de l’hiver s’engouffrait entre les étals du marché Volbar qui, comme tous les soirs, battait son plein" te semble plus propice ?
>> Oui ! :D
MichaelLambert
Posté le 07/03/2023
Bonjour Gab !

Je commence à comprendre la construction en alternance de points de vue et commence à vouloir en savoir plus sur les complots qui se trament !

Quelques détails :

- les étals du marché Volbar : j'ai été surpris que le quartier porte le même nom que son administrateur, c'est le cas pour les autres aussi ?

- Malgré le bruit ambiant, une harmonie paisible se dégageait des présentoirs colorés : avec le début du paragraphe, je m'étais déjà forgé l'image d'un marché bruyant et moyenâgeux, et j'ai eu du mal à la modifier pour visualiser l'harmonie.

- Il va maintenant falloir trouver une solution pour redémarrer rapidement nos activités : j'avoue que ce n'est toujours pas clair pour moi ce qu'ils attendent l'un de l'autre.

- Avec tout ce qui part dans vos poches, je ne vois pas bien pourquoi je continuerais de m’associer à vous : le paragraphe ne m'apporte pas vraiment de réponse et moi aussi je me pose la question, cette organisation clandestine donne l'impression de ne pas être très au point.

— Laisse ma fille en dehors de tout ça, cracha-t-il en s’efforçant de retrouver son calme. Notre arrangement ne la concerne pas. — Arrangement qui profite à tous, ne l’oublie pas. Nous avons nos galeries et nos écailles, tu as le contrôle de la pègre et les moyens de faire de ton quartier le plus puissant de la ville. La ville qui, d’ailleurs, se porte bien mieux depuis que toute la racaille est rangée derrière toi. -> Tu as oublié d'aller à la ligne pour ces deux dialogues.

— Je ne fais que nous protéger tous, ajouta Souftir. Pas seulement le Premier Cercle. Vous aussi. -> Idem avec celui-ci.

Ce que j'ai particulièrement aimé :

— Sûrement quelqu’un qui est prêt à payer pour te voir perdre ton sang-froid de cette façon… Ce qui ne réduit pas beaucoup la liste des suspects. -> la personnalité de Souftir et la manière qu'il a de traiter Volbar est très drôle et intéressante pour comprendre la tension entre eux !

A bientôt pour la suite !
Gab B
Posté le 08/03/2023
Hello Michael !

Ah je suis contente que tu commences à prendre goût à l'alternance de PDV :D Toute l'intrigue politique de la ville nous paraissait importante et ce sont des choses dont Bann et Mevanor sont ignorants, c'est comme ça qu'on a pensé à alterner les personnages... Et aussi parce qu'on se lassait un peu de nos deux protagonistes ;)

Merci pour ton commentaire !

En ce qui concerne tes remarques :
- en fait, ce sont tous les administrateurs qui portent le nom du quartier qu'ils dirigent... je note que ce n'est pas clair. On le mentionne un peu dans le chapitre 1 ("Il parvint enfin à l’intersection qui marquait la frontière entre le quartier Nott, dans lequel se situait la forge, et celui des Kegal, administré par Subor et Ateb Kegal, les parents de Mevanor et Bann.") mais je pense que ce serait plus clair si je mettais "entre le quartier Nott [...] et le quartier Kegal, ..." non ?

- pour le Premier Cercle, la seule chose à retenir pour le moment c'est qu'ils ont un marché avec Lajos Volbar et qu'ils utilisent ses contrebandiers pour essayer de creuser un tunnel dans la roche. C'est normal que tout ça soit encore un peu flou, c'est voulu ! Mais j'espère que ce n'est pas trop flou et que tu es plus intrigué par cette histoire que confus ^^ j'essaierai quand même de rendre ça plus clair à la réécriture !

A bientôt !
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