Septembre 1910.
Je passai la nuit seul, sur la tour du phare. Enfin un peu de calme, je vais pouvoir me reposer même si mes yeux restèrent rivés sur l’horizon. Ça fait trois heures que j’étais isolé de tous, et malgré la nuit précédente, remplie d’émotions suite à ce foutu oiseau qui s’était écrasé sur la fenêtre, je me concentrais sur la mer. L’espoir d’y voir un bateau, me sortir de ma zone de confort et d’enfin avoir un peu d’action me traversait. Le temps était long, quand on était seuls. Mais il restait agréable, parce que la journée, nous étions collés les uns aux autres même s’il y avait toujours un gardien pour surveiller les navires.
Mais après un moment à surveiller les alentours, un énorme bruit se fit entendre. Un genre d’explosion qui parcourut mes tympans et me fit sursauter. Je descendis du phare en trombe, perçus Henri et Paulin debout dans le salon, l’un avait l’air exténué : Henri avait des cernes sombres sous ses yeux rougis par la fatigue. Tandis que l’autre… Paulin était sur le qui-vive, comme s’il cachait quelque chose. Comme s’il venait de faire exploser quelque chose.
— Qu’est-ce que t’as fait, Paulin ?
— Rien ! Je n’ai rien fait du tout !
— Alors c’était quoi ce bruit ?
— Je n’en sais rien, je suis comme vous !
— Tu n’as pas l’air surpris.
— Parce que tu lis dans mes pensées maintenant ?
Tss. Je ne répondis pas à son pique qui me mit en colère. Pendant qu’il s’amusait à faire ce boucan, personne ne regardait la mer au cas où un navire voudrait passer par là. J’étais sûr que c’était lui qui avait merdé, il avait dû casser un verre, faire gronder les flammes de la cheminée, ou je ne savais quoi. Mais il n’avoua rien, campé sur ses positions. Selon lui, il n’avait rien fait. Pourtant, ce bruit était bel et bien réel.
Henri souffla un coup et fit un geste des mains pour apaiser la situation.
— Ça avait l’air de provenir de la cuisine.
Nous le suivîmes vers la cuisine et alors qu’il regarda par la fenêtre, il rit. Un éclat de rire qui se propagea entre nous trois, parce que nous vîmes la même chose : un oiseau mort par terre. Encore un de ces satanés oiseaux qui nous avaient alertés pour… rien ? Décidément, les piafs d’ici n’étaient pas très malins. Le phare n’était pas transparent, et puis, pourquoi toujours à cette fenêtre en particulier ? C’était assez étrange, mais nous avions besoin de décompresser alors nous continuâmes de rire.
Paulin s’arrêta le premier, la peur lui revint à la figure. Je le savais parce qu’il se rongeait les ongles, et ça, c’était le signe d’un stress qui le bouffait. Quand nous reprîmes tous nos esprits, nous vaquâmes chacun à ses occupations. Et avant de retourner au haut du phare vérifier qu’aucun bateau ne s’était crashé sur les côtes rocheuses, j’avais besoin de me détendre, de faire redescendre la pression. Alors je bus un verre d’eau dans le salon et mon regard s’arrêta sur l’horloge. Il était trois heures trente-trois.
Je décidai d’ignorer cette coïncidence même si je tiquai dessus. Comment était-il possible que deux oiseaux s’écrasent exactement au même endroit, sur deux nuits différentes, à la même heure précise ? Ça n’avait aucun sens. Mais je ne voulais pas finir comme Paulin, envahi par la peur de la superstition, alors je passai devant et retournai sur le phare.
Pour passer le temps, je nettoyai la lentille du phare, afin que la lumière soit éclatante. Ça me prit deux bonnes heures avant que tout soit nickel. Puis je patientai, encore et toujours. Les yeux plongés sur la mer, l’odeur de sel dans les narines et la brise qui me caressa les joues.
Quand l’aube se leva, Paulin prit ma place. Et bien que j’adorasse cette vue et ne m’en lassasse pas, j’avais les yeux éclatés à force de fixer la même chose. J’avais besoin de faire autre chose.
Je croisai Henri dans le salon, quand je fus interrompu par… un bruit étrange. Pas comme l’énorme explosion de l’oiseau qui se fracasse contre la vitre, non, là, c’était plus subtil. Comme un chant. Oui, c’était ça, un chant. Une voix mélodieuse qui s’exprimait entre les murs de cette maison. Henri l’entendait aussi, je pouvais le voir à son expression perplexe. Ma respiration s’accélérait, l’adrénaline montait en moi, j’avais des palpitations, mon rythme cardiaque s’était complètement emballé sans que je comprenne réellement pourquoi. Les fantômes n’existaient pas, ce devait être mon imagination, la fatigue, le stress accumulé récemment à cause de l’oiseau. Notre imagination, parce que Henri fronça les sourcils, complètement chamboulé par ces voix envoûtantes.
— Tu l’entends, toi aussi ?
— Oui. Qu’est-ce que c’est ? D’où ça vient ?
— On dirait que ça vient des murs.
Je me sentis con. Parce que je m’étais moqué de Paulin qui avait entendu ces mêmes voix la veille, et voilà que je me retrouvais désormais témoin de celles-ci. Note que je devrais m’excuser auprès de Paulin, parce que décidément, ces chants étaient bel et bien présents et vivants.
J’avais beau me concentrer, je fus incapable de déchiffrer ces paroles qui semblaient manquer d’articulation. C’était comme si mon instinct me criait qu’il s’agissait d’une chanson, mais que mon cerveau n’arrivait pas à la comprendre. Pour autant, deux mots en breton sortirent du lot : tec'h et dañjer. Fuis et danger. C’était une plaisanterie ? Paulin nous jouait des tours, je ne savais comment. J’étais en colère contre lui parce que ça ne pouvait être que lui. C’était impossible qu’une entité nous chante de partir parce que nous étions en danger, et puis quoi encore ? Alors je fonçai dans le phare, montait les marches, déterminé à en découdre, et quand j’arrivais tout en haut, j’ouvris la porte qui menait au balcon : Paulin se trouvait là, assis, à épier la mer.
— Tu te fous de notre gueule ?
— Hein ?
— Je sais que c’est toi qui as lancé ces voix dans la maison. Ne le nie pas !
— De quoi tu parles ? Je n’ai pas bougé d’ici.
Je fus furieux, vraiment, parce qu’au fond, je le croyais. Je savais qu’il n’avait pas pu émettre ces voix. Comment aurait-il pu le faire ? Il aurait descendu le phare discrètement et aurait poussé une chansonnette en déformant sa voix tout en rigolant de nous voir paniquer ? Ce n’était pas possible.
Il me regarda plus sérieusement, l’air alarmé.
— Vous aussi, vous les avez entendues ? Donc je ne suis pas fou ! Pas encore.
Je ne répondis pas, parce qu’il était hors de question que j’assume cette vérité. Les fantômes n’existaient pas ! Et ces voix devaient avoir une explication rationnelle.
J’étais épuisé, j’avais besoin de sommeil alors je mis cette histoire de côté et partis dans ma chambre. Mais rien à faire, je pensais à ces voix. Parce que je les avais entendues comme j’entendais Paulin ou Henri. Et j’avais beau réfléchir à une raison qui fait qu’elles existeraient, je n’en trouvais aucune. C’était juste… un mystère.