Les coups de l’horloge ne furent vraiment pas agréables.
Non seulement le bruit résonna dans ma tête jusqu’à me marteler les tempes, mais en plus il eut la bonne idée de sonner faux. Quitte à s’y reprendre à six reprises pour m’éclater le crâne, le faire dans le ton aurait été un minimum de politesse. Mais non, au lieu d’un pendule bien huilé et bien entretenu, le son émanait d’un grand meuble sombre et grinçant, au balancier assez désaxé pour que cela soit perturbant et aux engrenages de toute évidence tordus et rouillés. Le tout était aussi gracieux qu’une chèvre et c’était bien dommage. Cette horloge avait encore des traces de grandeurs, une silhouette gracieuse malgré le vernis écaillé, un soupçon dorée encore présent sur certains numéros du cadran. Des numéros étrusques, je notais et je ne retins pas un petit frisson. Seule une certaine classe de personnes possédait de telles horloges avec cette numérotation désuète depuis plus de deux mille ans. C’était rarement des amoureux de la nature, et généralement des nostalgiques des chasses à cour sur omeg. L’électorat du Conclave, avec à minima l’ainé dans la Cohorte et un manoir magique perdu au milieu de nul part.
C’était inquiétant, certes mais hormis ce petit sursaut, mon esprit redevint très rapidement aussi lisse qu’une mer d’huile. Tout ce à quoi je pouvais penser, c’était que Monsieur Ebenezer se serait probablement évanoui, ou arraché les cheveux à la vue de cette merveille si tristement maltraitée. J’étais parfaitement consciente que c’était bien absurde de penser à cela, mais je choisis de m’attribuer dix minutes de grace sur cette divagation.
Il irait chercher ses outils et ses huiles, non sans grommeler, et l’affaire lui aurait probablement pris une semaine de travail mais il serait parvenu à remettre cette horloge en état d’origine, sans la moindre tricherie magique… enfin, jusqu’à ce que Lizzieéchappe à la surveillance générale et s’adonne à sa nouvelle passion: coincer des pièces de cinq sous dans les rouages. Cela lui avait valu quelques corrections, mais jusqu’à présent cela ne l’avait jamais arrêtée.
À nouveau, était-ce absurde à souhait de s’attarder sur un détail si futile? Parfaitement, mais si je devais être franche, je m’en fichais. Je n’avais simplement pas l’énergie mentale à disposition pour m’énerver, ni même paniquer.
Pourtant il y avait de quoi. Ce n’était jamais bon de se réveiller avec un mal de crâne faramineux dans une pièce inconnue, sombre, et une chaine attachée autour du poignet droit. En particulier quand cette pièce était dépourvue de fenêtre, humide à souhait, et assez glauque pour s’apparenter davantage à des oubliettes qu’à une cave. La chaine d’ailleurs, ne donnait pas l’impression d’être de première jeunesse, ni de première utilisation. Elle apparaissait en revanche, tout à fait magique, avec ces petits cristaux d’ésiops disséminés ici et là, et ces runes numicroniques d’incarcération. Ce n’était pas de la petite chainette ça, mais un modèle de compétition, et le plus petit mouvement de main le confirma. Les germes étincelèrent et une décharge ésotérique me zébra du bras aux orteils sans la moindre sommation. En temps normal j’aurais invoqué toute ma force mentale pour retenir le hurlement de douleur inévitable, mais j’étais trop épuisée pour le faire, mon genoux se réveilla en fanfare et un flot de noms d’oiseaux s’échappa de mes lèvres.
Si mes geôliers étaient un tant soit peu malins, ils devaient en avoir déduit que j’étais éveillée, et à nouveau, si j’avais été dans un meilleur état, j’aurais pesté contre moi-même.
La vérité était malheureusement ce qu’elle était: j’en avais plein les bottes, ou plutôt, on faisait tout pour me faire craquer. Entre cette horloge d’hécatarchistes arriérés, ce mal de crâne qui se révéla être une bosse vraiment méchante, une épaule plus proche de la momie que de l’articulation vivante, et ce genoux dont je refusais de parler, cela commençait vraiment à faire beaucoup.
Et, au risque de me répéter, il y avait cette chaine, qui se trouvait également la seule source de lumière à disposition. Cela voulait dire, entre autres, que le moindre de mes petits gestes était non seulement douloureux mais avait la caractéristique horripilante de faire bouger les ombres. Aucune lumière, vienne-t-elle du derrière de Cassini elle-même, n’aurait pu rendre cette pièce agréable mais la noirceur donnait aux murs en pierre un halo aussi étrange que visqueux, voir moussu par endroit (et je n’était malheureusement pas certaines qu’il s’agisse de quelque chose de végétal, mais plutôt d’une toile). Et encore, ça, c’était quand les murs étaient visibles, malgré les monticules de meubles et d’affaires. Il y avait des pieds de chaises pourris ici, des morceaux de commode là, de l’argenterie tordu brillait à quelques pieds de moi. Tout en revanche avait un dénominateur commun: projeter des ombres biscornues et mouvantes sur chaque coin de mon champs de vision.
Ces silhouettes inquiétantes eurent au moins l’avantage de débroussailler mon esprit et d’en chasser cette brume mentale. Mon coeur bien étendu, refusa de ne pas rejoindre cette fête merveilleuse et je fus donc forcée de me mettre à inspirer et à expirer comme une abrutie, avec la lenteur calculer d’un escargot sous la pluie. On n’était visiblement pas assez dans la merde ainsi, noooon, il fallait rajouter des sueurs froides. Ce n’était pas comme si bouger le petit doigt était littéralement contre indiqué dans ma situation.
Parfait, juste, parfait.
Celui ou celle qui observait la situation par delà le ciel avait intérêt à prendre note de l’injustice de la situation, voir botter les fesses de mon Esprit Familier.
Le tambour de mon torse réveilla en fanfare tout ce que l’inconscient avait jusqu’à présent anesthésié, en particulier mon mal de tête. J’en vins même à soupçonner une turpitude magique, car en y réfléchissant bien, ce n’était pas un simple mal de bosse ça. Je savais un minimum de quoi je parlais, je m’en était pris des coups à la tête, et jamais de ma vie n’avait cette impression de matière en fusion. C’était à un point que se relever sans réveiller devint un défis, ce à quoi la chose à mon poignet me rappela à quelle point c’était contre-indiqué. Cette troisième décharge botta le popotin de mon apathie pour ne laisser place qu’à la colère. Une colère noire, vraiment moche, et complètement irresponsable, pour ne pas dire inutile. Cela ne servait à rien d’insulter les ténèbres après tout, pas même à me faire me sentir mieux.
Bon.
Il fallait réfléchir, revenir à de plus basses considérations, et essayer de trouver, par tous les Saints, comment j’allais pouvoir me sortir de ce merdier.
Nul doute que je devais blâmer l’homme du bureau pour ce superbe état de fait. Je supposais en conséquence qu’il fallait s’estimer chanceuse d’être encore en vie. Les mages qui s’exprimaient en salmeni, même à d’autres mages étaient rarement des amoureux de la nature et ce spécimen là apparaissait positivement effrayant. Mes souvenirs exagéraient probablement l’effet qu’il m’avait fait- quoique non, navrée, navrée mais c’était de toute évidence un sale hécatarchiste, convaincu que sa naissance le rendait supérieur et cette pièce ne faisait que le prouver.
Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il s’agissait là des oubliettes de l’Auratoire, car bien que cela ne soit pas des plus rassurants, cela signifiait que j’étais demeurée en ville. Dans le cas contraire… s’il y avait une demeure avec une telle salle, cela ne pouvait qu’être dans l’arrière pays, perdue dans les lieux de lande désertes de la région de Rhénanie et ça… ça c’était terrifiant. Si je n’étais plus à la capitale, comment, Cassini ait pitié, Mathurin allait-il me retrouver? Il essaierait bien entendu, je n’avais aucun doute là dessus mais comment-
Bon.
Bon, bon, bon.
Bon bon.
Il allait falloir y aller un pas après l’autre, respirer, se calmer, atteindre la paix, casser tranquillement la gueule à des esprits-familiers-qui-ne-pernaient-visiblement-pas-leur-travail-au-sérieux. Il fallait se concentrer, et penser plus tard au bôttage de fesse en règles qui finiraient pas venir pour l’Aérateur. Quand je pense que j’avais fait des livraisons pour le cloître, la plus part du temps payée en reconnaissance alors que visiblement ils pouvaient se permettre de jeter du sucre blanc dans leur tisanes-
Plus tard.
Ma main vint instinctivement chercher le réconfort de mon pendentif, à mon cou- et se referma sur ma peau nue. Non, impossible, je ne pouvais pas l’avoir perdu, il était là, il était forcément là, autour de moi, il me suffirait de palper ce sol poussiéreux pour le trouver, et je le fis, de manière de plus en plus frénétique. Je l’avais au cou quand j’étais rentrée dans le cloitre, il me semblait. J’étais presque certaine- peut-être l’avais-je perdu dans les escaliers?
Non, impossible, je l’aurais entendu, et je ne pouvais pas l’avoir perdu avant sans quoi je m’en serais rendu compte. Peut-être l’avaient-ils volé alors que j’étais en train de nager dans les pommes de l’inconscience, mais pourquoi? C’était un pendentif tout vieux, tout griffé, pas même en métal mais en bois. La seule valeur qu’il pouvait avoir, c’était sentimental. Si ce bijou valait plus de trois sous sur le marché gazi-gaza, j’acceptais de manger mon beret alors…
On verrait cela plus tard. Cela me faisait un peu mourir au fond de moi, mais il allait falloir s’en occuper après être sorti de ce merdier.
Pour commencer, je posais à plat la paume de ma main droite, le plus lentement possible, et fit de même avec l’autre. La pierre était chaude et moite, en partie par ma faute. J’avais visiblement transpiré de fièvre, mes vêtement étaient désormais moite. Au moins, j’avais toujours des vêtements sur le dos, et mieux encore, c’était les même vêtements que je portais avant de tomber dans les choux.
C’était déjà ça.
Oui, il ne me fallait pas grand chose, mais les victoires, c’était comme les économies, il n’y en avait jamais de petites et quitte à me retrouver six pieds sous terre, je préférais encore ne pas être nu-
Oh-ma-Cassini.
Quelque chose de velu fila le long de mes doigts. Quelque chose d’enorme, à huit pattes, et par-tous-les-Saints que quelqu’un vienne!
Ce n’était pas ridicule, ni absurde comme demande. Pas quand une énorme araignée escaladait mon bras. Et encore, dire qu’elle était énorme c’était un euphémisme. C’était une araignée de maison, brune et dodue, filant tranquillement le long de ma tunique, ses huit yeux brillant sous l’éclat de ma menotte. Je fis un effort surhumain pour ne pas trembler, et le ridicule de la situation ne m’échappait pas. De toutes les choses pouvant exister dans cette pièce, c’était une arrachée que me faisait friser la crise de nerfs. Ce n’était pas même un prédateur, très certainement pas venimeuse, et quand bien même elle l’aurait été, je pouvait entendre la voix de Madame Catherine passer dans ma tête, me répétant que non, l’araignée n’injecterait pas de venin. C’était bien assez compliqué à synthétiser et l’araignée n’allait très certainement pas le gâche pour une montagne mouvante. Le tout était de ne pas devenir un prédateur potentiel à ses huit yeux.
Je le savais.
Mais ce n’était pas une question de rationnel, mais d’une araignée poursuivant l’ascension de mon bras -qui avait visiblement été une épreuve car elle considéra mon épaule comme une halte de choix- et navré, navré, mais tout le ce-n-est-pas-la-petite-bête-qui-va-manger-la-grosse, c’était des conneries! Elle était si énorme, et brune, et velue, et ces milliers d’yeux qui me fixaient- que quelqu’un la fasse partir-
Crac.
Le bruit me sortit de ma spirale infernale, comme une vague glacée dans mon dos. Un meuble devait avoir bougé-
Crac.
Crac.
Crac- et non, ce n’était pas un craquement, en fin de compte. Ce bruit qui résonnait dans mes oreilles, faisait pulser mon sang, il était rythmé, lourd, lent. Ce n’était pas le bruit d’un object, mais de quelque chose qui se trainait au sol. Lentement, ça s’approchait de moi.
Jemina -l’araignée- pensait visiblement de même, car après une seconde de courage, à lever ses pattes dans les airs, elle fit le choix plus pragmatique de se carapater. D’ordinaire voir une araignée bondir à trois pieds de là m’aurait donné envie de m’évanouir, mais là, je ne pouvais pas.
Par tous les Saints je me levais d’un seul geste, faisant fi de la chaine, de la surcharge éso qui me balaya des cheveux aux orteils, de mon genoux vacillant, et fixait l’obscurité, usant mes yeux pour percevoir l’origine de ce bruit. Un monticule de meuble me dissimulait l’origine, mais plus pour très longtemps. De la pénombre, une masse finit par se détacher, une masse allongée et lourde. Deux petits disques apparurent alors.
Des yeux.
J'ai eu la sensation de lire un peu 2 parties dans ce chapitre. Une première avec une description de l'ambiance, l'introspection de la narratrice... A vrai dire, je l'ai trouvée un peu longuette, j'ai décroché 2,3 fois. Et puis après le bon, bon, bon. C'est un peu comme si tu appuyais sur play sur la télécommande, l'action enclenchée dans le chapitre précédent est relancée, l'action de retour. Le passage avec l'araignée est très réussi, l'arrivée du mage (du moins j'imagine^^) aussi, avec une chute de chapitre qui donne très envie de tourner la page !
Le pendentif disparu est un élément assez intrigant, que je devine pas anodin...
Mes remarques :
"nous entrons désormais dans la seconde partie 'Le Petit Manoir dans la Prairie'" j'adore ahah
"un soupçon dorée encore présent sur certains numéros du cadran." -> doré ?
"je notais et je ne retins pas un petit frisson" -> je notais sans retenir... ?
"enfin, jusqu’à ce que Lizzieéchappe à la surveillance générale" il manque un espace
"mon genoux se réveilla en fanfare" -> genou (je ne te le mets qu'une fois mais l'erreur revient 2,3 fois après)
"(et je n’était malheureusement pas certaines" -> certaine
"de l’argenterie tordu brillait à quelques pieds de moi." -> tordue
"avec la lenteur calculer d’un escargot sous la pluie." couper le calculer ? je trouve qu'il apporte peu
"et jamais de ma vie n’avait cette impression de matière en fusion." un peu étrange cette tournure je trouve
"se relever sans réveiller devint un défis" -> défi
"à mon poignet me rappela à quelle point" -> quel point
"j’acceptais de manger mon beret alors…" -> béret
"c’était les même vêtements" -> mêmes
"mais les victoires, c’était comme les économies, il n’y en avait jamais de petites" j'aime bien xD
"Quelque chose d’enorme," -> énorme
"et l’araignée n’allait très certainement pas le gâche" -> gâcher ?
Un plaisir,
A bientôt !
Oui en relisant la première partie du chapitre est un peu longue (c'était le moment je pense ou inconsciemment je voulais 'écrire' du chiffre pour me prouver que c'était bien une histoire 'légit'). Il y a beaucoup de choses qui passerons à la trape pendant la réécriture (bon pas tout quand même parce que certaines choses doivent être posées). Ravie que le passage de l'araignée passe bien !
Encore merci pour tes remarques et tes encouragements!
à bientôt !
A très vite !
Bon, revenons-en à l'histoire en faisant abstraction de cet horrible détail.
Elle est à présent enfermée. J'ai l'impression qu'on rejoint le résumé de l'histoire?
À qui sont ces yeux...? C'est bien beau de l'enfermer, mais j'aimerais bien qu'on lui explique pourquoi à un moment ! J'espère donc que la personne/chose cachée derrière ces yeux a aussi une langue pour lui en apprendre un peu plus! ^^
Quelques coquilles :
"Mon coeur bien étendu" -> entendu, j'imagine ?
"qui-ne-pernaient" -> prenaient
"le gâche pour une montagne" -> gâcher
À bientôt :D
Question explication, je saaaais que ça met du temps à venir (et il n'y aura pas de véritable face à face avant 3 chapitres 🥸🥸🥸 ) mais c'est parce que même si ça en a pas l'air, tout ce qui est en train de se passer/ de se dire est important pour la suite.
encore merci pour ton retour et tes conseils avisés!
Non ça va, en vrai il me suffit d'essayer de pas troooop les visualiser. Courage, courage !