💍9. Ruelle, potions et réponses💍

Joséphine passa plusieurs heures à revoir les comptes du Baron et à calculer la somme exacte qu’il restait alors à la famille pour subvenir à ses propres besoins. Ce n’est presque sans surprise qu’elle découvrit les importantes dettes de son père et la maigre somme d’argent qui lui restait à présent. Bien entendu, rien de ce qui demeurait ne suffirait à combler les dettes ni même à faire disparaître le Comte Detina de sa vie. Bien au contraire. La famille du Comte a fait fortune en travaillant dans les banques et la finance et il n’y a rien d’étonnant à ce que son père ce soit tourné vers ce dernier bien que le personnage n’ait clairement pas lié à la famille. Il n’est ni le banquier de l’entreprise, ni même son conseiller financier. Juste un requin venu réclamer son dû.

Sur cette pensée, un frisson lui échappe tandis qu’elle revoit sur elle le regard pervers et lourd de sous-entendu du Comte à son encontre. Jamais elle ne pourrait se rendre de son plein gré, mais la voilà dans une impasse.

- Ninon ?

- Oui Mademoiselle ?

- Je voudrais que tu me dresses une liste des objets de valeurs que nous avons ici. Que ce soit les bijoux de ma mère, les tableaux, les meubles, l’argenterie, tout. Je veux qu’une liste soit faite et déposée sur ce bureau d’ici demain.

- Espèrez-vous qu’en revendant les effets de Monsieur cela puisse combler la dette que nous avons ?

- Malheureusement, je crains que cela ne suffise guère. Même en congédiant quelques domestiques, nous aurons à peine de quoi finir le mois si tout doit être remboursé d’un coup.

- Alors qu’allez-vous faire ? Vous n’imaginez tout de même pas épouser un grossier personnage comme Monsieur le Comte ?

Hélas, cette pensée persiste.

Depuis petite, Joséphine a toujours su que jamais elle ne serait heureuse en amour. Cela lui était impossible. Etant l’aînée et l’héritière du titre, son mariage aurait forcément un sous-entendu politique ou commercial. Peut-être même que feu son père avait-il déjà un plan afin de la promettre au fil d’un partenaire ou d’un associé ? Allez donc savoir ce qui pouvait se passer dans la tête de ce vieil homme ? Elle pensait deviner la moindre de ses pensées, mais voilà que les dernières quarante-huit heures se sont montrées tout à fait surprenantes.

- Disons que je préfère éviter de penser à cela. Chaque chose en son temps, veux-tu bien ? lui répond t-elle en souriant

Mais la domestique n’était pas idiote et savait que ce sourire cachait une bien triste vérité.

- L’enterrement de père aura lieu dans trois jours. J’aimerais que tu prépares Ambre et Thomas.

- Et vous ? Qui s’occupera de vous en attendant ?

- Il me semble que je suis arrivée à un âge où je peux m’occuper de moi-même, non ? Et puis cela te fera une charge en moins !

- Jamais vous n’avez été une charge. Il n’y a pas de plus grand honneur pour une femme de mon rang que de servir une maîtresse telle que vous. Vraiment. Ne m’enlevez pas mon privilège.

- Tes mots me touchent Ninon, mais nous allons avoir tant à faire chacune de notre côté que nos chemins doivent se séparer temporairement et puis cela m’aiderait grandement que tu supervises ces deux-là car quand le chagrin leur sera passé, ils deviendront infernaux.

Thomas n’a officiellement plus de figure d’autorité et Ambre n’en fera qu’à sa tête en demandant à sortir. Mais à l’heure actuelle, sa jeune sœur n’est pas préparée à affronter les rumeurs qui doivent circuler en ville et la jeune femme ne doute en rien que ces dernières sont nombreuses. Voilà trois jours que le Baron Conquérant et mort, que la maison est fermée aux visites et qu’aucun membre de la famille n’a été vue à l’extérieur, pas même la nouvelle et certainement temporaire, maîtresse de maison.

Et c’est effectivement la rumeur qui courait à travers chaque dédale de rues, chaque maison à la haute réputation, chaque taverne, chaque auberge et même près du port : «Comment une jeune femme pouvait-elle espérer soutenir son nom et sa maison alors que cette dernière n’est pas mariée ni même courtisée ?»

Néanmoins, Joséphine a été entraînée, éduquée et formée pour ce moment. Tôt ou tard, elle savait qu’il finirait par arriver, bien qu’elle aurait aimé que cela soit le plus tardivement possible. Elle savait ce qu’elle devait faire, ce qu’elle devait organiser, ce qu’elle devait dire ainsi que toutes autres formes de devoirs, d’obligations et de responsabilités qui reposaient à présent sur ses frêles épaules. Un poids bien lourd pour une demoiselle de son âge. D’autant plus que tout ce qu’elle espérait, la tranquillité à laquelle elle aspirait, tout ceci venait de s’envoler.

Avoir des rêves n’est bon que pour les enfants pouvant s’octroyer le luxe d’y croire. Joséphine n’est plus une enfant à présent.

- Je dois sortir, pour affaires. Peux-tu veiller à gérer la maison en mon absence ?

- Où allez-vous ?

- Près du port, je dois voir quelqu’un, je n’en ai que pour quelques heures, ça ne sera pas long.

- Dois-je demander à quelqu’un de vous accompagner ? Vous promenez seule dans l’après-midi, ce n’est pas prudent. Surtout pour une jeune fille.

- Ninon ? As-tu oublié ?

- Non, Mademoiselle. Pardon. Je m’occuperais de la maison avec grand plaisir.

- Merci.

Se préparant hâtivement, elle sort et ne tarde pas à faire les frais de ce qu’elle avait cherché jusqu’à maintenant à ignorer : Le jugement d’autrui. Certains passants lui transmirent leurs condoléances, d’autres lui passèrent à côté sans prendre la peine de la saluer. Des hommes en outre. Surtout des hommes. Une femme parmi eux ? Une femme titrée sans que cette dernière ne soit affiliée à son père ou à son mari ? Ridicule. Honteux.

Pourtant, cela ne l’empêche en rien de marcher la tête droite avec presque un léger sourire provoquant tant elle savait que sa position les ferraient tous enrager. Mais ainsi la vie avait-elle décidée de faire d’elle son nouveau jouet favoris.

Bien avant le port, Joséphine s’arrête devant une ruelle. Étroite et peu fréquentée. Elle était souvent passée par ce chemin et savait ce qu’il y avait au bout de cette dernière, mais jamais encore elle ne pensait qu’elle s’y arrêterait. Curiosité ou intérêt ? Sachant ce qui l’attendait, nous pourrions dire «intérêt». Car en effet de l’autre côté de cette ruelle bien étriquée se trouvait une boutique. Un apothicaire à la réputation plus douteuse que respectable. Certains l’appelaient «Le Sorcier» et d’autres savaient que le mentionnait leur attirerait probablement des ennuis car on lui prêterait de bien étranges pouvoirs.

- Ce n’est probablement qu’une fable.

S’engouffrant dans la ruelle, elle enjambe les tonneaux et les caisses de bois sous les regards de quelques bizarres personnages avant d’arriver devant la boutique. Elle ne payait pas de mine et pouvait presque sembler abandonnée, pourtant, Joséphine entre. Sans peur. Elle franchit le portillon et fit sonner le carillon suspendu juste-là avant de se tenir devant un comptoir lui laissant apercevoir divers pots. Diverses jarres. Des récipients à la forme variée et surtout une odeur aigre et particulière venue lui piquer le nez;

- Excusez-moi ? demande-t-elle en espérant trouver quelqu’un pour la renseigner.

- Oui ? Que puis-je pour vous ?

Une voix chuchote dans son oreille ces quelques mots et la fit bondir de surprise tandis que ses mains s’accrochent au comptoir venu la retenir d’une chute qui aurait pu lui faire très mal. Devant elle se tenait une silhouette encapuchonnée, mais laissant transparaître de longs cheveux grisés par le temps. La main se tendant vers elle était fripée et marquée par le temps et les épreuves traversées.

- Oh, mais...Vous êtes la jeune Conquérant ! Quel doux plaisir et honneur que de vous avoir dans ma boutique !

- Nous connaissons-nous ?

- Nullement, nullement, mais vous êtes celle qui d’un claquement de doigt fait vivre cette société ! Qui ne vous connaîtra pas, ma chère ? Après tout, je suis un fin collectionneur et vous êtes un rare trésor.

Ces mots lui rappelèrent ceux du Comte et une soudaine nausée la prit.

- Vous aurais-je offensée ? Vous voilà bien pâle. Du thé, peut-être ?

- Non merci, souffle-t-elle en reprenant ses esprits, Je ne compte pas m’attarder.

- Oh...

Il semblait déçu. Néanmoins, il passe son chemin et s’agite devant une sorte de chaudron, remuant tiroirs, armoires et placards tandis que Joséphine l’observe du coin de l’oeil.

- Eh bien ? Parlez mon enfant, je pensais que vous n’aviez pas toute la journée.

- On prête à vos prescriptions des effets que je qualifierais de...

- Merveilleux ? dit-il tout sourire en se retournant à son égard

- Puissants, reprit-elle, Il me faudrait quelque chose.

- Pour tuer ? Une morte lente ? Rapide ? Une agonie certaine ou sans douleur particulière ?

- Non ! Je ne veux pas tuer !

- Vous me dites cela avec des mots, mais vos yeux me disent le contraire.

Pendant un bref instant, elle avoue l’avoir imaginé. La possibilité. Tuer le Comte serait un moyen comme un autre d’effacer la dette de son père et de se mettre à l’abri de tous dangers. Elle savait comment s’y prendre. Elle avait lu des livres sur certaines plantes médicinales qui, une fois administrées, feraient des merveilles. Malheureusement, jamais elle n’en aurait la capacité.

- Je veux simplement quelque chose me permettant d’avoir l’esprit tranquille vis à vis d’une certaine personne.

- Oh. Vous êtes une bonne personne...Peu de mes clients viennent me voir avec cet état d’esprit. Dites-moi en plus ? Dois-je préparer quelque chose pour vous ou pour cette autre personne ? Vous pouvez y aller, aucun mot ne sort de cette boutique car c’est bien connu, je suis un vieux fou pratiquant un art bien obscur pour nombre des esprits éclairés de notre société, alors qui m’écouterait ?

- Faites-moi quelque chose me permettant d’assommer un homme en bonne santé. Quelque chose pouvant mettre un cheval à terre de préférence !

- Je vois...J’ai peut-être quelque chose de déjà prêt à ce sujet. C’est un petit quelque chose que j’ai concocté il y a quelques jours. Mais faites attention ! C’est extrêmement volatile et une respiration suffirait pour se faire piéger. C’est donc à utiliser avec précaution.

Lui confiant la fiole au liquide rosâtre, Joséphine ne put s’empêcher d’avoir la curiosité piquée en se demandant si cela suffirait en cas de nécessité. Avait-elle besoin d’aller jusque-là ? Non, est-ce que cela lui ferait comprendre qu’elle n’est pas intéressée ? Elle ne tarderait pas à savoir.

Remerciant l’homme pour sa potion et le payant avec les quelques pièces qu’elle pouvait avoir sur elle, Joséphine s’empresse de quitter la boutique et à peine est-elle de l’autre côté de la ruelle, qu’une main vient se saisir de son bras, l’attirant derrière un pan de mur, à l’abri des regards.

- Que faites-vous là ?

Une voix familière, mais un ton qu’elle n’appréciait guère.

Levant les yeux, elle vit avec surprise le Duc de Varsox se tenir devant elle, la dévisageant sévèrement telle une enfant que l’on viendrait d’attraper dans sa bêtise.

- Me suivez-vous ? lui dit-elle en soutenant son regard

- Je vous ai posé une question.

- Et j’en ai fais de même alors allons-nous continuer dans le blanc des yeux ou allons-nous passer notre chemin ? Je doute que Monsieur ait affaire dans le coin.

- Cela pourrait vous surprendre. Joséphine, vous n’êtes même pas escortée, savez-vous que vous êtes une cible facile pour n’importe qui désirant s’en prendre à vous ?

- Ah. Je comprends. Ninon est derrière cela, n’est-ce pas ?

Il ne dit rien et pourtant, elle fit mouche. Voilà plus d’une heure qu’il s’était présenté sur leur porche devant l’entrée, attendant de pouvoir échanger avec elle, mais c’est avec surprise qu’il apprit de la part de sa dame de compagnie que la jeune maîtresse était partie, seule pour plusieurs heures. Les rues à cette époque de l’année n’étaient guère sécurisées et n’importe quoi pouvait lui arriver. S’en rendait-elle compte ou aimait-elle seulement fréquenter à ce point-là le danger comme si elle flirtait avec ?

- Et moi qui pensais que vous seriez trop occupé pour jouer au chevalier servent. Sachez, Votre Excellence, que j’ai fréquentée ces rues depuis bien avant votre retour et que je sais absolument ce que je fais. Je n’ai guère besoin d’être protégée et encore moins suivie.

- Je ne vous ai pas suivie de mon plein gré !

- Alors que faites-vous là ? Éclairez donc ma chandelle.

Y’avait-il déjà eu une femme osant défier son autorité ? Probablement pas à son souvenir. Mais ce n’était pas pour s’énamourer d’elle qu’il était venu la trouver. C’était pour un tout autre problème.

- Avez-vous du temps à m’accorder ? J’aimerais discuter avec vous à propos d’un sujet fâcheux, lui avoue-t-il en la relâchant et en s’écartant légèrement d’elle.

- Et quel est donc ce dernier pour que vous vous soyez donné toute cette peine ?

- Je crains que cela ne concerne les affaires de Monsieur le Baron.

Les affaires de son père ? Qu’est-ce que le Duc pouvait savoir à ce sujet ? Il a toujours été un grand inconnu et, venant de rentrer, Joséphine doute que ses premières lectures et ses premiers intérêts se soient portés sur ses affaires familiales.

- Ma famille, Monsieur, est au bord de la ruine, je suis déjà parfaitement au courant.

Étant donné sa réaction, cela étonne le jeune homme. Comment pouvait-elle le savoir ? Cela lui avait prit bien deux jours entiers avec l’aide de Maximilien pour enquêter à ce sujet et en sortir cette affreuse et terrible conclusion. Alors comment avait-elle fait ?

- Je devine à votre réaction que vous espériez que je ne sois pas au courant et peut-être me prenez vous pour une de ces jeunes filles de bonne famille, ignorante et à peine savante, tout juste bonne à être mariée, mais je crains de vous décevoir à ce sujet. J’ai été élevée et éduquée pour être Baronne, en cela j’ai été formée par mon père, par divers tuteurs et jusqu’à présent, je n’ai jamais failli dans ma position d’héritière.

- Nullement l’envie de vous froisser, très chère, mais je vous trouve en cela quelque chose de remarquablement étonnant. Cela a prit deux jours à mon meilleur conseiller pour démêler cela.

Et peut-être ne l’aurait-elle jamais su ou l’aurait-elle réalisé bien trop tard si cela n’avait pas été pour l’odieux comportement du Comte Detina à son égard ? Ce dernier étant venu réclamer son argent avec une promesse de dette, cela a demandé des efforts à Joséphine pour comprendre ce qui avait bien pu pousser cet homme à venir chez elle un beau matin dans une famille encore endeuillée.

- Auriez-vous un don particulier avec les chiffres ? lui demande-t-il fasciné

- Nullement. Je me contente de comprendre les choses et de les effectuer de la manière la plus efficace possible. En attendant, vous me voyez sincèrement peinée que vous vous soyez donné toute cette peine et je vous en remercie, mais cela est un problème de famille et je doute que vous pouvez faire quoique ce soit pour y remédier.

- Et vous ? Le pouvez-vous ?

Probablement pas, mais elle préfère tenter sa chance et y croire que de se laisser condamner.

- Il n’existe pas de solution miracle, Votre Excellence, seulement des résultats convaincants, et c’est justement ce que je m’apprête à aller chercher.

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DB18
Posté le 12/04/2021
Il prend du temps pour l'aider et de préoccupe d'elle c'est gentil!
Je me demande bien ce qui est arrivé au baron pour que les finances soient dans cet état et qu'il n'en n'ait pas parlé à Joséphine avant...
ManonSeguin
Posté le 04/08/2021
La réponse finira par arriver...Promis ! :D
Alison CXC
Posté le 02/02/2021
Aaaaah ! J'aime tellement leurs échanges et le fait que Joséphine prenne et garde les choses en main ! En revanche, le sorcier antiquaire a piqué ma curiosité... qui nous dit que Joséphine est la seule dernièrement à avoir eu recours à ses services ? ;) Peut-être que quelqu'un a déjà fait appel à lui quelques jours avant la temporalité de ce chapitre si tu vois ce à quoi je pense ;)

Dans tous les cas, j'ai adoré ce chapitre ! Et je me demande quelle dynamique va avoir le trio Comte/Joséphine/Duc muahahah
ManonSeguin
Posté le 03/02/2021
Je suis ravie d'apprendre que leurs échanges te plaisent :) J'essaye de garder une certaine dynamique dans leur duo qui me plaît beaucoup à écrire (un peu de charme, un peu de taquinerie et beaucoup d'obstination)
Quant au "sorcier" (j'adore que tu le qualifies de sorcier) je ne saurais en dire plus, il est effectivement très demandé pour certaines affaires, mais il n'est pas concerné par l'évènement auquel tu fais mention...Là tu refroidis ! :D Mais c'est bien essayé.

Pour ce qui est du trio...patience, patience, tu le sauras bien assez vite.
HarleyAWarren
Posté le 27/01/2021
Je me demande bien ce qu'elle pourrait bien faire de cette fameuse potion. Endormir le Comte, ce serait une chose mais ça reste pas mal temporaire donc j'imagine qu'elle aura un plan pour s'en débarrasser une bonne fois pour toutes.
Juste une question : j'ai un peu de mal à savoir à quelle époque ton récit se situe avec les indices laissés dans le texte. Certains éléments me disent Ancien Régime, d'autres XIX ème siècle. Bref, lequel est le bon ? x)
ManonSeguin
Posté le 27/01/2021
Ah ! Ah ! La fameuse question de l'époque ! Pourquoi penses-tu que j'ai fixé un temps ? Surtout un temps de "notre" chronologie :) Je me sers juste de certains éléments pour créer mon univers et mon monde rien de plus. Il n'y a pas à chercher l'historique pur et dur dedans je te rassure ^^
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