En descendant les marches du grand hall ce matin-là, je ne peux m'empêcher de relever l'étrange atmosphère qui y règne. Il faut dire déjà qu'aujourd'hui est un jour de repos forcé pour moi, Ley en avait décrété ainsi (il doit en avoir vraiment marre de jouer le chaperon pour novice excessivement zélé) donc par dépit j'avais décidé de faire la grasse mat'.
C'était sans compter l'humidité oppressante qui a fini par forcer à sortir du lit barbouillé et en sueur. Après avoir pris une douche qui a sauvé mon humeur, m'être habillé d'un Tee-shirt à manches courtes simple et d'un short ample – le tout dans le tissu le plus fin disponible dans ma maigre garde-robe – je suis descendu au rez-de-chaussée.
Cole est là, afféré à l'entretien fastidieux de notre gagne-pain en compagnie silencieuse des quelques mages assis sur leur stalles. J'admire vraiment mon compagnon pour pouvoir se lever inlassablement aussi tôt que l'exigeait son job. En effet, si un bon nombre de nos hôtes ont l'habitude de démarrer leur journée avec le soleil, il n'est pas rare d'en voir d'encore plus matinaux.
C'est le cas de Galdor évidemment, mais aussi de Leith, Jayden… Et en soit tous les membres que je jugeais les plus puissants de la guilde parmi ceux que j'avais croisé jusqu'à présent. Ha ! quand on dit que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, c'est aussi le cas du pouvoir apparemment.
J'avais eu tout le temps du monde d'exercer ma capacité à voir les auras ces deniers jours (notamment pour m'occuper l'esprit en attendant que Ley regarde ailleurs) et à mon grand soulagement, petit un : "analyser" un mage ne revenait plus à affronter le soleil du regard envers et contre tous ces rayons aveuglants ; et petit deux : maintenant j'arrivais même à distinguer les radiations émotionnelles de celles de la magie pure.
"Déjà réveillé ?, s'étonne Cole me sortant de mes pensées.
—Fait une chaleur à crever., marmonne-je en accueillant avec reconnaissance le verre de jus frais qu'il me tend.
—Allez, viens m'aider feignasse, ri-il. J'ai besoin de tes services en salle."
La voix pompeuse avec laquelle il s'est exprimé me fait rouler des yeux et je le laisse de bonne grâce me mettre dans le rôle du parfait serveur : droit, le torse légèrement bombé et la serviette pliée sur l'avant-bras. Il était parfaitement au fait que je ne jouerai pas la comédie longtemps, je reprendrais ma posture initiale dès la cinquième personne assise à une table (j'ai ma fierté quand-même), mais pour l'heure, si ça suffisait à illuminer sa journée, soit.
Vers quatorze heures cependant j'en avait tout simplement ras-le-bol. Le manque prodigieux d'affluence – que j'avais béni au départ – et mis sur le compte d'une matinée où tous les mages seraient partis en mission et avaient déserté le Q.G. m'exaspérait maintenant que les tables s'étaient un peu remplies et que personnes ne commandait rien. Je me retrouvais là, assis comme un débile à tourner sur ma stalle pour passer le temps. Même le barman avait rendu son tablier (en vrai, il le gardait pour donner le change mais quoi qu'il en dise, il avait abandonné l'idée de faire tourner son commerce).
"Bon chéri, tu sais pourquoi ils ont tous l'air d'ânes grillés au soleil ?
Cole, qui essuie pour la énième fois ses verres rutilants se fend d'un sourire et me répond sans me regarder :
—Sais pas, mais Zed (c'est le nom de notre patron) m'a laissé entendre qu'un des membres de la guilde allait revenir. Il a été envoyé en mission depuis un bail ou quelque chose comme ça, je sais pas trop.
—Tu ne t'y intéresses pas trop., corrige-je pour le taquiner.
—Aussi., approuve-t-il en haussant les épaules. Demande-lui toi, t'en sauras bien plus que moi."
Je fais "non" de la tête et il me lance un regard en biais.
"Mais pourquoi ? Je comprends pas pourquoi tu t'entêtes à ne parler qu'à moi alors que tu-.
Je le fouette avec un chiffon qui traine avant qu'il ne finisse sa phrase (même si c'est totalement inutile parce que le seul capable de nous comprendre est pris en otage de sa bibliothèque depuis l'aube).
—Je ne suis pas sûr Cole !, dis-je comme si j'avouais un terrible secret.
—Orh, sérieusement là ?, s'exaspère mon ami. T'as plus cinq ans Isaac, jettes-toi à l'eau une bonne fois pour toute !
—C'est en projet… Mais pas tout de suite., réponds-je buté."
Je sais bien que Cole a raison, dans le fond, mais c'est bien facile pour lui d'exposé ses progrès à tous, lui avançait à un rythme descend. Moi, si je ne suis pas du tout certain de mes connaissances en Faëln c'est qu'il y a une raison ! Si vous vous souvenez bien, les mages de la guilde (et par extension, les gens d'ici, puisque le Conseil est du même avis) ont beaucoup de mal à croire à la façon dont "prrrétendons" être arrivés ici.
Au départ ils pensaient qu'on leur mentait à cause de cette histoire d'enlèvement en série. Ensuite (Cole en avait entendu pas mal murmurer depuis son bar) beaucoup soulignaient que nous n'aurions jamais pu survivre sans magie (même aidés par d'hypothétiques manifestations de ma part) comme nous le leur avons assuré. Pourtant, orage mis à part, c'était vrai.
Ah oui ! Cette fameuse nuit d'orage. Encore une chose que nous avons convenu de garder pour nous puisque nos cicatrices ne les convainquaient pas non plus ! Je suis persuadé que la seule chose qui avait empêché Aldan de les déclarer illusoires à notre réveil, c'était qu'il était trop fier pour envisager avoir été dupé dans son examen. D'ailleurs, il nous a regardé comme des OVNI les rares fois où nous l'avons croisé depuis.
Sachant tout ça, vous m'imaginez arriver, après un peu plus d'un mois passé ici et deux semaines de cours intensif, en mode : "Hey, vous me trouviez douteux ? Maintenant que je parle presque couramment votre langue, vous en pensez quoi ?". Plutôt mourir lapidé à coup de fruits de saison. Non, ils pensaient que j'étais débile ? Eh bien j'allais le rester jusqu'à ce que je sois crédible quand j'ouvrirai la bouche pour leur scotcher la leur.
Je dois apprendre vite cependant, faire du zèle à fond si je veux pouvoir parler dans les plus brefs délais. Poussé par cette urgence, je me dirige vers la bibliothèque. Décidé à protester contre mon repos forcé – et à éjecter de force toute vielle bourrique prétentieuse qui se mettrait en travers de ma route – je n'ai pas le temps de saisir le pommeau de la porte que celle-ci s'ouvre à la volée, manquant de m'aplatir contre le mur.
Gaïus en sort, la mine plus que jamais ressemblante à celle d'un bulldog enragé. Je l'évite de justesse et, ahuri, ne peut que l'entendre marmonner dans sa barbe quelque chose impliquant des mildariens, des… Stupofroux et une Cranassière ??? Oui je sais, ça ne veut absolument rien dire.
Une fois entré dans la bibliothèque, bien que je n'aie pas assisté à la cause d'un tel énervement, j'ai malgré tout la nette impression d'entrer en terrain miné. L'absence totale de bruit rend je lieu étrangement inquiétant cependant, et je m'empresse de trouver Ley. On peut lui trouver quelques défauts c'est vrai – et encore, très peu si vous voulez mon avis – mais s'il s'avère que c'est après mon interprète préféré que l'ancêtre en a, j'vous jure que j'vais emplâtrer du Gaïus, ça va pas trainer.
Je fini par le trouvé attablé à un des bureaux à côté de la dernière série d'étagères, tout au fond, prostré la tête dans ses mains au milieu de son habituel bazar de livres et de parchemins.
"Ley, tout va bien ? Non parce que, je savais que Gaïus avait un grain mais là-.
—Non ça ne va pas ! Rrrien ne va !, éructe-il en se redressant comme un ressort, les bras levés vers le ciel. Entrrre ce vieillarrrd acarrriâtre beaucoup trrrop fierrr et toi qui est incapable de te tenirrr même une jourrrnée horrrs de cette satanée bilbliothèque, je distrrriburrrais bien des claques !"
Et c'est sur ce monologue bien senti qu'il s'éjecte de sa chaise – la renversant par la même occasion – et part en trombe lui aussi. Attendez, "vieillard acariâtre", "satanée bibliothèque" ? Bon sang mais quelle mouche les a piqués tous les deux ?! Je ressors, tout aussi remonté maintenant, en quête d'une explication quelconque, mais Ley a déjà mis les voiles. Je me dirige vers le bar, frustré.
"Euh, ça va ? Je viens de voir Ley qui-.
—Moi aussi., je coupe-je avec brusquerie.
—Ok… Et c'est ainsi que tu as chopé le virus de la rage ?
Je lui décoche mon regard le plus foudroyant en réponse à sa pitoyable tentative d'humour. Je le fixe jusqu'à ce que son sourire éclatant d'espièglerie finisse par avoir raison de ma frustration cependant.
—Je tiens à dire que c'était pourri.
—C'était imparable, ri-t-il."
Je soupire en me triturant nerveusement les cheveux et Cole me tend un verre de boisson.
"Bon, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
—J'en sais rien ! J'allais voir Ley et Gaïus est sorti en trombe !
—Oui, ça j'ai vu, celui-là, on peut vraiment dire qu'il avait la rage au ventre.
Je lui fouette à nouveau le bras avec son chiffon et il éclate cette fois d'un rire franc et sonore qui me donne des frissons. Dire qu'il a fallut qu'il m'en prive pendant des semaines pour que je me rende compte d'à quel point j'aime le voir rire. Spontanément, je me penche par-dessus le comptoir et plaque un bisou sonore sur sa joue.
—J'te l'ai jamais dit, mais y'a pas plus beau que toi quand tu souris chéri !"
A peine Cole détourne le regard les joues rosées que la porte du Q.G. s'ouvre avec fracas. A l'entrée, se tient un grand homme aux larges épaules, son pied droit chaussé d'une haute botte cloutée suspendu en l'air comme dans un mouvement interrompu. En contre-jour, je ne vois pas son visage, mais le nouveau venu venait indiscutablement d'enfoncer la porte d'entrée.
Après quelques secondes de latence, il s'avance dans le hall d'une démarche lente, assurée. Pantalon noir taille basse moulant, constellé de ce qui ressemble à des strass ocres mais directement fondus dans le tissu je dirais. Ceinture de cuir noir avec un horrible éclair jaune aussi bien voyant par sa taille que sa couleur en guise de boucle, et chemise a pois mauve et ocre ouverte sur le premier bouton.
Sans oublier d'innombrables bagues, piercings et autres bijoux, l'ensemble le faisant briller comme une boule à facettes. Ajoutez à ça une longue cape jaune vif et qu'obtenez-vous ? Le détestable et – je vous l'assure très peu regardable à cet instant précis – Mr Coup-De-Foudre.
La salle entière sombre dans un silence stupéfait tandis qu'il s'avance vers le bar et que Zed éclipse gentiment Cole en lui indiquant que sa journée est terminée. Au moment où, de mon côté, je me rassois, la porte s'ouvre encore à grand bruit. Décidément, me dis-je, je me demande si les portes ont une sécurité sociale dans ce monde, c'est un statut dangereux ces derniers temps. Ley entre et, si je le croyais en colère tout à l'heure, je n'avais encore rien vu. Ses pas sont si amples qu'il donne l'impression de bondir comme un crapaud furieux en direction de Mr Coup-De-Foudre.
"Sale voravérue malodorant !, aboie-t-il."
L'intéressé vient s'assoir – ou plutôt s'affaler – au bar sans se retourner sur l'insulte.
"Ne m'ignore pas ! (Il abat un de ses gros volumes sur la table. Il est trempé – est-ce que tu sais de combien de siècles cette ouvrage est plus vieux que toi ?!
—Orh allons Ley !, pavoise l'autre d'une voix chaude. Tu devrais me remercier au lieu de bouder. Tout le monde ici sait que tu es très intelligent (il insiste exagérément sur ce mot) même toi. Tu n'as qu'à te dire que c'est pour ton bien, pour… Empêcher ta boîte crânienne d'exploser, ce serait une telle perte pour le monde pas vrai.
Il fait alors un geste surprenant au vu de la situation, il a levé sa main pour saisir le menton de Ley… Qui l'a immédiatement et énergiquement repoussé du dos de la sienne.
—Espèce de-."
Les jointures de ses poings serrés blanchissent sous l'effet de la colère et, pour la première fois, je suis certain d'assister à une manifestation : de la vapeur s'échappe de plus en plus du livre sur le comptoir alors que Ley fixe toujours Mr. Coup-De-Foudre avec une hargne certaine. Ley le remarque aussi est retire vivement le volume du comptoir, indifférent aux gerbes de flammes qui commencent à s'allumer aux coins des pages.
"Si tu recommence espèce de charorat, je te brûle vif !"
Le visage de Mr. Coup-De-Foudre n'en laisse rien paraître mais les muscles qui se tendent sous le tissu à pois parlent pour lui.
—Ley, respire., tente-je discrètement de l'apaiser.
Dans un silence aussi mortel me direz-vous !
—Oh Mais qu'avons-nous là ? Oui Ley, écoute ton ami l'exhibitionniste là. Tu vois, il est sensé. Enfin… (Il rit bruyamment.) Quand il est habillé.
Je sens Cole fulminer dans mon dos, la mâchoire serrée, tout comme je sens l'atmosphère de la pièce se tendre comme un élastique à chaque fois que ce type ouvre la bouche. Vous noterez amis lecteurs et lectrices, que j'avais parlé en français et je doute fort que quelqu'un d'aussi prétentieux ait compris autre chose que la main que j'ai posé sur le bras de mon ami.
Mais c'est dans un sardag parfait – sans vouloir me vanter – que je m'exprime maintenant :
—Je préfèrerai mille fois qu'on me voit nu, plutôt que de me pavaner fagoté comme un saucisson avarié, à espérer attirer l'attention de n'importe qui avec un comportement d'enfant prétentieux comme le tiens.
A cette instant précis, l'élastique atteint sa limite. Tous semblent retenir leur souffle, s'attendant à le craquer au tout moment. Je sais, c'était une intervention stupide de ma part, surtout compte tenu de mes réserves à m'exprimer. Mais cet homme me hérisse le poil – et pas qu'à moi apparemment.
Soudain un rire éclate. Jayden. Rapidement suivi par Leith. Et Zed, et tout le reste du hall, Ley compris.
—Je savais bien que tu me cachais quelque chose !", parvient-il à articuler entre deux hoquets de rires.
La salle raisonnait donc de rires et d'éclats de voix, entre les "Bien envoyé !", "Epique !" et les "J'aurai pas dit mieux !", quand le saucisson à paillette bondit de sa stèle et s'approche de moi à grandes enjambées, des étincelles dansant autour de lui.
"Répète un peu, poulet ?
Ley – tout comme beaucoup des hommes présents esquisse un pas en avant pour s'interposer – mais c'est hors de question. Je les prends tous de court en le regardant bien en face quand je réponds :
—Le ridicule t'aurait-il bouché les oreilles ?"
Cole qui, contrairement à tous, s'est littéralement téléporté à ma gauche, me serre le poignet autant en guise de réprimande que pour se préparer à m'écarter si la situation dégénère. Ce serait arrivé, je voie dans son aura sa colère monter en même temps que sa puissance magique. C'est moi qui réagis en premier, sur un coup de tête là encore (je sais qu'il faudra que je me reprenne vite, je sais. Mais pas maintenant.).
Vous le savez déjà, j'ai consacré mes rare moment de solitude à explorer moi-même le pouvoir qui me parcourt. Là encore sans vouloir me vanter, je crois que je suis assez doué. En seulement quelques jours j'ai réussi à comprendre comment faire circuler ma magie dans de petites zones de mon corps, comme ma main par exemple ; mais le plus important, j'ai appris – enfin une fois sur deux… Ou trois – c'est horriblement difficile, à faire léviter des objets de petite taille relativement proche de moi.
A ce moment cependant, ça a été presque naturel. J'ai levé la main et, presque simultanément, un couteau et une fourchette posés sur une table derrière nous ont suivit le mouvement, s'arrêtant pile au ras du coup de Mr. Saucisson-A-Paillettes.
"Une menace de mort verbale ne t'a pas suffit ?, assène-je avec le plus d'aplomb à ma disposition – je ne tiendrai pas bien longtemps en vérité – parce que je peux l'illustrer si nécessaire.
—Mais vas-y poulet., rit-il. Je suis très de voir jusqu'à quand tu pourras faire semblant d'avoir un pouvoir que tu n'as pas.
—Continue comme ça et ça ne sera plus très long.
Mes lames vacillent malgré moi cependant et je grimace malgré moi sous l'effort que je dois fournir pour les maintenir au-dessus du sol.
—Mmmh, c'est dur hein ? Certains disent que le poids des objets double, voire triple, quand on les manipule par l'esprit."
Il marque une pause avant d'ajouter :
"Tout dépend de la volonté et de l'endurance de l'utilisateur."
Nouvelle pause, il me regarde de haut en bas avec du dédain dans les yeux.
"Bah, ce n'est pas comme si on pouvait attendre autre chose d'un minable petit mildarien."
Il se produit alors quelque chose de hautement comique et surtout, hautement inattendu : Mr. Saucisson-A-Paillettes reçoit son verre de bière… Sur la tête. J'en ai laissé tomber mes couverts.
Le responsable ? Mon plus grand héros, évidemment. Derrière le type, Cole est là, son sourire jubilatoire fixé aux lèvres, à s'assurer que pas une goutte ne reste dans la chope. Zed à ses côtés arrachait ses cheveux inexistants.
—Je sais qu'il est à tomber, mais tu ne devrais pas le regarder comme ça., dit-il dans un sardag plus que convenable (il doit avoir bien préparé son entrée) Encore un peu et tu te serais enflammé. Pas besoin de me remercier, on a tous compris que les bonnes manières ne sont pas ton fort.
Et pour la deuxième fois en dix minutes, la salle explose de rire. Pour ma part, je suis on ne peut plus reconnaissant de cette diversion qui me permet de tirer ma révérence la tête haute. On peut presque voir le visage de Mr. Saucisson-A-Paillettes passer par les différentes nuances de rouge du cercle chromatique, de la plus pâle à la plus violacée. Ça ne doit pas être dans ses habitudes d'être le dindon de la farce. Tant pis pour lui.
Un grand CLAP se fait alors entendre et, à l'unisson, nous levons tous la tête vers la mezzanine du premier étage. Là, se tient Galdor. Accoudé sur la rambarde, il parcourt l'assemblée le regard perçant qui laisse clairement comprendre qu'il a dû assister à toute la scène.
Il passe sur Jayden et Leith qui se composent immédiatement une expression sérieuse à peine crédible, puis Ley qui ne s'est manifestement pas encore remis du choque de ma performance autant verbale que magique. Et enfin Cole, moi. A ma grande surprise, tandis que sur moi, son regard se durcit, quand il passe sur Mr. Saucisson-A-Paillettes je jurerai voir quelque chose comme de la lassitude pointer dans ses prunelles.
"Aguilar., dit-il en sardag. Ravi de voir que as fini pas trouver du temps pour passer nous voir.
Du coin de l'œil, je vois l'intéressé serrer les mâchoires.
—Te fatigue pas l'ancêtre, je viens juste chercher de nouvelles missions-.
—Et remplir la cinquantaine de rapports sur ton ardoise., le coupe le Maitre de guilde alors que la salle murmure sa désapprobation face au manque de respect flagrant de cet Mr. Saucisson-A-Pailettes alias Aguilar. Ley près de moi fulmine de rage.
—Je n'ai pas le temps pour ça ! le Saint Patrons des Grattes Papiers n'a qu'à se rendre utile tiens.
Je peux jurer que Ley l'aurait écorché vif avec les dents si Galdor ne s'était pas propulsé souplement de la rambarde, pour atterrir pile devant Agilar après avoir exécuté une parabole parfaite dans les airs. Les deux hommes à la carrure de boxeurs se regardent en chiens de faïence pendant quelques secondes avant que Galdor ne poursuive :
—Je peux t'assurer que si., insiste Galdor avec dureté. De toute façon tu connais les règles. Tu as atteint le quota alors ne discute pas."
Aucun d'eux n'avait lâché l'autre des yeux pendant leur échange et, pendant quelques secondes encore, ils s'affrontent du regard avant qu'Aguilar ne détourne les yeux, l'air faussement détaché. A peine esquisse-t-il un mouvement pour dépasser le Maitre de guilde, que celui-ci lui barre la route. La paume de sa main se plaquant bruyamment sur le plexus de son vis-à-vis quand celui-ci tente de passer outre l'interdiction.
Aguilar ne cille pas – Cole m'a un jour expliqué que ce genre de choc laisse rarement de marbre pourtant – mais s'arrête cependant.
—Je n'ai pas fini. Comme je ne voudrai pas que tu t'ennuies parmi nous, ta présence est tellement rare que ce n'est pas envisageable, je t'ai trouvé une occupation parfaitement à la hauteur de ton talent et de la… fougue de ta jeunesse."
Il fait alors un grand sourire en posant les yeux sur moi et j'ai la quasi-certitude que je vais détester la suite :
"Je vois que tu as déjà fait connaissance avec nos jeunes invités., poursuit-il en avisant la bière encore goutant encore de certaines de ses mèches blondes. Ça tombe bien, puisque tu vas enseigner à Isaac.
—Quoi ?!, nous exclamons-nous dans un accord parfait pour une fois.
Galdor a l'air on ne peut plus fier de son effet.
—Je ne me coltinerai pas un gamin aussi misérable. Il est tellement pitoyable que je parie qu'il a fallut des mois pour lui apprendre son petit tour grotesque avec ces deux couteaux !
Il regardait Ley comme s'il s'attendait à ce qu'il confirme cette évidence.
—Il a appris seul et en une semaine figure-toi., le rembarre ce-dernier à la place.
—Non mais Galdor sérieusement là ? regardez-le enfin ! Sa tête est tellement grosse que je suis sûr qu'il a du mal à se "coltiner" lui-même, qu'est-ce qu'il va m'apprendre d'autre que l'art arcanique de me comporter comme un adolescent prépubère capricieux ?"
Ley plaque sa main devant sa bouche avec force, les joues gonflées du fou-rire qu'il s'évertue de retenir dans sa bouche. Cette fois c'est bien le seul à rire, car il est le seul à connaitre l'expression "avoir la grosse tête". Mais l'humour est une magie qui ne connait décidément pas les barrières de la langue, car rapidement d'autres mages se mettent à rire et sourire. Je me saisis subito presto de l'occasion avant qu'Aguilar ne se reprenne et m'arrache le cœur.
"Vous voyez ? On s'entend beaucoup mieux avec Ley, il m'apprendrait beaucoup mieux et plus lui."
Toute l'hilarité contenue latente dans la salle – voire la plus petite once de légèreté – déserte l'atmosphère au moment ou je prononce les derniers mots. J'ignore comment et pourquoi, mais je suis certain alors d'avoir scellé mon sort. Même Aguilar s'abstient de piper mot, ce serait pourtant typiquement son moment.
—Ma décision est prise et le sujet est clos Isaac. Vous commencerez quand Aguilar aura fini de remplir ses rapports, décrète Galdor avant de sommer Aguilar de le faire sous trois jours, puis il tourne les talons et disparaît derrière la porte de son bureau.
Quand je ramène mon regard dans le hall, tous avaient repris leurs places autour des tables ou au bar, sirotant leurs breuvages ou jouant aux cartes. Seuls Cole et moi sommes encore plantés là, à ne rien comprendre. Aucun ne parle, tous nous tournent ostensiblement le dos. Aguilar atteint déjà la grande porte et le seul qui pourrait encore nous expliquer ce qui vient de se passer s'est volatilisé...