Les Amazones (2)
Acte : Prologue
L’horloge
[ Dans une pièce terriblement commune, sans moulures ou même sans une quelconque petite poutre, une horloge qui venait d’être remontée pour la troisième fois se tortillait, très mal-à-l’aise. On lui avait réglé ses engrenages bien trop serré. Elle se sentait indignée, un tel traitement était simplement inadmissible !
Pauvre d’elle, elle sentait ses engrenages, que l’horloger avait mal huilé par ailleurs, lui crisper le derrière comme si elle y avait un bâton mal coincé.
La pièce qu’elle servait avec ses petites aiguilles hyperactives était une pièce délabrée : autrefois elle abritait dans ses murs les plus puissants d’une cour fameuse.
Aujourd’hui, la pierre des murs mal entretenue s’effritait au contact des meubles. Et ceux-ci, à peine vivants, étaient tous accablés par une vieillesse teigneuse qui poussaient à narrer des aventures qui n’étaient plus au goût du jour.
Cette pièce était une pièce « mal servie ». Cette réputation venait d’un meuble qui autrefois servait cette pièce, et qui avait été jugé pour un crime. Il avait laissé à la pièce une sale réputation et depuis plus personne se souhaitait y résider. Les meubles qui la servaient étaient donc destinés à la marginalité.
L’horloge, qui était arrivée après ces événements malheureux, espérait pouvoir être bientôt mutée car elle se sentait dépérir dans cette ambiance croulante.
Néanmoins l’horloge aussi s’était acquittée d’une mission, celle de raconter la vérité sur cet événement.
Sur tous les déboires croustillants de cette cour qui fourmillaient entre ses murs.
Elle avait un rendez-vous avec un seigneur, « un vrai de vrai ! », pour lui narrer la vérité.
Grâce au quart, l’horloge changeait souvent de voisinage et celui-ci était toujours bavards : prêts à partager ragots et on-dits contre un peu de compagnie.
Elle avait dû faire moult recherches pour l’histoire qu’elle souhaitait raconter. Celle de ce meuble criminel mentionné plus tôt.
Beaucoup des acteurs principaux de cette histoire, n’étaient pas de grands figures de la société de cour et l’horloge avait dû faire passer des messages par des portes, voisines de murs, voisins de chaises, elles-mêmes voisines de bureaux et de secrétaires pour obtenir des informations sur eux. Mais finalement madame avait eu gain de cause, par des yeux de procuration et des oreilles à qui rien n’échappaient.
L’horloge n’avait pas tout compris avec les accents et les patois imbuvables des uns et des autres, malheureusement, mais elle en savait assez maintenant pour raconter son histoire. ]
Dans la pièce, déjà l’activité reprenait du poil de la bête et décoinçait ses tristes articulations. Les meubles étaient tous excités par l’arrivée d’un véritable gentilhomme entre leurs murs. Ils couraient d’une porte à l’autre à la recherche de coussins, d’un ou deux nectars de qualité et d’un quelconque instrument dont ils auraient pu connaître quelques morceaux. Le tapis, avec ses yeux vieux et plissés, tentaient d’épousseter, à coups de brosse, le carpette.
La commode en bois ancien, rasait sa forme meublée à la recherche des dernières échardes, s’« attifant » de livres vieux, poussiéreux mais pompeux.
L’horloge se pomponnait avec de tout nouveaux rouages qui embelliraient le son de ses grandes aiguilles. Le fauteuil s’écroulait sous les coussins de soie tant cherchés, et les portes se redressaient jusqu’à leur fossette du menton. Les murs n’avaient jamais eu un plâtre et des boiseries aussi étincelantes.
Alors que l’horloge chérissait la chance qui lui était accordée, celle de réhabiliter la pièce qu’elle servait ou d’au moins la quitter en bonne dû et formes, quelqu’un toqua à la porte.
Elle fut alors prise d’un instant de stress passager. Et si elle enterrait sa carrière de meuble en voulant la sauver ?
Ses muscles se tendirent puis gonflèrent dans son cadran. Un de ses rouages dérailla à l’intérieur et elle fut frappée d’une indisposition intestinale. Sa machine s’enraya, et des tournis donnèrent à son stress l’impulsion nécessaire ! Elle courut se cacher derrière un rideau sous l’œil de ses collègues.
- Tu as intérêt à retourner à ta place, gamine.
Le vieux fauteuil avait articulé ses mots avec raideur et arthrose. Ses joues tombaient sur l’ossature de sa mâchoire et son nez chutait sur le bout, comme une grosse cerise.
- Non ! s’opposa l’horloge.
- Retourne à ta place sale gosse, cria la bibliothèque avec sa voix nasillarde. Ou je viens t’y flanquer avec des verges !
- Contrairement à vous, vieux croulants, j’ai encore, moi, un futur à la cour !
- Ah oui ? Où ça ? Derrière Pierre ?
Pierre, le rideau, la repoussa à sa place à côté de la commode. Celle-ci, se fendit d’un sourire narquois, et lui exposa sa pensée :
- Pense avec ta tête Clockdie, pas avec avec tes aiguilles ! Où irais-tu sinon qu’ici ? Sans l’appui d’un noble, personne ne viendra nous sortir de ce trou.
- Écoute-la, petite. Ce seigneur est le seul qui puisse réhabiliter la pièce. Et nous avec.
- Pardonnez-moi ? s’impatienta un homme à travers la porte tandis que cette dernière bloquait son entrée de toutes ses forces.
- Bouge-toi, gamine ! cria la porte opposant son poids à celui du gentilhomme.
Elle ne tarderait pas à plier. La porte, en tant que meuble d’une pièce déchue, n’avait aucune obligation à obéir à une « incantation-de-service ».
En revanche la bienséance et la hiérarchie l’y forçait. Et l’horloge qui se cachait dans les velours de Pierre ! Elle allait lâcher.
L’horloge vit les boulons de la porte s’affoler. Elle fit le choix de rester cachée, mal cachée vu son gabarit.
La porte perdit conscience quelques instants et lâcha. Elle s’ouvrît alors sur un novæ et le sténographe qu’il avait sur le dos.
Une fenêtre cessa de respirer.
Le gentilhomme, aux bottes à talon et au sourire de fouine, entra. Ses traits étaient plissés comme du papier froissé.
L’entièreté de son visage, yeux, nez, bouche, tout était écrasé au centre de son visage.
Ses joues bien pulpeuses n’avaient ni ossements ni même une petite pommette pour rattraper les dégâts. Il avait néanmoins des yeux en alerte et le verbe facile.
Il se tenait trop droit et rentrait son derrière bien plat, mais même ainsi, il avançait d’un pas certain. Il avançait en canard certes, mais avec certitude.
Il savait ce qu’il venait chercher.
Il s’essuya poliment les pieds sur le petit paillasson encore jeune, et l’enjamba. Un accent d’anguille sur la langue, il déclara :
- Mes salutations à vous, mes serfs. Je cherche l’horloge ?
Impossible de discerner combien il pouvait être énervé par l’attente, il crachait les voyelles comme une mauvaise chique, c’était incompréhensible.
D’ailleurs dans la pièce, personne n’en saisit un traître mot, aucun n’avait l’habitude d’un tel patois.
- Pardon ? Mon-sieur ? décomposa la bibliothèque avec un air insolent.
Les portes et les murs pouffèrent, habitués à l’humour de Berthe. La bibliothèque fière de son effet, se dandina de ses fines hanches et se posta devant le gentilhomme. Ses mains mates à l’odeur boisée et aux ongles bleu gendarme le pointèrent du doigt.
- Qui êtes-vous monsieur ? demandra-t-elle avec un air plus mielleux que vraiment poli.
L’horloge, se redressa derrière Pierre, et fit signe à Mariann, un petit tabouret, de s’approcher. Ses rouages lui mettaient les intestins en lambeaux et déchiraient son reste de confiance au fur et à mesure. Elle observait au désespoir, la bibliothèque qui tentait de distraire l’invité avec toutes ses farces et ses arrogances.
Mariann se décala vers la gauche, et sur la pointe des pieds s’avança près de Clockdie. Il dévissa le verre qui protégeait sa pendule et y fourra sa tête sans plus d’élégance.
Et alors que la bibliothèque installait l’homme sur le fauteuil, qu’elle l’enfonçait dans les coussins, et que le fauteuil crissait de ses vieilles articulations, Mariann remonta brusquement les rouages de Clockdie. Celle-ci étouffa une plainte, et une injure adressée à son horloger, avant de se cogner la tête. Elle se redressa ensuite et chassa d’un geste distrait Mariann. Ce dernier rasa les murs vers la droite jusqu’à avoir repris sa place, non sans obstacles sur la voie.
Prête à faire face à un seigneur, un gentilhomme de noblesse tout de même, elle envoya valser les étoffes de velours de Pierre et s’avança.
- Monseigneur, entama-t-elle la conversation.
Celui-ci se détourna de la bibliothèque, la dévisagea, puis regarda le rideau, et bien qu’amusé, n’en laissa rien transparaître.
- Oui ! Vous êtes l’horloge, je crois ?
- Que peut-elle être d’autre avec ses aiguilles ? grogna le fauteuil, toute sa mauvaise humeur coincé dans son siège.
- Silence Jamie ! siffla la bibliothèque, attroupée avec une fenêtre auprès de la porte d’entrée.
La bibliothèque éventait celle-ci d’un geste investi et réussissait à foudroyer le fauteuil en même temps.
L’horloge mortifiée par leurs comportements, plongea dans une révérence et baisa le pied droit de l’homme. Ce dernier fit mine de l’aider à se relever et lui offrit sa main. Consternée par l’honneur que ce seigneur lui accordait, l’horloge se remémora toutes les règles lorsque l’on baisait la main d’un supérieur. Les meubles l’observaient tout aussi abasourdis, et le fauteuil, avec un regard envieux, remercia Lux pour cette distinction. C’était un pas excellent, pour ainsi dire un pas béni, vers la réhabilitation de leur pièce.
L’horloge plissa ses lèvres avec un air malhabile, et posa celles-ci sur la bague du seigneur. Il lui sourit. Il se pencha vers elle, lui et son nez pointu, et lui chuchota en confidence :
- Je ne suis pas un « monseigneur » ma chère, mon oncle est archiduc, pas moi.
L’horloge, le fauteuil, et toute la pièce rougirent ensembles. Confus la bibliothèque balbutia. Ils étaient sur le banc de touche depuis maintenant si longtemps qu’ils ne connaissaient plus même les termes appropriés aux rangs. Quelle humiliation ! Pierre, déjà rouge par son velour, devint écarlate. En une phrase, il était redevenu un provincial sans la moindre instruction sur l’étiquette.
Le jeune gentilhomme sentit l’ambiance s’empuantir de honte et s’empressa de poursuivre :
- Mes aïeux ! Il n’y aucune honte à avoir, c’est une confusion habituelle pour la domesticité.
Mais ça ne l’était pas. Et tous le savaient. Il sentit que ses paroles, teintées d’une hypocrisie rassurante, n’avaient pas eu l’effet escompté.
Alors l’homme se présenta officiellement, espérant remettre la conversation sur les rails qui l’avaient conduites ici :
- Je suis Athanas[sich], journaliste du Prusse Presse en prose et comte d’Obiensich. Vous pouvez vous adressez à moi en tant que monsieur d’Obiensich.
L’horloge acquiesça toujours effarée par sa propre erreur, prête néanmoins à oublier, mais sous les fesses de monsieur d’Obiensich, le fauteuil Henry, n’en démordrait pas.
Monsieur d’Obiensich décrocha la sangle qui maintenait son sténographe au dos, et le déposa avec une délicatesse amoureuse sur la petite table devant lui. Cette dernière rapprocha sa forme-meublée près de monsieur d’Obiensich, et commença à passer le chiffon sur le sténographe. C’était son attribution professionnelle : prendre soin de la table et de tout ce qui était dessus.
Mais monsieur d’Obiensich l’arrêta et la remercia en la congédiant. Celle-ci, bourrue et insultée, reprit conscience à l’intérieur de la table, boudant avec excès.
Monsieur d’Obiensich conscient de son faux-pas, s’excusa du regard et n’en fit plus grand cas. Quand bien même, la table, elle, bouillonnait de rage, injustement congédiée alors qu’elle nettoyait ce sténographe avec tant attention !
L’horloge, elle, qui savait l’état dans lequel était la table, sentit une migraine percer l’arrière de son crâne. Soudain, alors qu’il parlait depuis longtemps, et malheureusement elle ne pouvait l’interrompre, monsieur d’Obiensich aborda enfin un sujet digne d’intérêt :
- J’ai reçu votre lettre sur l’état de votre pièce et son traitement. Il se trouve que j’ai été témoin au procès qui a suivi le crime de ce meuble. Ça a fait la une des journaux !
- Oui, j’ai moi-même lu l’un de ces derniers, monsieur d’Obiensich. Quel talent pour la plume !
- Mais ?
- …
- Parlez ! Ne sommes-nous donc pas là pour négocier ?
- Eh bien, puisque vous en parlez, depuis ce procès, notre pièce est désignée comme pièce « mal servie » et en tant que telle elle est condamnée. Nous ne pouvons donc pas changer de quart ou servir qui que ce soit.
- Je vois.
- Alors voilà : je souhaiterais vendre mon histoire au « Prusse Presse en prose » contre un nouveau poste hors de ce panthéon. J’ai besoin de voir du pays. Et je demande à ce que la pièce soit officiellement réhabilitée en tant que pièce du commun. Nous travaillons dur pour la plupart et un service correct est tout ce que nous demandons.
- Avec pour vous une petite promotion.
- Je suis arrivée après monsieur ! Je n’ai rien avoir avec ces événements malheureux et je refuse de laisser voir mon beau service gâché auprès de vieux meubles dégarnis !
- Eh ! s’exclamèrent l’assemblée de concernés.
- Je vois. Bien je ne peux pas vous promettre grand-chose, mais pour votre promotion, vous l’aurez ! Mais ne vous attendez pas non plus à un service chez une hétaïre !
Quant à la réhabilitation de cette pièce je verrai. Mon crédit n’est pas au mieux en ce moment.
Mais j’ai un ou deux amis qui pourraient vous muter dans d’autres pièces. C’est tout ce que je peux vous offrir pour votre petite histoire, peu de courtisans par les temps qui cours s’intéressent à des histoires de chiffonniers.
- Je vous raconte l’histoire de cette pièce, ensuite vous en faites ce qu’il vous plaira.
- Nous sommes d’accord. Et puis il est possible que cela fasse à cette pièce une petite publicité. Ce ne sera de trop ni pour moi, ni pour votre précieuse pièce. Mais ce sera probablement tout. Nous sommes-nous compris ma chère ?
- Parfaitement, monsieur d’Obiensich.
Elle était satisfaite. Elle mis son temps de narration au rythme de ses aiguilles, et s’embarqua dans une autre époque, qu’elle ne connaissait que par ce qu’elle en avait entendu. ]
Cet acte de narration suivait les tics, les tacs et les "dongs" de l’horloge céleste.
L’horloge plaçait pour la première fois, son aiguille sur l’ère Absent. Chaque ère portait le nom du Tuteur du Roy qui était nommé durant celle-ci. Or une place était libre dans tutorat royal et les deux factions de la cour lorgnaient la charge, plus que lucrative et d’une influence considérable. Tous se hâtaient de se rendre là où il fallait se rendre, se pressaient pour être vu là où il fallait être vu et alternaient ces moments requis par la bienséance avec leurs propres occupations professionnelles.
Les temps célestes se distribuaient ainsi : celui de la domesticité se divisait en quart de journée, et celui des courtisans se divisait en moitié.
Les deux moitiés d’une journée étaient chacune baptisées « équinoxe ».
Chaque quart, le service des domestiques et de tout le petit monde des Coulisses changeait. C’était comme un roulement, et les factions domestiques n’avaient pas les mêmes tâches ou les mêmes courtisans à servir en fonction des quarts.
Chaque domestique avait sur une journée, un quart de repos.
D’après l’horloge, une journée céleste équivalait à deux siècles.
Le premier équinoxe correspondait aux impératifs professionnels, académiques et sociaux, le second équinoxe servait aux divertissements, aux fêtes et aux bals des antichambres, à tous les spectacles et représentations. C’était le réconfort après l’effort.
Tic.
« Les petites mains »
Meria était une lingère de premier ordre. Elle avait travaillé chez les plus grands : Dame Athénaïs, Roostl Tuteur de l’Omniscience Papie, la modiste Melaniaï, tout ce beau monde avait été parfaitement satisfait. Meria recevait toujours des lettres de remerciements de leurs gouvernantes pour ses services.
Bien sûr ce n’était pas les maîtres eux-mêmes qui reconnaissaient son travail mais les vrais héros ne faisaient guère le bien pour les récompenses.
Parlant justement de récompenses, ces derniers temps le pécule s’était fait rare et Meria s’était vu obliger d’abandonner ses anciens maîtres pour un service plus lucratif.
Et quel service ! Mademoiselle Flor de Nyæ. Sa demeure était pour tous le saint des saints, et chacun des courtisans qui y avaient ses entrées, étaient des gens du monde de grande importance. Ils avaient tous grâce à elle, une promiscuité auprès du Roy et en étaient grassement remerciés.
Elle soufflait pour ainsi dire le chaud et le froid dans l’Épicentre, et elle avait l’oreille du Roy. Ce n’était pas juste une hétaïre, c’était une sultane.
Actuellement Meria logeait dans les combles, chez une amie, Piaule, qui servait l’Intendance. Elle avait donc droit à un logement fourni dans le Grand Commun, dans les Coulisses.
La maîtresse de Piaule était rentrée sur ses terres pour l’hiver, elle ne supportait pas les climats hivernaux de la cour, et son amie lui avait donc cédé sa chambre au prix raisonnable de deux soles pour le millénaire.
Mais le millénaire touchait à sa fin et Piaule ne tarderait pas à revenir. Aussi Meria avait donc vendu ses services et sa personne à la demeure de la sultane, dans le panthéon coquin.
C’était sa première fois dans ce panthéon, Meria n’avait pour justifier sa présence, qu’une petite perle cousue à son uniforme. Celle-ci indiquait qu’elle était la propriété de la sultane.
Lorsqu’elle pris le chemin des domestiques, dans les Coulisses, vers le panthéon coquin, Meria fut stupéfiée par la vitesse de chacun, tous dans leurs pensées, en train d’essayer de se remémorer les tâches qu’on leur avait confié. Ils étaient tous vêtus de très élégants uniformes mais leurs visages étaient ravagés par un air anxieux et des nerfs hypertendus.
Beaucoup des installations dans ce coin des Coulisses étaient chics, laquées et incrustées de doré. Les machinistes avaient même fait construire des poutres en plâtre et en bois, qu’ils avaient peints pour faire un trompe-l’œil semblable au marbre. Les toits étaient plats, et les seules coches qui traversaient le Grand Commun, portaient des objets d’une ridicule inutilité destinés seulement à l’œil des maîtres.
Tapis, carpettes, satin, velours, soie, or, argent, pendules, canapés, chacun passait avec son lot de bibelots sur le dos ou dans son chariot sans une seul complainte.
C’était ahurissant. Les pauvres bougres n’avaient pas même le temps de plaindre leurs sorts.
Tac.
Grande et mince, Lary vivait en Épicentre depuis aussi longtemps qu’elle en avait souvenir.
Elle avait les chevilles arquées, le pied grand et le nez bref. Ses cheveux étaient assez épais et peu importe la taille, sa livrée était toujours trop serrée à l’épaule droite. Elle s’était soupçonnée légèrement bossue et dictée par de telles suspicions, avait consulté.
Elle n’était pas bossue. Du moins pas plus que la moyenne. Elle était ressortie bredouille de chez l’apothicaire et depuis, le tissu léger dans lequel était taillé sa livrée, lui appuyait toujours comme un petit diable sur l’épaule.
Elle était femme de chambre d’un brave homme, vieux comme ses dessous, et la bouche puante dû à une défiance pour les diafoirus.
Par de tels élans de bravoure, son ichor circulait mal, bouillait à certains endroits, et pourrissait dans des biles jamais regardées par quelconque médecin.
Malgré son hygiène de vie déplorable, il était bon de cœur et peu exigeant.
Lary ne se plaignait pas de ce petit homme. Personne d’ailleurs dans ses domestiques ne s’en plaignait ! Il était bon homme.
Ses enfants en revanche étaient des purs produits de la Cour. Inconstants, exigeants, et jamais couchés, tant ils passaient leur temps à faire le pied de veau sur le passage des plus médiocres courtisans.
Leur constellation était respectable parmi tant d’autres, et comme toutes les autres, rien ne les démarquaient de la masse d’aristocrates de l’Épicentre.
Monsieur Ræll, c’était le nom dont était baptisé le vieil homme, avait abandonné tout effort sur sa traduction et ignorait depuis, l’œil réprobateur de sa constellation qui ne lui accordait plus que les égards dispensés à un fou.
Il buvait des nectars de toutes qualités et cela tous les quarts, se laissait protéger par un vague cousin d’une quelque éminente figure et ne sortait dans sa journée que pour se rendre chez d’importantes personnes, routine qu’il ne pouvait éviter, et à qu’il présentait ses respects.
Sa routine était la même chaque jour et il n’était que rarement dérangé. L’existence auprès de lui était, ma foi, paisible et redondante.
Il vivait dans le Manoir Nyæ, dans un couloir où ne soufflait jamais la faveur, seulement le confort de l’habitude, et avait dans son petit appartement une décoration moderne avec des poutres et du faux marbre qu’il devait à la folie des grandeurs des Nyæ.
Lary, ce jourd’hui, avait pris son quart de repos dans la petite garde-robe. Monsieur Ræll les autorisait à prendre leurs quarts de repos dans son appartement, ce qui leur évitait de rejoindre les Coulisses où aucun n’était jamais tranquille.
Elle avait économisé depuis trois étrennes pour pouvoir se payer un disque. Elle se jouait une symphonie avec trois femmes de chambre dans la garde-robe. L’une fumait tabac toute la journée et en sentait l’odeur âcre. L’autre s’était avachie sur un coussin et avait déposé ses tout petits pieds sur un tabouret auquel il manquait un pied. La dernière, jouait avec le brouillard de cheveux, tout en frisottis et châtains, dissimulés sous sa coiffe, et elle s’éventait de ses deux mains, suffoquant sous la chaleur.
Soudain celle à la tabatière rabaissa ses jupes et rajusta son palla, l’enroulant autour de ses hanches.
« - Mimi, repoudre mes boucles avants veux-tu bien ? demanda-t-elle à son amie toujours tranquillement étalée sur son coussin.
Celle-ci se passa la main sur le visage pour se réveiller et peina à se relever. Une fois sur ses deux courtes jambes, elle s’approcha de « mademoiselle-tabatière » et chercha dans les poches en jute cousues entre ses bas. Elle en ressortit un petit pot à poudre. Elle s’en tartina sur les mains et réarrangea les boucles qui s’étaient aplaties. Elle les regonfla un peu.
Lary, exténuée, finit par se relever aussi. Le quart allait bientôt se finir. Aucune ne voulait tomber nez à nez avec une dame ou un gentilhomme lorsque l’espace changerait. Et les meubles étaient pire commères que ces grosses dindes de lingères ! Hors de question qu’une porte d’un autre service les rapporte.
La dernière, plus réticente à se lever et à se rhabiller, dut être tirée de sa petite couche. On lui resserra sa coiffe pour lui éviter d’avoir trop chaud avec, et on regonfla ses bruns cheveux. Elle était encore récente dans le coin.
Lorsque le quart toucha à sa fin, elles s’étaient sorties de la petite garde-robe, et elles passèrent à quelques mètres de leur maître, effondré sur une chaise, le souffle puant de son haleine se portant vers le coussin qui soutenait sa tête, sa vieille perruque passée de mode déjà sur le sol, et le verre de nectar vide.
Elles avancèrent dans le petit salon, tapissé d’anciennes œuvres d’art qui fût un temps valaient un petit quelque chose. Elles dépassèrent un buste qui taillait le portrait d’un homme presque séduisant qui ne pouvait être monsieur Ræll ! Puis elles se glissèrent derrière un cordon de satin destiné à sommer la domesticité, celui-ci dissimulant un monte-plats. Apparemment monsieur de Ræll avait fait monter plus d’un verre.
Mais ce n’était pas leurs affaires. Elles prirent enfin la porte destinée aux Coulisses, qui se cachait derrière le piano et face au regard intrigué que leur lançait la porte, elles adoptèrent en un instant un air pet-sec qui croulait sous leur œil condescendant.
La porte n’osa poser une question.
Sûr que les dindes de la lingerie auraient vent de cet épisode !
Elles entrèrent alors, par la porte, qui garda pour une fois le silence, dans les Coulisses. Celles-ci étaient cent fois plus hautes que le petit appartement de monsieur Ræll. Un commis les bouscula sûr d’être châtié par sa maîtresse à qui il cherchait un bas de soie depuis ce début de quart, un laquais manqua de les tâcher avec son seau, plein d’eaux usées, deux machinistes se trouvaient bientôt en retard pour le quart suivant, et durent marcher sur le pied d’une couturière.
Lary emprunta alors le pas pressé des Coulisses et bouscula un homme, qui fut renversé par le cheval d’une diligence.
Elle n’arrêta pas une minute son regard et écrasa un pied voisin en empruntant un couloir. L’homme renversé, lui cracha au loin une suite d’insulte, avant de les maudire quand ses collègues passèrent :
« - Foutues femmes de chambre avec leur bâton mal coincé ! »
Mimi, celle au petits pieds, arrêta un va-à-faire qui vendait quelques papiers du quotidien. L’encre lui collait encore aux doigts et il défroissa son journal, qui portait une odeur de papier relativement frais.
Lary sortait déjà par un passage, tandis que « mademoiselle tabatière » empruntait avec une foule empressée le prochain monte-charges, qu’un cintrier descendait. Dans la hâte, la dernière de la troupe avait été égarée, et Mimi fourrait déjà son pamphlet dans une poche arrière.
« - Ààà la clai-re fon-tai-ne
m’en all-ant pro-me-ner, j’ai trou-vé si be-lle que je m’y suis bai-gné. Y-a long-temps que je t’ai-me ja-mais je ne t’ou-blie-rai ! »
Un groupe de femmes aux cuisses lourdes, aux beaux cheveux séchant au vent, aux vêtements trempés et à l’œil vif, chantaient et braillaient sans une quelconque harmonie, des chants appris par cœur.
Elles semblaient se repaître de l’heure chaude qui frappait la longue fontaine du couloir. Elles y trempaient leurs linges et le battaient avec d’ingénieux mécanismes faits de bois et de roseaux. Une fois le linge trempé et savonné, elles laissaient sécher sur les rebords et s’asseyaient tranquillement sur le sol chaud et poussiéreux. Là elles s’y racontaient milles histoires qui parfaisaient leurs rires, et leur soulevaient la poitrine hilares.
La fontaine auquel de laquelle elles s’étaient attachées, étaient longue, très, longue. Elle avait une mosaïque qui faisait les rebords, et donnait une vague de couleurs, du plus foncé au plus clair, de l’extrémité du rebord, à l’intérieur de la fontaine.
Tic. (II)
IIème Dimension : la dimension Aphro
La diplomatie interdimensionnel était généralement d’une vulgaire facilité à manager. Les dimensions étaient trop larges pour que leurs habitants se soucient d’autres querelles que les leurs.
Les ambitions dévorantes n’étaient jamais limitées par le manque d’espace.
Et le nombre de dimensions était par trop vague pour que l’on n’en connaisse d’autres noms appris à l’école que les deux-trois dimensions voisines à la sienne.
Il était déjà embarrassant de noter correctement le nombre approprié de dimensions principales, alors si l’on se perdait dans les secondaires, et les dimensions plus reculées des secondaires, puis les tierces dimensions, puis les… bref on n’en finissait plus.
Il était impossible de s’en sortir. La grande Institution des archives considérait cette vaste étendue de dimensions comme un facteur embarrassant. Il était impossible d’en comptabiliser chaque dimension, et les astres de chacune de ces dimensions.
Il n’empêchait que la gérance de l’interdimensionnel était aisée à prendre en charge.
Il suffisait de ne pas s’y pencher de trop près sur l’administration, et, de laisser les petites gueguerres internes aux « factions de peu d’importance » qui en avaient la souveraineté.
Chaque dimension était indépendante de sa voisine mais était aussi le reflet, du reflet, du reflet, d’une autre dimension, elle-même reflet, d’un reflet, d’un reflet, d’une dimension dont elle ne connaissait rien.
Les dimensions principales actaient la majorité des drames, guerres et intrigues, car elles entouraient de près l’entité souveraine.
Les dimensions principales gravitaient dans l’atmosphère du Lux : c’était un être éternel, à la racine de tout.
Lux n’avait ni commencement, ni fin, juste une éternelle évolution. Iel se développait, trônait dans son univers depuis toujours et n’avait comme préoccupation que sa propre personne.
Tout-puissant, unique et narcissique, il était le centre de toutes les lois physiques ou philosophiques. Ce qu’iel disait, était justice, et où iel se trouvait, était milieu.
Il était le point de repère de l’univers.
Avec ça, Lux n’était fait que de vanité et de bien d’autres plaisants attraits. C’était un bien beau modèle que ce dieu pathétique.
Chaque initié avait sa place dans son entourage et l’on ne s’en détachait pas. Le reste de la cour y veillait.
Une fois ta place attribuée selon ton rang et ton potentiel, tu n’en bougeait plus autrement que par locomotion de l’intrigue. Celle-ci pouvait te monter bien loin, tout en pouvait lâcher ses rails et t’entraîner dans sa chute.
Qui était avertis ___________ .
Le management de l’espace et du temps étaient bien pris en main, et les coulisses ne lâchaient jamais du moindre lest. Le climat demandé pour aujourd’hui avait eu sa première requête il y avait maintenant un millénaire : oui, l’occasion qui se tenait aujourd’hui et qui requérait un climat exigeant, était en projet depuis plus d’un millénaire.
La première des requêtes climatiques n’était pas de près l’avant-dernière. Plusieurs messages avaient été envoyé et il avait finalement fallu faire appel aux hautes relations pour obtenir gain de cause.
Le temps devait être parfait. Il l’était. La dot devait être procurée et les termes du contrat scellés. La dot tintait le bon nombre, et l’encre du contrat avait été repassé.
Une dame des ordres devait honorer de sa présence, deux apprentis bénévoles devraient être comptés, et un membre respectable d’une des familles, secondé par son don de vision aurait la charge d’explorer les avenirs. Tout avait été pris en main.
Toute la cour approuvait cette coutume et tout l’Épicentre acclamait déjà les principaux concernés.
Ceux-ci étaient déjà prêts pour leur titre et cette nouvelle alliance. Ils s’entendaient et ladite entente remontaient à leurs premiers Tournois. Il n’avait ma foi pas toute sa tête et elle n’était pas connu pour sa douceur de caractère, mais il était établi comme l’héritier d’un archiduc et elle possédait une fortune conséquente. Du reste on s’accommoderait !
De tous ses prétendants, Medirgane l’avait choisi lui. Neveu direct de l’hétaïre et dame en titre, Mademoiselle Flor de Nyæ, il portait cette inimitable paire d’yeux bleus qu’on ne reconnaissait qu’à leur famille.
Il lui avait attaché un regard et depuis elle ne voulait plus en démordre. Ce serait lui. La famille de Medirgane avait soumis la demande au conseil de sa Maison, et elle avait été acceptée. On avait tâté le terrain auprès de l’archiduc Monim, il avait dissimulé son enthousiasme derrière un drap de dignité ridicule qui avait bien manqué de faire faillir toute l’opération. Mais tous souhaitaient voir ces deux jeunes novæ, en toute chose très prometteurs, allier leur savoir familial et leur patrimoine.
Nul doute que ceux qui aurait su sentir le sens du vent, sauraient se présenter auprès de ces deux-là pour d’alléchantes alliances subordonnées !
Melior[ mich] donc était héritier d’un archiduc. Medirgane avait un grand nom, un savoir familial conséquent et la fortune qui y était associée.
Melior[ mich] avait une charge à la cour, reprendrait un jour celle qui venait avec le titre d’archiduc, et pourrait ainsi passer la sienne à un héritier désigné par sa Maison. Tout était en ordre.
Et les conditions climatiques étaient réussies.
Maintenant il n’y avait plus qu’un soucis pour celle qui serait bientôt part intégrante du monde : trouver Melior[ mich].
Elle apprêtait ses plus beaux poinçons d’or dans ses cheveux lorsque qu’à la porte, quelqu’un gratta. Sainte-Madeleine dû abandonner son ouvrage et s’occuper de l’impromptu visiteur. Près du passage portier, elle claqua deux fois des doigts et chercha le regard de la porte. Celle-ci s’exécuta et ouvrit ses battants. Devant, un petit ramoneur des coulisses déglutit. Il se tritura, mal à l’aise, la petite mèche esseulée qui se trouvait à l’avant de son crâne.
« -Eh bien ? s’enquît sèchement Sainte-Madeleine. Qu’y a-t-il ? »
Les gants effilés du ramoneur l’irritait. Quel malpropre pour traiter si mal sa livrée. On prenait soin des affaires qu’on nous donnait lorsqu’on était bien élevé.
Et voilà maintenant que le petit ne voulait pas parler.
Elle avait la surveillance de celui-ci en mentorat et il ne semblait lui apporter que des ennuis ainsi que des façons bien cavalières.
-C’est monsieur [ mich], ma sœur. Il… eh bien… hum… il s’est… hun ! …égaré.
-Égaré ? chuchota-t-elle soudain, s’abaissant vivement du dos. »
Sainte-Madeleine inspira agacée. Qu’avait-il pris à madame Medirgane d’associer son nom à cet individu ? Il était du plus mauvais goût pour le nom de la famille, que cet imbecile joue à cache-cache mitoulas quand toute la cour était déjà au parfum de l’alliance !
Si la situation s’était présentée plus tôt elle aurait fait annuler ce projet et remis aux aînés de la famille les idées en place ! Mais voilà, elle n’en avait été informée que trop tard et elle tentait déjà de résoudre un incident causé par un autre membre problématique de la famille.
Et Medirgane avait su organiser ça dans le secret en invoquant la clause de confidentialité associée à une coutume d’alliance principale. Aussi tout ça s’était fait sans l’accord de Sainte-Madeleine et si cet accord échouait présentement, la famille se verrait la risée de la cour, et Sainte-Madeleine aurait failli. Elle serait aussi la disgrâce du moment dans la société angélique, et ça il n’en était pas question !
Tout ça à cause d’une cervelle de poireau attendrie par les premiers yeux doux passant ?!
Elle ? Déshonorant ses dignes ancêtres ? Tous avaient trop à perdre.
Galvanisée par l’horreur qui se pressentait dans sa situation, le visage devenu rouge et l’expression crachant « Prends garde » au regard, elle frappa la main du petit qui se triturait maintenait le bout du nez. Elle lui postillonna jusque dans les yeux sa façon de penser et après deux claquements de doigts furieux, la porte se referma toute confuse. La porte évita le regard d’acier de sa maîtresse qui assistait à la scène, et se tint dans la position la plus immobile possible.
Son avatar maigrelette avec toujours la main sur la poignée, elle remerciait le ciel de l’avoir fait meubles et pas domestique. Ses fonctions se résumaient au service de tout meuble : elle était une porte de chêne joliment taillée dont son avatar physique lui ouvrait les battants chaque jour. Tout ce qu’elle avait à faire c’était d’être la porte.
Et de là où elle était, elle voyait tout. Les conflits, les galanteries, les complots. Elle était très importante !
Et elle discutait avec des amis différents chaque quart. Ils se racontaient tout et se disaient à bientôt quand le quart touchait à sa fin. Quelle vie !
Là, lorsque Sainte-Madeleine la referma, elle su qu’elle avait de la chance de ne pas être madame Medirgane, aussi puissante qu’elle était !
Avec sa mémoire, elle aurait, à la suite de ce conflit, des souvenirs à raconter à ses amis du prochain quart, et même durant le quart d’après. Parce que madame Medirgane était peut-être qui elle était, mais il ne fallait pas chercher Sainte-Madeleine, et ça même madame le savait :
« -Madame il me semble que j’ai une nouvelle pour vous, dit Sainte-Madeleine en faisant mine de.
Gardant la contenance d’un arroseur point encore arrosé, Medirgane ne lui décocha pas un regard. Elle avait fixé ses cheveux avec les six poinçons d’or que Sainte-Madeleine aurait dû lui accrocher, et empruntant son attitude sur le collier dont elle s’était parée, elle prit la nouvelle fièrement :
-Ah ? Et qu’est-ce ?
-Madame votre allié s’est envolé. Savez-vous par conséquent où pourrait-il se trouver ?
Medirgane se retint de glousser. Elle savait où il était son allié. Et elle savait même précisément dans quel nid le trouver. Mais Sainte-Madeleine avait de ces humeurs si grinçantes que Medirgane ne pouvait résister.
Elle allait clouer le bec au chaperon et s’assurer que celle-ci n’oublie plus jamais à qui elle parlait !
Tac.
Anabris faisait en humaine un bon mètre quatre-vingt et paraissait géante à ses congénères car elle avait de larges hanches et des épaules très fortes. Elle avait aussi un joli bidon brun avec un grain de beauté, et des cuisses plus épaisses que ses chevilles.
Ses cheveux étaient coupés à la garçonne, elle avait de petites boucles qu’elle tenait de son père, elle avait aussi ses yeux noirs et sa peau cuivrée.
Elle portait sur son visage un nez aquilin presque busqué, plutôt comme un bec, qu’elle tenait de sa mère, et des pommettes trop hautes. Sa tête était de forme très angulaire et son menton, lui, tout rond avait de petites taches roses.
Elle était plus grande que grasse mais gardait une chair bien vive au niveau des hanches. Certains aimaient, d’autres n’aimaient pas, mais ses danses traditionnelles familiales se constituaient exclusivement de hanches roulées, de cuisses bien musclées, et de bras légers tout gracieux. Elle avait donc une habilité naturelle à se déplacer comme un aigle, en vitesse et à l’affût.
Elle était vu par ses contemporains célestes comme très belle, et bien que la majorité des poètes qui avaient déclamés ses splendeurs en prose aient été sous son parrainage, même ses ennemis les plus durs lui reconnaissaient un charme et une beauté similaire à celle de sa mère.
En revanche pour le caractère, ce n’était que du Lux. Paresseuse et vaniteuse de sa propre beauté, avec un penchant pour l’hypocrisie qui frôlait la franche malhonnêteté, et l’orgueil bien trop connu des êtres éternels, elle était un composant qui inspirait l’antipathie au plus indulgent des courtisans.
Elle avait toujours eu le soutien de son père qui se flattait de sa ressemblance avec lui, et qui appréciait le portrait désastreux qu’on lui en décrivait. Quand elle était capricieuse, il comblait, quand elle était moqueuse, il s’exclamait, quand elle trompait et mentait, il riait. Sa mère, loin, trop loin, ne faisait rien pour modifier la vilaine nature de sa fille, et ne pensait qu’à ses propres soucis. Le Roy comme on l’avait dit, ne faisait que rire et caresser à ses mauvais penchants, pendant qu’elle était trop puissante pour être remise à sa place et trop gamine pour espérer une quelconque remise en question de sa part. En un mot, les courtisans la décrivaient comme une calamité.
Elle n’aimait rien comme avoir une cour prêts à subir, commettre et engranger tous les excès mais surtout tous ses excès.
Elle dansait comme si elle avait eu deux pieds gauches et attendait des applaudissements dignes d’un artiste talentueux. C’était une torture à subir que de voir une telle déesse se perdre dans les flatteries et remercier à peine, comme si elle les méritait.
Elle buvait plus de nectar que trois courtisans étourdis, et se jetait sans aucune manière sur les mets qu’on apportait aux tables royales. Elle n’était rien là-dessus comparé à son frère aîné le terrible F qui en plus d’être un goinfre, n’estimait personne assez digne de son rang pour souper avec.
Elle dormait plus que l’Omniscience Anriane, jouait peu plutôt par paresse que par vertu, et entretenait sa beauté par des recettes miracles qui lui coutaient des sommes furieuses.
Pour prendre congé de ce désastre sur pattes durant quelques temps, son frère avait décidé de lui faire offrir par leur père, un bien joli bien, un peu éloigné, assez grandiose pour y abriter une Omniscience bien que fort sobre dans ses couleurs.
Le bien était d’une hauteur phénoménale, aussi triangulaire que le visage de sa propriétaire, d’un noir grisâtre, et était constitué d’étages qui, vus de l’extérieur, ressemblaient à de grandes marches successives venant du haut et du bas, de l’Ouest et de l’Est, et qui se rejoignaient au milieu, où s’y trouvait un château.
L’Omniscience Nothamiel, content d’être loin de sa sœur pour un temps, lui fit fournir tout ce qu’elle exigeait par la Maison de l’Auréoyle. Elle fit ses bagages, la fleur au fusil, inconsciente de son propre exil temporaire.
Depuis elle y était restée comme une moule à son rocher, refusant de revenir à la cour pour on-ne-savait quelles raisons et mettant dans l’embarras son frère qui n’avait pas prévu de voir l’héritière de Nihil et sa propre sœur établir ainsi ses quartiers indéfiniment.
Jusqu’à aujourd’hui, l’Omniscience Anabrisiæ, tenait forteresse dans son cadeau empoisonné qu’elle avait baptisé : la Mosaïque.
Seuls une poignée d’initiés y avaient leurs entrées et l’on mourait de savoir ce qui se cachait derrière ce gros monument grisâtre, pyramidale et sans dessus dessous.
Sa seule sortie du solstice était pour fêter Lux-sait quels événements fêtaient les éternels dans la Ière Dimension.
Et en attendant, l’Omniscience Nothamiel n’avait plus vu son père lui adresser la parole, l’exil de sa sœur lui valait actuellement une disgrâce émotionnelle.
Fyls du Roy, il envisageait de rendre visite à sa mère dans le Néant avec la permission des Tuteurs du Roy.
Un tour pour présenter ses respects à la Grande-Mère première Tutrice du Roy, dans une dimension mineure, à l’autre bout de l’univers aurait été aussi en projet. En ces jours, l’Omniscience A. séjourne chez la Grande-Mère car iel prévoyait une visite inopinée chez son amant.
Celui-ci ne pouvait refuser une demande directe d’un éternel, et l’Omniscience A. espérait le faire réintégrer les rangs de la cour et lui faire rejoindre de nouveau les appartements des favoris.
Une quête inutile, cet amant refusait de s’éloigner de sa famille car il ne voulait plus être tenté par le diable. Et le diable qui voulait venir toquer à sa porte !
Une parfaite perte de temps.
Peut-être néanmoins que les deux frères se croiseraient chez la Grande-Mère, qui sait ? C’était l’événement que toute la cour attendait.
Pour en revenir Anabrisiæ, celle-ci n’était plus vu sans son long manteau en fourrure et en velours. Elle tenait la même mode de coiffure depuis six solstices, des cheveux coupés courts et emprisonnés par trois diadèmes sertis de perles et cousus à de la tulle, cette dernière recouvrant les cheveux.
Son corps, un cordage rigide, et son panier, le soutien de ses jupes, étaient bien plus étroit que ceux utilisés à la cour, et son corset resserrait bien plus sa « gorge » que sa taille.
Sa jupe et ses jupons étaient raides et en forme de large cloche grâce au vertugadin, qui était le jupon soutenus en cerceaux par un bois dur et sec.
Son pourpoint léger, sur le corsage, était rouge et vert feuille, et était d’une matière indéterminée. Par-dessus, elle ne portait que de la dentelle, en raison de l’étouffante chaleur, où y étaient cousus des pièces d’or sur lesquelles sa figure avait été sculptée.
Son collet était monté haut, et lui aussi en dentelle douce, était surmonté par six colliers de perles qui décoraient sa « gorge ». Sur sa peau le rendu était sublime.
Elle se maquillait le bout du nez avec un peu de rouge comme l’exigeait la bienséance, et se tapissait la face d’argile rouge pour faire ressortir son teint de cuivre.
Ses manches étaient amples et grosses, engraissées par des mouchoirs de soie dans celles-ci. Des pendants, aux fonctions religieuses, y étaient toujours accrochés afin que lorsqu’elle s’adressait au Roy, elle puisse lui présenter ses poignets en respects. Les pendants pouvaient être tout ou rien mais chaque membre de la cour du Roy devait en porter peu importe son rang.
Elle s’attifait de la sorte chaque fois qu’elle sortait de sa grande bâtisse et ne s’arrêtait pas pour jeter un regard aux plus proches conseillers du Roy.
Elle n’avait plus été vue hors de son bien, depuis maintenant trois solstices, et ne répondait plus aux lettres de ses proches que très froidement. Elle semblait prendre une retraite du monde et ne paraissait pas vouloir y reparaître comme son père et sa famille l’en suppliaient.
Chapitre I
« Pour nous faire perdre notre hauteur, la nonne M nous parlait au quotidien du sens de la responsabilité. Que grandir, c’était savoir ce qu’était un enfant, et qu’un enfant qui ne savait point ce qu’était un enfant, ne grandirait jamais.
Il fallait savoir ce qu’était en définition quelque chose pour savoir comment l’en quitter.
Alors elle envoyait Butlermich nous escorter. Et à l’atelier, nous passions notre temps.
C’était un petit atelier, dans une petite pièce, où chacun s’attelait à une petite tâche.
Il y avait peu d’options et peu d’outils. Et apparemment, être un être immortel ne vous en dispensait pas. Curieux endroit.
Ces gens-là n’étaient pas comme nous.
Et de leurs mœurs, comme de leurs coutumes, seul le ridicule s’en démarquait. Ces bêtes-là n’avaient pas ni les dignités, ni les honneurs nécessaires à une bonne race.
…
Apparemment le penser appartenait à cette « hauteur » dont l’on entendait nous « décrasser » !
Mais la nonne M disait toujours : « de notre propre gré ».
Apparemment grandir ne s’apparentait pas à la grandeur, mais à mûrir.
C’était une femme particulière que cette mère-là. D’un bon et brave caractère mais sèche et laide comme une prune sans une goutte de jus.
Elle était amère à l’œil, mais ne gardait aucune aigreur. Et son rire était si gras qu’il redonnait un attrait sucré à cette prune desséchée.
La pierre qui abritait l’atelier était gravillonnée et fraîche, et cela préservait une température tolérable dans le lieu.
Il fallait travailler des branches de ronces et de la toile légère que produisaient des araignées, rassembler, filer et serrer la toile dans les branches, et s’assurer d’y laisser le moins de brèches possible.
La toile poreuse et collante de l’araignée était le produit fondamental du commerce des omhmnes. Celle-ci bien tissée à des branches, protégeait les entrées des gouffres dans lesquels, bien renfoncée et profondément creusée dans la roche, se trouvait la ville.
Sous terre, protégé de la lumière intense, de sa chaleur, et des bêtes environnantes, les omhmnes élisaient résidence, parfois pendant quelques aubes, parfois de manière permanente.
La chaleur y était étouffante. Mais les bonshommes y étaient civilisés, toujours respectables et travaillaient d’arrache pied pour nourrir leur clan ou plaire à leur seigneur.
Ils s’interpellaient entre eux par des « madame » et des « monsieur » avec beaucoup d’égards : de la politesse ciselée aux charmantes petites manières. Ils étaient beaucoup trop couverts pour la chaleur avoisinante, des jupes, jupons et gros linges à ne plus savoir qu’en faire, c’était pure absurdité. C’était comme une loi dont ils ne pouvaient se détacher.
La ville, abritée sous la roche et le sable qui la recouvrait, était fort sombre mais les habitations y étaient très délicates. La pierre était bien taillée, presque brillante parfois, et les petites moulures qui décoraient les intérieurs, finement sculptées.
Des rivières s’y écoulaient, et aux rivages de ces dernières, les membres de familles et de voisinages s’y rassemblaient, traitant leurs linges, moulant l’argile qui ferait leurs vaisselles, et baignant les petits décrottés avec attention.
Le brouhaha y était omniprésent et les échos offraient aux voix des matrones et des blanchisseurs, une importance sonore diabolique.
La sueur était elle aussi commune et les odeurs des herbes récoltées dans le sable s’échangeaient plus facilement que la lèpre et les sentiments des jeunes dissimulés à l’œil avertis des aînés.
Grâce à la rivière, on savait quelle habitation appartenait à qui car chaque maison était délimitée par une creuse qui accueillait l’eau de la journée, et chaque famille avait sa creuse. Sur toute la longueur de l’écoulement de la rivière, s’enchaînaient les unes après les autres, dans le mélange d’argile et de sable, les creuses familiales, protégées des saletés par des plateaux recouvrants, faits en roseaux et maintenus par de la toile.
Les mesdames et messieurs avaient leurs routines : certains se rendaient à la carrière de pierre, d’autres sortaient trop couverts cueillir les herbes de leurs commerces dans le sable, à la surface, d’autres restaient sur le rivage durant la journée alternant le modelage de leurs poteries et leurs cuissons sous un feu perpétuel tandis que leurs trop jeunes cousins s’entraînaient sur leurs tam-tams, et que les pêcheurs contaient fleurette à la première veuve qui passait en retard, car ceux qui cueillaient et chassaient à la surface étaient déjà trop loin devant.
Les plus petits partaient, lorsque la lumière était à son zénith, ramasser des fruits et capturer des araignées pour les toiles extérieures, c’était à celui ou celle qui saurait attraper la plus grosse pour le commerce de la famille. Les élus auraient des sucreries en récompense. Mais il ne fallait pas y passer trop de temps pour ne pas rater les moments à ragots potentiels lorsque les plus âgés se faisaient du pied et partaient dans la faune souterraine attraper le peu de bestioles réfugiées sous terre.
Ceux-là s’amusaient seuls, sans la surveillance des aînés et tentaient de ne pas gâcher les beaux nouveaux habits qu’ils avaient, fiers de les exhiber lorsqu’ils aidaient les uns et les autres de la famille dans leurs gagne-pains.
Braves gens que ceux-ci, le cœur et la tête pleine. Aimables avec ça. Un peu simples à l’occasion.
Mais leur seigneur n’avait pas à se plaindre.
L’essoufflement se faisait bien vite ressentir lorsque nous nous mettions à l’ouvrage. Le sable s’aspirait dans la bouche, le musc des voisins dans le nez, et nous y étions déjà depuis quelques temps. Attablés à trois sur un chevalet, Butlermich nous apprenait ce qu’il savait, autant dire le peu que son pauvre pois chiche avait pu retenir, et c’était un tout autre enfer que de l’entendre l’étaler comme si c’était tout le savoir du monde.
Pour ne rien arranger à l’affaire, rapidement chacun se piquait le doigt à une épine, puis avalait une mouche et ainsi de suite pendant ce qui paraissait être un très long temps d’adaptation.
Mais une fois lancés, les rouages en marche, le geste était pris et le midi vite passé.
La lumière, jamais couchée, était bien plus visible dans la deuxième partie de la journée, dormir s’organisait plutôt autour des lumières les plus faibles qui passaient au fil du temps, ce qui offrait durant la deuxième partie de la journée, une lumière plus chaude, plus intense mais aussi plus belle. Il ne fallait pas s’y risquer trop longtemps, et totalement exposé l’on en mourrait, mais au bon moment, un peu après le zénith, le ciel prenait une teinte rose jaunie. Celle-ci très vive, prenait quelques minutes avant d’y convertir tout le ciel et d’en devenir aveuglante.
C’était le moment. Le moment où l’on pouvait voir un ciel lumineux sans en perdre ses facultés motrices.
Dieu sait ce qui se passait au-delà.
Sous ce ciel en revanche, il y avait peu de mystère. Des étendues de sable, d’argile sèche et de forêts vertes, feuillues, envahissantes et colorées, il fallait l’avoir vu pour y croire.
Beaucoup de ceux qui travaillaient au château sud-est venaient y récolter leurs fruits.
Le château sud-est était une bâtisse bouffie de murailles, à la taille grandiloquente et surpeuplée de bonshommes ampoulés. C’était un rêve pour l’œil, mais une ambiance infernale au moral.
Des gens par milliers qui se hâtaient pour plaire à un seigneur et une seigneurie. Rien d’inconnu jusque-là. Mais le ton était faux.
Aucun dans cette seigneurie n’avait la moindre légitimité, et leur hiérarchie était réglementée par l’argent et non pas par le rang.
Et le pouvoir ne s’achetait pas.
Bizarre au vrai que ces gens-là. Hypocrites entre eux sans se le cacher, intéressés par les uns tout en suivant les autres et le vent de leur fortune, n’aimant personne, ils avaient dans leurs manières ce manque de dignité que se devait d’avoir un vrai gentilhomme.
Quand on n’avait point à rougir de sa noblesse, il n’y avait pas besoin de la dissimuler sous des artifices !
Mais à ne rien y redire : leur château était beau en tout point.
Le grain de la pierre était uniforme, le style constant et traditionnel, le maintien des fondations était plus que respectable et le rendu agréable à l’œil.
Le château avait des toits ronds et lisses, mais grands, très grands, et avec des voûtes en piqué. L’idée était de combler ceux qui y habitaient, d’émerveiller ceux qui servaient les habitants, et d’impressionner ceux qui visitaient les habitants. Tout devait participer à la gloire de la seigneurie, et le château servait mieux cet intérêt que quiconque.
Le château était aussi haut, plus haut qu’il n’était large d’ailleurs, et les jardins étaient fait pour être de cette manière: assez vaste, pour que le bas peuple puisse y résider mais aussi pour que les émissaires diplomates s’épuisent bien avant d’avoir atteint le château en lui-même.
Les fontaines étaient de formes rectangulaires et s’étendaient sur la longueur des jardins.
Ceux-ci étaient séparés du reste de la faune par de hautes murailles sur lesquelles trônaient un alignement de colonnes à l’ombre desquelles on pouvait s’abriter de la lumière intense.
Le peuple vivant et servant la seigneurie avait pour habitude de mourir sous les coups de soleil. Leur estime de vie à cause cette lumière et de ses effets dévastateurs, avoisinait entre dix ans et vingt ans.
La seigneurie était abritée par le château et ses aménagements, mais ceux qui les servaient devaient vivre dehors.
Le seigneur du château sud-est possédait le sud-est du territoire. Il était dit qu’il descendait d’un dieu, comme chaque seigneur, et qu’en tant que tel il était un hybride. Cela suffisait aux petites gens. »
II)
« À Sieur Melior[mich] de Nyæ
Je fus ravie, monsieur, de constater que vos échanges auprès de l’Archéologue vous aient conduits jusqu’à moi.
Madame et les ondes semblent être une grande histoire d’amour,et mon point m’indiquant cette direction, je ne peux que l’approuver.
Vos dernières recherches monsieur m’ont été d’une grande utilité et ont approfondi mes propres recherches sur l’étoile et sa capacité à n’être vu que partiellement.
Voici quelques travaux de ma compositions, bien que n’étant point une experte des caractères je pense qu’ils pourraient vous être précieux : j’ai pu remarquer dans les caractères un schéma plutôt parallèle à celui du code primaire stellaire.
Et je ne peux m’empêcher d’observer que l’étoile paraît, dans vos travaux, aborder un code de langage similaire aux nôtres.
Je vous envoie donc les plus récentes recherches sur le sujet des caractères et de leurs formules, en espérant avoir pu vous être d’une quelconque aide.
Bien à vous, Anabris »
Depuis son « exil » organisé par ses propres soins, Anabris ne signait plus que sans le æ.
Elle y était bien attachée, mais sa position actuelle lui valait de s’exclure de la société de cour.
C’était une grave tragédie car elle y faisait là-bas des étincelles, et était sincèrement la coqueluche de la cour.
Mais elle était en exil, et devait ainsi se séparer de sa position. C’était difficile. Les petites gens tolèreraient mal la condescendance bienveillante quand l’aristocratie, eux, l’applaudissaient.
Elle n’avait plus non plus travaillé son premier geste de nécessité, et elle se sentait perdre la main au fil et à mesure qu’elle côtoyait la médiocrité du commun.
Une bonne sœur s’occupait d’Anabris, et par s’occuper l’on signifiait qu’elle tentait de lui inculquer des valeurs humaines.
La bonne sœur était une omhmne et une particulièrement laide qui plus est. Elle servait davantage à Anabris de femme de chambre et de gouvernante, que de mentor.
Celle qui fût plus qu’une déesse était capricieuse et gâtée.
Elle l’envoyait quérir de l’encre et les rares livres possédés par l’humanité, elle lui faisait coudre à la main des "vêtements décents" et lui faisait apporter son petit-déjeuner sur un plateau d’argile. Ce qui était en l’occurrence dans cette dimension la chose la plus précieuse qui pouvait se rapporter à l’argent.
Anabris lui listait les tâches à faire dans leur petit monastère terrestre dont elle avait pris la tête d’une main de fer sans en informer qui que ce soit. Ensuite elle lui demandait avec autorité de passer le balai et la serpillière dans sa petite chambre, qu’elle trouvait par ailleurs trop étroite d’après certains.
Et à la question, pourquoi une femme aurait ainsi abaissé son amour propre devant cette petite personne lunatique, la réponse était qu’elle était une sœur.
Les idées religieuses n’avaient rien à y faire dans cette affaire, mais avec une bonne lettre de recommandation, elle pourrait un jour travailler au poste de secrétaire dans le monastère de lune. C’était le plus grand et le plus important des monastère, une véritable industrie religieuse, et il était construit, sur et dans, la lune.
Bien sûr, sa première volonté était d’inciter sa petite élève vers un chemin pieux. Mais chaque fois qu’elle lui parlait du respect de ses semblables, Anabris partait dans un grand rire nasillard avant de s’en retourner à ses travaux.
Tous les jours attablée à son humble bureau, fait de bois miteux et maintenu par des toiles collantes, elle se penchait sur des études de « caractères » qui « dépassaient l’imagination ! » disait-elle de ses travaux.
Elle créait des choses admirables au vrai. La sœur l’avait déjà vu modifier la composition moléculaire de son bras et l’ordre musculaire de ses doigts. C’était miraculeux.
Anabris se sentait beaucoup plus libre loin de ces yeux jaugeurs qui lui interdisait sa passion. Mais le sentiment d’être mal à l’aise dans ce monde, comme enfermé dans une boîte trop étroite pour elle, l’affectait. Ce n’était pas ici qu’elle atteindrait jamais son apogée intellectuelle ou psychique.
C’était avec les autres, conseillée par son père qu’elle saurait se dépasser.
Ici, dans cette ridicule petite dimension, où tout jusqu’aux lois physiques étaient contraignantes, elle se sentait comme si ce petit monde lui avait déboîté une épaule.
Par un scribe, celui muet qu’elle avait paqueté avec ses bagages dans sa fuite, elle se gardait au courant des petites actualités. Elle écrivait aussi chacune de ses directives pour son entreprise à ceux qui l’entretenaient, et ne laissait pas place au hasard. Jamais lorsqu’il s’agissait de son lieu. La Mosaïque, qu’elle avait délaissé pour venir étudier en paix sur cette dimension, lui manquait un peu plus chaque jour.
C’est pourquoi, en cette belle fin de midi, lorsque son scribe l’informa de l’arrivée d’une nouvelle missive, elle crut d’abord à une réponse prématurée de sieur Melior[mich]. Lorsque son scribe, l’informa par des gestes concis que c’était une missive adressée à madame la directrice de parrainage autrement dit, elle, du titre pompeux dont elle s’était autobaptisée, Anabris décrocha instantanément ses yeux des ses travaux, et vola presque de sa chaise vers son scribe. Celui-ci lui retranscrit par écrit toutes les informations que son pouvoir en avait compris sur papier.
Irritée de devoir attendre, Anabris décrocha son regard du scribe et commença à graver dans l’un des murs de sa chambre, à l’aide d’une plume, de petits caractères sans sens, dont elle alternait les ordres. Le scribe acheva hélas sa retranscription avant qu’elle n’eut pu trouver le sens correct de ses graphismes.
Elle sauta du lit où elle s’était perchée pour dégrader l’état de son mur, et en manquant de déraper sur le carrelage mal posé de la chambre, elle arracha des mains du scribe, la lettre retranscrite.
« À l’intention de madame la directrice de parrainage.
Nous vous informons madame que votre autorité est requise lors d’une lecture testamentaire à l’honneur de monsieur Melior[mich]. Ses dernières volontés quant à ses secrets verrouillés à La Mosaïque doivent être annoncées en présence de la famille du décédé, de madame la directrice de parrainage et d’un émissaire diplomatique de la Maison de l’Auréoyle.
Cordialement La Mosaïque de l’Omniscience Anabrisiæ-»
Un archiduc était mort. C’était une première. Jamais encore un archiduc n’avait été tué, beaucoup avaient été absorbés, mais tués, ça jamais. La cour devait être victime d’une profonde crise d’hystérie en ce moment même.
Anabris siffla la bonne sœur avec un ton plus impératif qu’une véritable intention de lui manquer de respect.
Et pourtant ça ne rata pas. La bonne sœur se préparait déjà à s’offusquer de cette insolence de trop, sa tête devenue rouge écrevisse et ses veines palpitantes d’un violet sanguin, lorsqu’Anabris lui agita la lettre sous le nez.
« -Madame vous être sourde ma parole ! Je vous dis de li-re la le-ttre. Li-sez-la. » lui brailla Anabris à la figure.
Et abasourdie, la bonne sœur perdit ses tons infernaux aussi inexplicablement qu’ils n’étaient arrivés. Elle saisit la lettre, toute délavée de sa rage, et lut le bout de papier. Elle n’y compris pas grand chose excepté ce titre qui faisait plus faux que ses propres dents, et que son élève n’arrêtait pas de brandir à tout va comme sa « plus grande fierté » ! C’était absurde. Ridiculement absurde. Le ton de cette lettre ne laissait en rien ressortir le caractère urgent de la situation. Pourtant devant elle, Anabris courait déjà d’un placard à l’autre, ses bijoux familiaux enfouis sous des masses et des masses de papiers marqués des caractères dont son élève ne cessait de vanter les miracles. Changer l’ordre de structure musculaire des doigts était, il était vrai miraculeux, pensa-t-elle.
La sœur n’en avait jamais vu de pareilles sorcelleries qu’avec ces « caractères » !
Mais depuis le début de son mentorat, la bonne sœur et le scribe en avaient certes vus des vertes et des pas mûres ! Sûr !
Alors lorsque Anabris se défit de ces jolis bijoux d’ivoire qu’elle avait tressé à ses cheveux, en décrocha un du lot et fit aspirer ses bagages bazardés par celui-ci, la bonne sœur ne cilla même pas.
Après tout, elle avait vu le scribe, Ernesto, sortir d’un de ces petits bibelots d’ivoire, et elle avait dans l’idée, que cette fois il était possible qu’elle subisse un sort semblable.
Anabris attacha au cou d’Ernesto un de ces petits bijoux blancs, et il fit un geste dessus. Il disparut alors, dans le collier, emportant ainsi un petit canapé qui traînait derrière lui.
Anabris se tourna face à la bonne sœur.
« -Un simple geste d’espace. »
Elle fit tourner son index avec entrain, et soudain une mandoline qu’elle avait, posée sur sa commode, se mit à s’en grossir des membres de tout son corps à ne plus savoir qu’en faire. Et avant que la bonne sœur ne puisse hoqueter, elle fit face à une jeune personne, au teint fleuri et à l’œil éteint. Celle-ci tenait la mandoline comme si son âme tenait dedans. Cramponnée à la mandoline, l’instrumentalistegratta les cordes sans une once d’étincelle dans le regard. Il n’y avait plus rien dans son regard qui soit vivant.
[ Écrire ]
[ Que doit-il arriver dans cette scène ? Anabrisiæ, la bonne sœur et le scribe ( tous les deux dans un espace ) doivent prendre un moyen de locomotion ou un passage pour rentrer dans la Dimension Aphro. Là où ils rejoignent ce moyen de voyager, ils doivent être rejoint par Elizephridate, petit Fabrice et Froncine-Catherinette. David peu arriver par son aérostat. Il vient les chercher.
[ C’est une occasion d’expliquer leurs liens avec Anabris et comment ils se sont rencontrés. Froncine-Catherinette doit rejoindre son père à la cour et lui transmettre des nouvelles de sa mère. ].
Pendant le même temps, celui-ci n’est pas loin d’être victime d’une mutinerie par l’équipage comme par les passagers. Il a rangé inconsciemment les marchandises dans un espace à lui.
Hors les mutins ne peuvent entrer dans la Dimension Aphro sans les précieuses marchandises accumulées. David vient chercher à bord de son aérostat Anabrisiæ.
Celle-ci traite encore plus mal l’équipage que son cousin et est insupportable tout le voyage. Elle a des exigences impossibles et est horriblement désagréable. ]
Les passages demandent des reflets avec une très forte lumière que n’ont pas les astres de la dimension mineure dans laquelle ils se trouvent. Mais l’aérostat en possède un qui leur fait gagner plusieurs années-lumières. Le passage est en sale état et n’a pas eu d’activité pendant longtemps mais il marche.
En gros ils ont besoin de se déplacer jusqu’à la IIème Dimension.
Tac.
IIème Dimension : Dimension Aphro
ARRIVÉE de la future reine
KLEOPATRA-SELENE dans les
horizons, très prochainement !
Arrivée prévue lors du 1er jour du solstice d’hiver. La nouvelle reine, sortant du Néant pour la première fois,sera attendue dans le panthéon royal par un passage direct, ce passage ayant été expressément commandé par la Maison d’Aureoyle à la Grande Ambassade.
La nouvelle souveraine sera escortée de sa suite ainsi que d’un membre de l’Observatoyre en tant que chaperon.
Une demande de composition pour une nouvelle maisonnée a été lancée.
Cette alliance ayant la bénédiction du Nihil, l’alliance sera respectée selon les coutumes nihilistes.
La future reine KLEOPATRA-SELENE offrira un lignage pur et des anges-servants d’origine observatoyrienne.
Et son allié principal, Gectorh, fils aîné de Flor de Nyæ, apportera en dot une petite fortune de trois millions de kauris, autrement dit trente porcellena, et de deux Cypraeidæ de rente, doté par le Roy lui-même et pris dans sa propre cassette.
Extrait de l’article deux heures du Prusse Presse en prose.
Dans le fond du panthéon, un trône plus large que haut portait une petite personne. L’Enfant-Roi. Le Roy. Lux. Tant de noms pour décrire une si médiocre petite chose. Les traits fins, le visage avec moins de pilosité qu’un poupon, il arborait un sourire précieux : légèrement pincé et si creusé dans la marmelade de chair qu’à l’œil nu, personne n’aurait deviné à quel point ce sourire était factice.
En vérité le petit enfant était un amas de lumière d’un âge éternel, aux yeux nombreux et fouineurs, et à la concentration trop affûtée pour manquer l’éternuement d’un scarabée. Mais il concentrait toujours son attention sur tout ce qui n’en valait pas la peine. Ses Tuteurs l’enfermaient dans de très étroits espaces et durant des éternités afin qu’il se concentre sur son point, pour le voir toujours distrait par on-ne-savait quelle hétaïre. Quand il ne procrastinait pas, il était facilement brillant, hélas on ne le réalisait souvent que sur une quelconque tâche ou conversation indigne d’intérêt. Pendant ce temps, l’adversaire de Lux, des horizons, jusqu’aux pôles-mêmes, s’acharnait à travailler le détail le plus pointilleux de son point. C’était à n’y rien comprendre. Un pur enfer.
Tous travaillaient à la gloire et l’entretien du Roy sauf ce dernier ! Ses Tuteurs étaient chaque jour un peu plus désespérés, et silencieusement soucieux. Ce n’était certainement pas la majorité d’entre eux qui feraient la différence, la moitié était trop impliquée dans ce qu’on appelait l’air de cour [ les intrigues ] pour s’en soucier, et l’autre moitié, plus consciencieuse, était malheureusement déjà sur la sellette par, le Roy lui-même, ou, sa fameuse et vile cour !
La situation politique était désastreuse. Dans ce chaos, seuls les Omnisciences Fyls semblaient intéressés par la sécurité du pouvoir paternel. Intelligents, séduisants et charmants envers tous, ils étaient ce qui ressemblait le plus à un potentiel avenir.
Car là était la question: les horizons avaient-ils un avenir face à un implacable ennemi qui maîtrisait l’espace-temps ?
Lors de leur période de victoire sur le Néant, période post Nuit des temps, ils avaient exigé tant du Néant que cette dernière s’était sentie bafouée. Elle en avait versé quelques larmes, la vipère. Crocodile ou serpent, l’espèce restait la même, persiflante et rampante. Seul un aveugle aurait vu dans ses yeux nihilistes la trace d’une émotion tant son expression était sèche !
Et à présent, cette période de succès touchait à sa fin. Et on ne savait ce qu’il allait advenir des horizons célestes.
Ce large trône portant un bel enfant, était étouffé par les coussins de soie et de satin colorés, ainsi que par la position avachie de celui qu’on nommait le Roy.
Si ce trône avait pu parler…
Ce trône n’était pas si malchanceux néanmoins car il se trouvait couvert par un haut dais. Le dais satiné n’avait qu’un but :
afficher grossièrement l’importance du petit Enfant-roi dessous.
Autour de cette mascarade, pour y ajouter une petite touche d’absurde, une belle poudre blanche tombait : c’était la « poudre des miracles ». Elle chamboulait jusqu’à la composition de l’univers. Les lois du temps, de la réalité, et de la physique n’échappaient pas à ses miracles.
En bref, cette poudre réalisait les vœux les plus chers si l’on savait comment l’utiliser.
Autours de ce tableau prétentieux, des bêtes mythiques qui plumaient le quotidien du Roy, autour des bijoux à la valeur indécente portés par un si petit bonhomme, autour de tout cela, une foule bondée de courtisans prêts à toutes les singeries pour attirer le regard de leur dieu, se pressaient inconfortablement pour voir et être vu, observer tout en se sachant observé, et pour critiquer sans s’imaginer subir le même traitement du voisin transpirant.
Quel beau tableau que celui-là vraiment ! Deux corbeaux annonçaient à tout le panthéon chaque aristocrate venu pour quêter au Roy une quelconque faveur. Deux belles jeunes femmes à la chevelure de serpents soufflaient dans un pipeau fait d’argile et laissaient les légers souffles d’air qui en sortaient, envoûter leurs cheveux venimeux. Ceux-ci, pris dans l’air du pipeau, gravaient chaque scène d’entrevue à coup de crocs sur un beau marbre gris-blanc.
Les deux jeunes gorgones, filles adoptives d’Athénaïs, agréables de nature mais laides de cœur, s’irritaient déjà de leur nouvelle charge de transcriptrices. C’était d’après certains bruits de couloirs, « indigne » de leur rang. Quelle plaie que ces deux jeunes filles. Leurs plaintes chuchotantes ennuyaient jusqu’au Roy qui pourtant les estimait.
Elles étaient installées sur des petits carreaux de plumes et de soie, juste sur l’escalier qui descendait la mezzanine. Le Roy perché dessus, entendait chaque pet qu’elles avaient de travers grâce à l’acoustique du panthéon. Il faudrait que l’Enfant-roi toucha un mot à ces deux coquettes.
Des muses, sous la mezzanine royale, trituraient leurs instruments sans passion, en nage de se présenter devant le Roy, Lux lui-même, parvenant à émaner à peine quelques sons accordés qui portaient une forte ressemblance avec le jazz. Lorsque le chef-d’orchestre, d’une obscure naissance, inadapté à un tel lieu senti que le vent de la faveur s’enfuyait au loin, il abandonna et le souffle court, ne se donna même plus la peine de suivre le tempo. C’était affligeant, et celui qui l’avait recommandé serait probablement demain, viré de la cour pour cette faute.
Les courtisans râlaient. C’était à l’orchestre de divertir le Roy et sa cour, durant les intermittences qui fragmentaient les présentations, les quêtes, et requêtes ainsi que toute autre demande d’entrevue avec le Roy. Le Roy préférait tenir ces journées d’entretien chaque solstice, plutôt que de s’atteler à son point. Et les courtisans en payaient le prix car l’emploi du temps surchargé de la Cour ne se mettait pas en pause pour autant, et beaucoup avaient des charges donc : des fonctions et des caprices à remplir, des événements auxquels être, et des responsabilités qui devaient être tenues, tout ça avant le coucher du soleil. Là ils pourraient se perdre dans moults plaisirs et divertissements, des salons aux antichambres des Grands, grimpant les étages dimensionnels pour être de toutes les fêtes ! Mais de l’aurore au crépuscule, ils avaient à faire ! Même les rentiers avaient leurs traductions de leurs code et leurs études, en général, à poursuivre !
Mais il fallait être vu du Roy, il ne supportait d’être seul !, faire sa cour,se montrer présent là où tout le monde était présent, et ne pas donner de quoi vous perdre à ceux qui vous attendaient au tournant.
Peste ! L’Enfant-roi exigeait la procrastination, et voulait voir sa cour faire de même :
« Comment ?! Y avait-il mieux à faire que d’être auprès de son Roy ? » s’indignait-il quand on lui en touchait un mot.
Jusqu’aux Grands se poursuivait ce déplaisir. Leurs codes étaient ce qui faisaient d’eux des gens du Roy et ils devaient pourtant se tenir immobiles sur leurs chaises à bras !
Mais c’était aussi l’occasion d’observer le courtisan voisin et de voir si, soufflait sur lui, le vent de la faveur. Et tous aimaient à se rire des présentés, à enfoncer trop bas ce qui étaient reçus, ainsi qu’à rire ici et là du bon mot d’un esprit prometteur.
Mais tout de même ! Si l’orchestre devenait de piètre qualité, que resterait-t-il ? Le fils aîné de la Maison Diæu lui même s’était mis à ricaner lorsqu’une muse de l’orchestre avait perdu sa perruque. Une princesse de la Maison Crésus l’avait foudroyé du regard mais trop tard, le fou rire était parti et plus moyen de l’arrêter. Contaminant tous ceux qui l’entouraient, Alexandrin Lilith de Diæu, en perdit l’équilibre et s’effondrant sur son cadet qui fit un effort terrible afin de garder son sérieux, il sentit derrière lui deux Damoiseaux pris d’un gloussement incontrôlable. Dame Athénaïs en pleura, hilare, tandis que Mademoiselle Flor de Nyæ réprimandait sa garde rapprochée, Desmond, pour le sourire qui naissait entre ses fossettes. Finalement les courtisans suivirent l’outrecuidance des Grands, rirent à pleine voix, et la muse confuse qui remettait sa perruque, pleura de rage. Ah, celle-là aurait l’épisode en travers de la gorge et la vengeance au plus tôt, ne serait que trop douce !
Le chef-d’orchestre, déjà au parfum de sa propre disgrâce, remballait ses partitions dans un capharnaüm qui n’était déjà plus qu’un objet de moquerie.
Le Roy lui-même souriait et, dans un coin de sa tête, devait déjà tout raconter à ses enfants. Ceux-ci n’étaient pas là. Ils vivaient dans le noyau familial de l’Æ : la Ière dimension.
La Cour se trouvait dans l’Épicentre, et l’Épicentre était la IIème dimension.
La IIème dimension entourait la Ière dimension du côté de la lumière.
Le Néant de son côté englobait la Ière dimension.
C’était compliqué, mais il fallait saisir que l’univers dimensionnel et l’espace-temps interdimensionnel, deux choses distinctes, propriété du Roy et propriété du Néant, dépendait de la Ière dimension.
Les portes de cette dimension n’était ouvert qu’à l’Æ.
Æternitas et Omnisciences avaient cette dimension dans les veines, c’était leur maison et était bâtie dans la chair même de l’Æternitas.
Personne d’autre ne pouvait tolérer d’être dans cette dimension.
Lorsque un homme aux pieds trop grands fut annoncé par les deux corbeaux et entra, le chef d’orchestre fut allégé du rire de la cour. Celle-ci se détourna de l’orchestre pour observer, l’air légèrement moins impatient, le nouveau venu. Il avait le nez court et gras, et traînait du pied avec une grâce déconcertante. Ses habits dataient déjà de quelques modes mais il les portait si bien qu’aucun courtisan n’eut à y redire. Sa cape s’agrippait presque au sol, comme une bête tenue en laisse. Il était suivi par une dizaine de géants qui tapaient sur des tambours, chantaient en son hommage et dansaient avec une expression triomphante. Le tout avait un aspect grandiloquent qui tournait le tableau royal en ridicule.
Le pas lent du nouveau venu commença à tendre certains nerfs lorsqu’il atteignit finalement le deux tiers de la distance qui le séparait de la mezzanine et du trône qui la surmontait.
Que le beau dindon se pressa, certains avaient d’autres choses à faire que de se dandiner !
Pourtant il garda sa traîne et porta son insupportable lenteur comme le plus brillant des atouts. L’Enfant-roi toussota lui-même un tantinet agacé. Qu’avait donc cet homme pour traîner ainsi ?
Finalement, parvenant aux petits escaliers de la mezzanine, le gentilhomme plongea dans une trop profonde révérence.
- J’APPORTE ! À ! SA MAJESTÉ ! UN ! GRAND ! PRÉSENT ! s’époumona-t-il alors, sans plus se soucier pour un sou des on-dits.
Il se défit alors de sa cape. Alors qu’elle tombait, le coton glissa sur un beau paquet dissimulé dessous. Le paquet était fait d’argile noire, et maintenu bien serré par un ruban de dentelle . L’Enfant-roi attendait. Pas le moins curieux du monde, ses paupières tendaient à se laisser tomber, et ses pupilles cherchaient du regard sa Tutrice préférée.
Les rides du gentilhomme s’étiraient pour laisser la place à sa parole, et son accent était terriblement gluant. Plein de miel, de bons mots mal dits et d’expressions ampoulés, il ne perdait pas une once de son assurance, pourtant grossièrement interrompu par les méchants bâillements des malicieux.
Tic.
Dans le panthéon qui faisait face à celui où se trouvait Sphixieth, une cérémonie se déroulait. Toute la cour en avait fait des gorges chaudes. C’était un grand événement pour certains.
Pour l’occasion la famille avait demandé un temps plein aux coulisses. Plusieurs membres éminents de la cour avaient été requis pour obtenir une météo selon les goûts de la famille. Celui-ci devait convenir à chaque invité, et pas un n’avait pas eu ses propres exigences.
Et il n’y avait pas un Grand non plus qui avait été oublié sur la liste des conviés. Des Seigneurs et des Dames en veux-tu, en voilà. Chacun avait répondu présent, tous flattant la famille concernée, et ayant ses propres griefs à digérer contre celle-ci.
En face, Sphixieth avachie sur une chaise, voyait les derniers courtisans venus lui présenter leurs respects, s’excuser, pressés de se joindre à l’événement.
Pas que ça la dérangea d’une quelconque manière, il avait fallu obtenir sa permission pour que cette coutume puisse se faire. Viles flatteries n’avaient même pas été nécessaire, elle avait accordé sa permission de bon gré. On la connaissait comme la plus bienveillante des sœurs Omnisciences.
Elle observait les bananiers se balancer dans son côté cour de ses appartements. Certains domestiques commençaient à travailler les sols d’argile, et à ratisser le sable afin d’y dessiner des formes plaisantes pour la logée.
Les jardiniers taillaient les bosquets, tiraient les goyaves et grenades de leurs arbres fruitiers, et entraient dans les appartements, saisis de leurs outils, près à épurer les rivières du Styx s’écoulant à l’intérieur.
Les gens de Sphixieth, revêtus de leur forme, s’étaient assurés de voir celle que portait aujourd’hui leur maîtresse, avant de choisir leurs propres aspects : de la teinte ébène, à la bouche rose et aux yeux grisâtres, rien n’avait été laissé au hasard.
Ouf ! Elle portait aujourd’hui cette forme brune clair, rien n’était à craindre de ce côté-là. Ils avaient touché juste sur les teintes ! Néanmoins elle avait personnalisé sa forme avec une touche de brun noisette dans le recoin des yeux. Ils avaient des yeux grisâtres qui tiraient vers le noir geais. Vite ! Que quelqu’un arrangea cela !
On appela deux femmes de chambre qui finissaient leur service, et celles-ci examinèrent la coloration de la pupille jusqu’à ce que le bon rendu de brun se fasse. On chassa vite les bonnes, les sommant de vite s’en retourner à leurs besognes, et l’on entra.
Quelques-uns avaient déjà commencé à apprêter Sphixieth.
On tartina de l’argile rouge sur sa peau, avant d’épiler chaque poil qui pouvait entacher le grain. Qu’on n’en manque pas un, exigeait l’Omniscience. Elle verrait trois de ses frères dans la journée, et elle souhaitait être sûre qu’elle serait plus belle qu’eux.
Alors qu’avec une épingle, deux de ses gens nouaient ses cheveux, elle garda un œil attentif. Elle observa la pierre de l’appartement qui s’effritait sur le coin nord, et la poussière qui s’en retombait sur son secrétaire.
Cet endroit tombait en lambeaux, c’était affligeant. Elle ouvrit la bouche, alertant tout la domesticité qui servait dans l’appartement, et… sa sœur entra.
C’était imprévu.
Anrianne, avec son air royal et son orgueil de déesse, poussa les portes de l’appartement d’un air dramatique.
- Aye ! Sistá !
Qu’avait-elle encore celle-là ?
- Je reviens du Garden. Oh j’y ai ris ! J’y ai bien trop ris !
Une fille de roi, Megarię quelque chose, fit signe aux porteurs du trône, d’abréger leur reprise de souffle. Ces derniers venaient de porter grâce des bâtons en osier, un lourd trône plaqué d’or, dont Anriane s’était pris de fantaisie, il y avait deux quarts de cela, afin de s’allonger dessus. Elle avait aussi ruiné des économies durement accumulées par sa première Tutrice, lors de jeux d’argent qui se jouaient dans les étages dimensionnels les plus exclusifs.
Tous étaient toujours honorés de recevoir une véritable Omniscience. Mais Anriane jouait beaucoup, gagnait peu et perdait trop. L’affaire était un mystère au vrai. Elle ne sortait jamais d’une partie vainqueur, et cette sotte, qui n’avait pourtant pas inventé le fil à couper le beurre, ne jouait pas mal à ce point !
Lorsqu’elle réfléchissait, elle demandait aux muses, de belles musiques, mais ces musiques ne l’aidaient jamais. Pourtant elle reproduisait le rituel chaque jour.
Tous les novæs les plus importants de la cour connaissaient Anriane. Elle riait délicieusement, beaucoup, dévoilait sa gorge blanche sans complexe, et était assez malicieuse pour faire de l’esprit en frappant plus arbitrairement que la pluie.
Elle jouait avec sa belle crinière blanche toutes les après-midi lorsqu’elle se faisait tisser, et tolérait mal qu’on lui en fasse le reproche. Elle aimait dormir avec ses boucles et se montrer au monde avec ses nattes. Ces nattes étaient toujours irréductiblement serrées, à s’en déclencher des maux de crâne. Et lorsqu’elle se soulageait le soir, avec sa famille, et se défaisait de ses reflux de matière noire, elle lâchait ses grosses boucles, qu’elle enduisait de gras, laissait le monde se pétrifier par sa ressemblance avec sa mère, avant de se brosser les mèches rebelles avec ses doigts.
Ce jour-là, minaudant devant sa sœur, Anriane lui fit milles manières, gronda les simples qui ne s’étaient pas écartés assez vite, et avachit sa tête sur les genoux de Sphixieth. Celle-ci, toujours sur sa chaise, relâchant du regard les bananiers, la pierre effritée, et la poussière sur le secrétaire, eut une fossette qui se creusa dans sa joue.
- Më amœ nier, s’enquit alors un page dans son patois.
Il était le nez collé au trône d’or, un coussin de satin entre les mains et dessus étaient posés des colliers de perles. Il avait couru toute la nuit après Anriane qui ne cessait de se transporter d’un étage dimensionnel à un autre. Elle était même sortie dans l’Épicentre avec l’intention de trouver « une chose digne d’[elle] » ! Elle venait, lorsqu’elle était sortie, de recevoir un placet de son frère aîné :
- Il a apprit, mima-t-elle avec les grimaces d’un boucher, que je "jouais" et "perdais" des sommes ridicules acquises par Hilieña.
- Oui, « les affreux » viennent nous visiter ce soir. Pour s’assurer de notre santé, s’agaçât Sphixie plus ennuyée que réellement enragée.
Les affreux, était le surnom donné aux quatre frères et sœur aînés qui précédaient dans la généalogie Sphixieth et Anriane. Ils étaient, comme tous bons aînés, chargés de « veiller » sur leurs cadets, et ceux-ci ne pouvaient pas le souffrir. De plus lesdits cadets étaient toujours dans le panthéon royal, comme des enfants, alors que les affreux, dans le kiosque du Roy, avaient eu la permission de déménager et de faire bâtir leurs propres panthéons. Plus modestes, et d’une taille plus humble, mais en dehors du panthéon royal, ces petits panthéons faisaient enrager les cadets comme si les avoir était le plus insigne des honneurs.
L’avantage était que libérés géographiquement du joug fraternel, tout ceux restés au panthéon royal, s’adonnaient à tous les vices.
Mais les affreux gardaient une correspondance approfondie avec chaque Tuteurs et Tutrices des plus jeunes, et avaient une multitude d’espions, aux aguets et prêts à dénoncer.
Sphixieth était courtisée par tous les plus séduisants, tandis que les hétaïres du Roy la lorgnaient d’un œil avide, curieux de voir ce qui se cachait derrière sa cuirasse. On lui connaissait déjà lors de ce millénaire cinq liaisons avec des médiocres gentilshommes, et personne ne se serait permis de lui en faire la leçon puisque pas un courtisan à la cour ne faisait de même.
L’on s’insurgeait tout de même des si petites constellations dont étaient originaires ses amants.
Qu’elle séduisit quelques Dames, où certains Seigneurs, ils étaient d’un haut rang dans la hiérarchie, tout plutôt que ces ordures au sang souillées.
Les affreux qui prenaient très au sérieux l’honneur de l’Æ, avaient chassé trois de ces médiocrités, et envisageaient le duel pour les deux autres.
Anriane jouait des sommes astronomiques aux jeux les plus vogues, s’était prise de passion pour les mets gourmands et s’enfilaient des centaines de fruits sucrés avant le premier quart de la journée ! On ne la trouvait jamais autrement que devant des buffets qui pesaient plus lourds que sa garde.
Irevers-Netrixe, leur frère cadet passait ses journées enfermés dans ses appartements à y faire milles travaux du plafond aux oubliettes. Il faisait construire, puis insatisfait cherchait de nouveaux décorateurs, et remplaçait ses meubles dès qu’il lui prenait une humeur exigeante. Ceux-ci pleuraient à ses pieds sans qu’il ne décrocha un œil de son miroir. Il n’aimait en compagnie que celle de ses frères, tolérait sa plus jeune sœur, et martyrisait par de méchantes farces son frère benjamin : Papie Jules Innocent.
Celui-ci était plus vicieux que des politiciens, et se vengeait par milles façons de son frère lorsqu’ils étaient en présence de leur père. C’était un cycle vertueux.
- Mes aïeux ! Quelle belle bande d’hypocrites sont-ils ! Ils ont le nez trempés dans les nectars d’extasie toute la journée, et entendent nous faire la leçon sur nos agissements ? C’est n’importe quoi voyons !
- Ils ont le nez plus rouge qu’un jardinier frappé par le soleil, acquiesça calmement Sphixieth.
- Enfin ! Si les affreux veulent nous gâcher la vie avec leurs leçons de morale, nous devrions peut-être trouver un moyen de le leur rendre ?
Sphixieth éclata d’un rire soudain et frappa dans ses mains, se souvenant d’une histoire qui l’avait enchanté.
- Oooh ! Tu sais que Irevers a modifié le code d’un des quatre-pattes de Papie ?
- Oui, oui. Son quatre-patte a totalement perdu l’esprit, s’est levé pour danser la gigue, et a hurlé à la lune dans tout l’étage. J’étais là Sphie. Et bien ?
- Et bien, mademoiselle je-sais-tout, est-ce que tu sais aussi que Papie s’est enfin décidé à défier Irevers en duel ? Il a traversé le couloir, alors que Anabris essayait de le calmer, tout en larme et d’un rouge vermillon, il a hurlé devant la porte d’Irevers que celui-ci descendit prendre ses responsabilités.
- Et alors ? souffla Anriane.
- Alors Irevers ne lui a jamais ouvert.
C’était le soucis de Sphixieth. Elle était belle et sage, mais était sans une once d’humour. Anriane s’attendît à une chute sans qu’elle ne vint jamais, puis sourit à sa sœur. Sphixieth, elle, était hilare.
- Tes histoires ne sont jamais drôles, lui dit Anriane.
Sphixieth, perdue dans un fou rire inutile, répliqua :
- Et pourtant ce n’est pas faute d’essayer. Mais enfin, j’ai d’autres qualités.
Sphixieth, qui ne pouvait plus s’arrêter de rire, pensa aux histoires de sa sœur. Certes elle les racontaient mieux mais on ne comprenait jamais un mot car elle marmonnait la moitié de ses phrases. Si l’on put combiner l’humour de Anriane avec le ton sonore de Sphixieth, peut-être plus de gens auraient-ils eu plaisir à les écouter.
Tac.
GONG !
Château pyramidale, dans le Néant
« -Ma belle fille, tenez-vous bien et portez en vous mon amour. Et gardez bien en votre cœur, que je vous chéris. »
Nihil rabattit le voile de dentelle sur les petites boucles brunes de sa KLEOPATRA SELENE. Elle caressa de son pouce la peau brune de sa petite demoiselle et, se penchant vers le haut de son crâne, appuya un baiser dessus. Ses traits étaient toujours de marbre, mais la divine statue sentait sa pierre se fissurer. Déstabilisée par cette considération, elle se redressa, les lèvres pincées et les yeux vides, et dépassa celle qu’elle embrassait quelques temps plus tôt. Sa robe vola au vent, et elle se figea dans le froid, cherchant un réconfort dans la distance, les yeux perdus.
AGRIPPINA, la plus jeune après KLEOPATRA SELENE, fondit dans ses bras et pinça jusqu’au sang sa lèvre rose et inférieur. Elle se saisit de sa poupée de verre et regarda la future reine au travers. « -Je me dois de vous apprendre par cœur. » déclara-t-elle dans son propre patois.
Elle se dirigea ensuite, à regret, vers le Pantheon Est, pavillon du Froyd, et relevant ses jupes de dentelles, fit une révérence devant les premières températures polaires qui la saisirent au sang. Elle avança ensuite à l’intérieur du Phanteon Est, et ce fut tout.
Elle était partie.
Et KLEOPATRA SELENE restait seule, prête à devenir reine, et déjà occultée de l’esprit du Nihil. Cette dernière ne la regardait déjà plus, concentrée sur ses réflexions d’entité éternelle.
De KLEOPATRA SELENE, il ne restait déjà plus rien, ni amour, ni amitié, ni souvenirs, ni vagues pensées. Et elle s’en allait rejoindre la Maison Mauretaniæ dans les horizons.
« -Adieu mamá domina. » souffla-t-elle à sa maîtresse. Mais ses cheveux blonds ne lui faisaient déjà plus face. Ainsi elle emprunta le couloir diplomatique sans retour.
De son côté, AGRIPPINA, qui se gelait tous les membres dans un espoir de pénitence, sentit ses larmes percer sa peau. Le froid frigorifiait ses joues et celles-ci rosissaient à vue d’œil.
Elle leva son doigt et le fit tourner en toupie d’un geste machinal : elle appelait un automate du grand Froyd. Fait d’une cire coûteuse et ____, un automate s’approcha. L’air infatigable, et la mine impassible, celui-ci exécuta l’ordre de la jeune AGRIPPINA, et partit à la recherche de plumes de paon pour la réchauffer. De tous, les automates étaient ceux qu’elle détestait le plus. Et Mesdames les Archi, celles qui partageaient comme elle la compagnie du Nihil, l’approuvaient. Les automates étaient toujours rudes.
Chez leur maîtresse, il y avait les pantins, les marionnettes et, les guignols Arlequin et Polichinelle. Ils dormaient tous dans le castelet et se relayaient durant les aurores et les crépuscules, afin que jamais Nihil ne manque de service ou de main-d’oeuvre. Et que l’Æ leur en soit témoin, Nihil n’avait jamais fini ses exigences. Il lui fallait une nouvelle fourrure pour ses cheveux, sa production de matière noire l’incommodait et elle requérait une « chaise percée », elle s’ennuyait, elle brodait, elle requérait à présent son point pour s’aider sur un nouveau travail, elle se sculptait les paupières ou les pommettes, et la majorité du temps, elle se confortait dans son néant, glacial, sombre, et mystérieux, et souhaitait malgré tout la présence de plusieurs services ( : automates, pantins, marionnettes, guignols et autres ) au cas où elle en aurait la nécessité.
Leur maîtresse était un enfer, et lorsqu’elle était défiée, devenait plus cruel que l’épithète qu’elle personnifiait ( le néant ).
Au contraire de son partenaire capricieux et vaniteux Lux, elle était implacable et autosuffisante, et pouvait faire durer un châtiment même après l’avoir oublié. Dans ce cas, elle le notait et demandait à ce qu’on lui rappelle, afin d’être sûr que sa magnanimité serait le fruit de sa volonté et non pas de sa mémoire occulte.
Mais AGRIPPINA, que Nihil serrait tous les aurores dans ses bras, comme une poupée de chiffon, connaissait trop peu sa propre immortalité pour savoir que sa maîtresse était cruelle. Elle lui préférait le qualificatif de « juste » comme si insensibilité était un synonyme d’une justice bien faite. Ses traits toujours froissés après un entretient avec sa maîtresse, elle considérait « mamá domina » avec l’idéal que seuls capturent les yeux d’une jeune pousse.
En devenant une vieille branche elle aurait tour à tour les occasions de la maudire faiblement, peur et piété alternées, avant de l’encenser, trop étouffée par l’ambiance fanatique qui régnait.
Elle était assignée pour l’instant, aux cheveux de Nihil et en avait la responsabilité. Elle était charmée par les nécessités qui lui incombaient et se sentait comme une fourmi qui côtoyait un dieu. Elle caressait ses cheveux avec des pattes d’oies, les surmontait de quelques rares pierreries qui recelaient des fonctions magiques, et pour finir la laissait s’admirer dans le reflet de pierres d’onyx.
Le miroir d’onyx était le plus précis quant aux images d’un être éternel. Manager tant de forces inconnues sur un ton parfaitement imprévisible, en aurait fait briser plus d’un. Mais l’onyx marchait alors on en demandait pas plus.
Tic.
David avait pour son expédition, acheté un biscuit traditionnel de la république d’Alieña (prononcée Aliegna ). Il l’avait fait fermenter dans une herbe acre et tartiné de mais pilé pour l’occasion.
Il quittait les dimensions vitraux demain. Il embarquerait à bord de son aérostat et entrerait dans les horizons célestes dans trois jours.
Pour un aventurier autoproclamé, il était souvent porteur d’un étrange mal du pays. Quel intrépide aventurier pleurait à l’embarquement de toutes ses traversées. C’était risible et ridicule. C’était David.
Il était un bonhomme de taille moyenne et d’égo gigantesque, il avait toujours un peu de gras dans le bas du bidon quoiqu’il mangea. Ses cheveux étaient rasés au ras de tête et on percevait à peine le blanc de ces derniers. Il était terriblement pâle de peau, pour un teint d’origine maure, presque blanc comme la neige et le nez, qu’il avait busqué, rose comme un bouton de fleur.
Comme tous les courtisans et aristocrates de la IIème dimension, il avait un accent qui prononçait les « th » des mots comme de « t »classique.
Chaque courtisan oubliait le « h » des mots avec sa propre modestie.
Tout les « g » dans sa bouche devenaient des « kh » et ses voyelles s’allongeaient comme le nez de la vérité.
Il glissait beaucoup de ses phrases en commençant par le son « w », les « oui » et les « atchoum » devenaient des « woui » et des « watchoum ». C’était un enfer pour l’équipage d’y comprendre quoi que ce soit.
Seul un petit valet de chambre à la sexualité ambigu comprenait ses ordres et avait su en prendre avantage pour devenir le valet attitré de David. Il était hypocrite et vil flatteur, mais il n’était jamais autre chose que loyal auprès de lui.
David était si hautain qu’il avait déjà été victime de deux mutineries et quart. La troisième était proche et l’esprit allumé par les vapeurs, il se prenait les pieds dans les cordages, hurlaient sur l’équipage et trinquait pour la sixième fois du périple à sa santé.
Peu de ceux embarqués supporteraient encore bien longtemps son arrogance et comme dans toute mutinerie qui se respecte, le quartier-maître planifiait déjà la révolte.
Quelques civils qui étaient à bord avec eux, moyennant finance, furent approchés par des mousses et n’eurent pas besoin d’un quelconque argument pour accepter de se joindre à la mutinerie : les mousses prêchaient des convaincus.
La machine était en marche et on parlait de jeter ce nobliau par-dessus bord, il survivrait sûrement puisqu’il était novae, mais ils seraient débarrassés ! Il restait un ennui au quartier-maître, la cargaison, des nombreuses herbes et viandes achetés à l’étranger, était introuvable.
Le capitaine David l’avait rangé, cette grosse cargaison. Et on avait beau chercher on ne trouvait pas.
C’était cette cargaison qui était leur billet d’invitation dans la IIème dimension, et seul David semblait savoir où il l’avait caché. Seulement, uniquement quand il était sobre.
Or comme cela avait été dit, David avait un mal du pays affreux et usait de l’auto médecine comme d’un antidépresseur, de sorte qu’il n’était JAMAIS sobre.
On avait d’abord essayé de le soûler d’avantage pour obtenir réponse mais l’on s’était heurté à un délire, le plan suivant planifiait de le dessoûler mais ces nobles avaient le goulot quasiment renfoncé dans la gorge.
Impossible d’obtenir quoi que ce soit de ce sac à vin ambulant, juste un idiot délirant.
On lui disait « épices » il répondait « montgolfière ». Les épices étaient dans l’aérostat, ça personne n’en doutait. Mais où ? Le mystère restait entier. Tous durent donc souffrir cet imbécile durant toute la traversée.
Ils accosteraient à la frontière dimensionnelle des Horizons céleste, dans les quatre jours suivant. Maintenant il serait question d’y entrer.
Tac.
Anabrisiæ, un châle enroulé autour de ses épaules, attendait sans impatience aucune l’arrivée. Ses bretelles étaient remontées haut, plus haut que le bâton qu’elle avait dans le derrière.
Le quai avait un sol poussiéreux, le sable s’infiltrait sournoisement dans ses sandales de cuir et ses yeux noirs poursuivaient du regard un enfant omhmne qui sautait sur les fissures de la terre jaune.
Ses deux doigts gauches redressèrent la laine de son châle et rejoignirent le reste de la main dans un mouvement inutile, tentant de se couvrir le visage.
La poussière n’était pas tant le problème que la chaleur lourde et desséchée qui les accablait.
Il n’y avait qu’un quai interdimensionnel dans tous les Parterres, il était intangible à l’œil, les omhmnes n’y venaient que pour admirer leurs seigneurs prendre les routes inconnues de l’horizon et lesdits seigneurs hybrides ne l’utilisaient que pour faire commerce avec leur dimension voisine. Finalement les Bêtes étaient probablement les clients les plus réguliers de ce bouge.
Les Bêtes, alphas, bêtas, et omégas, grouillaient sur le quai, l’air fier et l’œil inquiet. Aucun d’entre eux ne savaient vraiment ce qu’un autre pouvait bien penser et si ces pensées seraient fatales.
Ils se bousculaient les uns les autres dans une nonchalance trompeuse, et se détaillaient du regard, creusant derrière les rides à la recherche d’une volonté de nuire.
Chacun portait une petite perruque poudrée ou cendrée, des robes de journée à la taille basse et à la ceinture sur la taille, et des jupes culottes toujours noires. Masculin ou féminin, les Bêtes portaient des perles, même chez les petits enfants, des bas blancs et des blouses en voile de coton noir à broderie.
Dessus, tous avaient une broche de porcelaine à l’effigie de leur clan.
Tout était noir, noir de geais, noir ébène, noir charbon, noir, noir et encore noir.
De ce cortège funéraire vestimentaire, ressortait la broussaille de cheveux d’Elizephridate, plus rousse qu’un phénix. Elle ressemblait à sa mère par ses yeux mono paupières, légèrement bridés, et aux globules exorbités. Elle avait aussi sa chevelure blonde vénitienne, et la finesse desdits cheveux. Elle gardait des yeux marrons sans étincelles colorés, mais son regard était toujours vif et embrasé, et personne ne pouvait résister à ses beaux yeux presque noir.
En revanche, de son père présumé, elle avait attrapé le nez fort et croquant, les sourcils broussailleux, et les fort jolies lèvres en pêche.
Alors qu’elle essuyait différemment les bousculades des passants, elle portait leur regard inquiet. Qu’allait-ils donc faire dans cette galère ! La IIème Dimension ? Une occasion d’attirer les crabes et les vipères dans l’étroit panier où ils vivaient.
Cette fragile petite dimension dans laquelle ils étaient, ne résisterait jamais à celle que ses sœurs appelaient la IIcnde Dimension.
Dans la foule, se frayant à travers trois omégas jouant aux jetons-à-dés, Elizephridate devait porter sur son poids, dans une foule, celui de deux autres petits tas de chair : l’un appelé Fabrice, l’autre appelée Froncine-Catherinette, deux enfants râleurs et exigeants qui lui réclamaient depuis une heure en chœur une simple sucette.
Elle ne les supportait plus mais Froncine avait un placet à remettre en main propre à son père qui vivait à la cour, quant à Fabrice il était le fils d’un prince électeur, qui tenait à ce qu’il manage son premier commerce avec la dimension voisine. Il ne serait donc pas du trajet, et ne pleurerait pour sa sucette que jusqu’à ce que l’aérostat n’arrive.
Cet enfant allait devoir tout seul gérer une transaction familiale dont l’importance pesait sur le nom de sa famille.
En horizons ils ne valaient pas le plus misérable des serfs, mais dans les Parterres, son affaire jouerait beaucoup dans leur place.
Elizephridate le gifla. Il pleura de plus belle et elle ne trouva rien de mieux à faire que de le pincer. Il redoubla de cris.
« - Arrête ! Tu n’auras pas le moindre souper jusqu’à ce que tu ne sois arrivé chez les voisins ! Voilà ! Tu as gagné ! s’écria Elizephridate fusillante.
-Et toi ! dit-elle en jetant un œil sur Froncine : Toi si je t’entends encore pleurer, râler, ou même chuchoter sur les conditions de ce voyage, tu n’en verras pas la fin, sale gamine ! »
Elle décrocha la main de Froncine de la sienne, ses ongles détachèrent sa peau, et elle lui essuya le charbon qu’elle avait sur la pommette, et fit mine de lui couvrir la tête. La petite ne devait pas être vu du commun.
Le petit Fabrice, se prenant pour un sultan exigea d’Anabrisiae qui se postait à quelques mètres d’eux, son châle jaune moutarde.
Elle ne lui adressa même pas un regard, son journal à la main.
Insurgé, il pointa son doigt en l’air et fit appel à une loi, la « loi des seigneurs », qui exigeait qu’une roturière se dévêtit de ce dont un prince avait besoin. Sous peine de perdre la vie.
Elle baissa ses pupilles noires sur lui et déclara d’un ton détaché :
« -Toi et tes seigneurs n’avaient pas plus de légitimité à vos titres que les roturiers qui vous obéissent. Dans les grandes questions de l’Æ et de l’univers, vous ne symbolisez même pas un accent circonflexe ou une virgule. Votre vie est misérable et sans valeur.
Si tu venais avec nous, tu verrais ce qu’est un roi, un vrai. »
Fabrice resta bouche béate. Ce soufflet l’avait frappé si fort qu’il en avait perdu ses mots.
Elizephridate remercia Anabrisiæ du regard. Celle-ci ne la vit même pas et rajusta son monocle. Elle déchiffra les petites lettres des piètres commérages que ce journal exposaient sous le nom imposteur d’informations.
« - Emmène moi avec toi. »
Anabrisiæ baissa sa lunette pour croiser le regard du petit Fabrice. Devenu tout recroquevillé, avec l’œil perdu, il lui souffla :
-Je veux voir ce qu’est un roi.
-Non. Personne ici n’a besoin de toi. On supporte déjà cette saleté, refusa-t-elle en désignant Froncine, je ne veux pas d’une autre machine à morve.
-Vous ne voulez pas d’accord, mais je vendrai tous mes habits et mes bagues pour une place à bord de votre aérostat. Et je vous suivrai jusqu’où l’on vous déposera.
Anabris rajusta son châle et éternua, la poussière dans le nez.
-Fais ce qui te chante, je m’en moque. Va où tu veux. Mais ne m’embête plus, je lis.
Et Fabrice, courant déjà vers un marchand d’antiquités, disparu de sa vue.
Elle ne le revit pas du reste de la journée, et alors qu’elle allait atteindre la fin de son article, une ombre immense s’étendît sur le quai interdimensionnel, et souffla avec l’impulsion d’un éléphant.
-Voilà Davisiœvich, annonça Elizephridate.
Une longue vue engloutissant son œil droit, David coulait son gros globule vers le quai. Une masse d’hommes et de femmes insignifiants grouillaient par terre. Il ne se sentait jamais autant le roi du dimensionnel que lorsqu’il accostait avec son aérostat à vapeur devant des regards ébahis.
Il se pencha de sa cabine, un verre cristallin à la main, et manqua de tomber d’une des fenêtres. Derrière lui, son valet y cru sincèrement et ne put s’empêcher de prier pour que son maître passe par dessus bord.
Hélas, sur ses deux pieds, toujours à bord, David titubait, un coup dans le nez, jusqu’à ses chaussons. Il les enfila, eux et son pourpoint délavé, et, son chapeau à plume sur la tête, descendit les escaliers de son engin volant. Passant à travers les tuyaux et les plaques chauffantes, il s’arrêta pour donner ses instructions aux deux femmes qui remontaient les visses qui seraient utilisées pour le futur portrait de David.
Il descendit encore deux étages et sortit de son aérostat, pour se présenter à ses camarades. Anabris(iæ) l’Omniscience et Elizephridate Crésusiæ de Circæ, un gratin d’honneur, parfait pour une ou quelques réceptions à bord.
Mais une main crasseuse se présenta devant lui. Un enfant, non, horreur ! Deux. Enfants.
Ils se postaient devant lui, l’une propre sur elle-même, elle lui présentait un télégramme, l’autre parfaitement débraillé tendait sa main comme si il était un prince. De toute évidence, il attendait que l’on l’a baise.
Par Lux ! Il avait oublié comme ces dimensions mineures étaient misérables.
Il évita la main que lui tendait l’enfant, parfaitement étranger à qui il pouvait bien être, slaloma afin de s’extraire du télégramme et de la petite qui le lui présentait avec tant d’insistance qu’elle la lui collait dans le nez. Il chercha désespérément des visages familiers.
Les visages et les titres qui l’avait fait accoster, lui, Davisiœvich Divinæ Liliæth et futur ex Diæu, dans ce bouge de dimension minable avec quelques continents et terres à peine ! Où étaient-elle ces deux farces ? L’Omniscience et « la bâtarde ».
Ces visages apparurent derrière un nuage de poussière, et lui tendirent une main plus digne.
-Madame « de Circæ »…
-Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?
Elizephridate braqua son œil noir sur l’impudent.
-Ne joue pas avec mon nom. Tu sais quel est mon rang, dis-le, dit Elizephridate.
Il souffla pour relâcher toute l’ambiance tendue qu’il avait accumulé dans ses gouttes de sueurs.
-Madame Crésusiæ de Circæ, et, Madame, Omniscience Anabrisiæ ! Quelle joie de vous revoir ! Juste une simple question : qui sont ces infâmes petites créatures qui se sont présentées à moi ?
Elizephridate sourit.
-Ça ce sont les deux gosses qu’on te ramène pour que avec un peu de chance, ils passent par dessus bord.
-Et il n’y en a qu’une seule qui monte avec nous. L’autre n’est rien de plus qu’un arriviste qui parasite temps et conversation. Si tu pouvais t’en débarrasser ce serait une grande joie, dit Anabris d’un ton qui exigeait plus qu’elle ne demandait.
Petit Fabrice protesta d’un ton clair :
-J’ai demandé un billet et je viens. J’ai vendu tous mes bijoux de voyage, et je peux maintenant monter à bord sur le même pied que vous.
-Rêve toujours petit, rit-elle gracieusement.
-Bon, bon ! Peu m’importe vos histoires, embarquons-nous oui ou non ?!
-Je suppose, déclara dédaigneusement Anabris.
David surprit le regard qu’elle posait sur son aérostat. Elle doutait qu’il puisse les amener bien loin, et elle espérait ne pas avoir à entrer dans la IIème Dimension à bord. Sans quoi elle serait la risée de toute la cour.
-Il est très bien, lui souffla David. Si vous avez un soucis à monter à bord de ma machine, Votre Déité, rien ne vous empêche de prendre un passage et de nous rejoindre, pauvre nova que nous sommes, dans notre chère Dimension Aphro !
-Mama me l’interdît Davisiœvich mon cher, souffra-t-elle platement de lui répondre. Je suis une Fylle et une digne Fylle n’emprunte pas vos passages vulgarisés quand sa mère a créé l’espace. C’est indécent !
-Pourquoi n’aurais-tu pas ce droit ? Tu es en horizons ! Ici les gens vivent et aiment !
-Tu ne peux donc pas prendre un passage, les interrompit Elizephridate.
Anabris claqua son journal mal séché sur le pourpoint hideux de Davisiœvich, et prit une petite dose d’un produit miraculé. Le cendrier dans le nez et le tabac sur le revers de sa lèvre, elle inspira un bon coup et claqua deux fois des doigts, s’adressant à la porte par un geste. Celle-ci s’inclina respectueusement devant l’Omniscience et s’ouvrît.
Entrant, Anabris fit face à un spectacle affligeant d’hommes et femmes de misérable extraction, rassemblés ensemble pour tenter d’empêcher pour faire simple : la dérive. Ils tiraient sur les parachutes, les ouvraient et rapiéçaient ceux à trou. Ils revissaient les tuyaux qui fuitaient, sciaient les arbres exotiques que Davisiœvich avait insisté pour avoir dans son jardin de botanique. Parce que oui, cet aérostat que Davisiœvich prenait pour son hôtel particulier avait un jardin botanique.
Les mousses couraient de chambre en chambre pour satisfaire les caprices des invités et invitées qu’il comptait dans son entourage. Les divas qui exigeaient trois teintes différentes de bleu céramique pour leurs cravates et cinq teintes de rouge pour leurs hauts de forme, étaient pour les mousses loin de la vie trépidante qu’ils s’étaient imaginés à bord d’un véritable aérostat !
Chaque invité de Davisiœvich saurait payer son billet par d’autres voies moins classiques.
Tout le monde s’arrêta néanmoins un instant, lorsque Anabris entra. L’équipage plongea en révérence, les trois mousses essoufflées qui passaient aussi, et elle fourgua d’une main ferme ses bagages au plus petit d’entre eux.
-Oulala. Chétif comme un asticot celui-là, se moqua-t-elle.
Le mousse, suffoqué sous les bagages de Madame, n’entendît rien de ce qu’il avait été dit de lui.
Indifférente à la déférence donc l’équipage et les voyageurs faisaient preuve, elle sortit son livre de caractères qui était du tome un.
Elle était fatiguée par ces petites « vacances » qui avaient été prises sans les Parterres et son ensemble dimensionnel. Tout ce qu’elle désirait c’était un bon repos loin de cet amas de serfs, bien braves à ne pas en douter mais peu futés.
Elle reprit son verset, dans le chapitre douze et attendit le signe du mousse-à-bagages qui lui indiquait que Madame pouvait descendre s’installer.
-Ah ! Avant que je n’oublie totalement !
Elle héla Elizephridate avec une sorte d’apathie.
-Tu te souviens probablement m’avoir prêté ta bonne ?
-Bonne sœur, Anabris. Bonne sœur.
-Oui c’est c’que j’ai dis, s’irrita l’Omniscience. Donc je te rends ta bonne, elle fut efficace et d’une compagnie, je suppose, agréable. Tu peux la récupérer.
-…
Anabris pour ajouter le geste à la parole, sortit un collier à six pauvres perles de sa poche gauche et en choisit une, délavée.
Elle gratta sur la perle, plaça ses deux doigts en homonymie et fit le geste. De cette perle sortit la bonne sœur, le regard comme figé, le scribe assis en tailleur et l’air désintéressé et la joueuse de mandoline que l’on avait fourré avec le reste dans cet espace.
-Sur ce. Messieurs mesdames, une bonne nuit je vous souhaite.
Et elle prit la direction des escaliers en hurlant :
-Ma plume ! en braillant à son mousse.
-Elle est pas facile Son Altesse, confia mademoiselle Froncine-Catherinette à Davisiœvich.
Celui-ci recula d’un pas à son approche, et ne put que lui faire un sourire.
Elizephridate gifla l’arrière tête de Froncine avec le sens d’une insurgée :
-Ne parle pas de l’Omniscience ainsi petite peste ou je te savonne la bouche !
Froncine bouda. C’est vrai quoi ! Elle était méchante cette dame. Déesse ou pas, elle devait quand même au monde un respect ! Pffff. Quelle idée de l’avoir embarquée.
_______________ III) _________________
Une clochette s’attelait à faire résonner son sexe de cuivre, avec acharnement. Son teint doré, et sa matière cuivrée faisaient écho dans toute la cabine. Anabris qui tirait dessus avec un entrain non dissimulé tenait dans son autre main le tome un de son livre de caractères. Une bulle de bave gonflait sur sa lèvre et ses yeux avaient perdu la vigueur du jour. La « nuit » s’était couchée et le second équinoxe commençait.
Il y avait trois bals auxquels elle était attendu pour inaugurer la première danse. Elle n’irait pas. Tout se rirait d’elle en la voyant attifée comme elle l’était, elle préférait regarder ses nains se sauter dessus et faire des cabrioles pour lui mettre du baume au cœur.
Elle frappait de ses petites mains potelées lorsqu’ils gesticulaient, et souriait de ses grandes dents, un peu niaisement.
Elle éclatait dans de gros rires lorsque ses nains lui sautaient dessus et, ses bourrelets rentrés dans sa belle chemise à col de dentelle, elle les poursuivait à vive allure s’amusant comme un enfant.
Elle ne perdait son souffle qu’au deuxième tour de canapé, et pour récompenser ses petits amis, ralentissait et leur offrait des kauris d’or.
Elle les attrapait lorsqu’ils se saisissaient des précieuses monnaies.
Ivre par sa victoire, il lui arrivait de brutaliser ses nains aussi bien pour avoir gagnée que pour avoir perdue.
Il n’y avait pas de bonne réponse ou de bonne attitude pour y échapper, juste le doigt de dame Providence.
Elle était impossible à mater, ses ardeurs ne s’aplatissaient pas devant quiconque dans l’aérostat, et sa langue était méchante lorsque l’humeur la frappait.
Elle persiflait, tempêtait et raillait à grands coups de verbes et de mots d’esprit, et qu’y prenne garde à qui passerait sous le feu.
Cet équinoxe là, lorsque Anabris reçut une missive de son scribe, le courroux divin se fit sentir.
Les chiens tremblèrent, les nains s’éclipsèrent, les commis se cachèrent aux cuisines, et il n’y eut plus personne dans la cabine lorsqu’elle arriva à la dernière ligne de sa missive.
-Ohr chrost ! mâchouilla-t-elle le mot « christ » entre ses dents serrées et ses lèvres pincées.
Elle jurait en ancien patois, l’enclume sur la langue tant son accent était prononcé.
-Ahr ! Craigts ! poursuivit-elle rougeaude.
Elle tapa des pieds, plongea son talon sur le parquet espérant le briser, et finit un jupon après l’autre, empêtrée dans sa tenue de « garçonne ». Ses bas s’enroulaient en descendant ses chevilles et ses bretelles, étirées par la belle chemise, étaient au point de rupture. Elle était en fureur.
« On « réclamait » maintenant sa présence par la loi du Roy ! »
Toute trempée d’orgueil, comme toutes les Omnisciences, son rang lui permettait ce à quoi le commun n’avait pas droit. Elle était sèche de cœur lorsqu’on en attaquait à son rang et transperçait à coup de persiflages les réputations de ceux qui lui étaient insolents. Aujourd’hui, l’humiliation était plus dure sous la dent, la Maison de l’Aureoyle dirigée comme toute la politique royale par la Couronne, sous couvert d’amabilités, demandait des explications quant à son absence à la Mosaïque où la déesse était supposée se trouver.
Et qui d’autre que -celle qu’elle aimait- parlait au nom de son propre père et la réprimandait comme une pauvre souillon qu’on aurait attrapé à dérober une bouteille de vin.
Celle à qui appartenait son fier et sec cœur, où pompait la rancoeur et le « Schadenfreude », était connue en la personne de la reine Mì nubiá Helëña-Adxelaïde-Cecilia.
Cette femme, plus jeune qu’elle d’un bon nombres d’éons, avec son aura d’administrative lui faisait tourner les papillons en chenilles et les vessies en lanternes.
Grande, grande comme géante, Anabris surprenait ladite femme à percer des regards discrets vers sa majesté lorsqu’elle vivait encore à la cour.
La géante ne l’avait même jamais remarquée avant qu’elle ne lui adresse la parole :
« Ce fut une journée parfaitement déroulée pour l’Omniscience.
Elle s’ennuya tant qu’elle en construisit milles réflexions sensées et insensées.
Elle lut son livre des caractères et annota sur ses papiers, des pratiques qu’elle soupçonnait de pouvoir être utilisées pour l’art du verbe et des caractères. Elle était renfoncées dans son trône, et observa dehors les palmiers se balancer dans même élan avec le vent chaud.
Entra alors l’idole du Roy, la personnification de la Couronne, Helëña-Adxelaïde-Cecilia. Elle maintenait ses dossiers auprès de sa poitrine et était suivie par une foule de gens d’État. Elle se pétrifia lorsqu’elle vit l’Omniscience, adossée au coude de son fauteuil.
-Pardonnez-moi Votre gracieuse Déité, hum… la… les appartements de… hum… de…
Une femme, au chignon strict et aux yeux pétillants finit sa phrase plus assurée :
-Les appartements de la dictatrice de la Chambre des comptes mineurs s’il vous plaît ?
Anabris n’abaissa même pas son œil, et poursuivit sa lecture.
-Vous cherchez la Prodige amazonienne.
Elle avait prononcé ses mots comme si sa bouche jouait au ventriloque avec sa voix. Les lèvres discutaient mais la voix dormait d’ennui.
-Elle est dans un autre étage d’espace. Et refermez la porte derrière vous, voulez-vous ?
Toute la foule se recula au derrière de la porte, en révérence avec déférence. Helëña ne fit pas exception. En quelques instants, ils furent tous partis. Mais Anabrisiæ avait trouvé la jeune novæ belle et de toutes les grâces. Elle se mit à sortir de ses appartements plus souvent, en voulant la croiser, elle se joignit davantage aux rires et sociabilités du Cabinet de son père, et l’observa à chaque « lever » de celui-ci.
Elle aimait à la contempler. »
Et ce jour-ci, elle osait « exiger » ?
D’elle ?!
Une Omniscience ?
Cette gamine insolente qui n’était pas née plus loin que la Nuit des temps ?
S’en était trop ! Elle n’avait aucune explication à donner à une « kreacture » !
Elle se mit sur ses pieds, indignée et se précipitant comme un buffle vers la clochette, elle la fit sonner comme une acharnée.
-LIZZIE, hurla-t-elle avec rage et bave.
Dans son bain, plongée sous l’eau fraîche, Elizephridate sursauta. Sa tête percuta le rebord et elle avala à contre gré une gorgée par les narines.
-LIZZIE !
Elle sortit en patinant disgracieusement hors de sa baignoire, et rentra malencontreusement dans la femme de chambre qui, justement, pliait ses habits.
-LIZZIE !
Une fois habillée, et les chaussures à l’envers, elle entra en trombe dans la cabine de la déesse.
-LIZZIE, braillait Anabrisiæ en secouant le cordon de la sonnette comme un pigeon.
-Oui ? s’enquit poliment Elizephridate derrière elle.
-Oh. Tu es là ?
Elle lâcha le cordon un peu mal à l’aise. Comme toujours Elizephridate était efficace. Ça coupait souvent l’herbe sous le pied de bien des crises de caprice. Elle n’aimait pas beaucoup ça.
Mais le naturel revint au triple galop. Elle brandit sa missive comme si c’était un texte de loi et dit:
-Ta sœur m’a envoyé un message des plus insolents.
-Ma sœur ?
-Helëña !
-Ah. Oui cette sœur-là. Eh bien quoi ? Quel est le message ?
-La Maison de l’Aureoyle exige un compte rendu de mes récents déplacements. Comme si c’était la dernière de ses affaires à celle-là ! rugit d’elle engloutie sous l’indignation.
Ces races-là de novæ semblaient de plus en plus penser que leurs situations et les situations des æternels étaient sur un même plan. En « égaux ».
-Ils tournent autour de Lux comme des vautours. Et moins il les écrasent, plus ils osent se comparer à lui !
-« Ils » ?
-Oui « ils » ! Tu es sotte ? Votre race de rapace !
Elizephridate gifla Anabris.
-Nous ne sommes pas tous comme ça Sizsi.
Celle-ci outrée toucha sa joue rouge où battait encore le pouls de la main qui l’avait giflé.
Elle la gifla en retour, les yeux exorbités par la fureur.
-Vilipende ! Crasseuse ! Sang de vers ! Sorcière ! Tu as osé… tu as… tu as osé poser… la main sur moi ?
-Et qu’est-ce que tu vas me dire ? "Que c’est un crime de lèse-majesté" ? Nous ne sommes plus des enfants !
-Non. J’allais te dire que l’on ne lève pas la main sur un être comme moi quand l’on est un être comme toi, souffla plus calmement Anabris.
Ses yeux étaient devenus de l’ébène, ses globules étaient noirs, tout ses yeux formaient un noir vide. Le Noir du vide.
Il ne semblait pas y avoir de limite à ces yeux-là, derrière se cachaient le Vide, le Néant et l’Inconnu. Les trois valeurs du Néant.
La peau d’Anabris se craquela comme si elle était sur le point de se briser, et comme si, quoi qu’il y aurait à l’intérieur, cela exploserait. C’était un vésuve de matière noire et froide en ébullition. Elizephridate ne put tenir un regard qui renfermait l’Æ à l’état pur. Elle baissa les yeux sous le poids de ceux de l’Omniscience, fâchée tout au fond de ne pas pouvoir tenir. Tenir regard face à l’Æ était l’acte d’honneur qui lavait toutes les fautes, seuls quelque uns avait tenu le défi. Et ils avaient été grassement récompensés, applaudis par toute la cour, et en faveur avec l’Æ.
Mais elle ne pouvait supporter le contact du néant, c’était fatal à presque tout novæ. Aux Grands et aux petits.
Alors à la place, elle planta son ongle, œil baissé, dans la cheville d’Anabris. En deux temps celle-ci émit une faible plainte et foudroya la responsable du regard.
-Tu es… l’être le plus impertinent que je n’ai jamais croisé, s’étouffa de colère Anabris.
-Oh grandis un peu !
-Je…
-Je suis une princesse du sang ! J’ai le titre de petite-fille du Roy ! Je ne suis pas une Omniscience certes, et jamais je n’oserais, que Lux m’en garde, ne serait-ce qu’y prétendre.
Mais je suis une Circæ ! De la haute et noble Maison des Morfales ! Je suis la fille de l’indomptable, de l’héroïque et de la divine Marie-Crésusia. Je suis une Altesse Sérénissime et je suis une Circæ, nom-du-Lux ! Je. Ne. Suis. Pas. N’importe. Qui.
Anabris ressaisit son livre qu’elle avait jeté par terre, et s’allongea sur son petit canapé, l’air tranchant d’ennuie.
-À mes yeux, parfois, tu l’es.
Elizephridate fit une révérence et souffla:
-Je sais, Madame. Je sais
Tic.
La musique se faisait roulante sous les langues. Les hanches s’agitaient, la sueur coulait sur les peaux de bronze, et les jambes des gazelles gazouillaient d’impatience.
Les pieds frétillaient sur le marbre de la salle du trône. Chacun passait devant l’imposant fauteuil tout fait d’argent en s’inclinant.
Reprenait ensuite la musique et l’agitation. Sous les terres flottantes, des feuilles orangées tombaient sur la tête des danseurs.
La serre de botanique du capitaine était remplie d’une nature exotique, explosante de couleurs chaudes, de tons pastels et d’écorces sucrées que l’on servait en apéritif.
Les nombreux voyageurs riaient tout leur soûl, buvaient à grosse quantité et s’éventaient sous les chaleurs. La musique était bonne et les chanteurs récitaient un opéra en un ancien patois de la République ______. Les plumes et froufrous cousus sur les larges paniers d’osier rappelaient à tous les temps du big bang.
Hélas sous leurs grasses gouttes de sueur, l’équipage ne souriait plus. Cela faisait plusieurs siècles qu’ils suivaient ce capitaine arrogant et malhonnête. En un millénaire d’aventures et de voyages passionnants, la moitié n’était descendu que trois fois, et lorsque les bals se donnaient dans l’exubérance, ils devaient en plus faire le service !
Une bande de nobliaux gâtés et ingrats qui ne parvenait à retenir les noms de ceux qui exhaussaient leurs six exigences à la minute !
Un matelot cracha, l’aigreur lui pourrissant le cœur. De là haut, perchés sur leurs nuages, seule la vue était juste et belle.
Ces nobliaux ne méritaient pas de siéger dans les cieux !
Dans leurs uniformes pailletés, une bonne femme à la taille surdimensionnée redressa son dos à la manière d’un mille pattes, et brandit sa chaussure.
-Ras le cul de ces aristo qui se poilent quand on trime à la tâche eh !
Une petite fille, avec son haut-de-forme sur le crâne et sa marinière rouge, sortit un couteau :
-Qu’on leur vide les entrailles ! On verra si ils peuvent toujours danser avec leurs doigts de pied en moins ! brailla-t-elle en sautant sur un bonhomme qui passait.
Elle lui faucha les deux petites jambes qui maintenaient son ventre droit. Il lui gifla la main tandis que redoublant de hargne, celle-ci lui arracha sa perruque bien blanche.
David sur son trône d’argent, vit la scène de loin et en perdit sa mâchoire.
Il se leva, le torse fourmillant d’une forêt de poils, bombé et ses muscles inexistants contractés.
La star du jour, Iėla, un bel homme avec des sourcils broussailleux et un petit nez qui aspirait toute l’atmosphère, était descendu des genoux de David lorsque celui-ci s’était levé. Il posa une main sur la chemise de David.
-Sire, si votre Altesse Sérénissime le permet, je me désigne volontiers comme pourparler.
David, le diable contracté dans ses rides, et l’œil furieux, repoussa le loyal bougre et s’exclama d’une voix nasillarde :
-JE suis le capitaine ! Retournez IMMÉDIATEMENT à vos postes ou je vous fais tous enfermer dans l’espace le plus étroit que vous n’ayez jamais connu !
Ce furent les mots qu’il fallait. La foule que formait l’équipage renversa dans un mouvement de rage les passagers, emportant dans leur révolte enragée jusqu’au trône d’argent.
La gamine au haut-de-forme hurla de tous ses poumons, et même de ceux qu’elle n’avait pas.
-Viva la Revolution !
La matrone qui avait été première à se rebeller, remis sa chaussure et fut fauchée par la foule informe. Elle tomba au sol et sentit un pied lui écraser la cheville.
Personne n’entendît son cri, et tous continuèrent à sauter sur les passagers. L’un eut son dentier arraché violemment, l’autre perdit sa petite broche violette, et une autre hurla car deux mousses tentaient de lui arracher sa bague.
-C’est un héritage familial ! hurlait-elle plus hystérique que terrifiée.
Seule une vielle peau au centre du chaos, défendait son honneur avec une telle rage que même la petite à haut-de-forme recula. La vielle gifla un malpoli, lui-même passager, qui l’avait bousculé pour fuir l’émeute.
Elle écrasa ses cinq doigts de pieds et éclata d’un rire triomphant.
-Venez ! Je vous attends ! brailla-t-elle remuant des poings avec une fureur victorieuse.
Et David dans ce chaos ? Le grand capitaine avait pris la poudre d’escampette au moment où la foule avait emporté son beau trône d’argent.
Il courait dans les couloirs plus vite que son ombre à la recherche d’une cachette. Il se réfugia derrière un tonneau de nectar et reprit avec peine son souffle.
Il lui fallut une minute pour prendre conscience de la situation. Et d’un fait que dans sa fuite il avait oublié : il était un novæ ! D’une des plus Grandes familles des horizons !
Il ferma alors les yeux et en hâte, ouvrit son troisième œil. Un œil au sens propre, au milieu du front, juste au dessus de son nez, ouvrit sa paupière. Cet œil pour lequel l’intangibilité n’avait aucun secret se mit à l’affût. Dans les milliards d’espaces dans les espaces, des temps dans les temps et des espacesdans les temps ou vice versa, il chercha un colis précieux.
Mais impossible de mettre l’œil dessus. Il voyait un grand nombre de domestiques qui vivaient et dansaient dans leurs propres espaces, ceux dans lesquels leurs maîtres les avaient empaquetés. Mais pas une trace de son colis qu’il avait jalousement gardé quand il avait une fois eu un « petit coup dans le nez ».
Tac.
-Madame ! s’écria Elizephridate.
Ses cheveux de pailles aux reflets roux tombèrent sur ses yeux. Sortant de sa cabine, elle aperçut dans la foule et la panique Anabrisiæ qui sifflotait. Celle-ci était dans un petit cagibi, la porte entrouverte et de son œil strabique, faisait peser sa pupille sur ce qui l’entourait avec maladresse.
Elizephridate ouvrit d’un geste furieux les battants de la porte et fit face à l’Omniscience. Elle lui saisit le bras et l’entraîna vers les escaliers du personnel. Elles évitèrent les plantes d’intérieur qu’on avait amassé pour être abreuvées, et Anabrisiæ, toujours l’air ailleurs, commença à crier après une jeune mousse :
-Toi ! Où est ma bonne ?
-Bonne SŒUR Madame, bonne SŒUR, la reprit Elizephridate exaspérée.
Le mousse aux yeux pivoine de colère sentit ses traits se contracter et sa rage se décupler. Cette mégère lui avait rendu la vie impossible sur cet aérostat, à présent le pouvoir était au peuple ! À bas la maudite mégère !
-Viva la revolution ! rugit-il en brandissant son poing.
Anabris, choquée, porta une main à sa poitrine et ouvrit grand la bouche. Son expression se fit indignée, des sourcils haussés aux plis de la bouche relâchés, tout son visage prenait l’humeur béate d’une bouche de poisson.
-Cet engin est vraiment mal servis, se récria-t-elle avant de poursuivre sur un ton placide : Que sont donc devenu les jours heureux de la séparation des classes ?
-Taisez-vous Madame ! lui ordonna Elizephridate irritée. Nous allons nous en faire un ennemi dont nous nous serions bien passé !
-ELLES SONT LÀ ! mugit le mousse, la verve lui battant la veine sous son œil.
Une fille de cuisine et un laquais, toutes deux vêtues de jupes décousues, sortirent de la salle des machines. Lorsqu’elles les aperçurent, elles firent des pas d’une vitesse prodigieuse, probablement portées par la rancoeur, et saisirent Anabrisiæ par le col alors qu’elle et Elizephridate prenaient la poudre d’escampette.
-Argh ! Veuillez ne pas poser vos sales pattes sur ma dentelle ! enragea Anabris écœurée par la crasse sur leurs mains.
-C’est un point de Maüs. De la pure mousseline de Phaos ! s’agaçât-elle en se demandant intérieurement si l’on pouvait laver un tissu aussi fragile.
-Elizephridate. Aide-moi. Tout de suite.
Cette dernière voyant que tirer sur la manche de l’Omniscience ne faisait qu’empirer la situation, les deux femmes ne lâchant pas et Anabrisiæ effarée de voir sa belle toilette être déchirée, elle cristalisa la fille de cuisine. Anabris frappa quant à elle le tibia du laquais avant de viser droit vers l’entrejambe. Celle-ci, même sans bijoux de famille en bas, sentit son entrecuisse brûler de douleur.
-Je n’ai jamais été aussi mal servie par un simple ! perdit alors patience Anabrisiæ.
Elizephridate lui frappa l’arrière de la tête.
-Si vous ne les aviez pas insulté, on aurait pu s’en sortir sans en venir à une vulgaire bagarre de chiffonnières.
-Peu m’importe comment « les choses auraient pu se passer », ce qui m’importe c’est comment les choses se sont passées ! Ils seront fouettés pour ça, cingla Anabris en se recoiffant les nattes de devant.
-Nous en rediscuterons Madame mais sortons d’abord trouver Froncine et Fabrice !
-Qui ? demanda-t-elle distraitement sortant déjà son manuel épistolaire et s’asseyant sur un tabouret.
Elizephridate se prit l’arrête du nez par le pouce et l’index. Anabrisiæ releva alors la tête vers elle, l’observant de ses yeux sans couleurs. Placidement, elle releva le menton :
-Je sais très bien quelles genres de pensées t’habitent en cet instant. Tu pense que je suis une pure pitrerie vivante et que je causerai ta perte.
-Ce n’est pas…
-Si. Tu as toutes ces pensées inquiètes et un avenir désordonné. Mais je suis loin, très loin d’être une idiote. Je suis plus brillante que toi, plus brillante que mes frères, plus brillante même que mes sœurs si je le souhaitais. Mais je ne suis pas faite comme vous. Je suis une æ. Je vois des choses. Plus qu’aucuns n’en verront jamais. C’est pour ça que tu m’appelles « Madame » et que l’on plie dans des révérences sur mon chemin.
-…
-Tu en doutes ? Alors laisse-moi te dire par où on s’enfuira et ce qui nous ramènera à la maison. Et ensuite tu me diras si tu penses toujours qu’une "idiote surfaite" est capable de vivre plusieurs réalités à la fois ou si l’idiote est celle qui n’en vit qu’une et qui ne voit qu’une seule sorte de solutions.
Tic.
Prendre un passage revenait à choisir au bon moment le reflet de la lumière sur une surface réfléchissante.
C’était le moyen de locomotion principal dans la IIème Dimension. Un nombre infini de dimensions en fait utilisaient les différents passages. Certaines personnes avaient des placards à passage, d’autres les utilisaient comme carrefour entre différentes destinations proches, et beaucoup avaient leurs propres kiosques à passage dans leurs domiciles.
Étant dit, les dimensions « mineures » avaient rarement assez de projection de lumière pour pouvoir avoir des passages.
Les Parterres n’y faisaient pas exception. Et si il n’y avait pas de passages, quitter jusqu’à sa dimension devenait difficile. Les dimensions mineures et leurs civilisations adoptèrent alors un autre moyen de transport pour sortir de leurs dimensions : les aérostats.
C’était efficace pour voyager, découvrir de nouvelles dimensions ou simplement entretenir le commerce.
Dans l’aérostat de David, un point de passage qui n’avait pas été utilisé depuis des éons et des éons était enfouis « Lux-savait-on » où.
Ce passage était vieux, plus vieux que les civilisations des Parterres, et discordant. La lumière dont il avait besoin était rarement présente dans les confins dimensionnels où s’aventurait David, aussi il avait été mis au grenier.
Mais lorsque une mutinerie s’était faite entendre et que les frontières dimensionnelles avaient refusé l’entrée à l’aérostat, il n’y avait plus eu d’autres choix.
Il fallait emprunter le vieux point de passage.
Trois mousses, restés fidèles, trainaient leurs sabots sur le bois, portant, l’un, un miroir, les deux autres portant, un second miroir. Elizephridate les observait avec ses cils pressés contre sa pommette, un poing sous la joue et une petite moue d’ennui avachie sur ce dernier.
Ils étaient longs. Et petits.
À travers ses masses de cheveux roux, l’œil fatigué, elle les voyait construire en face d’elle ce qui irait l’emprisonner dans ce nid de crabes qu’était la cour.
La lueur de la cabine était faible, jaunâsse, et perçait à peine sous les arcades murales.
Le hall dans lequel étaient installés les miroirs et leurs surfaces réfléchissantes, avait une humble vastitude.
C’était loin de l’effet que David souhaitait transmettre, mais c’était le rendu. Humble. Et petit. Et moche. Beaucoup d’or où il n’en fallait pas, des grigris diamantés et pailletés qui encrassait le lieu. Un lieu pourtant vraiment séduisant avec ses vielles pierres de taille.
Mais ce hall… il était hideux. Encombré d’une architecture qui peignait et engloutissait sa petitesse sous l’or et du marbre mal posé.
Elle lui accordait volontiers cela : le marbre qui décorait les pièces de l’aérostat était le plus beau et le plus varié que l’on put admirer.
Mais l’architecte était médiocre et son œuvre s’en ressentait.
Pauvre David, que de vivre dans un si vulgaire taudis.
La soie des rideaux néanmoins lui rappelait la magnificence de la cour. Notamment la plus belle d’entre toutes, celle de sa propre Maison.
Le motif lui semblait familier. Des scorpions d’un tissu noir, des yeux filés de petites pierres d’obsidienne, et le corps du scorpion souligné par des brocarts d’or.
Un amateur même aurait pu y voir le travail d’incompétents : en cette critique, seul David était la cible.
Il avait toujours été un mauvais brodeur. Pratiquer un art interdit et y échouer, c’était triste.
Mais, les tapisseries étaient accrochées partout dans les bâtisses des Liliæth, et il était impossible d’y faire plus clair : David tentait apparemment de reproduire ce qui lui rappelait son chez lui.
Tous étaient loin de leur famille. David. Anabris. Froncine. Et ce petit prince des Parterres Fabrice.
Depuis trop longtemps. Loin. Exilés du monde.
Et c’était fini, malheureusement. Les surfaces réfléchissantes étaient face l’une à l’autre. Et bientôt les reflets les ramèneraient dans la IIème Dimension.
Quant à elle, elle, elle ne pardonnerait jamais à sa diable de sœur l’histoire de la mantille .
Tac.
Tic.
Sous les couleurs chaudes de l’atmosphère, en cette fin d’équinoxe, l’air doré par le sable, plus lourd que jamais étouffait les respirations de la petite assemblée. Dans le sixième étage de la pyramide sud de la Mosaïque, un petit gratin des personnages les plus célèbres de ce solstice était rassemblés.
Ils étaient dix et les journaux ne parlaient que d’eux depuis trois jours : la famille de feu Melior[mich], l’archiduc décédé.
Assis sur des fauteuils de velours, les proches du défunt se tenaient droit avec une rigidité digne d’une équerre. Le dos en angle droit et un sourire de bienséance sur le visage, leurs yeux bleus avaient une véritable tendinite dans le regard.
La situation était terrible. La Maison EwigSichæ avait perdu un de ses archiducs et la constellation de Melior[mich] avait perdu son patriarche. La constellation s’était rassemblée en ce jour, invitée par la Mosaïque après une multitude de placets et de lettres insistantes, de leur part, à assister à une lecture de testament.
Melior[mich] était un client de la Mosaïque, quoi qu’il y ait caché c’était un « secret » et personne ne pouvait y accéder. Néanmoins, lui mort, ses volontés post-mortem pouvaient céder la tutelle de ses secrets à un membre de sa constellation ou une quelconque autre personne.
La constellation de Melior[mich] faisait passer leur brûlante curiosité pour une inquiétude légitime familiale. En vérité, ils espéraient trouver dans ses secrets solidement gardés par l’institution indépendante de la Mosaïque, un indice sur celui ou celle qui avait absorbé dans l’illégalité leur cousin.
En effet, personne n’avait défié l’archiduc et n’avait déclaré son absorption au Bureau des Armes légendaires comme la loi “majeure” royale l’exigeait.
Le Bureau des Armes légendaires portait donc plainte de même que la constellation de Melior[mich], l’un pour « absorption illégale » et l’autre pour « mort frauduleuse ».
_____________ ( Absorption ) __________
Le duel absorption ne requiert que les capacités célestes ou les dons divins d’un novæ, et un espacedesservi par le bureau des armes légendaires. C’est le style de duel le plus pratiqué en horizons célestes et dans la Dimension Aphro. Toutes les familles, les constellations et les Maisons ont plusieurs duels d’absorption à leurs actifs.
En plus d’absorber la puissance du novæ ( un novæ étant une étoile ) en face, ces duels haussent ta valeur dans la hiérarchie des rangs et dans l’échelle de justice.
Tout le monde était assassiné, simplement sous l’office du terme de « duel » : un duel d’absorption requerrait un lieu désigné par le Bureau des armes légendaires. On s’absorbait pour un oui ou pour un non.
_______________ ( fin ) _______________
Mais peu importait, la question du jour n’était pas une question de justice mais une question de leg : quelles étaient les volontés de Melior[mich] quant à ses secrets gardés à la Mosaïque ?
Mais pour une telle cérémonie, celle a qui tout ceci appartenait devait être présente.
L’Omniscience Anabrisiæ. Madame la directrice de parrainage du titre dont elle s’était auto-baptisée sans modestie aucune. Sa présence n’était requise majoritairement que pour apporter un certain officiel à cette cérémonie.
Ils étaient donc tous là, sur leurs chaises à bras rembourrées de coton et tapissées de velours, face au trône d’argent curviligne et Anabrisiæ humblement posée dessus. Sur sa droite, un petit bout d’homme ni gras ni fin, au nez en trompette, le président des comptes et coffres, et à sa gauche une petite femme, toutefois plus grande que son homologue à droite, blonde comme les blés et belle comme un balai, la présidente secondaire de l’Institution indépendante de la Mosaïque.
On leur avait fait apporter chacun un petit tabouret en chêne surmonté de rangs de mosaïque bleue, avec posé dessus un coussin, et assis sur celui-ci, visiblement très inconfortables, ils se tenaient plus avachis que leur maîtresse. Celle-ci, l’Omniscience, pourtant très professionnelle sur les affaires de la Mosaïque, était toujours confortablement installée et entourée de ses bébés basiliques qui jouaient à ses pieds.
Avachie et un verre à la main, elle discourait avec ses deux adjoints d’un ton badin.
Mais lorsqu’elle fit se redresser ces deux derniers d’un geste du doigt et claqua dans ses mains, le bruit résonna plus fort que le son d’un gong, et elle, fut méconnaissable.
Elle était à présent si droite sur son trône que son dos se brisait plié dans la forme d’un angle droit, elle avait chassé toute distraction de son regard et observait la constellation soudainement devenue plus anxieuse.
Elle fit craquer ses doigts, les uns après les autres, et ses os claquèrent.
-Mesdames, messieurs, vous avez été réunis ce « jourd’hui » pour donner suite à la terrible tragédie qui a frappé votre constellation : le décès de l’archiduc Melior[mich].
Pas un cil ne battit. Une novæ brune, comme tous les autres affublée d’un dessin d’orange sur le corset de sa robe, retranscrivait toute la conversation. Sa plume dans la main gauche, l’encre allait plus vite que son ombre. C’était la sœur de Melior[mich], une mémorialiste du journal Prusse Presse en Prose. Sathathoriounet-Caesula.
Une grande rousse, avec une collerette en dentelle, un pourpoint en velour et en soie noire, argentée et violette, un dessin d’orange dessus et une jupe soutenue par un large panier d’osier, sur sa chaise à bras était assise mais n’accordait aucune attention à l’assemblée familiale. Elle portait plumes et perles dans les cheveux, de la dentelle et des fils de fers maintenaient la coiffe très haute, et était accompagnée de trois petits enfants qui tenaient chacun : trois boîtes bourrées de tissus, un mètre pliable, et une pelote à épingle. Elle manquait chaque fois la pelote et piquait au sang l’un des trois enfants par pure maladresse et sans embarras.
C’était la mère de Melior[mich], la froide modiste de la cour : Sophiæs-Fabrina.
À ses côtés, dignement, une très belle dame trônait sur son fauteuil, le menton levé et l’œil aiguisé. Flor de Nyæ. La favorite en titre du Roy, et l’une des premières Dames de la cour. Une peau mate plutôt cuivrée, reluisante sur ses pommettes, des longues boucles noires qui tombaient sur son fin nez aquilin et les plus beaux yeux du monde : des yeux bleus-verts qui luisaient comme de deux feux intempestifs coincés dans le derrière d’une luciole. Elle était vêtue d’un pagne brodé d’or aux motifs bleus céruléens qui abritait sa longue chevelure. Sa robe de cour, étant toujours sous son meilleur jour, était en dentelle bleue or et avait des broderies azurées et blanches. Belle comme le jour, elle ne souriait à personne et défiait les deux adjoints du regard. Ses oreilles portaient deux boucles d’or parsemées de petits diamants qui dessinaient une orange.
Un pied devant elle, sa mère adoptive sa seigneurie Nyx, dite la princesse Nyx-Azulise des Paons bleus, dont le visage était entièrement caché par un voile gris, portait une couronne incrustée de six saphirs et cinq diamants, ainsi qu’une rangée de dentelles cousues de perles.
Elle était une des plus anciennes confidentes de Lux et du Nihil, elle partageait une correspondance abondante avec eux.
Elle était aussi la Surintendante de la gouvernance de la
Ilème dimension, l’une des charges les plus importantes de l’interdimensionnel, et avait déclaré, il y avait maintenant quelque siècles, la cour isolée au statut de secret diplomatique et en confinement. Depuis personne dans l’interdimensionnel ne savait exactement ce qu’il s’y passait, tout ce qu’on savait c’était qu’un gros conflit avait éclaté et qu’il affectait toute la IIème Dimension, l’Épicentre y compris.
Elle portait du rouge en excès aux joues et en recouvrait ses lèvres, son teint était plus pâle que la lune, et ses cheveux sous le gros voile gris étaient d’un délicieux blond vénitien.
Deux rangs derrière elle, étaient assis le duc Dédale et le duc Perdrix, les porteurs des trois merveilles familiales : le drapeau d’orange et de grenade de la famille, le sceptre de baobab ( pour les alliances ) et la flûte de Pan. Ces deux remarquables jeunes novæ étaient les inventeurs des statues-animées de la toute Ière Dimension, Perdix était cousin de première branche et Dédale demi-cousin. Leurs statues auraient été décrites comme : « saisissantes de vérités ».
Leur mère, Helbella Franfriloche, s’était assise juste derrière Nyx, et maltraitant son alliance au doigt, elle pinçait ses lèvres et tenait son nez dressé comme la crête d’un coq. Alliée principale de l’archiduc qui avait précédé Melior[mich], l’archiduc Monim, ses cheveux se teintaient de brun miel et de mèches blondes pâles, et sa charge était celle de « Directrice d'honneur de la petite Direction » quoi que cela puisse signifier… Elle portait des oranges taillées aux oreilles, autour du cou et en palette sur les paupières, un crâne en ivoire maintenait sa cape et dessus étaient accrochés plusieurs bijoux divers d’or, de nacre et de pierres.
Enfin Diane, à sa gauche, patronne des orangers, et gouvernante des orangeries du Roy, ainsi que ceux qui y travaillaient ( en majorité des bâtards ), était une vielle femme, digne, folle de grandeur et élégante avec un petit cheveux sur la langue, et une agitation « farfelue » que l’on expliquait par la consanguinité de sa constellation. Elle avait comme toujours une petite soubrette comme domestique personnelle nommée Henrya.
Tandis que la présidente secondaire de l’Institution indépendante de la Mosaïque, lisait les dernières volontés de l’archiduc, une dernière femme couverte de noir foudroyait le président des comptes et des coffres du regard. Une haine terrible se lisait dans ses yeux et les plis de sa bouche se creusaient en une véritable tombe de rage.
Medirgane, l’alliée principale de Melior[mich]. Une grande dame d’une grande lignée à présent enchaînée à une belle-famille dont le pouvoir s’écroulait jour après jour.
Medirgane faisait partie des quelques chanceux de la cour à avoir « fait sa première coutume » avec un novæ de bonne naissance pour qui elle avait des sentiments. Bien des jeunes novæ faisaient leur première coutume avec un bon parti qui se trouvait généralement être une connaissance mais rarement un compagnon de romance. Beaucoup s’alliaient à des amis de haute naissance, jamais à des galants.
Medirgane avait eu cette chance. Étourdie par les fêtes en son honneur, les célébrations de sa coutume et les nouvelles obligations dû à son nouveau rang d’archiduchesse par alliance, tout cela lui avaient pris tout son temps. Et alors que Melior[mich] s’enfouissait le museau sous les études et les recherches, elle n’avait pas su le voir sombrer. Et aujourd’hui sa mort portait le rang de sa famille à une chute décadente et déshonorante.
Sa propre constellation et Maison lui avaient bien fait comprendre qu’elle avait tout intérêt à faire profil bas: elle était toujours l’héritière de la fortune familiale, et des recherches de la famille, mais seul ce statut la sauvait de la chute.
La lecture se fit face à tout ce monde, tandis que l’état de cette famille croulait sous l’énergie du désespoir.
-Moi, Anabrisiæ Fylle du Néant, déclare par la présente que les mots ci-lus sont l’exacte retranscription des volontés du défunt : sieur Melior[mich] de Væux de la Maison EwigSichæ.
Voici lu la retranscription de son testament quant à ses secrets à l’Institution indépendante de la Mosaïque:
« Moi, Melior[mich] atteste par la présente que les quarante-cinq secrets gardés par l’Institution indépendante de la Mosaïque seront entretenus jusqu’à ce que absolution s’en suive.
Si je devais être absorbé, mon coffre des secrets gardé à la Mosaïque serait légué à mon duelliste, celui qui par mon absorption et notre duel aura, sous ma volonté, la tutelle de mes secrets à la Mosaïque. ».
-Quoi ? rugit Helbella en sautant sur ses maigres jambes avec une grave indignation, elle brandit un poing de nerf.
-Il donne sa tutelle à son absorbeur, ce n’est si pas inhabituel, ma tante, releva distraitement Flor de Nyæ : à présent rasseyez-vous et cessez de vous donner en spectacle.
-Vous faites honte à notre famille ma chère, conclut Sophiæs-Fabrina.
-Souciez-vous plutôt de votre fille ma cousine, cracha Helbella, elle gribouille comme un vulgaire scribe ! En attendant je ne me calmerai certainement face à une telle absurdité !
Le duc Perdrix gonflait son thorax d’oxygène, plus indigné encore que sa mère. Il s’arracha sa perruque et fit mine de la jeter sur la rangée de devant. Le duc Dédale lui maintint le poignet et l’incita à moins d’agitation.
-Mère a raison. Ce testament est ridicule. Melior[mich] n’a point été pris en duel d’absorption mais à été absorbé par assassinat. Lui-même n’avait pas prévu cette mort.
-Et comment l’aurait-il pu ! s’écria Nyx. -Bien sûr puisque personne n’a jamais été absorbé sans en informer le Bureau des Armes légendaires au préalable, lâcha Flor les yeux luisants.
Elle épousseta sa robe de cour, rajusta son panier et d’un geste discret remis une plume de colombe à l’arrière de sa coiffe. Son œil était ailleurs, observant la petite assemblée, à l’affût d’un quelconque détail.
-Je ne puis rien vous dire de plus, dédaigna Anabris en se rongeant un ongle.
-C’est inadmissible !
-Il doit bien y avoir une seconde clause ! Puisqu’il n’a pas été défié, à qui revient donc la tutelle de ses secrets ?! objecta soudain Sathathoriounet-Caesula, la sœur du défunt.
Anabris haussa mollement les épaules.
-À personne, dit-elle placidement. Il cédait sa tutelle à son duelliste, n’ayant pas de duelliste la tutelle n’ira à personne. C’est pourtant simple !
Medirgane prit les mains de sa belle-sœur. Celle-ci, la tenue tâchée d’encre, voyait ses clavicules percer sous sa peau comme des griffes.
-Pouvez-vous au moins nous dire, Votre Sérénissime Déité, si certains de ses secrets indiquent l’identité de son assassin ou en donnent au moins l’indice ?
Anabris, l’air fermé, garda une expression indéchiffrable.
-Si cela vous amuse… Oui, des indices sont révélés dans ses secrets.
Tous se tournèrent d’un seul et même geste vers elle, ses adjoints y compris.
-Savez-vous qui en est responsable ? s’enquit Helbella brûlante.
-Ça ne m’intéresse pas assez pour que je me penche sur la question, madame. Je vous demanderai maintenant d’évacuer la pièce et de prendre votre chemin vers la cour, conclut Anabris sans un regard pour ses interlocuteurs.
Elle fit mine de leur montrer la sortie, et cela fait, elle l’emprunta la première. Sa queue de soie traîna à sa suite et se fut la dernière chose que la famille vit de l’Omniscience.
Celle-ci sortit, ils continuèrent à se crêper le chignon :
-Surveillez vous manières chère nièce! brailla Sophiæs-Fabrina à Flor de Nyæ.
Le duc de Dédale gifla le duc de Perdrix et leur mère trop essoufflée par l’indignation pour intervenir tenta son regard dangereux sur les deux adjoints d’Anabris. L’homme courut après Madame la directrice de parrainage tandis que sa collègue défiait de son nez pelé Helbella. Elle ne craignait pas ces nobles. Elle faisait son travail comme il était exigé et elle ne faiblissait pas sous la menace !
Helbella emprunta le bras de Merdigane, celle-ci fusilla du regard l’adjointe à travers son voile noir, et elles sortirent drapées dans leur indignation.
________________(II)________________
Tac.
« - Bien, eh bien voilà cette désastreuse situation réglée ! souffla Anabrisiæ alors qu’elle s’écrasait sur son fauteuil avec élan. »
Ses jupes volèrent dans un geste satisfait !
Elle se redressa quelque peu et s’adressa à son adjoint :
« - Qu’avons-nous maintenant comme affaires ? Ma chère et tendre Mosaïque m’as affreusement manquée ! »
« -Je n’en doute pas, Majesté ! Mais peut-être prendriez-vous un humble repos…
-Oh personne ne vous aime lorsque vous commencez ainsi ! rit Anabrisiæ en réajustant sa coiffe.
- Pour visitez votre père ?
-Quoi ? Pourquoi voudrais-je perdre mon temps à me rendre à la cour ? Et par Lux, faites moi taire ces musiciens !
-Laissez moi les escorter jusqu’à la porte.
-Merci !
Le président des comptes toujours bien droit jusque dans ses bottes d’un mouvement invita l’orchestre de chambre de sa Déité à sortir, discrètement.
-Néanmoins, reprenez votre insupportable discussion sur mon père et son insalubre cour !
-Eh bien la « TourRoyal » en personne est venue vous inviter à son prochain Cabinet.
-Quelle tragédie avez-vous dû bien vivre pour souffrir de si ennuyeux personnages !
-Là n’est pas le sujet votre Déité, mais peut-être pourrez-vous en parler à votre père lors de votre prochaine entrevue !
-Aucune entrevue n’a été prévue AVANT le solstice d’hiver et je compte m’y tenir !
-Bien sûr. Seulement, le Roy souhaiterait sincèrement vous voir.
-Eh bien ! Il sait ou me trouver, asséna-t-elle la passion dans le regard.
-Assez pour aujourd’hui ! continua-t-elle : Passons aux questions qui concernent notre établissement ! La Mosaïque m’a en effet sincèrement manquée et je meure d’envie de me mettre au travail alors que me recommandez-vous ?
-Eh bien, votre Déité, je vous recommande d’étudier cette pile de document.
-Intéressant ? Et pourquoi ?
-Ce sont les dossiers des six gentilshommes et dix dames qui souhaitent voir garder d’importantes affaires par notre grand établissement ! Je les ai étudié méthodiquement moi-même !se rengorgea le président des comptes.
-Je vois. Hun, hun, hun. Merveilleux ! Commençons ! »
Elle piocha dans la pile, qui devenait une tour, de dossiers, et le posa sur son secrétaire en bois laqué.
« -Bien, l’échelle de justice. De quel rang est ce gentilhomme ?
-Monsieur de la Mœtte est un médiocre six de carreau et le personnage est franchement de louche origine !
-Président ! Où est passé mon bedonnant rond de papier ? Regardez-vous tout remonté par un client ! Que vous a-t-il fait ? s’enquit-elle ensuite avec un regard tranchant qui ne laissait place à aucune réponse.
-Rien, votre Déité. Il est simplement d’une inexcusable impolitesse !
-Si vous le pensez indigne de mon établissement faites à votre sauce. Je ne supporterais pas un impudent de plus entre mes murs qui se laisse assassiner !
-Oui, votre Déité.
-Mais étudiez aussi un peu ses antécédents dans les cours des aléas de lumière, l’on en sait toujours bien plus lorsque l’on voit les chez-eux des clients.
-Bien votre Déité.
-Votre révérence devient en fait bien vite agaçante président ! Sortez me chercher votre collègue ! Son prénom m’échappe. Vite !
Anabris souffla. Elle réarrangea la monture de ses cheveux, redressant le collet de dentelle cousu à ses nattes.
«-Messieurs et Mesdames du Conseil. Nous avons en cet équinoxe beaucoup à faire. Rien d’interessant à voir mais, c’est la Justice. Hélas. » souffla-t-elle déjà déçu par une séance qui n’avait pas encore commencée.
Déjà exaspérée aussi par la disposition des fauteuils, et le mauvais maroquin noir qui les garnissaient, alors qu’elle avait expressément demandé ébène d’été ! Pas, et en effet, certainement pas, ébène d’hiver !
« Sauvages ! pensa-t-elle intérieurement. »
Des têtes allaient tomber pour cette erreur ! Mais l’exécution serait pour plus tard.
« -Bien, alors nous avons en premier lieu le conflit entre la duchesse d’Auboisæbombe et son neveu par alliance : l’un exigeant de récupérer la dot de sa femme nouvellement absorbée, l’autre demandant un remboursement complet de la dot et du trousseau de coutume puisque l’alliance n’a pas duré une demi journée.
Nous avons aussi madame l’hétaïre XVII Garmellïa qui souhaite faire enregistrer sa fille sous le titre de princesse du sang, ce que la Maison d’Aureoyle nous refuse parce que notre belle Helëña est une sans cœur ! Sur ce point cependant elle a raison. Je refuse ! »
Elle signa le document, apposa son sceau et envoya les feuilles derrière elle. Deux messieurs durent se jeter de leurs fauteuils pour rattraper les papiers éparpillés et passèrent le reste de leur séance à les réorganiser.
À la droite du fauteuil divin, celui-ci étant attribué à l’Omniscience, était assis sur un second fauteuil le chancelier qui souhaitait sincèrement se mettre à l’ouvrage.
« -Ensuite… ce n’est plus vraiment intéressant donc je propose qu’on se concentre sur ces deux affaires !
Allons ! Maintenant à vous ! Débattez ! » exigea la dame.
Le chancelier prit la parole :
« -En premier lieu Messieurs et Mesdames du Conseil, j’aimerais discuter du titre de princesse du sang pour madame l’hétaïre Garmellïa… »
Anabris eut un nerf globulaire qui se tendit à la minute.
« -Quelle discussion y a-t-il dessus ? Je l’ai refusé. »
Le chancelier toussota un peu gêné. Il se tortilla sur son fauteuil un moment et se caressa les six poils de barbe qu’il avait.
« -Oui bien sûr Vôtre Déité, seulement… si j’osais je vous demanderais… Pourquoi la Justice refuserait-elle ce titre à une hétaïre respectable et de bonne famille qui saura récompenser notre Institution par quelques lucratifs remerciements ?
-Vous alors ! Il n’y a donc que les kauris qui puissent vous faire vous lever de votre fauteuil ?
-Eh bien les étrennes de l’aristocratie sont ce qui tient à flot cette Institution !
-Et les affaires coûteuses intrinsèques des courtisans sont ce qui vous paye vos rentes et vos pensions à travers l’Institution de Justice. Et autoriser une nouvelle-noble à gratifier son PREMIER enfant eut avec notre dignement respecté Roy, c’est se les mettre tous à dos. Et aucun d’entre nous ne voudrait une chose pareille ! »
L’assemblée meubla la suite du débat par des « hum… ah oui ! » ou des « … bien sûr non ! ».
« -Le titre de princesse du sang est pour la chair de la chair du Roy. Ses descendants, ses enfants, et les enfants d’enfants !
-Oui, rit Anabris, si vous parvenez à les lui faire reconnaître ! Or en cette situation, le Roy ne le souhaite pour l’enfant et il demande à ne plus être ennuyé par ça !
-Qu’en pouvez-vous savoir vous êtes en disgrâce auprès lui Madame !
-Je le suis peut-être personnellement, mais ma femme ne parle que par lui et elle m’a confié la nuit dernière qu’il était fortement opposé à ce titrage !
-La même femme à qui il refuse une élévation ?!
-N’osez même pas entrer dans ce sujet si vous souhaitez rester dans les bonnes grâces de votre Omniscience ! le coupa Anabris soudain furieuse.
-Mais…
-Mon père, monsieur, ne souhaite pas voir cet acte signé ! Et c’est là la seule chose ce qui importe. »
Le chancelier hocha, renfrogné, du menton, et le reste de l’assemblée, des véritables bigots à toute heure, opinèrent du chef en faisant leurs prières à Lux.
DONG !
Le menton un peu lourd révélait une grâce dans son port. Les cheveux d’Helëña étaient toujours portés hauts, assemblés par des poinçons d’or et surmontés par des points de dentelle. La dentelle était fixée dans les cheveux avec des broches d’argent, et les frisettes blondes de la belle étaient étoffées sur le haut de la nuque. Elle était bénie d’une trentaine de tâches de rousseur sur l’entièreté du front et des pommettes, le soleil se reflétait dans ses yeux et donnait un rendu bleu glacial.
Sa bouche avait une couleur vermeille et une mixture de sang mélangée à de la pivoine lui permettait d’obtenir ce rouge bouillonnant que la demoiselle portait toujours sur ses paupières et ses robes.
« Le rouge impérial de son Altesse, se porte haut dans les cieux des dieux.
La rose royal cueillie par les muses de l’Amour et des six Sciences, est baptisée Helen.
Qui pourrait ne pas y voir la gracieuse ressemblance et la flatteuse révérence à la reine Helëña ?
L’or, le blé et le sable. Chevelure de la reine.
Demoiselle d’honneur et de lumière, digne et pleine de grandeur, les nymphes se sont penchées sur son berceau à la naissance.
Elles lui ont fait don, dit-on, de la magnificence: dans sa posture et ses desseins intérieurs, elle porte le nom magnifique gravée dans le cœur. »
par Anbs.
Un beau poème lui avait été dédié dans les « Mémoires de la Grande gente Irisma ». Écrit par l’Omniscience Anabrisiæ en personne, elle avait fait publié par sa plus grande admiratrice un poème titré « Helene ».
Irisma, inspirée, avait rassemblé sa correspondance épistolaire en des mémoires de six tomes et les avait baptisées: “Hellénistes et Anabistes, l’histoire de l’Amour galant “.
Un grand succès s’était fait sentir à la cour et les jeunes générations avaient particulièrement goûté l’esprit délicieux présent dans les échanges de ces trois figures. Irisma, Helëña, et l’Omniscience Anabrisiæ partageaient lettres et placets aux ragots croustillants et aux bons mots spirituels.
Lorsque Helëña n’était encore qu’une jeune novæ, Marie-Crésus, la première fille du Roy, sa mère, avait disparue éliminée par Ève-Lilith, sa tante.
Les deux sœurs avaient eu un accrochage et ne s’étaient plus jamais parlées. L’une ne supportait pas les fréquentations de l’autre, inférieure à son rang, et l’autre, dans un geste de rage, l’avait arrachée de sa tapisserie familiale.
La tragédie de leur combat avait pris place durant le solstice d’hiver alors que la cour était pratiquement vide dû aux lumières dures et déchirantes de l’hiver.
Ève avait coincé sa sœur à l’Étage de l’Harmonie des Divins, entre la Porte de la Gloire et les Jardins de la Prouesse, d’un geste l’avait maintenu dans un état tétra-dimensionnel.
Marie-Crésus était restée ainsi durant six équinoxe. Ève-Lilith avait toujours nié avoir fait usage d’un geste contre sa sœur, les gestes étant interdits par « la parole du Roy ».
Tous témoins avaient été assassinés et la domesticité du Manoir Liliæth jurait sur les anges que leur maîtresse avait passé le solstice à organiser les réunions des Templiers ainsi que le MCXIV ème bal de la saison des solstices d’hivers.
Sans preuve d’usage d’un geste rien dans le "meurtre d’honneur", c’est ainsi que l’on appelait les meurtres par la famille, n’était interdit.
Seul le geste était interdit et rien ne semblait prouver qu’Ève en avait fait usage.
Leur Immuable disparue, la Maison Crésusiæ était à la dérive. Les Morfales, dynastie des filles de Marie-Crésus, étaient divisées sur comment gérer l’avenir de leur Maison.
Beaucoup réclamaient un assassinat d’un membre des Liliæth-Diæu au nom de leur mère. De leur côté, les alliés et alliées principaux et subordonnés de Marie-Crésus, les divers parents des Morfales, se battaient pour obtenir à leurs propres enfants la régence de la Maison. Et enfin, personne ne savait à qui le « pouvoir décisionnaire » de Marie-Crésus serait transmis.
C’était un véritable chaos, et étonnamment Ève-Lilith en était désolée. Celle-ci avait souhaité le respect de la hiérarchie stellaire et céleste, et avait punie sa sœur lorsqu’elle l’avait bafouée mais il n’était nulle part question de perturber la gestion d’une des deux plus grandes Maisons de la cour !
Dans toute cette troupe de personnages, une s’était distinguée : Ingrid-Rénioutet, septième fille de la Dame Osisis et du Damoiseau Sieur Igor, et troisième alliée principale de Marie-Crésus.
En tant que femelle novæ, elle n’avait aucune tâche dans l’éducation des plus jeunes, ce rôle revenant à un damoiseau. Les femelles haïssaient naturellement leurs propres enfants et ne s’occupaient d’éduquer les héritiers, et seulement les héritiers !, que lorsque ceux-ci atteignaient l’âge adulte. Plusieurs millions d’années pouvaient s’écouler sans qu’aucune ne s’enquit ne serait-ce que de la santé de leur progéniture. Ainsi allait la biologie nova.
Mais Ingrid-Rénioutet avait toujours vu dans les enfants l’avenir de la noblesse novæ, et lorsque Marie-Crésus avait disparue, elle s’était sentie impliquée de la charge des deux plus jeunes Morfales de l’époque : Mì nubiá Helëña-Adxelaïde-Cecilia et Mì nubiá Constantina-Athiëra.
Elles tenaient leur titre honorifique de « Mì nubiá » du Nihil.
Elles étaient mignonnes et fort vives en ce qui concernait la tournure d’esprit.
Sous couvert d’un “respect” envers le Roy, elle les avait présenté à celui-ci en tant que « des machines parfaites produites par le sang royal de sa Suprême Majesté le Roy et l’influence éducative du Néant la xénocléia Cléoménéïa ».
L’orgueil et la paresse professionnelle du Roy avait fait le reste : Il souhaitait depuis longtemps se dégager des impératifs que réclamaient ce règne sur ses créations novæ.
Il nomma dans les deux solstices suivants les deux petites à la charge de Tutrices du Roy, les plus jeunes jamais nommées, et leur adjoignit un fond de recherche. Dans le millénaire, elles rendirent une étude prometteuse sur le point du Roy : leur fortune était faite. Il les nomma en tant que « Couronne », un titre parfaitement inventé qui leur donnait les pleins pouvoirs de règne. Leur Roy était dieu et elles étaient ses mains et sa parole.
Elles représentaient depuis, la parole du Roy et toutes les institutions politiques, interdimensionnelles et indépendantes étaient sous leur autorité.
Pour faire simple elles étaient le pouvoir royal.
Jusqu’à ce jour, Helëña-Adxelaïde-Cecilia et Constantina-Athiëra se souvenaient de ce que leur belle-mère avait fait pour elles.
En les présentant au Roy, elle avait court-circuitée la course au pouvoir de la régence de la Maison Crésusiæ et les avait placé sous une protection impossible à détruire. Les autres jeunes novæ, notamment masculins, n’avaient pas tous eu une telle marraine pour les sauver.
Aujourd’hui, Helëña manageait l’entier système politique sous l’autorité du Roy. En tant que telle, elle gardait une neutralité royale et n’arbitrait que les affaires qui touchaient aux intérêts ou à l’intimité du Roy. Pour ce qui étaient des rapports avec le Néant officiellement les Ambassades en avaient la charge mais officieusement elle et Constantina gardaient une correspondance très fournie avec leur tante qui depuis son univers nihiliste et froid veillait sur la bonne santé des filles de sa sœur.
DONG !
Dans le reflet de sa vitre, Anabris parcourait les pages du Prusse Presse en prose à la recherche d’un quelconque détail interessant qui pourrait distinguer ce journal de la médiocrité. Elle n’en trouva pas. Elle le referma donc et piocha dans un châtié vocabulaire pour pester.
« Imbéciles ! » fût le premier qui lui vint.
Dehors il faisait un temps plat. Ni moche. Ni beau. Plat. Les bananiers n’étaient pas encore en période de fleuraison et l’humidité s’écoulait sur leurs écorces comme une sueur d’anxiété. Des simples raclaient les échardes des écorces et grimpaient, sur des échelles de roseaux, trop mal taillées pour être d’une quelconque stabilité, l’œil à la recherche d’une ruche dont deux lingères juraient avoir aperçu un faux-bourdon sortir.
La vie était bien différente devant ses appartements de fonction. On lui avait aménagé tout le confort nécessaire, on avait dû oublier d’y placer une touche de légèreté. L’endroit était lourd, les bâtiments étaient sans âmes, peinturés d’or et portant une ferronnerie à l’idée stylistique redondante. Rien dans l’architecture ne donnait à l’œil qui l’observait cette lueur que la cour savait apporter. C’était affligeant. Pas de meubles laqués, ou de fines toitures en porcelaine, juste de la pierre laide, sans reflet ou perspective, un or mal lavé et des boiseries qui prenaient petit à petit forme de compost.
Le rythme acharné de son doigt, s’impatientant d’un tapement, su se trouver lorsqu’elle vit un page se cogner l’arrête du nez sur une colonne. Le tapement se fit rude et griffant sur le bois du secrétaire. L’irritation pourfendait sa tempe et sa chair prenait une température plus lourde que le vieux feu qui brûlait dans la cheminée. Le page aperçut le regard qui était posé sur lui et baissa les yeux plus rapidement qu’il ne plia son maigre genou. Il fit une grimace de douleur lorsque celui-ci se bloqua. Il ramassa au sol, l’air de rien, un tison et se hâta près de la cheminée afin de ramener un feu mourant à la vie. C’était le médiocre parallèle qu’il fallut à Anabris. Elle ne pourrirait pas dans ce mausolée tristement sculpté ! La justice ! Quelle ri-go-lade ! Elle allait emballer cette affaire plus rapidement que la bonne sœur qui l’accompagnait ne faisait le ménage, et elle aurait fait déplacer ses meubles dans son ancien panthéon avant l’aube ! Fulminante de colère, empêtrée dans son sentiment d’injustice, elle brailla le nom d’un valet qu’elle avait approximativement juste et brailla encore jusqu’à ce qu’il arrive, un bas mal enfilé et ses chaussures mises dans le mauvais sens. Pendant ce temps, le page tout cabossé, avait su s’extirper d’une situation qu’il sentait bien, n’allait pas aller en s’arrangeant.
-Pione ? C’est ça, dit-elle sans s’arrêter une seule seconde sur la question. Apporte moi le… le… ragh ! Le… le truc de justice ! Apporte moi le truc de justice !
Le valet toussota gêné.
-Le… truc-de-justice votre Divinité ?
-Oui, s’agaça-t-elle, le truc-de-justice, tu es sourd en plus d’être ambidextre ?!
Il observa, penaud, ses deux chaussures mal enfilées.
-Dieu-m’a-t-on donné les plus sots de la cour ? Je veux le truc-là ! Celui qui récapitule tes statuts dans la hiérarchie des horizons, imbecile.
La rage, et l’ennui, eurent bientôt raison de son irritabilité. Son énergie s’était trop vite essoufflée aux forces de la colère, et maintenant elle n’en avait plus d’autre envie que celle de bouder sans raison. Ce valet la regardait comme si elle était simplette. Comment ? Comment, lui osait la regarder, æl, de haut ?! Elle était tout. Et il n’était rien. L’impudent !
-Qu’as-tu toi ?
Le valet regarda de droit à gauche, persuadé, ou se persuadant qu’elle s’adressait à quelqu’un d’autre. Quand il se fut résigné à l’idée que c’était à lui qu’elle s’adressait, il balbutia en omettant de syllabes :
-Pard…
Anabris, ne remarqua en aucun cas l’état dans lequel se trouvait le garçon devant elle et se pencha, appuyant de tout son poids sur ses coudes, ceux-là même qui prenaient la couleur rougeoyante du valet au bord des larmes. La géante, boudant et tempêtant intérieurement sur sa situation, le foudroya des yeux.
-Qu’as-tu, toi ? articula-t-elle en retroussant les commissures de sa bouche, les rendant aussi rigides que la pierre de ses appartements.
L’œil dansant avec son strabisme natal, le regard d’Anabris se fit dur. Elle enrageait, elle bouillonnait, pour ce fieffé de valet qui riait d’elle, pour ces courtisans dignes de rien et se pavanant comme la dinde avant le dîner, et pour ce père dont elle était affublée, qui était plus capricieux, plus vaniteux, plus prétentieux qu’elle-même !
-Tu n’as rien d’autre que ta livrée, que tu portes comme si elle était d’or, tu n’as rien d’autre que ce que le Roy te donne et ce que le Roy te donne, JE lui dis de te le donner ! Tu n’es rien si je ne dis mot sur toi, tu ne signifie rien si personne ne me parle de toi, tu n’as et n’auras jamais rien à moins que je ne sois satisfaite de ton service. Est-ce que tu comprends, pauvre, imbecile ?
Elle avait craché ses paroles comme un mauvais nectar qui lui aurait brûlé les nerfs de la langue. Ses cils ne battaient plus, ils s’ancraient dans sa paupière. Sa bouche était figée dans une expression taillée dans la rage et ses cheveux hirstutes frappaient leurs racines contre son crâne dur. Mais surtout ses rides s’étaient relevées d’un seul mouvement et gigotaient les unes entre les autres, attendant le signal qui transformerait le visage de l’Omniscience air de démon.
-Oui, souffla alors le valet.
Anabris laissant retomber les rides de sa colère et déplissa ses yeux comme si rien ne s’était passé.
-Bien. Alors apporte-moi le truc-de-justice et n’en parlons plus, petite chose.
Sa colère n’était déjà plus qu’un mauvais souvenir, et elle perdait le souvenir, qui s’enfouissait sous d’autres pensées dont bientôt elle ne retrouverait plus une trace. Le valet s’était enfui sans demander son reste.
Elle farfouilla dans les piles de documents sur son bureau. Elle avait perdu son verre. Et un besoin de nectar se faisait sentir. Elle jeta feuilles après feuilles, les pavés comme les plus maigres dossiers, elle ne trouvait pas son verre !
Elle redressa le nez, sur lequel était collé une feuille noircie de réflexions à l’encre. Elle tâta autour d’elle, sur la face lisse de son secrétaire, et mâcha avec ses deux mains boudinées, ses toutes brunes touffes de cheveux.
Sa bouche prenait une moue serrée et pincée, ses lèvres se gerçaient au fil et à mesure que le verre de nectar s’égarait.
Elle renversa un flacon d’encre qui ne se trouvait évidemment pas là quelques minutes plus tôt !
Résignée à ne jamais étancher sa soif, Anabris s’effondra sur son fauteuil et soupira. Elle posa son regard sur le coude droit du fauteuil et observa sa main, son ongle plus précisément, dessiner dans le velour de ce fauteuil. Elle y fit un sourire à l’envers.
-Alexandras ! cria-t-elle en laissant plonger l’arrière de sa tête sur le dos du fauteuil.
Des petits pas tout frêles claquèrent sur les dalles de marbre, et résonnèrent de plus en plus fort au fil de la marche d’Alexandras. Celle-ci frappa à la porte comme un écureuil enragé qui y aurait été chercher des noix.
Elle entra sans attendre une permission, son voile rose porcelet rabattu sur ses cheveux et son manteau noir resserré sur sa broche.
Elle portait une broche en cuivre, décorée d’un petit fil d’argent et pour fanfreluches, des plumes de perdix.
Son manteau en lin était hérissé sur les manches par le pelage épineux des porc-épics. Certains en usaient pour des cure-dents, elle, elle les portait en fourrure.
Ses petites lunettes rondes rafraîchissaient son visage, sa peau noire ressortait sur le rose du voile et les chaînes cuivrées des lunettes, composées de petites perles, tombaient sur sa branche de lavande. Elle l’avait accrochée sur sa poitrine, à gauche et en savourait la senteur dans les moments difficiles.
Elle se présenta à l’Omniscience dans une révérence.
-Oui ?
Anabrisiæ plissa les yeux. Elle n’aimait pas cette femme, et cette femme ne l’aimait pas non plus. Elle était plus belle qu’elle, plus intéressante, et plus talentueuse, tandis que cette femme bien-pensante n’avait pour elle que sa "piété".
Elle n’aimait pas cette bonne sœur, et elle n’aimait pas devoir la tolérer.
-Tu as fini de nettoyer les escaliers ?
-Oui votre Altesse.
-Et d’épousseter les collections ?
-Oui votre Altesse.
-Et tu as donné aux serviteurs mes directives ?
-Oui.
-Bien.
À l’affût de la moindre erreur, Anabris détailla la bonne sœur du regard. Elle avait gardé une tenue impeccable en dépit des basses besognes qu’elle lui avait données.
Renfoncée dans son fauteuil, elle avait peu de temps pour réagir avant que le silence ne prenne place. Elle réfléchit à une remontrance ou à un surnom qui pourraient la renvoyer à sa place. Elle n’en trouva aucune.
-Assure toi d’envoyer un billet aux Tuteurs royaux, je ne compte pas croupir ici bien longtemps. Mon père me fera revenir. Il me cède toujours.
Chapitre II
ARRIVÉE de la future reine
KLEOPATRA-SELENE dans les
horizons, très prochainement !
Arrivée prévue lors du 1er jour du solstice d’hiver. La nouvelle reine, sortant du Néant pour la première fois,sera attendue dans le panthéon royal par un passage direct, ce passage ayant été expressément commandé par la Maison d’Aureoyle à la Grande Ambassade.
La nouvelle souveraine sera escortée de sa suite ainsi que d’un membre de l’Observatoyre en tant que chaperon.
Une demande de composition pour une nouvelle maisonnée a été lancée.
Cette alliance ayant la bénédiction du Nihil, l’alliance sera respectée selon les coutumes nihilistes.
La future reine KLEOPATRA-SELENE offrira un lignage pur et des anges-servants d’origine observatoyrienne.
Et son allié principal, Gectorh, fils aîné de Flor de Nyæ, apportera en dot une petite fortune de trois millions de kauris, autrement dit trente porcellena, et de deux Cypraeidæ de rente, doté par le Roy lui-même et pris dans sa propre cassette.
Extrait de l’article deux heures du Prusse Presse en prose.
Dans le fond du panthéon, un trône plus large que haut portait une petite personne. L’Enfant-Roi. Le Roy. Lux. Tant de noms pour décrire une si médiocre petite chose. Les traits fins, le visage avec moins de pilosité qu’un poupon, il arborait un sourire précieux : légèrement pincé et si creusé dans la marmelade de chair qu’à l’œil nu, personne n’aurait deviné à quel point ce sourire était factice.
En vérité le petit enfant était un amas de lumière d’un âge éternel, aux yeux nombreux et fouineurs, et à la concentration trop affûtée pour manquer l’éternuement d’un scarabée. Mais il concentrait toujours son attention sur tout ce qui n’en valait pas la peine. Ses Tuteurs l’enfermaient dans de très étroits espaces et durant des éternités afin qu’il se concentre sur son point, pour le voir toujours distrait par on-ne-savait quelle hétaïre. Quand il ne procrastinait pas, il était facilement brillant, hélas on ne le réalisait souvent que sur une quelconque tâche ou conversation indigne d’intérêt. Pendant ce temps, l’adversaire de Lux, des horizons, jusqu’aux pôles-mêmes, s’acharnait à travailler le détail le plus pointilleux de son point. C’était à n’y rien comprendre. Un pur enfer.
Tous travaillaient à la gloire et l’entretien du Roy sauf ce dernier ! Ses Tuteurs étaient chaque jour un peu plus désespérés, et silencieusement soucieux. Ce n’était certainement pas la majorité d’entre eux qui feraient la différence, la moitié était trop impliquée dans ce qu’on appelait l’air de cour [ les intrigues ] pour s’en soucier, et l’autre moitié, plus consciencieuse, était malheureusement déjà sur la sellette par, le Roy lui-même, ou, sa fameuse et vile cour !
La situation politique était désastreuse. Dans ce chaos, seuls les Omnisciences Fyls semblaient intéressés par la sécurité du pouvoir paternel. Intelligents, séduisants et charmants envers tous, ils étaient ce qui ressemblait le plus à un potentiel avenir.
Car là était la question: les horizons avaient-ils un avenir face à un implacable ennemi qui maîtrisait l’espace-temps ?
Lors de leur période de victoire sur le Néant, période post Nuit des temps, ils avaient exigé tant du Néant que cette dernière s’était sentie bafouée. Elle en avait versé quelques larmes, la vipère. Crocodile ou serpent, l’espèce restait la même, persiflante et rampante. Seul un aveugle aurait vu dans ses yeux nihilistes la trace d’une émotion tant son expression était sèche !
Et à présent, cette période de succès touchait à sa fin. Et on ne savait ce qu’il allait advenir des horizons célestes.
Ce large trône portant un bel enfant, était étouffé par les coussins de soie et de satin colorés, ainsi que par la position avachie de celui qu’on nommait le Roy.
Si ce trône avait pu parler…
Ce trône n’était pas si malchanceux néanmoins car il se trouvait couvert par un haut dais. Le dais satiné n’avait qu’un but :
afficher grossièrement l’importance du petit Enfant-roi dessous.
Autour de cette mascarade, pour y ajouter une petite touche d’absurde, une belle poudre blanche tombait : c’était la « poudre des miracles ». Elle chamboulait jusqu’à la composition de l’univers. Les lois du temps, de la réalité, et de la physique n’échappaient pas à ses miracles.
En bref, cette poudre réalisait les vœux les plus chers si l’on savait comment l’utiliser.
Autours de ce tableau prétentieux, des bêtes mythiques qui plumaient le quotidien du Roy, autour des bijoux à la valeur indécente portés par un si petit bonhomme, autour de tout cela, une foule bondée de courtisans prêts à toutes les singeries pour attirer le regard de leur dieu, se pressaient inconfortablement pour voir et être vu, observer tout en se sachant observé, et pour critiquer sans s’imaginer subir le même traitement du voisin transpirant.
Quel beau tableau que celui-là vraiment ! Deux corbeaux annonçaient à tout le panthéon chaque aristocrate venu pour quêter au Roy une quelconque faveur. Deux belles jeunes femmes à la chevelure de serpents soufflaient dans un pipeau fait d’argile et laissaient les légers souffles d’air qui en sortaient, envoûter leurs cheveux venimeux. Ceux-ci, pris dans l’air du pipeau, gravaient chaque scène d’entrevue à coup de crocs sur un beau marbre gris-blanc.
Les deux jeunes gorgones, filles adoptives d’Athénaïs, agréables de nature mais laides de cœur, s’irritaient déjà de leur nouvelle charge de transcriptrices. C’était d’après certains bruits de couloirs, « indigne » de leur rang. Quelle plaie que ces deux jeunes filles. Leurs plaintes chuchotantes ennuyaient jusqu’au Roy qui pourtant les estimait.
Elles étaient installées sur des petits carreaux de plumes et de soie, juste sur l’escalier qui descendait la mezzanine. Le Roy perché dessus, entendait chaque pet qu’elles avaient de travers grâce à l’acoustique du panthéon. Il faudrait que l’Enfant-roi toucha un mot à ces deux coquettes.
Des muses, sous la mezzanine royale, trituraient leurs instruments sans passion, en nage de se présenter devant le Roy, Lux lui-même, parvenant à émaner à peine quelques sons accordés qui portaient une forte ressemblance avec le jazz. Lorsque le chef-d’orchestre, d’une obscure naissance, inadapté à un tel lieu senti que le vent de la faveur s’enfuyait au loin, il abandonna et le souffle court, ne se donna même plus la peine de suivre le tempo. C’était affligeant, et celui qui l’avait recommandé serait probablement demain, viré de la cour pour cette faute.
Les courtisans râlaient. C’était à l’orchestre de divertir le Roy et sa cour, durant les intermittences qui fragmentaient les présentations, les quêtes, et requêtes ainsi que toute autre demande d’entrevue avec le Roy. Le Roy préférait tenir ces journées d’entretien chaque solstice, plutôt que de s’atteler à son point. Et les courtisans en payaient le prix car l’emploi du temps surchargé de la Cour ne se mettait pas en pause pour autant, et beaucoup avaient des charges donc : des fonctions et des caprices à remplir, des événements auxquels être, et des responsabilités qui devaient être tenues, tout ça avant le coucher du soleil. Là ils pourraient se perdre dans moults plaisirs et divertissements, des salons aux antichambres des Grands, grimpant les étages dimensionnels pour être de toutes les fêtes ! Mais de l’aurore au crépuscule, ils avaient à faire ! Même les rentiers avaient leurs traductions de leurs code et leurs études, en général, à poursuivre !
Mais il fallait être vu du Roy, il ne supportait d’être seul !, faire sa cour,se montrer présent là où tout le monde était présent, et ne pas donner de quoi vous perdre à ceux qui vous attendaient au tournant.
Peste ! L’Enfant-roi exigeait la procrastination, et voulait voir sa cour faire de même :
« Comment ?! Y avait-il mieux à faire que d’être auprès de son Roy ? » s’indignait-il quand on lui en touchait un mot.
Jusqu’aux Grands se poursuivait ce déplaisir. Leurs codes étaient ce qui faisaient d’eux des gens du Roy et ils devaient pourtant se tenir immobiles sur leurs chaises à bras !
Mais c’était aussi l’occasion d’observer le courtisan voisin et de voir si, soufflait sur lui, le vent de la faveur. Et tous aimaient à se rire des présentés, à enfoncer trop bas ce qui étaient reçus, ainsi qu’à rire ici et là du bon mot d’un esprit prometteur.
Mais tout de même ! Si l’orchestre devenait de piètre qualité, que resterait-t-il ? Le fils aîné de la Maison Diæu lui même s’était mis à ricaner lorsqu’une muse de l’orchestre avait perdu sa perruque. Une princesse de la Maison Crésus l’avait foudroyé du regard mais trop tard, le fou rire était parti et plus moyen de l’arrêter. Contaminant tous ceux qui l’entouraient, Alexandrin Lilith de Diæu, en perdit l’équilibre et s’effondrant sur son cadet qui fit un effort terrible afin de garder son sérieux, il sentit derrière lui deux Damoiseaux pris d’un gloussement incontrôlable. Dame Athénaïs en pleura, hilare, tandis que Mademoiselle Flor de Nyæ réprimandait sa garde rapprochée, Desmond, pour le sourire qui naissait entre ses fossettes. Finalement les courtisans suivirent l’outrecuidance des Grands, rirent à pleine voix, et la muse confuse qui remettait sa perruque, pleura de rage. Ah, celle-là aurait l’épisode en travers de la gorge et la vengeance au plus tôt, ne serait que trop douce !
Le chef-d’orchestre, déjà au parfum de sa propre disgrâce, remballait ses partitions dans un capharnaüm qui n’était déjà plus qu’un objet de moquerie.
Le Roy lui-même souriait et, dans un coin de sa tête, devait déjà tout raconter à ses enfants. Ceux-ci n’étaient pas là. Ils vivaient dans le noyau familial de l’Æ : la Ière dimension.
La Cour se trouvait dans l’Épicentre, et l’Épicentre était la IIème dimension.
La IIème dimension entourait la Ière dimension du côté de la lumière.
Le Néant de son côté englobait la Ière dimension.
C’était compliqué, mais il fallait saisir que l’univers dimensionnel et l’espace-temps interdimensionnel, deux choses distinctes, propriété du Roy et propriété du Néant, dépendait de la Ière dimension.
Les portes de cette dimension n’était ouvert qu’à l’Æ.
Æternitas et Omnisciences avaient cette dimension dans les veines, c’était leur maison et était bâtie dans la chair même de l’Æternitas.
Personne d’autre ne pouvait tolérer d’être dans cette dimension.
Lorsque un homme aux pieds trop grands fut annoncé par les deux corbeaux et entra, le chef d’orchestre fut allégé du rire de la cour. Celle-ci se détourna de l’orchestre pour observer, l’air légèrement moins impatient, le nouveau venu. Il avait le nez court et gras, et traînait du pied avec une grâce déconcertante. Ses habits dataient déjà de quelques modes mais il les portait si bien qu’aucun courtisan n’eut à y redire. Sa cape s’agrippait presque au sol, comme une bête tenue en laisse. Il était suivi par une dizaine de géants qui tapaient sur des tambours, chantaient en son hommage et dansaient avec une expression triomphante. Le tout avait un aspect grandiloquent qui tournait le tableau royal en ridicule.
Le pas lent du nouveau venu commença à tendre certains nerfs lorsqu’il atteignit finalement le deux tiers de la distance qui le séparait de la mezzanine et du trône qui la surmontait.
Que le beau dindon se pressa, certains avaient d’autres choses à faire que de se dandiner !
Pourtant il garda sa traîne et porta son insupportable lenteur comme le plus brillant des atouts. L’Enfant-roi toussota lui-même un tantinet agacé. Qu’avait donc cet homme pour traîner ainsi ?
Finalement, parvenant aux petits escaliers de la mezzanine, le gentilhomme plongea dans une trop profonde révérence.
- J’APPORTE ! À ! SA MAJESTÉ ! UN !GRAND ! PRÉSENT ! s’époumona-t-il alors, sans plus se soucier pour un sou des on-dits.
Il se défit alors de sa cape. Alors qu’elle tombait, le coton glissa sur un beau paquet dissimulé dessous. Le paquet était fait d’argile noire, et maintenu bien serré par un ruban de dentelle . L’Enfant-roi attendait. Pas le moins curieux du monde, ses paupières tendaient à se laisser tomber, et ses pupilles cherchaient du regard sa Tutrice préférée.
Les rides du gentilhomme s’étiraient pour laisser la place à sa parole, et son accent était terriblement gluant. Plein de miel, de bons mots mal dits et d’expressions ampoulés, il ne perdait pas une once de son assurance, pourtant grossièrement interrompu par les méchants bâillements des malicieux.
II ) ______________________________
Dans l’ennui de la salle du trône, la cérémonie des placets, quêtes et requêtes avaient commencé.
Le dais avait été placé haut, bien haut, haut dessus du trône en or massif de l’Enfant-roi.
Le trône était un nouveau chef-d’œuvre sorti tout droit des Manufactures d’Héphaïstos, il portait des ferronneries modelées sur des véritables lys, au centre du dossier un trou avait été taillé où une sphère de vitraux violets, dorés et bleus représentait les jours heureux des temps romanesque, et sur les bras du trône avaient été tatoués dans l’or le saint symbole : « æ » le symbole de l’infinité.
Les charges étaient distribuées à ses pieds lors de diverses cérémonies et événements où le Roy souhaitait distinguer un fidèle membre de sa cour. Le prynce Alexandrin avait reçu la sienne pour les étrennes du solstice d’été. Dævisiovich, avant son exil, avait reçu la sienne lors de la cérémonie du Petit Coucher du Roy alors qu’il lui tendait sa chemise de pré-équinoxe : il lui avait alors dit :« Prenez soin de mon savoir, mon enfant. Comme votre mère, comme votre père qui m’est si cher et comme votre frère, un bien loyal servant. Il me sert bien et avec assiduité, je ne souhaite qu’être aussi satisfait de vous que comme je le suis de votre frère et de votre père. »
Aujourd’hui, il avait plu à l’Enfant-roi de recevoir madame de Moræll. Une femme de grande envergure et d’une stature égale.
Vêtue d’une belle tunique de dentelle brodée d’or et ceinturée par un tissu de soie cousu de diamants. Cette femme avait un caractère spécial: indomptable et furieuse, tout son clan la craignait.
Elle se fit annoncer par les deux traditionnels freux à l’entrée du panthéon.
-Madame de Moræll ! croassèrent-ils leurs bustes plumés bombés fièrement.
Alors que les portes, faites en pierre blanche sculptées, furent tirées avec effort par six cintriers de chaque côté, madame de Moræll releva ses jupes et fit une première révérence. Elle s’inclina bien bas et laissa ses jupons tomber sur ses genoux. Nullement embarrassée par son panier en dessous, elle se releva sans la moindre peine.
Elle commença alors à marcher, relevée, sur le tapis couleur olive qui s’étendait le long du panthéon jusqu’au pied de la mezzanine sur laquelle était posée le trône du Roy.
Le bas de sa jupe coulait gracieusement sur le tapis brodé, et l’air impassible, elle avançait d’un pas certain et rapide.
Cette novæ mouvait à son aise dans les couloirs de la cour et en connaissait toutes les règles tacites. Pourtant deux choses échappait à cette incarnation de la Perfection: une charge et un objet d’étude.
Riche et membre influent dans l’aristocratie nova, cette femme restait en effet une noble nouvellement titrée.
Elle avait été la dame de compagnie de Flor de Nyæ à l’époque où celle-ci grandissait encore dans l’aléa de lumière familial. Depuis elles ne s’étaient revues, et lorsqu’une imprudente avait invité la jeune de Moræll dans l’Épicentre puis à la cour, celle-ci avait été si à son aise qu’on la croyait d’une ancienneté digne de la Nuit des temps.
Flor, en tant que dame d’une ancienneté précédant à la Nuit des temps, avait remis les pendules à l’heure et fait comprendre au monde que celle qui était autrefois son amie n’était qu’une arriviste.
Depuis la guerre était déclarée entre elles, et avec une montée en puissance des nouveaux-courtisans, de Moræll luttait maintenant à armes égales.
En effet une nouvelle fournée de courtisans était arrivée à la cour par l’on ne savait quelle folie et à présent le lieu de vie du Roy se divisait en deux factions : la noblesse ( Grande et Petite ) et l’aristocratie ( aussi appelée la nouvelle-cour ).
La noblesse rassemblait les familles, constellations et Maisons dont l’ichor était transmis depuis la Nuit des temps. Ils avaient les charges, les places politiques et la majorité des objets d’étude, qui était la seule distinction qui permettait d’approcher la personne du Roy.
En revanche, la nouvelle-cour, qui passaient à l’origine leur quotidien d’immortels dans les aléas de lumière, était fascinée par l’étude des étoiles et lorgnait cette objet d’étude ( le premier en son genre ) depuis maintes solstices. Encore très discrets il y avait quelques solstices, ils étaient maintenant une faction en nombre et étaient de plus en plus établis par le Roy. L’une d’entre eux avait même reçu pour la première fois une charge de patronage d’une Institution royale.
-Sir, je me présente aujourd’hui devant vous, le cœur empli d’espoir, et vous supplie de m’accorder la charge de Grande Louvetière autrefois charge de ma belle-sœur madame de Pompinœis.
L’assemblée éclata de rire. Les plumes et les dentelles rirent à l’unisson avec les bottes de cuir et les pourpoints en pagne.
Les dames et les gentilshommes, les Grands les premiers, persiflèrent avec verve à l’encontre de cette requête :
« -Quelle insolente ! »
« -Une aristocrate qui mande une charge ! Quelle innovation! brailla un autre. »
« -Avez-vous vu ? Elle regarde notre dieu droit dans les yeux ! »
Et en effet, elle fixait le Roy de son regard de braise. Avec jalousie, Scharlest Iemo s’approcha de lui et lui caressa l’entrejambe cherchant une quelconque attention dans ce petit être distrait et luisant. Le Roy, ennuyé par le brouhaha de sa cour, souffla agacé et embrassa le beau Scharlest sur la joue. Celui-ci récupéra discrètement une once de la poudre à perlimpinpin qui tombait du trône, et siffla.
Deux architectes de moindre mesure se faufilèrent à travers la foule, ils passèrent devant de Moræll avec gravité et se présentèrent au Roy.
-Les architectes qui osent se présenter devant vous, Sir, ont préparé un nouveau jardin dans votre panthéon en votre honneur. Mesdames vos favorites y prennent déjà le thé et Messieurs vos mignons vous attendent pour le découvrir.
-Tes architectes ont-ils mis des statues ?
-Oui Sir.
-Et ont-ils agrandi le palais de porcelaine dans le labyrinthe de la Joie pour mes chiens ?
-Oui Sir.
-Fort bien, bailla le Roy.
L’Enfant-roi d’un geste fit taire l’assemblée. Il prit la parole :
-Les audiences sont terminées pour aujourd’hui.
Un long soupire de soulagement passa dans les rangs des courtisans, heureux de retourner à leurs occupations. Les plus méchants étaient ravis de voir de Moræll suspendue aux lèvres du Roy, et d’admirer celui-ci qui déjà remettait son manteau en voile d’Ilili et en pagne de Moreau, distrait.
-Quant à votre demande madame, je verrais.
Ces deux derniers mots étaient la comptine de la cour. Le Roy ne disait jamais oui. Il disait qu’il y « réfléchirait », puis oubliait pendant quelques temps avant qu’un fidèle ne lui rappelle gentiment la question et alors seulement il étudiait la question. Ce n’était ni un oui, ni un non.
Chapitre III
Tic.
Être cintrier apportait de grands avantages. D’abord, toute la cour et sa domesticité dépendait des cintriers. Ensuite tout ce qu’ils se disaient durant leurs montées ou leurs descentes étaient entendables. Tous les petits et grands personnages de la cour passaient par les monte-charges, et tous savaient des choses intéressantes.
Pourtant personne ne s’intéressait jamais au cintrier, même lorsqu’il était question d’espionnage. L’on s’adressait aux meubles, aux domestiques, aux anges et aux manufacturiers, mais jamais aux cintriers.
Il y avait quelques jours, une situation s’était ficelée comme un bon rôti et ______ avait été invité.
L’haleine un peu fétide et les épaules transpirantes par le dur travail de la journée, ______ avait comme chaque jour salué les usagers, ces derniers l’avaient ignoré et ____ avait mis le monte-charge en route.
Mais alors que tous s’étaient serrés les uns aux autres, femmes de chambre comme inspecteurs juridique et mémorialistes, une jeune femme s’était tournée dos à la porte grillagée de métal.
-Je suppose que vous devez vous demander pourquoi je vous ai réunis ici aujourd’hui, dit-elle.
Elle plissa les yeux et observa chacun de ceux serrés dans le monte-charge. Il y avait quelques visages connus comme Athanasios surnommé Athanas, le mémorialiste vedette du Prusse Presse en Prose et Meriopée-Gwañiéle, l’Immuable régente de la Maison Crésusiæ, qui se tenait dos à la porte.
Dans les visages plus obscurs se tenaient une faucheuse de l’Institution de Justice, et un ange-servant, une certaine Sainte-Madeleine, de la Maison Mordiæßne.
-Voilà mon avis : j’ai dans l’idée que l’isolement de notre cour et la guerre civile qui s’y prépare sont reliés à la mort de l’archiduc.
Meriopée-Gwañiéle était une jeune femme d’aspect impressionnant ! Elle portait toujours de grosses jupes vertes et noires et un imposant chapeau. Aujourd’hui n’avait pas fait exception, et un voile de dentelle qui lui dissimulait la face avait été cousu à son large chapeau.
Son visage était très maigre et ses pommettes perçantes, mais ses yeux… Oh ses beaux yeux bruns avec leurs mono-paupières, et leurs longs cils étaient magnifique !
Elle avait le teint peinturé de blanc et son rouge à lèvre appliqué sur ses lèvres en trois petits ronds formait un cœur. Tout en finesse, son nez était un peu cassé sur la fin de l’arête mais on ne s’y arrêtait pas en la voyant.
Et enfin elle avait des sourcils bien fournis qui se haussaient sous l’effet de la surprise.
-Lux-sait comment cette situation a dégénérée mais nous n’avons maintenant plus le temps d’y réfléchir. Il faut que nous désamorcions cette bombe à retardement qu’est la cour et pour ça enquêter sur le premier archiduc assassiné me semble être l’idée adaptée. Des questions ?
Sainte-Madeleine intervint les sourcils froncés et l’air pet sec :
-Nous avons mieux à faire mon enfant que de réfléchir aux raisons qui font de la cour le panier à crabes qu’elle est ! Est-ce pour cela que j’ai reçu votre placet ?!
-Sainte-Madeleine a raison. La nocivité qui régit la cour ne date pas d’hier, c’est le bon et juste déroulement des choses, approuva Athanas.
-Vous verrez votre Altesse que lors du prochain solstice d’hiver, notre cour n’aura jamais été aussi homogène ! conclut vite Sainte-Madeleine déjà prête à ouvrir la cage du monte-charge.
_____ stoppa dans un même geste le monte-charge ce qui fit brusquement vaciller tout le petit monde dans « l’ascenseur ». Athanas fut debout le premier et emboîtant le pas à Sainte-Madeleine, sortit la tête la première. Irritée la faucheuse, celle de l’Instution de Justice, qui s’était tenue dans l’ombre durant ce bref échange, réajusta sa perruque surmontée de kauris d’ivoire.
-Des lâches ! déclara-t-elle froidement à Meriopée-Gwañiéle.
Elle lui fit alors face et donna un coup dans le mur ouest du monte-charge. Les portes se secouèrent un moment, tremblèrent puis finalement se refermèrent.
La faucheuse de Justice saisit la main de Meriopée-Gwañiéle et la lui baisa.
-Aïcha. Aïcha Atelenier.
-Enchanté. Je me suis déjà un peu renseignée sur vous. Je n’ai rien eu jusqu’ici de réprobateur.
-Merci, votre Altesse.
-Que me voulez-vous ?
-Je souhaitais vous dire que j’en étais, de votre petite alliance. Je travaille à l’institution de Justice et… et il y a quelque chose qui ne tourne pas rond là-bas et dans cette affaire avec l’archiduc… je crains… que ce ne soit le noyau du problème. J’en suis, donc !
Meriopée-Gwañiéle hocha la tête.
-Contente de vous l’entendre de dire. Bienvenue dans l’équipe.