Adèle
Le vacarme puis le silence. Quel est ce bruit ? Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi m’avoir arraché à ma famille ? Mon esprit s’entrechoque de questions sans réponse. J’essaye de me persuader par tous les moyens que ce qui se passe n’est qu’un rêve ; en vain. Mon dos appuyé contre la colonne de marbre froid me fait mal; mais je ne peux me résigner à quitter mon seul appuis.
La porte s’ouvre dans un long grincement et le jeune garçon ayant partagé le trajet avec moi sors en trombe. La peur se lit sur son visage. Je ne peux m’empêcher de déchiffrer les expressions des individus devant moi. Encore une sale habitude dont je devrais me passer. Je doute d'y parvenir, enfin… peu importe. Le visage de l’examinateur passe l’ouverture et me fait signe d’entrer. Mes pieds restent cloués au sol et refusent d’avancer. “ Tu peux entrer.” Les mots refusent de sortir. Cet homme ne m’inspire pas confiance. Je repense à son discours et aux cris qui s'échappaient de la salle. J’essaye de bouger mais mon corps s’y refuse.
Allez. Calme toi, tout ira bien, ce n’est quand même pas cet homme de cinquante ans qui t’effraies. Si ? Mes muscles se détendent et autorisent enfin mes jambes à avancer. J’entre dans la salle. Aucune fenêtre. La seule source de lumière étant une petite ampoule accrochée au mur. La pièce est silencieuse. Seuls les battements de mon cœur rythme mes pas. Comment ai je pu en arriver là ? “ Bien assied toi donc” Le barbus me montre de son bras fin trois objets. Chaque engin comporte une partie verticale et une partie horizontale. Que suis-je censé faire de cela. Je n’ose pas poser cette question qui me turlupine. J’ai peur de sa réaction. Il me regarde d’un air dubitatif. Je me lance. “ Monsieur ?” Je sens le rouge me monter aux joues, ah ma bonne vieille amie la honte. “ Et bien ? Qui a il?” Mes paupières se ferment et je reprends mon calme. “ Je ne sais pas comment utiliser ces… choses.
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Comment ?
Ses yeux s’arrondissent encore. Je montre les trois objets du doigt. “ Vous voulez me torturer c’est ça ? Ce sont des instruments de torture.” On peut à présent admirer le blanc veineux de ses yeux. “ Attends, tu es en train de me dire que tu ne sais pas ce qu’est une chaise ?
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Si je vous pose la question à votre avis.
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Et bien.. Euh vois tu… il faut poser… comment dire. Son arrière train sur la plateforme horizontale qui se nomme un assise au passage, puis appuyer son dos sur la partie verticale : le dossier.
Je prend une chaise au hasard et essaye d’y déposer mon postérieur; impossible. Je ne peux m’empecher de le voir comme un dispositif de torture.” Mais tu ne restes pas debout toute la journée… Alors assieds toi comme à ton habitude. Tant pis.” Ses paroles en deviennent presque grotesques. Il veut que je fasse comme chez moi ? Allons-y !
Je me détends, coupe ma respiration et laisse mon corps s'équilibrer Posée sur ce petit coussin d'air, je me sens bien. La mâchoire de l’homme se décroche. Les mots s'emmêlent sur sa langue. Il ne peut plus articuler. Il est aussi excité qu’un enfant de six ans devant une étale de sucrerie. Suis-je une sucrerie? Je rigole intérieurement. J’étouffe un éclat. Le burlesque à changé de victime. Je compatie. “ Comment… Enfin tu voies ce que je veux dire non ? Je ne vois qu’une personne… “ il me pose des questions mais son regard se perd dans le vide. Ses émotions se contredisent. “ Je dois voir ta famille. Tout de suite !” Il n’est plus lui-même. Je ne sais si ma position le rend fou ? Je me relève. “ C’est impossible.
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Ah Tobias… Encore ces secrets. Tu as une fille et tu ne me l’a même pas dit. Ingrat” Il se parle à lui même.”
La situation me met dans un mal-être déconcertant. Je ne sais que faire. Fuir ? Lui parler ? je tente le tout pour le tout. “ Monsieur ? tout va bien ?
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Non ! Tout ne va pas bien. Je t’ai trouvée. Je devrais éclater de joie mais je lui en veut !
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Mais à qui donc en voulez-vous ?
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A Tobias… Je vais te tuer tu vas voir
A qui parle-t-il ? Il ne semble pas vouloir m'en vouloir. J’essaye une dernière fois de le résonner. Je me noie dans ses paroles incohérentes.” Écoutez. Calmez vous Vos propos n’ont aucun sens. Je ne connais personne sous le nom de Tobias. Personne, m’entendez vous ?” Sa respiration s’apaise enfin. Il sanglote. Je repense à l’homme droit et sévère d'il y a quelques heures. “Réveillez vous enfin!” Sa crise est terminée. A peine se fut-il remis de ses émotions qu’il se releva et poursuivit son examen comme si de rien n’était. “ bien. Date de naissance ?
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Trois mai
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Ancien établissement ?
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Aucun. Je n’ai jamais mis les pieds en dehors de chez moi avant ce jour. Je décou…”
Les lumières s'éteignent. Une odeur reconnaissable entre mille vient emplir mes narines. La peur me prend aux tripes. Il arrive. Mes yeux s’habituent peu à peu à la pénombre environnante. Une voix caverneuse emplit la salle.”Bonjour… Ou devrais-je plutôt dire bonsoir.” Quelle heure est-il ? Seize heures ? Dix-sept peut- être ? Ecoute Adèle. J’ai peu de temps devant moi alors sois gentille et suis moi sans faire d’histoire. La respiration haletante de l’examinateur m'empêche de réfléchir. Je commence à distinguer sa silhouette mouvante. Réfléchi. Allez. Une masse visqueuse commence à condamner la seule sortie de la pièce. On ne pourra pas se sauver tous les deux. J’ai fait mon choix. Je prends une petite lampe torche que je porte toujours sur moi. Tâtonnant dans la pénombre, je trouve enfin le visage d’Arold. Je m’approche de son oreille. “ Prenez ça et partez. Courez et allez vite allumer la lumière. D’accord? J’ai confiance en vous.” Je ne peux m'empêcher de remarquer l’inversement des rôles. Je devrais être à sa place, il devrait me protéger. “ Oh! Oh! Toi. Ne bouge pas… Ou je t'écrase. L’ombre s’approche de son visage. Il se pétrifie. “ Courez! Je vous ai dit de courir ! vous m’entendez! Courez!” Ces quelques mots semblent l’avoir sortis de sa torpeur. Il fond sur l’étrange substance, allume la lumière et se creuse un passage. Quand il atteint enfin la porte, le tunnel semble assez grand pour l’ouvrir entièrement. J'entends la porte se claquer dans le silence pesant. Je n’ai plus peur. “ A nous deux”.