Adwa – partie V

Par Luvi

Le jour s’était éveillé sous les senteurs délicates des écumes florales du grand jardin. Des pétales tourbillonnaient délicatement sous les frêles tourmentes d’un vent sec venu du grand désert. De timides rayons du soleil matinal caressaient doucement les pétales. Couleurs éclatantes et parfums enivrants s’entremêlaient aux perlées de rosées sous une douce fraîcheur.

Nous étions assis sous l’ombre bienfaisante d’un arbre majestueux. Ses feuilles scintillaient, percées par la lumière matinale. Je me laissais aller à la contemplation des buissons fleuris qui bordaient une fine rivière. Une cithare à la main, sa voix avait résonné aussi délicatement que le souffle d’un jeune vent dans le jardin aux mille senteurs. S’abandonnant à l’exquise volupté de son organe vibratoire, je laissais la mélodieuse symphonie qu’il m’offrait, apaiser les tourments qui continuaient à me ronger. La musique adoucit la plus vile des créatures ainsi que les cœurs croyants des âmes en détresse.

Il m’avait conté son histoire. Et quelle histoire que de découvrir celle d’un homme dont la destinée brisée l’avait menée aux confins de ce monde. Il était né d’un père Saïnik, un soldat milicien, garde rapproché de l’Isis noir. Il était né d’une mère Mizarienne, une grande prêtresse vouant sa vie à la défense de l’Isis femelle. Son existence pourtant haute en couleur avait commencé sur les teintes funestes du désespoir.

La mort de mes semblables avait plongé son monde dans le chaos, tout comme le mien. Tout comme moi, il avait dû naviguer entre les ombres de son passé et les incertitudes de son avenir.

Comme si nous étions le miroir de nos propres âmes, les similitudes de nos vies se retrouvaient renforcées par cette confiance que je pensais mutuelle, et qu’il m’insufflait chaque jour qui passe. Les épreuves qu’ils avaient traversées avaient éveillé en lui une force insoupçonnée. Force qu’il tentait de me transmettre par ses paroles pleines de bon sens et ses gestes bienveillants à mon égard. Une résilience qui l’avait poussé à se battre, en ce qu’il croyait, rayonnait en lui. Elle m’offrait une ressource bienvenue dans l’étreinte de son soutien. Les souvenirs de ses parents, bien que douloureux, tout comme le souvenir de mes ténèbres l’était, lui avaient donné la vaillance de se battre pour ce en quoi il croyait. Le cran de poursuivre sa quête. Aussi somptueuse que cet hommage à leur mémoire, cette promesse de ne jamais abandonner résonnait de tout son être.

Son parcours avait fait de lui un homme que l’on vénère, que l’on suit et que l’on adule sans compromis. Terres inconnues, royaumes oubliés et cités en ruines, il avait puisé sa force dans ses voyages. Il avait rencontré des alliés et des ennemis, des êtres de lumière et des créatures des ténèbres. Chaque rencontre, chaque bataille, avait forgé son âme d’une détermination sans faille. Aujourd’hui, il se tenait devant moi. Bien que son esprit soit marqué par les cicatrices de son passé, il était animé par une force mystique. Son histoire était celle d’un homme qui avait refusé de se laisser définir par les tragédies de sa vie, et qui avait choisi de se battre pour un meilleur avenir.

En cela, il me remplissait d’un nouveau courage. Je ressentais chaque fibre de mon âme vibré sous les éclats de son influence. Inconsciemment et ce malgré les douloureuses alertes de l’énergie de l’Isis noir, une connexion profonde s’établissait. J’en fus subjugué. Telle une puissante drogue s’emparant de mon esprit pour m’emmener danser dans un tourbillon de rêves et d’illusions, je me laissais emporter par ces sensations enivrantes. Exaltante et terrifiante, fusion intrinsèque de nos esprits, je sentis les limites physique et spirituelle de nos existences se transcender. À chaque mot de sa part, je plongeais plus profondément dans sa magie et son énergie. Un état de transe où tout devenait possible. Je m’abandonnais totalement à lui, son aura, son charisme, sa voix.

Ce que je sais, ce que je comprends à ce moment-là, est que les vérités cachées de chaque vie ayant lien avec le monde du divin me semblent porteuses de malheur. Les mystères et les secrets qui entourent les dieux et leurs subordonnées sont souvent plus souffrance que réconfort. Les révélations, bien que parfois nécessaires, peuvent bouleverser des vies et des croyances, laissant derrière elles un sillage de désolation et de doute. Était-ce cette leçon que le Seigneur Alkan tentait de me transmettre ? Je n’en suis pas sûr. Ce dont je suis convaincu, c’est que la confiance ne se donne pas aussi facilement. Que les mensonges répétés de nombreuses fois ne peuvent devenir vérités. Cette infime oscillation de son énergie m’en convint. Cet homme n'est pas celui qu’il prétend. C’est avec cette pensée malsaine en tête, que je me renferme dans les doutes et la peur. Je brise la connexion. On ne peut faire confiance au divin, mais qu’en est-il des créatures humanoïdes ?

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