Adwar – partie VI

Je n’arrivais plus à réfléchir. Cette étrange sensation qui avait happé mon esprit durant quelques secondes ne me quittait pas. C’était une ombre tenace et infatigable. Elle me collait à la peau. Elle rognait chaque fibre de mon être. Je l’avais ressentie durant l’histoire que me contait Khaor.

« Les dieux nous ont tant donnés, mais leur absence a laissé un vide immense. Il est temps que nous prenions notre destin en main et façonnions un avenir sans eux »

Ses mots, ses gestes, son aura, avaient subtilement failli. Cette légère fluctuation de son énergie, plus proche d’un terreau fertile de ténèbres que de la stérile bienveillance de la lumière, m’obsédait. Elle m’évoquait un malaise sous-jacent de son esprit et laissait planer un doute lourd de sens sur son épopée.

Ce contraste subtil entre ma perception lumineuse de ce qui est, et la sombre vérité qui couvait sous son histoire, renforçait cette pâmoison. Ce n’était qu’une brève étincelle, une lichette malodorante de noirceur, un relent de peur et de colère qui ne collaient en rien avec la lumière qui émanait de lui. Ce frisson d’énergie sombre m’évoquait un écho, une dissonance imperceptible dans la régularité de sa force vitale. Comme si le masque de bienveillance s’était brièvement fissuré, révélant des ombres tapis dans l’obscurité de son cœur non croyant.

Je fixais le ciel, allongé sur un parterre fleuri, à l’ombre d’un arbre aussi vieux que ce monde. Les charmeuses flagrances se mêlant habillement aux odeurs boisées dans une subtile harmonie, émoustillaient mes sens. Je n’avais pourtant cessé de me ressasser ces dernières semaines en ce lieu.

Cette planète, dont l’énergie neutre n’était ni altéré par les ténèbres ou la lumière, ne représentait rien dans le vaste cycle énergétique de cette galaxie. Cependant, ma rencontre avec Khaor et son histoire, m’apportait des informations sur le fonctionnement de cet univers.

Même si magicalement parlant, ce monde offrait peu d’avantages aux mages, il était détenteur d'un trésor historique digne d’intérêt. Mais en cela, ma question restait vaine. Quelle était cette leçon que le Seigneur Alkan tentait de me transmettre ? Subitement, cette pathétique aventure désertique m’apporta les bribes d’un cauchemar dont je ne percevais guère les prémisses. Je décidais tout de même de prendre mon courage à pleine main et quittais les jardins, délaissant mon hôte.

Je me laissais guider par mon instinct, traversant l’artère principale de cette ville en pleine effervescence. Les gens s’écartaient de mon passage, mais je ne les voyais pas. Les cris des marchands n’étaient que des frémissements auditifs. Les odeurs alléchantes de nourritures, guère plus que des remugles cendreux.

Subitement, une larme ruissela contre ma joue. Une larme qui ne venait pas de moi. L’énergie de l’Isis noir tentait maladroitement de s’enquérir de mon état d’esprit. Je la sentais se lover contre mes organes. Un doux ronronnement pulsait dans ma tête et une légère chaleur au sein de mon corps se diffusait.

Avec une douceur qui ne lui ressemblait pas, elle essayait de calmer mes pensées qui s’effilochaient loin de toute réalité. Je n’en avais cure. Je faisais abstraction de la plénitude qu’elle dégageait en moi. Je me laissais aller à mes pensées confuses.

Mon esprit se focalisait sur les énergies qui circulaient ici-bas. Insipide et morne, une marque impalpable pour ceux qui ne savaient lire les énergies s’entremêlait aux forces vitales. Seules l’énergie de l’Isis noir et sa douceur se transformant en une valse frénétique me rattachaient encore à la réalité.

Elle faisait maintenant pulser sa nauséabonde énergie dans mes veines. Les remous de magie noire se déchaînèrent en tempête. Je cessais ma marche au milieu du tumulte de la ville. Une migraine lancinante s'empara de moi. Je relevais difficilement la tête.

Devant moi, une pittoresque maison menaçait de s'écrouler. Non, l’image de cette chaumière s’altérait lentement, comme si elle était engloutie par une force obscure et invisible. En un instant, l'image se transforma en un mur de pierre, rongé par le temps. La nausée me saisit et je vidais le contenu de mon estomac. Le monde tournait. D'abord doucement, puis avec des oscillations violentes. Je me retins au mur, sentant la rugosité de la pierre écorcher mes doigts.

Tout devenait flou, si flou que ma tête bourdonnait d'un appel incessant et terrifiant. La peur me paralysa. Les battements de mon cœur devinrent tambours. Puis les ténèbres, sombre et glaciale, affluèrent tout autour de moi. Des lampées de noirceur dansaient, leurs tentacules, fouettaient l’air. Des odeurs de pourritures et de souillures embaumèrent l’espace. Une terreur viscérale s’empara alors de moi.

Une présence. Une chose terrifiante, inéluctable qui engloutit toutes vies sur son passage se tenait face à moi. Les miasmes présents dans l’air m’empêchaient de discerner cette chose. Les ténèbres m’enveloppèrent. Je fus plongé dans un abîme glacé. Je me sentais aspirée. Je luttais frénétiquement, battant des bras à la recherche de quelque chose à saisir. Ce fut un choc, une descente inexorable vers les affres immortelles de la noirceur. Mes pensées se brouillaient. Seule cette présence à l’aura profonde et paralysante m’accompagnait. Alors que je continuais à sombrer, je la sentis m'envelopper complètement. Elle me noyait dans une obscurité sans fin. Mes mains rencontrèrent le néant. Mon cœur cessa de battre.

A suivre.