Agnus Dei

   Poursuivie par des agents de police, j'entrai à l'intérieur de l'église, où je ne vis personne. Je m'effondrai alors sur un banc, essoufflée et exténuée. En effet, cela faisait trois jours qu'ils me suivaient, qu'ils voulaient ma peau, et trois longues nuits que je dormais plus, la peur au ventre.

   Nulle part en ce monde je ne me sentais à l'abri, ni à ma place. Je vagabondais tel un chaton abandonné, je volais, j'étais indépendante ; j'étais seule aussi, mais j'étais vivante.

   J'avais froid. Lentement, je relevai la tête et constatai ma petitesse face à ce que l'on appelait "la maison de Dieu" — or, ne devait-elle pas, justement, n'être qu'une humble demeure ? Les églises, c'est le goût démesuré des humains pour la grandeur, alors qu'ils ne sont que poussière. Cependant, celle-ci devenait mon refuge, m'ayant ouvert ses portes et avalé — daignerait-elle me recracher saine et sauve ? — .

   Je commençai à marcher, suivant le chemin de croix. J'entendis des chuchotements semblant provenir de partout à la fois, qui cessèrent dès que je demandai qui se trouvait là. Ma fatigue me jouait sûrement des tours...

   Mes pas résonnaient un moment avant de s'évanouir. À bien y regarder, cet endroit, en réalité, m'apeurait. Puis, vers l'autel j'aperçus une silhouette immaculée, de dos — un prêtre ? — . Je lui tapotai l'épaule, et la regarda s'évaporer entre mes doigts, ahurie. Je voulus pousser un cri d'effroi, mais aucun son ne parvint à franchir mes lèvres. Je me précipitai vers la porte d'entrée. Je préférais me faire arrêter par les forces de l'ordre, être pendue ou que l'on me tranchât la tête plutôt que rester une seconde de plus dans ce lieu sinistre qui autrefois, pourtant, devait accueillir des milliers de fidèles qui, peu à peu, l'avaient désertée. Aujourd'hui, elle était vide de sens, et la vieille porte verrouillée, comme scellée. Diantre !

« Tu ne pourras pas sortir d'ici. » Je tournai la tête. Un petit garçon se tenait là. D'où venait-il ?

« Que veux-tu dire ? demandai-je à la place.

— Mes parents m'ont mis ici, quémandant le droit d'asile, pensant me protéger. Depuis, je n'arrive plus à m'échapper.

— Mais pourquoi ? » 

  Je paniquai sérieusement, tandis qu'il conservait son flegme — à moins que ce ne fût de la lassitude — .

« Tu ne pourrais pas m'aider ?! m'impatientai-je.

— Ce serait inutile. »

   Je lâchai l'affaire, après avoir asséner la porte d'un bon coup de pied, ce qui me le broya. Je pleurai de rage et de chagrin. Entre temps, le petit garçon était reparti. L'avaits-je rêvé ? La fatigue et la faim me jouaient sans doute des tours... À travers les vitraux brisés ou fêlés, j'observais alors le jour décliner. J'avais de plus en plus froid. Je me blottis dans un coin, mais une statue semblant m'épier me fit changer de place.

  Les chuchotements reprirent, avant de s'intensifier et de se muer en chants :

« Kyrie Eleison, Kyrie Eleison...

« Agnus Dei qui tollis peccata mundi... miserere nobis... » 

  L'orgue se mit à les accompagner, me perçant les tympans. Je tentai une nouvelle fois de crier, en vain. Que se passait-il à la fin ?

« Nous, on capture les criminels et on établit la charité. L'Église est sainte, le Seigneur est bon... »Je courus, cherchant d'autres issues. J'avais déjà entendu parler de ce Dieu si parfait, Éternel ; croire en son existence m'avait rassurée à une époque, et peut-être même sauvée. À présent, j'étais terrorisée.
« Agnus Dei quis tollis peccata mundi... dona nobis pacem... »            Les voix se turent enfin. Je cessai ma course effrénée. La nuit était tombée.
 J'avais vraiment froid, or il m'était impossible de dormir. J'aperçus ensuite une flamme flotter dans l'obscurité. Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, je reconnus le petit garçon de tout à l'heure. Il me parut toutefois grandi et plus âgé que moi, comme si plusieurs années s'étaient écoulées en l'espace de quelques heures. Le savoir toujours là, cependant, me procurait presque un sentiment de sécurité, sinon un repère au sein de ce lieu inquiétant.
« Je vais rester avec toi pour la nuit. Même si ce sera tentant, ne lève jamais la tête vers le plafond.
— Pourquoi ?
— Ne relève jamais la tête vers le plafond, répéta-t-il simplement. »

 Puis, il se mura dans un mutisme impénétrable. À un moment, je crus qu'il s'était endormi — je n'entendais plus le bruit de sa respiration — . J'approchai la bougie qu'il avait auparavant posée devant nous et éclairai son visage, qui était maintenant celui d'un vieillard. Et peut-être était-il... La flamme vacilla ; s'éteignit.

  Mon corps se crispait, mon cœur se glaçait. J'implorai n'importe quelle divinité, souhaitant sortir de là, et levai la tête, observai le plafond obscur. Je ne pus le quitter des yeux de toute la nuit, comme hypnotisée — d'ailleurs, le jour ne vint jamais — . Je demeurai figée, des larmes et du sang maculant mon visage, à en juger par l'odeur qui s'en dégageait. Les mêmes voix s'élevèrent encore. Cette fois, je fermai les yeux fort et parvins, je l'espérai, à pousser enfin un hurlement.

   Les derniers vitraux semblèrent alors voler en éclats et me trancher la peau.

  FIN