Bonjour,
J’ai décidé d’écrire cette lettre pour toute personne qui ne croirait pas en mon existence, et je vous prie d’avoir assez de respect envers moi, qui trace difficilement ces mots, pour lire ce récit jusqu’à la fin. Je vais aller droit au but : je suis une chaussette. Oui, vous avez bien lu, une petite chaussette bleu marine qui en avait marre. Mais nous n’en sommes pas encore là. Commençons par le début. Avant, je vivais chez un petit garçon nommé Éric. Il me mettait de temps en temps, et j’allais avec lui à l’école, nous passions une journée ensemble, puis je finissait invariablement dans le panier à linge sale.
Ah, le panier à linge sale ! C’était un endroit pas très confortable, personne n’était bien plié, tout le monde était entassé et en plus nous sentions tous mauvais. Heureusement, nous, chaussettes, étions toujours par deux et pouvions discuter pour faire passer le temps. Si nous avions de la chance, nous ne restions pas longtemps, juste une petite journée, mais si, au contraire, nous étions tout au fond du panier, alors il se pouvait que nous attendions une éternité… Et gare si vous êtes collé contre une chemise ! Les chemises sont terriblement hautaines et désagréables, et très ennuyeuses en plus de cela. Vous autres, vous ne savez même pas qui vous portez avec vous tous les jours, alors dites vous une bonne fois pour toute que, si vous portez une chemise, toute la journée elle ne fera qu’insulter les habits de vos amis. Vous vous inquiétez un peu, là, n’est-ce pas ?
Bref, je m’égare… Quand nous quittions – enfin ! – ce tas d’habits sales, c’était pour faire un tour – plus d’un, en somme – dans la machine à laver. Les vieilles chaussettes raidies et décrépites détestaient les machines à laver ; elles n’aimaient pas les sensations fortes et avaient vite le tournis. Mais moi, je trouvais cela très amusant.
Finalement, on nous sortait toutes propres, de la machine et on nous attachait à un étendage avec des pinces à linge. Les pinces à linge font très mal car elles pincent – d’où leur nom – et nous souffrions donc en tout cas une bonne journée. Mais une chaussette souffre avec honneur ! Pas question de gigoter dans tous les sens ! Enfin… Lorsque vous êtes là du moins, vous, humains. Eh oui, si un jour vous vous demandez comment il se fait que les habits tombent de l’étendage durant votre absence, ne cherchez pas plus loin : nous avions mal, c’est tout.
Dès que tous les habits étaient secs, alors l’on venait abréger nos souffrances, puis l’on nous pliait. Les chaussettes étaient roulées par paires et les autres pliés suivant leur forme et leur taille. Finalement, nous étions rangées dans le tiroir à chaussettes, avec toutes les autres paires. C’était un endroit plutôt agréable et convivial – mis à part les quelques disputes entre paires, mais je m’entendais bien avec ma partenaire – et je m’y plaisais assez. Par la suite, lorsqu’Éric le souhaitait, le cycle recommençait.
Avec lui, je suivais quelques cours à l’école, mais je ne comprenais pas tout car je ratais beaucoup d’explications. Mais, je dois bien l’avouer, j’avais une vie heureuse et tranquille de petite chaussette prospère.
Oui, jusqu’au jour où ma compagne, la deuxième chaussette bleu marine, ne fut pas mise dans le linge sale avec moi. Éric l’avait égarée. Je ne la reverrais plus jamais. Moi, je fus lavée avec les autres habits, sentant bien que je n’étais plus à ma place. Quand j’arrivai dans le tiroir, les autres me regardèrent avec un mélange d’étonnement et d’inquiétude à mon égard. Une ancienne chaussette savante me raconta qu’un jours, une chaussette, comme moi, était arrivée seule dans le tiroir. Elle avait passé plusieurs mois ici, à attendre sa partenaire perdue, mais, ne l’ayant pas retrouvée, Éric jeta la pauvre chaussette solitaire aux ordures. Je frissonnai à ces derniers mots. Les ordures. Ce que toute chaussette craignait le plus. La raison pour laquelle elles avaient peur des trous aux orteils. Les ordures… Ma décision fut vite prise : je partais. Oui, j’allais partir, loin de ce tiroir, loin de cette maison, loin d’Éric. Et je pouvais m’en aller immédiatement car, comme vous le savez – du moins je l’espère – une chaussette ne possède rien, si ce n’est elle-même.
Je décidai donc de m’éclipser en douce hors du tiroir la nuit même. L’après-midi me parut si longue que plusieurs fois je me retins de partir plus tôt, malgré mes bonnes résolutions. Mais je résistai à mes peurs et attendis le soir. Quand il se décida enfin à arriver, je jetai un œil par la fente du tiroir. Éric était déjà au lit. Parfait. Alors je me hissai, avec l’aide de quelques paires dévouées, le plus haut possible, je me fis plus plate que ce qu’on pourrait imaginer pour une petite chaussette comme moi et, après quelques contorsions, réussis à passer. Je m’étalai au sol. Le sort en était jeté. J’étais sortie et ne pouvais plus faire demi-tour. Alors, je progressai dans la pénombre. Ne voyant pas ce qui se trouvait sur mon chemin, je me cognai à tous les jouets de la chambre. Enfin, j’atteignis la porte, qui était heureusement ouverte. Je glissai prudemment le bout de mon nez par l’entrebâillement, guettant les alentours pour m’assurer qu’il n’y avait personne, et, telle la chenille avançant sur sa branche, je me traînai péniblement vers l’entrée de l’appartement. J’étais bientôt arrivée, quand le papa d’Éric s’approcha. Il marchait dans ma direction. Je m’arrêtai immédiatement, essayant de faire aussi peu de bruit que possible. Il passa au dessus de moi, sans me voir. Ouf.
Je me dépêchai d’arriver au porte-manteau et je me glissai dans la poche d’une veste – celle de la maman d’Éric – qui n’était pas très confortable. Là, je patientai jusqu’au lendemain matin. Quand – enfin ! – je vis les lumières s’allumer dans le salon, je fis quelques étirements – j’aimerais vous y voir à rester toute la nuit dans la poche de votre veste – et je me préparai à sauter dehors une fois sorti de l’immeuble. Je tiens à saisir cette occasion pour signaler qu’il n’est pas bon de laisser traîner dans vos poches un attirail de petits emballages, de miettes et de poussière ! Devoir respirer cet air vicié toute la nuit, quelle torture !
Je dus attendre encore une petite heure avant que la maman d’Éric n’enfile son manteau pour sortir. Elle ouvrit la porte. Elle n’avait toujours rien remarqué. Elle la ferma derrière elle, descendit les escaliers du couloir et sortit de l’immeuble. Bingo j’étais sortie ! C’est alors que vint à la maman d’Éric une drôle d’idée : mettre les mains dans ses poches. En effet, il faisait froid dehors et elle ne voulait pas se geler les mains. Mais en se réchauffant elle me plaquait au fond de sa poche ! En plus, j’avais la figure écrasée contre les poussières – et je crois que j’en suis allergique. Je fis donc un effort colossal afin de ne pas éternuer et me faire repérer.
Je ne sais pas combien de temps elle marcha comme ça – les mains bien au chaud, moi bloquée – mais elle finit tout de même par sortir ses mains de leur refuge. Je ne saurais jamais pourquoi elle les avait sorties, mais je n’hésitai pas une seconde ; je me tassai au fond de la poche, à la manière de l’accordéon, puis me tendis brusquement, tombant ainsi de la veste. Je heurtai durement le sol bétonné et me faufilai, aussi gracieusement que le peut une chaussette frigorifiée, vers le bord du trottoir. Ouf, j’étais à l’abris. Il fallait maintenant que je décide où je voulais aller.
Durant deux ou trois jour, j’arpentai les rues, ne sachant pas bien ce que je recherchais. Je devais me cacher souvent, et j’étais bien vite devenue sale, à force de devoir sauter dans les fossés. Au quatrième jour de mon escapade, je passai à côté d’une espèce de grosse boîte en métal qui, je le compris par la suite, était un container de récupération d’habits, et je vis une petite chaussette blanche qui criait au secours. Je me dépêchai de m’approcher et je vis qu’elle était coincée sous un gros sac de vêtements. Alors, avec l’aide de quelques pulls et d’un pantalon contenus dans le sac – les chemises ayant refusé de m’aider, bien entendu – je la sortis de là. La petite chaussette me remercia. Elle était très jolie et avait de très beaux petits pois noirs. Nous tombâmes très vite amoureuses l’une de l’autre. Alors, nous décidâmes de rester à la récupération d’habits. Nous voyagerions, visiterions d’autres pays, d’autres continents. C’est ce que nous fîmes. À partir de ce jour, je menai une vie exceptionnelle, visitant presque toute l’Afrique, différents pays d’Asie, et j’en passe. Nous avons découvrîmes même l’Amérique !
Maintenant, je suis une vieille chaussette, j’ai vécu une vie extraordinaire en compagnie de ma petite chaussette blanche. À présent, notre temps est révolu, alors j’écris ceci pour qu’on puisse se souvenir de nous, pour qu’on puisse croire en nous, en notre histoire. Blanche s’est décousue il y a quelques jours, je crois que ça sera bientôt mon tour, alors si près de cette lettre vous trouvez quelques morceaux de tissu abimés et défaits, plutôt que de le laisser trainer par terre et prendre la poussière, enterrez-le dans votre jardin, déposez-y des fleurs et dites vous que là reposent deux chaussettes qui ont vécu heureuses, longtemps, et qui sont mortes tranquilles, paisibles, ensemble.
PS : Si un jour l’une de vos chaussettes se troue, ne la jetez pas aux ordures ! Laissez plutôt votre tiroir entrouvert, ne fermez pas la porte de votre chambre et assurez-vous que vos poches sont propres !
Adorable petite histoire qui ferait fureur en tant de conte pour enfants. Très attachante ta nouvelle, dégage aussi beaucoup de tendresse.
Jolie plume aussi !
Bravo bravo
MITH.
Cela m'encourage que tu aies trouvé le texte mignon, poétique et humoristique à la fois ! C'est super s'il fonctionne bien comme il faut :))
Merci beaucoup pour ton commentaire, cela me fait très plaisir !^^
C'est à la fois mignon et mélancolique, toujours très bien écrit. (D'ailleurs, ça me rappel une certaine histoire d'oreiller)
Le Post Scriptum à la fin m'a fait bien rire, et il résume assez bien les étapes de l'aventure de notre chaussette protagoniste !
Eh oui, les chemises sont affreusement désagréables, bien qu'elles ne le laissent pas penser...
“D'ailleurs, ça me rappel une certaine histoire d'oreiller”
>> Oui, peut-être un petit peu hihi^^ En réalité, cette histoire-ci est même antérieur à “Nos joyeux compagnons de plumes”, mais je l'ai retravaillée afin de la poster ici :)
Je suis ravie que l'histoire t'ait plu, et même fait rire !^^ Merci pour ton commentaire ! :))