C’est arrivé un matin, sans raison particulière. A mon réveil, mon ombre était là. Rien d’affolant jusque là, me direz-vous. Là où le bât blesse, c’est qu’elle n’était pas à mes pieds mais bien couchée à côté de moi. Elle m’a regardé et m’a fait un petit signe de la main. Un instant, j’ai cru être de nouveau dans l’un de ces rêves éveillés qui viennent parfois me visiter, mais une douloureuse pincette m’a affirmé le contraire.
Je crois que j’ai hurlé. Effrayée, l’ombre a bondit hors du lit et s’est effondrée avec fracas hors de mon champ de vision. Le cœur battant, j’ai contourné le lit, espérant qu’il n’y avait rien de l’autre côté. Mais elle était toujours là et, le comble, elle se frottait douloureusement la tête.
Contre toute vraisemblance, mon ombre se tenait devant moi, sans plus de consistance qu’une brume mais visiblement douée d’une vie propre. Après quelques minutes de panique, je sus que je n’avais pas d’autre choix que d’accepter ce phénomène, comme le fait que le soleil se lève chaque jour.
Mon ombre et moi, on a donc dû réapprendre à vivre ensemble. On a d’ailleurs très vite sympathisé. Elle était agréable à vivre. C’est normal, après tout, c’était mon ombre.
Mais on a aussi vite remarqué qu’il nous était impossible de nous éloigner de plus d’1m33 exactement l’un de l’autre.
Au début, évidement, on n’a vu que les avantages. Nous étions de véritables célébrités dans la ville. Il suffisait que l’on sorte en rue pour que tout le monde se retourne sur nous, pour que le moindre restaurant nous offre le déjeuner, pour profiter de l’attraction.
Mais après sont venus les inconvénients. Imaginez : je prends ma douche, elle est là. Si j’invite une fille au restaurant, je suis obligé de réserver une table pour trois. Je vous laisse deviner la situation si je propose à mon amie de venir boire un dernier verre chez moi…
Petit à petit, la situation est devenue insupportable. Pourtant, elle ne faisait rien de mal. Elle se contentait juste d’être là mais, croyez-moi, c’était déjà amplement suffisant. Je ne pouvais plus la voir. J’ai bien tenté de la perdre, en arpentant les rues en courant, au risque de me perdre moi-même dans le dédale de la ville mais lorsque mon cœur menaçait d’éclater et que je regardais derrière moi, elle était toujours là. Je lui ai hurlé dessus, je l’ai frappé, je l’ai haïe. Mais rien n’y fit.
Je ne supportait plus son regard tranquille, et encore moins celui des autres, qui se contentaient de rire de la situation sans rien comprendre de mon trouble. Alors, je me suis enfermé à double tour, j’ai tiré les rideaux et je me suis affalé sur une chaise, juste en face de mon ombre. Je ne sais pas combien de temps on est restés ainsi face à face, sans se dire un seul mot. Des heures, des jours, des mois peut-être ?
Et puis, soudain, je me suis mis à sangloter. D’abord doucement puis ce fut comme le déferlement d’un torrent. Je ne pouvais plus m’arrêter. J’ai pleuré, pleuré jusqu’à ne plus rien voir d’autre que la silhouette floue de mon ombre. Je ne pus alors plus que murmurer :
- Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu ne t’en vas pas ? S’il te plaît, va-t-en… Je t’en prie, je t’en supplie… Laisse-moi !
Cette dernière phrase, je l’ai crié. Pas de rage mais plutôt de désespoir. Peut-être que c’est ce qui l’a finalement décidé à partir. Un instant, elle était là, une seconde plus tard, elle avait disparu, laissant derrière elle comme un parfum de regret. Et moi, je suis resté là, seul avec moi-même. Mais je n’en ai éprouvé aucun soulagement.
Avant, j’avais une ombre, je n’y faisais pas attention. Puis, elle s’est mise à vivre et je ne pouvais plus la supporter. Maintenant, je n’ai plus d’ombre du tout et j’ai l’impression de n’être plus qu’une coquille vide.
Après son départ, je suis sorti sur le bas de ma porte. Le soleil était haut dans le ciel. On ne devait pas être loin de midi. Autour de moi, les gens continuaient leur petite vie, leur ombre dans leur sillage. Ils ne me jetaient même pas un regard. C’est comme si, depuis que j’avais perdu mon ombre, j’étais moi-même devenu une ombre. J’ai fait un pas dans le soleil, puis un autre. Avec ce soleil au zénith, les ombres rapetissaient de plus en plus, et moi avec.
A midi exactement, il ne restait plus rien d’autre qu’une toute petite tache d’ombre, perdue dans un coin d’escalier…
Le seul défaut que je lui trouve est sa longueur. Au-delà du fait que j'ai envie d'en lire plus parce que c'est bien écrit, j'ai trouvé le rythme très rapide et je n'ai pas tout à fait eu le temps de m'imprégner des différentes étapes de la relation du narrateur avec son ombre. J'ai à peine eu le temps de sourire de sa relation naissante qu'elle prenait déjà du plomb dans l'aile, et j'ai à peine eu le temps m'inquiéter que l'ombre était partie.
Pourtant, je suis plutôt partisan du "écrire moins pour écrire efficace", mais parfois, je trouve que certains textes y gagneraient à être allongés pour laisser le temps au lecteur de savourer... ^^
Mais je ne suis pas sûre d'avoir bien compris... Il devient à son tour une ombre et disparait ou c'est une métaphore ?