Avec :
Kittylou dans le rôle de Mrs Myrtle Billingley
&
Luna dans le rôle de Miss Charlotte Green
Mrs Myrtle Billingley
Londres, le 25 mai 1893
Ma chère Myrtle,
Quel bonheur de profiter de la bonne société londonienne à cette période de l'année ! Je ne pourrai jamais remercier assez ma chère cousine Emily de m'avoir laissée l'accompagner. Bien sûr, elle se sent atrocement seule puisque Charles la délaisse sans arrêt pour s'occuper de ses affaires si importantes. À peine marié, il ne pense qu'à travailler...
Il faut pourtant bien reconnaître à ce cher Charles que ses contacts nous permettent de fréquenter la société la plus raffinée qui soit. Ce soir nous nous rendons chez Lady Abigail qui donne un bal somptueux. Je suis si impatiente ! Lord Archer sera présent bien entendu, et d'après la rumeur son neveu s'y rendra avec lui.
Si vous saviez à quel point il est charmant ! Mais je ne vous ai pas raconté comment je l'ai rencontré. Même si aperçu serait un terme plus exact... Emily ayant attrapé un vilain rhume durant notre promenade matinale, nous nous sommes hâtées de rentrer. Quand nous passions justement près de la maison de Lord Archer, ma pauvre cousine a été prise d'une quinte de toux si atroce que l'on a dû arrêter la voiture un instant afin qu'elle reprenne contenance. Il était là, sous le porche à serrer la main de son oncle.
Il portait certes des habits assez sobres, mais qui lui seyaient à merveille. Emily me dit qu'il doit avoir un caractère aussi noble que sa manière de se vêtir. Bien sûr, nous ne nous sommes pas parlé. Comment aurais-je pu ? Lord Archer ne nous a même pas encore été présenté. Avec le bal de ce soir, il est certain que je pourrais faire sa connaissance.
Croyez-vous qu'il m'invitera à danser ?
Votre amie dévouée,
Charlotte
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Miss Charlotte Green
Dorchester, 2 juin 1893
Ma très chère Charlotte,
Comme je suis heureuse d’avoir de vos nouvelles ! Si vous saviez à quel point je m’ennuie dans le Devonshire... Depuis que Mr Brook a fui avec la fille de Sir Lawford, l’existence me paraît d’une monotonie que vous ne sauriez imaginer (surtout que ces jeunes gens ont eu l’impolitesse de choisir le jour où j’étais indisposée). Je vous envie, ma chère, de profiter des délices de Londres. Votre cousine Emily a eu raison de vous choisir pour demoiselle de compagnie. Un choix bien plus judicieux que d’accepter la demande en mariage de Charles Miller. Au moins, je dois reconnaître à ce gentleman le mérite de travailler alors que mon mari, Mr Billingley, refuse encore et toujours de m’emmener à Bath sous prétexte qu’il ne pourrait s’adonner à ses parties de chasse. Je me réjouis que ses relations — celles de Mr Miller et non celles de mon époux mais vous l’avez sans doute compris — vous aient ouvert les portes de la haute société. D’après Mrs Morrison qui le tient de source sûre de Miss Sharp, Lord Archer a l’intention de léguer son entière fortune à son jeune neveu. À sa mort, qui ne saurait tarder si ce brave homme continue d’abuser du brandy, son neveu hériterait de plusieurs dizaines de milliers de livres (en plus de son immense résidence dans le Hampshire, un manoir plein de courants d’air si vous voulez mon avis…d’ailleurs, conseillez à votre cousine cette excellente tisane à la camomille, il est si aisé de prendre froid durant les promenades en voiture). Je suis ravie d’apprendre que ce jeune homme soit doté d’un physique avantageux. Il est si difficile de nos jours de trouver un beau parti qui n’ait pas le nez de travers.
Je vous souhaite d’avoir pu faire sa connaissance durant le bal de Lady Abigail. Ne m’épargnez aucun détail, ma chère (et dites-moi si Lady Abigail portait encore cet horrible collier en fausses perles).
Votre amie dévouée,
Myrtle
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Mrs Myrtle Billingley
Heckfield, le 10 juin 1893
Ma chère Myrtle,
Je suis triste d'appendre que vous vous ennuyez tant. Si seulement vous aviez pu nous rejoindre dans le Hampshire ! Ce séjour est un délice. D'autant plus que nous sommes tout à fait proches de Ransford Hall, cette fameuse demeure dont vous me parliez et que Lord Archer fait rouvrir cet été.
Hier, Emily et moi-même (Charles ayant une énième affaire à régler dans la capitale), avons assisté au premier jeu de cricket de la saison pour célébrer la réouverture du manoir. Je dois reconnaître que je n'y voyais au début qu'un intérêt très modéré. Cependant, une chose tout à fait extraordinaire est arrivée : le mystérieux neveu a réapparu.
Je ne cache pas avoir été très fâchée de son absence au bal de Lady Abigail (qui, je vous rassure, avait opté pour un simple médaillon ce soir-là). Mais, je lui pardonne tout, parce que nous avons enfin pu faire connaissance ! Il s'appelle James Leighton, un nom tout à fait respectable, n'est-ce pas ? Emily trouve qu'il a des manières charmantes, même si son jeu de cricket est un peu rustique (Lord Archer étant indisposé, Mr Leighton s'est chargé comme un parfait gentleman de le remplacer).
Nous avons marché ensemble sur le chemin du retour et avons parlé et ri comme deux enfants. Je dois reconnaître que je l'apprécie beaucoup.
Malheureusement, il doit repartir dans quelques jours. Ce que ce séjour à la campagne va me sembler morne !
Votre amie dévouée,
Charlotte
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Miss Charlotte Green
Dorchester, 18 juin 1893
Ma chère Charlotte,
Vous me voyez ravie d’apprendre que Mr Leighton se soit enfin décidé à vous être présenté ! Je dois reconnaître que vous inviter à danser aurait été une façon beaucoup plus traditionnelle de faire connaissance (je fais référence à l’occasion manquée chez Lady Abigail, car danser sur un terrain de cricket aurait été plus qu’inconvenant). Pour ma part, le cricket est un sport parfaitement inutile qui ne vise qu’à faire transpirer. Pourquoi ces gentlemen éprouvent-ils le besoin de courir derrière une balle ? Quoi qu’il en soit, je suis heureuse pour vous (et aussi pour Mr Leighton car je ne doute pas que vous feriez un meilleur usage de son argent que l’une de ces jeunes écervelées — si mariage il y a lieu, bien sûr). Vous me dites qu’il remplaçait Lord Archer ? Bénis soient les courants d’air de Ransford Hall pour vous avoir permis une telle rencontre ! Ses manières ne peuvent être que charmantes ; avec une telle fortune, il aurait été fort déplaisant qu’il se comporte comme un malotru. D’ailleurs, je suis persuadée qu’il éprouve déjà une forte inclination pour vous. Encouragez-le et peut-être repartira-t-il à Londres avec une mèche de vos cheveux… N’hésitez pas à m’écrire, ma chère. Depuis que Mr Billingley s’est offert un nouveau fusil, il ne cesse d’arpenter la campagne pour ses interminables parties de chasse et je me réjouis tant d’avoir de vos nouvelles.
Votre amie dévouée,
Myrtle
PS : J’étais sur le point d’oublier ce que Mrs Morrison me racontait hier matin. Il paraît que la famille de Lord Archer posséderait des parts dans une compagnie de diamants. Mr Leighton vous aurait-il parlé de pierres précieuses, par hasard ?
PPS : Si vous souhaitez lui offrir une mèche de cheveux, ne commettez surtout pas l’erreur de Miss Hamilton qui, d’un simple coup de ciseaux, a complètement déstructuré sa coiffure.
***
Mrs Myrtle Billingley
Heckfield, le 27 juin 1893
Ma chère Myrtle,
Je tremble tant que j'ai peine à écrire cette lettre. Voyez-vous, je suis dans le plus grand des désarrois. Alors que j'étais sur le point d'offrir à mon Mr Leighton une mèche de mes cheveux, cette vile Miss Ellington a fait irruption dans la pièce. La bienséance nous obligeant à ne point montrer notre inclination, je n'ai pu lui dire au revoir comme je le souhaitais.
Et pour couronner le tout, Lady Archer (qui n'avait encore jamais daigné m'adresser la parole) est intervenue à son tour dans la soirée : « Miss Green, m'a-t-elle dit, aidez-moi à convaincre Miss Ellington d'opter pour du taffetas brodé et non du taffetas amidonné, qui est un tissu de très mauvais goût, vous ne trouvez pas ? — Sans l'ombre d'un doute, lui ai-je répondu, à quelle occasion se destine cette nouvelle robe ? — Eh bien, à son mariage, voyons ! Le neveu de mon époux lui mettra bientôt la bague au doigt. »
Croyez-vous vraiment que Mr Leighton va épouser cette déplaisante Miss Ellington ? Croyez-vous qu'il ait oublié ses sentiments pour moi ?
Ma chère Myrtle, dites-moi ce que je dois faire !
Votre amie dévouée,
Charlotte
PS : si Lord Archer a investi dans les diamants, son neveu n'en laisse rien paraître. Mais je soupçonne fortement Lady Archer de vouloir parer de pierres précieuses la maudite robe de Miss Ellington.
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Miss Charlotte Green
Dorchester, 5 juillet 1893
Ma chère Charlotte,
Je vous trouve bien aimable de qualifier Miss Ellington de vile, si encore sa vilenie ne pouvait concerner que son profil chevalin et ses doigts boudinés. Non, cette demoiselle a un défaut qui m’insupporte au plus haut point : sa manie d’écouter les ragots et les potins ! Vous qui connaissez mon mépris pour les commérages, vous me soutenez certainement quand j’affirme que cette attitude est indigne d’un membre de la haute société. Il faudrait que Mr Leighton soit bien sot pour vous préférer cette créature jacassante !
Du taffetas brodé, me dites-vous ? Les goûts de Lady Archer sont encore plus douteux que dans mon souvenir. Laissée à ses bons soins, Miss Ellington ne tardera pas à ressembler à une meringue dans sa robe de mariée — et avec un peu de chance, aucune église du comté n’a été bâtie avec une porte suffisamment grande pour qu’elle puisse en franchir le seuil. D’ailleurs, ce serait presque amusant à voir…
Mais j’oublie votre chagrin, ma pauvre Charlotte. J’aimerais tant pouvoir vous aider ! Si les sentiments de Mr Leighton sont sincères envers vous, ne doutez guère qu’il renoncera à son mariage avec Miss Ellington. Avec la fortune de son oncle, je doute que la dot de cette mégère ait la moindre importance. Vous avez beau être issue d’une famille modeste, vos qualités surpassent de loin les maigres talents de Miss Ellington. Cela risque de faire scandale à Londres mais si les cartons d’invitation ne sont pas encore envoyés, Lady Archer réussira à sauver les apparences (que lui coûte-t-il après tout de remplacer un nom par un autre ?).
Ne perdez pas espoir, ma chère !
Votre amie dévouée,
Myrtle
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Mrs Myrtle Billingley
Heckfield, le 16 juillet 1893
Ma chère Myrtle,
Il s'est passé ces derniers jours des événements tout à fait incroyables. Sachez avant toute chose que Mr Leighton ne va pas épouser Miss Ellington. Laissez-moi vous raconter.
Il y a deux jours, tandis que nous étions invitées à prendre le thé à Ransford Hall, un gentleman est arrivé, escorté par Mr Leighton (que je n'avais pas revu depuis la dernière fois et dont le cruel silence m'avait fait dépérir). Tandis que je rougissais de cette rencontre impromptue, l'inconnu nous a été présenté comme le neveu et héritier de Lord Archer. Imaginez donc ma surprise ! Non seulement cette déclaration m'a laissée sans voix, mais attendez donc de découvrir quelle révélation impossible Mr Leighton a dévoilé à son tour : qu'il était au service (oui ma chère, vous lisez bien) de Lord Archer et exerçait des fonctions de secrétaire !
Parfois je me surprends à croire que la nature humaine est incroyablement complexe à saisir. Voyez donc, je m'étonne moi-même puisque j'ai finalement cédé à la demande en mariage de ce cher James. Qui aurait pu soupçonner que sa si gracieuse nature pouvait cacher une telle vérité ? Mais peut-être était-ce mon caractère candide et ma passion sincère qui m'ont rendue aveugle. Emily s'est empressée de me rappeler les tenues si sobres et le jeu de cricket si naïf de mon Mr Leighton, en ne cessant de répéter (et cela tout au cours de la soirée qui suivit) qu'elle avait enfin résolu le mystère qui entourait les manières trop énigmatiques de ce gentleman.
Sans doute ne vivrai-je jamais à Ransford Hall, mais qu'importe ; cette demeure est truffée de courants d'air et de plafonds trop hauts. Et puis, quel intérêt pourrai-je avoir dans ces futilités matérielles, puisque j'ai gagné le cœur de mon cher James ?
Votre amie dévouée,
Charlotte
PS : je crains d'avoir commis l'irréparable erreur de Miss Hamilton. Croyez-vous que je puisse rattraper cela ?
Bravo pour votre collaboration : on ne saurait dire qui a écrit quoi, vous vous êtes très bien accordées ! ^^
Je me demande quelle aurait été la réponse de sa bonne amie qui a l'air bien intéréssée quand même.
Vous avez réussi à écrire toutes les deux comme si vous ne faisiez qu'une, c'est bluffant !
Merci pour cette chouette lecture :)
Mais... vous êtes vraiment deux ? ^^
Toute l'ambiance de cette fin de 19ème siècle est magnifiquement croquée...
Et effectivement, voilà un beau quiproquo... Heureusement, d'ailleurs, puisque cette détestable Miss Ellington laisse le champ libre à Charlotte.
Et cetet dernière phrase... xD
Franchement, vous avez une plume qui s'accorde parfaitement, c'est impressionant *o* Oh et l'ambiance que vous avez instaurée et le monde que vous avez construit m'ont émerveillée.
Bravo pour cette participation qui somme tout finit bien :P
Et quelles lettres! Quel vocabulaire! Quel monde que vous créez là en quelques mots!
Je me suis demandée tout du long de la lecture en quoi consisterait le quiproquo et j'ai été agréablement surprise, franchement BRAVO à vous deux!
Un bon travail d'équipe ! :)
C'est vrai que c'est une ambiance très Jane Austen et c'est très agréable à lire.
En tout cas, bravo pour votre travail qui vous a certainement demandé pas mal de préparation pour rendre adapter ces lettres à leur époque.
Cette Myrtle m'a bien fait rire avec ses remarques presque polies et bien placées. Heureusement pour la douce Charlotte, l'argent ne l'intéressait que moyennement. Passer par elles pour raconter l'histoire d'amour était très sympa et bien fait. Leur amitié est touchante et je trouve que vous vous êtes parfaitement accordées dans les réponses. Vous avez réussi à adopter le même "style" d'époque, mais vos personnages sont clairement différents <3
On ne croirait jamais que cela a été écrit pas deux personnes différentes, et en si peu de temps.
Vraiment, bravo !
Et puis,tous cespetits détails de rien du tout,qui rendent si vivant le texte, sont très agréables.
Bravo pour votre collaboration les plumes
Nascana