Je m’éveillais ébloui. J’étais reclus dans ce grenier depuis si longtemps. Le faisceau lumineux émanant de la porte en chêne me chatouillait les narines. Les pas de mon propriétaire soulevaient la poussière. Il me saisit par le manche, me cassa en deux, souffla dans mes naseaux rouillés et me redressa d’un coup sec. J’aurais préféré des retrouvailles plus complices, mais qu’importe, j’allais enfin reprendre du service.
Il descendit les marches sur la pointe des pieds, comme une ballerine. En passant devant la fenêtre de l’escalier, je vis l’aurore pointer le bout de son nez. Il descendit à la cuisine, où les restes d’un dîner d’enfants séchaient sur le bord des assiettes en plastique. Il me posa contre la chaise haute dans un bruit métallique, celle qui l’avait supporté les premières années de sa vie.
Il était dans le salon à présent. Je devinais aux tintements cristallins qu’il se servait un whisky sec. Quelques minutes passèrent avant que je ne revoie ses mocassins à gland. Il me souleva, me chargea le ventre, et m’emmena avec lui au premier étage. Le couloir de droite menait à la chambre parentale. Il s’y dirigea d’un pas assuré, ouvrit la porte d’un coup de mocassin (les glands firent un tour sur eux-mêmes, ils semblaient trouver cette entrée un poil trop théâtrale à leur goût).
Je vis une silhouette se redresser dans le lit, puis une toile sombre et conquérante envahissant les draps après mon premier déploiement.
Des talons martelant le parquet au-dessus de nous, nous indiquèrent que nous avions réveillés les mômes.
Le plus grand avait même eu le temps d’atteindre le salon. Son père fut vif, il dévala quatre à quatre les marches et atteignit son rejeton brun. Ce dernier n’eut pas le temps d’émettre une syllabe, une seconde explosion le percuta en pleine tempe. Cette fois-ci, les bouts de chair habillèrent la porte d’entrée autrefois immaculée.
Nous n’entendions plus un bruit. Pourtant, personne n’était dupe, il en restait une dernière, qui devait se terrer dans sa chambre, grelottant de peur dans sa chemise de nuit rose pâle.
Nous fîmes demi-tour, et remontions pour la seconde fois les marches branlantes. Deuxième étage, celui des enfants. Troisième porte à gauche, reconnaissable par ses fleurs en crépons qui formaient ce si joli prénom, qu’il avait choisi contre l’avis de sa femme : « Innocence. »
Il la devinait avant de la voir, la main sur sa petite bouche rouge, ses yeux sombres agrandis par l’effroi. Il fit un premier pas. Il aperçut avant moi les petits chaussons en coton. Elle n’avait jamais été douée à cache-cache. Il tira le rideau d’un coup sec, maigre bouclier face à cette folie infanticide.
Mon canon embrassait son front humide, lorsque j’éjectais mon avant-dernière balle. Puis, lentement, l’auteur des pressions me fit pivoter et je me retrouvais face à son visage blême. Je lui redonnais un peu de couleur lorsque ma dernière cartouche traversa sa boîte crânienne.
Je restais là, contre lui, quelques heures. Vers midi, j’entendis le grondement d’une voiture entrant dans la cour. Suivi d’un cri. Puis d’un second, plus proche. Et un troisième, dont je perçus les vibrations. Le responsable de ces octaves fût vite rejoint par une horde de flics. Ils lui demandèrent ce qu’il cachait derrière son dos.
J’entendis l’aïeul répondre :
-« J’ai eu mon fils hier, je lui ai demandé s’il avait besoin de quelque chose pour le déjeuner d’aujourd’hui. Il m’a répondu : apporte seulement des fleurs. »
Je ne sais pas trop écrire des commentaires très constructifs mais tes histoires et ta manière d'écrire sont fortes!